Лотреамон, Песни Мальдорора

Перевод Н.С. Мавлевич

AP

Comte de Lautréamont
Les Chants de Maldoror (1868)

CHANT PREMIER

Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison ; car, à moins qu’il n’apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d’esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l’eau le sucre. Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. Par conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant. Écoute bien ce que je te dis : dirige tes talons en arrière et non en avant, comme les yeux d’un fils qui se détourne respectueusement de la contemplation auguste de la face maternelle ; ou, plutôt, comme un angle à perte de vue de grues frileuses méditant beaucoup, qui, pendant l’hiver, vole puissamment à travers le silence, toutes voiles tendues, vers un point déterminé de l’horizon, d’où tout à coup part un vent étrange et fort, précurseur de la tempête. La grue la plus vieille et qui forme à elle seule l’avant-garde, voyant cela, branle la tête comme une personne raisonnable, conséquemment son bec aussi qu’elle fait claquer, et n’est pas contente (moi, non plus, je ne le serais pas à sa place), tandis que son vieux cou, dégarni de plumes et contemporain de trois générations de grues, se remue en ondulations irritées qui présagent l’orage qui s’approche de plus en plus. Après avoir de sang-froid regardé plusieurs fois de tous les côtés avec des yeux qui renferment l’expérience, prudemment, la première (car, c’est elle qui a le privilège de montrer les plumes de sa queue aux autres grues inférieures en intelligence), avec son cri vigilant de mélancolique sentinelle, pour repousser l’ennemi commun, elle vire avec flexibilité la pointe de la figure géométrique (c’est peut-être un triangle, mais on ne voit pas le troisième côté que forment dans l’espace ces curieux oiseaux de passage), soit à bâbord, soit à tribord, comme un habile capitaine ; et, manœuvrant avec des ailes qui ne paraissent pas plus grandes que celles d’un moineau, parce qu’elle n’est pas bête, elle prend ainsi un autre chemin philosophique et plus sûr.

Lecteur, c’est peut-être la haine que tu veux que j’invoque dans le commencement de cet ouvrage ! Qui te dit que tu n’en renifleras pas, baigné dans d’innombrables voluptés, tant que tu voudras, avec tes narines orgueilleuses, larges et maigres, en te renversant de ventre, pareil à un requin, dans l’air beau et noir, comme si tu comprenais l’importance de cet acte et l’importance non moindre de ton appétit légitime, lentement et majestueusement, les rouges émanations ? Je t’assure, elles réjouiront les deux trous informes de ton museau hideux, ô monstre, si toutefois tu t’appliques auparavant à respirer trois mille fois de suite la conscience maudite de l’Éternel ! Tes narines, qui seront démesurément dilatées de contentement ineffable, d’extase immobile, ne demanderont pas quelque chose de meilleur à l’espace, devenu embaumé comme de parfums et d’encens ; car, elles seront rassasiées d’un bonheur complet, comme les anges qui habitent dans la magnificence et la paix des agréables cieux.

J’établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon pendant ses premières années, où il vécut heureux ; c’est fait. Il s’aperçut ensuite qu’il était né méchant : fatalité extraordinaire ! Il cacha son caractère tant qu’il put, pendant un grand nombre d’années ; mais, à la fin, à cause de cette concentration qui ne lui était pas naturelle, chaque jour le sang lui montait à la tête ; jusqu’à ce que, ne pouvant plus supporter une pareille vie, il se jeta résolûment dans la carrière du mal… atmosphère douce ! Qui l’aurait dit ! lorsqu’il embrassait un petit enfant, au visage rose, il aurait voulu lui enlever ses joues avec un rasoir, et il l’aurait fait très-souvent, si Justice, avec son long cortége de châtiments, ne l’en eût chaque fois empêché. Il n’était pas menteur, il avouait la vérité et disait qu’il était cruel. Humains, avez-vous entendu ? il ose le redire avec cette plume qui tremble ! Ainsi donc, il est une puissance plus forte que la volonté… Malédiction ! La pierre voudrait se soustraire aux lois de la pesanteur ? Impossible. Impossible, si le mal voulait s’allier avec le bien. C’est ce que je disais plus haut.

Il y en a qui écrivent pour rechercher les applaudissements humains, au moyen de nobles qualités du cœur que l’imagination invente ou qu’ils peuvent avoir. Moi, je fais servir mon génie à peindre les délices de la cruauté ! Délices non passagères, artificielles ; mais, qui ont commencé avec l’homme, finiront avec lui. Le génie ne peut-il pas s’allier avec la cruauté dans les résolutions secrètes de la Providence ? ou, parce qu’on est cruel, ne peut-on pas avoir du génie ? On en verra la preuve dans mes paroles ; il ne tient qu’à vous de m’écouter, si vous le voulez bien… Pardon, il me semblait que mes cheveux s’étaient dressés sur ma tête ; mais, ce n’est rien, car, avec ma main, je suis parvenu facilement à les remettre dans leur première position. Celui qui chante ne prétend pas que ses cavatines soient une chose inconnue ; au contraire, il se loue de ce que les pensées hautaines et méchantes de son héros soient dans tous les hommes.

J’ai vu, pendant toute ma vie, sans en excepter un seul, les hommes, aux épaules étroites, faire des actes stupides et nombreux, abrutir leurs semblables, et pervertir les âmes par tous les moyens. Ils appellent les motifs de leurs actions : la gloire. En voyant ces spectacles, j’ai voulu rire comme les autres ; mais, cela, étrange imitation, était impossible. J’ai pris un canif dont la lame avait un tranchant acéré, et me suis fendu les chairs aux endroits où se réunissent les lèvres. Un instant je crus mon but atteint. Je regardai dans un miroir cette bouche meurtrie par ma propre volonté ! C’était une erreur ! Le sang qui coulait avec abondance des deux blessures empêchait d’ailleurs de distinguer si c’était là vraiment le rire des autres. Mais, après quelques instants de comparaison, je vis bien que mon rire ne ressemblait pas à celui des humains, c’est-à-dire que je ne riais pas.

J’ai vu les hommes, à la tête laide et aux yeux terribles enfoncés dans l’orbite obscur, surpasser la dureté du roc, la rigidité de l’acier fondu, la cruauté du requin, l’insolence de la jeunesse, la fureur insensée des criminels, les trahisons de l’hypocrite, les comédiens les plus extraordinaires, la puissance de caractère des prêtres, et les êtres les plus cachés au dehors, les plus froids des mondes et du ciel ; lasser les moralistes à découvrir leur cœur, et faire retomber sur eux la colère implacable d’en haut. Je les ai vus tous à la fois, tantôt, le poing le plus robuste dirigé vers le ciel, comme celui d’un enfant déjà pervers contre sa mère, probablement excités par quelque esprit de l’enfer, les yeux chargés d’un remords cuisant en même temps que haineux, dans un silence glacial, n’oser émettre les méditations vastes et ingrates que recélait leur sein, tant elles étaient pleines d’injustice et d’horreur, et attrister de compassion le Dieu de miséricorde ; tantôt, à chaque moment du jour, depuis le commencement de l’enfance jusqu’à la fin de la vieillesse, en répandant des anathèmes incroyables, qui n’avaient pas le sens commun, contre tout ce qui respire, contre eux-mêmes et contre la Providence, prostituer les femmes et les enfants, et déshonorer ainsi les parties du corps consacrées à la pudeur. Alors, les mers soulèvent leurs eaux, engloutissent dans leurs abîmes les planches ; les ouragans, les tremblements de terre renversent les maisons ; la peste, les maladies diverses déciment les familles priantes. Mais, les hommes ne s’en aperçoivent pas. Je les ai vus aussi rougissant, pâlissant de honte pour leur conduite sur cette terre ; rarement. Tempêtes, sœurs des ouragans ; firmament bleuâtre, dont je n’admets pas la beauté ; mer hypocrite, image de mon cœur ; terre, au sein mystérieux ; habitants des sphères ; univers entier ; Dieu, qui l’as créé avec magnificence, c’est toi que j’invoque : montre-moi un homme qui soit bon !… Mais, que ta grâce décuple mes forces naturelles ; car, au spectacle de ce monstre, je puis mourir d’étonnement : on meurt à moins.

On doit laisser pousser ses ongles pendant quinze jours. Oh ! comme il est doux d’arracher brutalement de son lit un enfant qui n’a rien encore sur la lèvre supérieure, et, avec les yeux très-ouverts, de faire semblant de passer suavement la main sur son front, en inclinant en arrière ses beaux cheveux ! Puis, tout à coup, au moment où il s’y attend le moins, d’enfoncer les ongles longs dans sa poitrine molle, de façon qu’il ne meure pas ; car, s’il mourait, on n’aurait pas plus tard l’aspect de ses misères. Ensuite, on boit le sang en léchant les blessures ; et, pendant ce temps, qui devrait durer autant que l’éternité dure, l’enfant pleure. Rien n’est si bon que son sang, extrait comme je viens de le dire, et tout chaud encore, si ce ne sont ses larmes, amères comme le sel. Homme, n’as-tu jamais goûté de ton sang, quand par hasard tu t’es coupé le doigt ? Comme il est bon, n’est-ce pas ; car, il n’a aucun goût. En outre, ne te souviens-tu pas d’avoir un jour, dans tes réflexions lugubres, porté la main, creusée au fond, sur ta figure maladive mouillée par ce qui tombait des yeux ; laquelle main ensuite se dirigeait fatalement vers la bouche, qui puisait à longs traits, dans cette coupe, tremblante comme les dents de l’élève qui regarde obliquement celui qui est né pour l’oppresser, les larmes ? Comme elles sont bonnes, n’est-ce pas ; car, elles ont le goût du vinaigre. On dirait les larmes de celle qui aime le plus ; mais, les larmes de l’enfant sont meilleures au palais. Lui, ne trahit pas, ne connaissant pas encore le mal : celle qui aime le plus trahit tôt ou tard… je le devine par analogie, quoique j’ignore ce que c’est que l’amitié, que l’amour (il est probable que je ne les accepterai jamais ; du moins, de la part de la race humaine). Donc, puisque ton sang et tes larmes ne te dégoûtent pas, nourris-toi, nourris-toi avec confiance des larmes et du sang de l’adolescent. Bande-lui les yeux, pendant que tu déchireras ses chairs palpitantes ; et, après avoir entendu de longues heures ses cris sublimes, semblables aux râles perçants que poussent dans une bataille les gosiers des blessés agonisants, alors, t’ayant écarté comme une avalanche, tu te précipiterais de la chambre voisine, et tu feras semblant d’arriver à son secours. Tu lui délieras les mains, aux nerfs et aux veines gonflées, tu rendras la vue à ses yeux égarés, en te remettant à lécher ses larmes et son sang. Comme alors le repentir est vrai ! L’étincelle divine qui est en nous, et paraît si rarement, se montre ; trop tard ! Comme le cœur déborde de pouvoir consoler l’innocent à qui l’on a fait du mal : « Adolescent, qui venez de souffrir des douleurs cruelles, qui donc a pu commettre sur vous un crime que je ne sais de quel nom qualifier ! Malheureux que vous êtes ! Comme vous devez souffrir ! Et si votre mère savait cela, elle ne serait pas plus près de la mort, si abhorrée par les coupables, que je ne le suis maintenant. Hélas ! qu’est-ce donc que le bien et le mal ! Est-ce une même chose par laquelle nous témoignons avec rage notre impuissance, et la passion d’atteindre à l’infini par les moyens même les plus insensés ? Ou bien, sont-ce deux choses différentes ? Oui… que ce soit plutôt une même chose… car, sinon, que deviendrai-je au jour du jugement ! Adolescent, pardonne-moi ; c’est celui qui est devant ta figure noble et sacrée, qui a brisé tes os et déchiré les chairs qui pendent à différents endroits de ton corps. Est-ce un délire de ma raison malade, est-ce un instinct secret qui ne dépend pas de mes raisonnements, pareil à celui de l’aigle déchirant sa proie, qui m’a poussé à commettre ce crime ; et pourtant, autant que ma victime, je souffrais ! Adolescent, pardonne-moi. Une fois sortis de cette vie passagère, je veux que nous soyons entrelacés pendant l’éternité ; ne former qu’un seul être, ma bouche collée à ta bouche. Même, de cette manière, ma punition ne sera pas complète. Alors, tu me déchireras, sans jamais t’arrêter, avec les dents et les ongles à la fois. Je parerai mon corps de guirlandes embaumées, pour cet holocauste expiatoire ; et nous souffrirons tous les deux, moi, d’être déchiré, toi, de me déchirer… ma bouche collée à ta bouche. Ô adolescent, aux cheveux blonds, aux yeux si doux, feras-tu maintenant ce que je te conseille ? Malgré toi, je veux que tu le fasses, et tu rendras heureuse ma conscience. » Après avoir parlé ainsi, en même temps tu auras fait le mal à un être humain, et tu seras aimé du même être : c’est le bonheur le plus grand que l’on puisse concevoir. Plus tard, tu pourras le mettre à l’hôpital ; car, le perclus ne pourra pas gagner sa vie. On t’appellera bon, et les couronnes de laurier et les médailles d’or cacheront tes pieds nus, épars sur la grande tombe, à la figure vieille. Ô toi, dont je ne veux pas écrire le nom sur cette page qui consacre la sainteté du crime, je sais que ton pardon fut immense comme l’univers. Mais, moi, j’existe encore !

J’ai fait un pacte avec la prostitution afin de semer le désordre dans les familles. Je me rappelle la nuit qui précéda cette dangereuse liaison. Je vis devant moi un tombeau. J’entendis un ver luisant, grand comme une maison, qui me dit : « Je vais t’éclairer. Lis l’inscription. Ce n’est pas de moi que vient cet ordre suprême. » Une vaste lumière couleur de sang, à l’aspect de laquelle mes mâchoires claquèrent et mes bras tombèrent inertes, se répandit dans les airs jusqu’à l’horizon. Je m’appuyai contre une muraille en ruine, car j’allais tomber, et je lus : « Ci-gît un adolescent qui mourut poitrinaire : vous savez pourquoi. Ne priez pas pour lui. » Beaucoup d’hommes n’auraient peut-être pas eu autant de courage que moi. Pendant ce temps, une belle femme nue vint se coucher à mes pieds. Moi, à elle, avec une figure triste : « Tu peux te relever. » Je lui tendis la main avec laquelle le fratricide égorge sa sœur. Le ver luisant, à moi : « Toi, prends une pierre et tue-la. — Pourquoi ? lui dis-je. » Lui, à moi : « Prends garde à toi ; le plus faible, parce que je suis le plus fort. Celle-ci s’appelle Prostitution. » Les larmes dans les yeux, la rage dans le cœur, je sentis naître en moi une force inconnue. Je pris une grosse pierre ; après bien des efforts, je la soulevai avec peine jusqu’à la hauteur de ma poitrine ; je la mis sur l’épaule avec les bras. Je gravis une montagne jusqu’au sommet : de là, j’écrasai le ver luisant. Sa tête s’enfonça sous le sol d’une grandeur d’homme ; la pierre rebondit jusqu’à la hauteur de six églises. Elle alla retomber dans un lac, dont les eaux s’abaissèrent un instant, tournoyantes, en creusant un immense cône renversé. Le calme reparut à la surface ; la lumière de sang ne brilla plus. « Hélas ! hélas ! s’écria la belle femme nue ; qu’as-tu fait ? » Moi, à elle : « Je te préfère à lui ; parce que j’ai pitié des malheureux. Ce n’est pas ta faute, si la justice éternelle t’a créée. » Elle, à moi : « Un jour, les hommes me rendront justice ; je ne t’en dis pas davantage. Laisse-moi partir, pour aller cacher au fond de la mer ma tristesse infinie. Il n’y a que toi et les monstres hideux qui grouillent dans ces noirs abîmes, qui ne me méprisent pas. Tu es bon. Adieu, toi qui m’as aimée ! » Moi, à elle : « Adieu ! Encore une fois : adieu ! Je t’aimerai toujours !… Dès aujourd’hui, j’abandonne la vertu. » C’est pourquoi, ô peuples, quand vous entendrez le vent d’hiver gémir sur la mer et près de ses bords, ou au dessus des grandes villes, qui, depuis longtemps, ont pris le deuil pour moi, ou à travers les froides régions polaires, dites : « Ce n’est pas l’esprit de Dieu qui passe : ce n’est que le soupir aigu de la prostitution, uni avec les gémissements graves du Montévidéen. » Enfants, c’est moi qui vous le dis. Alors, pleins de miséricorde, agenouillez-vous ; et que les hommes, plus nombreux que les poux, fassent de longues prières.

Au clair de la lune, près de la mer, dans les endroits isolés des campagnes, l’on voit, plongé dans d’amères réflexions, toutes les choses revêtir des formes jaunes, indécises, fantastiques. L’ombre des arbres, tantôt vite, tantôt lentement, court, vient, revient, par diverses formes, en s’aplatissant, en se collant contre la terre. Dans le temps, lorsque j’étais emporté sur les ailes de la jeunesse, cela me faisait rêver, me paraissait étrange ; maintenant, j’y suis habitué. Le vent gémit à travers les feuilles ses notes langoureuses, et le hibou chante sa grave complainte, qui fait dresser les cheveux à ceux qui l’entendent. Alors, les chiens, rendus furieux, brisent leurs chaînes, s’échappent des fermes lointaines ; ils courent dans la campagne, çà et là, en proie à la folie. Tout à coup, ils s’arrêtent, regardent de tous les côtés avec une inquiétude farouche, l’œil en feu ; et, de même que les éléphants, avant de mourir, jettent dans le désert un dernier regard au ciel, élevant désespérément leur trompe, laissant leurs oreilles inertes, de même les chiens laissent leurs oreilles inertes, élèvent la tête, gonflent le cou terrible, et se mettent à aboyer, tour à tour, soit comme un enfant qui crie de faim, soit comme un chat blessé au ventre au-dessus d’un toit, soit comme une femme qui va enfanter, soit comme un moribond atteint de la peste à l’hôpital, soit comme une jeune fille qui chante un air sublime, contre les étoiles au nord, contre les étoiles au sud, contre les étoiles à l’ouest ; contre la lune ; contre les montagnes, semblables au loin à des roches géantes, gisantes dans l’obscurité ; contre l’air froid qu’ils aspirent à pleins poumons, qui rend l’intérieur de leur narine, rouge, brûlant ; contre le silence de la nuit ; contre les chouettes, dont le vol oblique leur rase le museau, emportant un rat ou une grenouille dans le bec, nourriture vivante, douce pour les petits ; contre les lièvres, qui disparaissent en un clin d’œil ; contre le voleur, qui s’enfuit au galop de son cheval après avoir commis un crime ; contre les serpents, remuant les bruyères, qui leur font trembler la peau, grincer les dents ; contre leurs propres aboiements, qui leur font peur à eux-mêmes ; contre les crapauds, qu’ils broient d’un coup sec de mâchoire (pourquoi se sont-ils éloignés du marais ?) ; contre les arbres, dont les feuilles, mollement bercées, sont autant de mystères qu’ils ne comprennent pas, qu’ils veulent découvrir avec leurs yeux fixes, intelligents ; contre les araignées, suspendues entre leurs longues pattes, qui grimpent sur les arbres pour se sauver ; contre les corbeaux, qui n’ont pas trouvé de quoi manger pendant la journée, et qui s’en reviennent au gîte l’aile fatiguée ; contre les rochers du rivage ; contre les feux, qui paraissent aux mâts des navires invisibles ; contre le bruit sourd des vagues ; contre les grands poissons, qui, nageant, montrent leur dos noir, puis s’enfoncent dans l’abîme ; et contre l’homme qui les rend esclaves.

Après quoi, ils se mettent de nouveau à courir la campagne, en sautant, de leurs pattes sanglantes par dessus les fossés, les chemins, les champs, les herbes et les pierres escarpées. On les dirait atteints de la rage, cherchant un vaste étang pour apaiser leur soif. Leurs hurlements prolongés épouvantent la nature. Malheur au voyageur attardé ! Les amis des cimetières se jetteront sur lui, le déchireront, le mangeront avec leur bouche d’où tombe du sang ; car, ils n’ont pas les dents gâtées. Les animaux sauvages, n’osant pas s’approcher pour prendre part au repas de chair, s’enfuient à perte de vue, tremblants. Après quelques heures, les chiens, harassés de courir ça et là, presque morts, la langue en dehors de la bouche, se précipitent les uns sur les autres, sans savoir ce qu’ils font, et se déchirent en mille lambeaux, avec une rapidité incroyable. Ils n’agissent pas ainsi par cruauté. Un jour, avec des yeux vitreux, ma mère me dit : « Lorsque tu seras dans ton lit, que tu entendras les aboiements des chiens dans la campagne, cache-toi dans ta couverture, ne tourne pas en dérision ce qu’ils font : ils ont soif insatiable de l’infini, comme toi, comme moi, comme le reste des humains, à la figure pâle et longue. Même, je te permets de te mettre devant la fenêtre pour contempler ce spectacle, qui est assez sublime. » Depuis ce temps, je respecte le vœu de la morte. Moi, comme les chiens, j’éprouve le besoin de l’infini… Je ne puis, je ne puis contenter ce besoin ! Je suis fils de l’homme et de la femme, d’après ce qu’on m’a dit. Ça m’étonne… je croyais être davantage ! Au reste, que m’importe d’où je viens ? Moi, si cela avait pu dépendre de ma volonté, j’aurais voulu être plutôt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des tempêtes, et du tigre, à la cruauté reconnue : je ne serais pas si méchant. Vous, qui me regardez, éloignez-vous de moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonné. Nul n’a encore vu les rides vertes de mon front ; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arêtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j’avais sur ma tête des cheveux d’une autre couleur. Et, quand je rôde autour des habitations des hommes, pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellés par le vent des tempêtes, isolé comme une pierre au milieu du chemin, je couvre ma face flétrie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit l’intérieur des cheminées : il ne faut pas que les yeux soient témoins de la laideur que l’Être suprême, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi. Chaque matin, quand le soleil se lève pour les autres, en répandant la joie et la chaleur dans toute la nature, tandis qu’aucun de mes traits ne bouge, en regardant fixement l’espace plein de ténèbres, accroupi vers le fond de ma caverne aimée, dans un désespoir qui m’enivre comme le vin, je meurtris de mes puissantes mains ma poitrine en lambeaux. Pourtant, je sens que je ne suis pas atteint de la rage ! Pourtant, je sens que je ne suis pas le seul qui souffre ! Pourtant, je sens que je respire ! Comme un condamné qui essaie ses muscles, en réfléchissant sur leur sort, et qui va bientôt monter à l’échafaud, debout, sur mon lit de paille, les yeux fermés, je tourne lentement mon col de droite à gauche, de gauche à droite, pendant des heures entières ; je ne tombe pas raide mort. De moment en moment, lorsque mon col ne peut plus continuer de tourner dans un même sens, qu’il s’arrête, pour se remettre à tourner dans un sens opposé, je regarde subitement l’horizon, à travers les rares interstices laissés par les broussailles épaisses qui recouvrent l’entrée : je ne vois rien ! Rien… si ce ne sont les campagnes qui dansent en tourbillons avec les arbres et avec les longues files d’oiseaux qui traversent les airs. Cela me trouble le sang et le cerveau… Qui donc, sur la tête, me donne des coups de barre de fer, comme un marteau frappant l’enclume ?

Je me propose, sans être ému, de déclamer à grande voix la strophe sérieuse et froide que vous allez entendre. Vous, faites attention à ce qu’elle contient, et gardez-vous de l’impression pénible qu’elle ne manquera pas de laisser, comme une flétrissure, dans vos imaginations troublées. Ne croyez pas que je sois sur le point de mourir, car je ne suis pas encore un squelette, et la vieillesse n’est pas collée à mon front. Écartons en conséquence toute idée de comparaison avec le cygne, au moment où son existence s’envole, et ne voyez devant vous qu’un monstre, dont je suis heureux que vous ne puissiez apercevoir la figure ; mais, moins horrible est-elle que son âme. Cependant, je ne suis pas un criminel… Assez sur ce sujet. Il n’y a pas longtemps que j’ai revu la mer et foulé le pont des vaisseaux, et mes souvenirs sont vivaces comme si je l’avais quittée la veille. Soyez néanmoins, si vous le pouvez, aussi calmes que moi, dans cette lecture que je me repens déjà de vous offrir, et ne rougissez pas à la pensée de ce qu’est le cœur humain. Ô poulpe, au regard de soie ! toi, dont l’âme est inséparable de la mienne ; toi, le plus beau des habitants du globe terrestre, et qui commandes à un sérail de quatre cents ventouses ; toi, en qui siégent noblement, comme dans leur résidence naturelle, par un commun accord, d’un lien indestructible, la douce vertu communicative et les grâces divines, pourquoi n’es-tu pas avec moi, ton ventre de mercure contre ma poitrine d’aluminium, assis tous les deux sur quelque rocher du rivage, pour contempler ce spectacle que j’adore !

Vieil océan, aux vagues de cristal, tu ressembles proportionnellement à ces marques azurées que l’on voit sur le dos meurtri des mousses ; tu es un immense bleu, appliqué sur le corps de la terre : j’aime cette comparaison. Ainsi, à ton premier aspect, un souffle prolongé de tristesse, qu’on croirait être le murmure de ta brise suave, passe, en laissant des ineffaçables traces, sur l’âme profondément ébranlée, et tu rappelles au souvenir de tes amants, sans qu’on s’en rende toujours compte, les rudes commencements de l’homme, où il fait connaissance avec la douleur, qui ne le quitte plus. Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, ta forme harmonieusement sphérique, qui réjouit la face grave de la géométrie, ne me rappelle que trop les petits yeux de l’homme, pareils à ceux du sanglier pour la petitesse, et à ceux des oiseaux de nuit pour la perfection circulaire du contour. Cependant, l’homme s’est cru beau dans tous les siècles. Moi, je suppose plutôt que l’homme ne croit à sa beauté que par amour-propre ; mais, qu’il n’est pas beau réellement et qu’il s’en doute ; car, pourquoi regarde-t-il la figure de son semblable avec tant de mépris ? Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, tu es le symbole de l’identité : toujours égal à toi-même. Tu ne varies pas d’une manière essentielle, et, si tes vagues sont quelque part en furie, plus loin, dans quelque autre zone, elles sont dans le calme le plus complet. Tu n’es pas comme l’homme qui s’arrête dans la rue, pour voir deux boule-dogues s’empoigner au cou, mais, qui ne s’arrête pas, quand un enterrement passe ; qui est ce matin accessible et ce soir de mauvaise humeur ; qui rit aujourd’hui et pleure demain. Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, il n’y aurait rien d’impossible à ce que tu caches dans ton sein de futures utilités pour l’homme. Tu lui as déjà donné la baleine. Tu ne laisses pas facilement deviner aux yeux avides des sciences naturelles les mille secrets de ton intime organisation : tu es modeste. L’homme se vante sans cesse, et pour des minuties. Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, les différentes espèces de poissons que tu nourris n’ont pas juré fraternité entre elles. Chaque espèce vit de son côté. Les tempéraments et les conformations qui varient dans chacune d’elles, expliquent, d’une manière satisfaisante, ce qui ne paraît d’abord qu’une anomalie. Il en est ainsi de l’homme, qui n’a pas les mêmes motifs d’excuse. Un morceau de terre est-il occupé par trente millions d’êtres humains, ceux-ci se croient obligés de ne pas se mêler de l’existence de leurs voisins, fixés comme des racines sur le morceau de terre qui suit. En descendant du grand au petit, chaque homme vit comme un sauvage dans sa tanière, et en sort rarement pour visiter son semblable, accroupi pareillement dans une autre tanière. La grande famille universelle des humains est une utopie digne de la logique la plus médiocre. En outre, du spectacle de tes mamelles fécondes, se dégage la notion d’ingratitude ; car, on pense aussitôt à ces parents nombreux, assez ingrats envers le Créateur, pour abandonner le fruit de leur misérable union. Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, ta grandeur matérielle ne peut se comparer qu’à la mesure qu’on se fait de ce qu’il a fallu de puissance active pour engendrer la totalité de ta masse. On ne peut pas t’embrasser d’un coup d’œil. Pour te contempler, il faut que la vue tourne son télescope, par un mouvement continu, vers les quatre points de l’horizon, de même qu’un mathématicien, afin de résoudre une équation algébrique, est obligé d’examiner séparément les divers cas possibles, avant de trancher la difficulté. L’homme mange des substances nourrissantes, et fait d’autres efforts, dignes d’un meilleur sort, pour paraître gras. Qu’elle se gonfle tant qu’elle voudra, cette adorable grenouille. Sois tranquille, elle ne t’égalera pas en grosseur ; je le suppose, du moins. Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, tes eaux sont amères. C’est exactement le même goût que le fiel que distille la critique sur les beaux-arts, sur les sciences, sur tout. Si quelqu’un a du génie, on le fait passer pour un idiot ; si quelque autre est beau de corps, c’est un bossu affreux. Certes, il faut que l’homme sente avec force son imperfection, dont les trois quarts d’ailleurs ne sont dus qu’à lui-même, pour la critiquer ainsi ! Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, les hommes, malgré l’excellence de leurs méthodes, ne sont pas encore parvenus, aidés par les moyens d’investigation de la science, à mesurer la profondeur vertigineuse de tes abîmes ; tu en as que les sondes les plus longues, les plus pesantes, ont reconnu inaccessibles. Aux poissons… ça leur est permis : pas aux hommes. Souvent, je me suis demandé quelle chose était le plus facile à reconnaître : la profondeur de l’océan ou la profondeur du cœur humain ! Souvent, la main portée au front, debout sur les vaisseaux, tandis que la lune se balançait entre les mâts d’une façon irrégulière, je me suis surpris, faisant abstraction de tout ce qui n’était pas le but que je poursuivais, m’efforçant de résoudre ce difficile problème ! Oui, quel est le plus profond, le plus impénétrable des deux : l’océan ou le cœur humain ? Si trente ans d’expérience de la vie peuvent jusqu’à un certain point pencher la balance vers l’une ou l’autre de ces solutions, il me sera permis de dire que, malgré la profondeur de l’océan, il ne peut pas se mettre en ligne, quant à la comparaison sur cette propriété, avec la profondeur du cœur humain. J’ai été en relation avec des hommes qui ont été vertueux. Ils mouraient à soixante ans, et chacun ne manquait pas de s’écrier : « Ils ont fait le bien sur cette terre, c’est-à-dire qu’ils ont pratiqué la charité : voilà tout, ce n’est pas malin, chacun peut en faire autant. » Qui comprendra pourquoi deux amants qui s’idolâtraient la veille, pour un mot mal interprété, s’écartent, l’un vers l’orient, l’autre vers l’occident, avec les aiguillons de la haine, de la vengeance, de l’amour et du remords, et ne se revoient plus, chacun drapé dans sa fierté solitaire. C’est un miracle qui se renouvelle chaque jour et qui n’en est pas moins miraculeux. Qui comprendra pourquoi l’on savoure non seulement les disgrâces générales de ses semblables, mais encore les particulières de ses amis les plus chers, tandis que l’ont est affligé en même temps ? Un exemple incontestable pour clore la série : l’homme dit hypocritement oui et pense non. C’est pour cela que les marcassins de l’humanité ont tant de confiance les uns dans les autres et ne sont pas égoïstes. Il reste à la psychologie beaucoup de progrès à faire. Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, tu es si puissant, que les hommes l’ont appris à leurs propres dépens. Ils ont beau employer toutes les ressources de leur génie… incapables de te dominer. Ils ont trouvé leur maître. Je dis qu’ils ont trouvé quelque chose de plus fort qu’eux. Ce quelque chose a un nom. Ce nom est : l’océan ! La peur que tu leur inspires est telle, qu’ils te respectent. Malgré cela, tu fais valser leurs plus lourdes machines avec grâce, élégance et facilité. Tu leur fais faire des sauts gymnastiques jusqu’au ciel, et des plongeons admirables jusqu’au fond de tes domaines : un saltimbanque en serait jaloux. Bienheureux sont-ils, quand tu ne les enveloppes pas définitivement dans tes plis bouillonnants, pour aller voir, sans chemin de fer, dans tes entrailles aquatiques, comment se portent les poissons, et surtout comment ils se portent eux-mêmes. L’homme dit : « Je suis plus intelligent que l’océan. » C’est possible ; c’est même assez vrai ; mais l’océan lui est plus redoutable que lui à l’océan : c’est ce qu’il n’est pas nécessaire de prouver. Ce patriarche observateur, contemporain des premières époques de notre globe suspendu, sourit de pitié, quand il assiste aux combats navals des nations. Voilà une centaine de léviathans qui sont sortis des mains de l’humanité. Les ordres emphatiques des supérieurs, les cris des blessés, les coups de canon, c’est du bruit fait exprès pour anéantir quelques secondes. Il paraît que le drame est fini, et que l’océan a tout mis dans son ventre. La gueule est formidable. Elle doit être grande vers le bas, dans la direction de l’inconnu ! Pour couronner enfin la stupide comédie, qui n’est même pas intéressante, on voit, au milieu des airs, quelque cigogne, attardée par la fatigue, qui se met à crier, sans arrêter l’envergure de son vol : « Tiens !… je la trouve mauvaise ! Il y avait en bas des points noirs ; j’ai fermé les yeux : ils ont disparu. » Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, ô grand célibataire, quand tu parcours la solitude solennelle de tes royaumes flegmatiques, tu t’enorgueillis à juste titre de ta magnificence native, et des éloges vrais que je m’empresse de te donner. Balancé voluptueusement par les molles effluves de ta lenteur majestueuse, qui est le plus grandiose parmi les attributs dont le souverain pouvoir t’a gratifié, tu déroules, au milieu d’un sombre mystère, sur toute ta surface sublime, tes vagues incomparables, avec le sentiment calme de ta puissance éternelle. Elles se suivent parallèlement, séparées par de courts intervalles. À peine l’une diminue, qu’une autre va à sa rencontre en grandissant, accompagnées du bruit mélancolique de l’écume qui se fond, pour nous avertir que tout est écume. (Ainsi, les êtres humains, ces vagues vivantes, meurent l’un après l’autre, d’une manière monotone ; mais, sans laisser de bruit écumeux). L’oiseau de passage se repose sur elles avec confiance, et se laisse abandonner à leurs mouvements, pleins d’une grâce fière, jusqu’à ce que les os de ses ailes aient recouvré leur vigueur accoutumée pour continuer le pèlerinage aérien. Je voudrais que la majesté humaine ne fût que l’incarnation du reflet de la tienne. Je demande beaucoup, et ce souhait sincère est glorieux pour toi. Ta grandeur morale, image de l’infini, est immense comme la réflexion du philosophe, comme l’amour de la femme, comme la beauté divine de l’oiseau, comme les méditations du poète. Tu es plus beau que la nuit. Réponds-moi, océan, veux-tu être mon frère ? Remue-toi avec impétuosité… plus… plus encore, si tu veux que je te compare à la vengeance de Dieu ; allonge tes griffes livides, en te frayant un chemin sur ton propre sein… c’est bien. Déroule tes vagues épouvantables, océan hideux, compris par moi seul, et devant lequel je tombe, prosterné à tes genoux. La majesté de l’homme est empruntée ; il ne m’imposera point : toi, oui. Oh ! quand tu t’avances, la crête haute et terrible, entouré de tes replis tortueux comme d’une cour, magnétiseur et farouche, roulant tes ondes les unes sur les autres, avec la conscience de ce que tu es, pendant que tu pousses, des profondeurs de ta poitrine, comme accablé d’un remords intense que je ne puis pas découvrir, ce sourd mugissement perpétuel que les hommes redoutent tant, même quand ils te contemplent, en sûreté, tremblants sur le rivage, alors, je vois qu’il ne m’appartient pas, le droit insigne de me dire ton égal.

C’est pourquoi, en présence de ta supériorité, je te donnerais tout mon amour (et nul ne sait la quantité d’amour que contiennent mes aspirations vers le beau), si tu ne me faisais douloureusement penser à mes semblables, qui forment avec toi le plus ironique contraste, l’antithèse la plus bouffonne que l’on ait jamais vue dans la création : je ne puis pas t’aimer, je te déteste. Pourquoi reviens-je à toi, pour la millième fois, vers tes bras amis, qui s’entr’ouvrent, pour caresser mon front brûlant, qui voit disparaître la fièvre à leur contact ! Je ne connais pas ta destinée cachée ; tout ce qui te concerne m’intéresse. Dis-moi donc si tu es la demeure du prince des ténèbres. Dis-le moi… dis-le moi, océan (à moi seul, pour ne pas attrister ceux qui n’ont encore connu que les illusions), et si le souffle de Satan crée les tempêtes qui soulèvent tes eaux salées jusqu’aux nuages. Il faut que tu me le dises, parce que je me réjouirais de savoir l’enfer si près de l’homme. Je veux que celle-ci soit la dernière strophe de mon invocation. Par conséquent, une seule fois encore, je veux te saluer et te faire mes adieux ! Vieil océan, aux vagues de cristal… Mes yeux se mouillent de larmes abondantes, et je n’ai pas la force de poursuivre ; car, je sens que le moment venu de revenir parmi les hommes, à l’aspect brutal ; mais… courage ! Faisons un grand effort, et accomplissons, avec le sentiment du devoir, notre destinée sur cette terre. Je te salue, vieil océan !

On ne me verra pas, à mon heure dernière (j’écris ceci sur mon lit de mort), entouré de prêtres. Je veux mourir, bercé par la vague de la mer tempêtueuse, ou debout sur la montagne… les yeux en haut, non : je sais que mon anéantissement sera complet. D’ailleurs, je n’aurais pas de grâce à espérer. Qui ouvre la porte de ma chambre funéraire ? J’avais dit que personne n’entrât. Qui que vous soyez, éloignez-vous ; mais, si vous croyez apercevoir quelque marque de douleur ou de crainte sur mon visage d’hyène (j’use de cette comparaison, quoique l’hyène soit plus belle que moi, et plus agréable à voir), soyez détrompé : qu’il s’approche. Nous sommes dans une nuit d’hiver, alors que les éléments s’entre-choquent de toutes parts, que l’homme a peur, et que l’adolescent médite quelque crime sur un de ses amis, s’il est ce que je fus dans ma jeunesse. Que le vent, dont les sifflements plaintifs attristent l’humanité, depuis que le vent, l’humanité existent, quelques moments avant l’agonie dernière, me porte sur les os de ses ailes, à travers le monde, impatient de ma mort. Je jouirai encore, en secret, des exemples nombreux de la méchanceté humaine (un frère, sans être vu, aime à voir les actes de ses frères).

L’aigle, le corbeau, l’immortel pélican, le canard sauvage, la grue voyageuse, éveillés, grelottant de froid, me verront passer à la lueur des éclairs, spectre horrible et content. Ils ne sauront ce que cela signifie. Sur la terre, la vipère, l’œil gros du crapaud, le tigre, l’éléphant ; dans la mer, la baleine, le requin, le marteau, l’informe raie, la dent du phoque polaire, se demanderont quelle est cette dérogation à la loi de la nature. L’homme, tremblant, collera son front contre la terre, au milieu de ses gémissements. « Oui, je vous surpasse tous par ma cruauté innée, cruauté qu’il n’a pas dépendu de moi d’effacer. Est-ce pour ce motif que vous vous montrez devant moi dans cette prosternation ? ou bien, est-ce parce que vous me voyez parcourir, phénomène nouveau, comme une comète effrayante, l’espace ensanglanté ? (Il me tombe une pluie de sang de mon vaste corps, pareil à un nuage noirâtre que pousse l’ouragan devant soi). Ne craignez rien, enfants, je ne veux pas vous maudire. Le mal que vous m’avez fait est trop grand, trop grand le mal que je vous ai fait, pour qu’il soit volontaire. Vous autres, vous avez marché dans votre voie, moi, dans la mienne, pareilles toutes les deux, toutes les deux perverses. Nécessairement, nous avons dû nous rencontrer, dans cette similitude de caractère ; le choc qui en est résulté nous a été réciproquement fatal. » Alors, les hommes relèveront peu à peu la tête, en reprenant courage, pour voir celui qui parle ainsi, allongeant le cou comme l’escargot. Tout à coup, leur visage brûlant, décomposé, montrant les plus terribles passions, grimacera de telle manière que les loups auront peur. Ils se dresseront à la fois comme un ressort immense. Quelles imprécations ! quels déchirements de voix ! Ils m’ont reconnu. Voilà que les animaux de la terre se réunissent aux hommes, font entendre leurs bizarres clameurs. Plus de haine réciproque ; les deux haines sont tournées contre l’ennemi commun, moi ; on se rapproche par un assentiment universel. Vents, qui me soutenez, élevez-moi plus haut ; je crains la perfidie. Oui, disparaissons peu à peu de leurs yeux, témoin, une fois de plus, des conséquences des passions, complètement satisfait… Je te remercie, ô rhinolophe, de m’avoir réveillé avec le mouvement de tes ailes, toi, dont le nez est surmonté d’une crête en forme de fer à cheval : je m’aperçois, en effet, que ce n’était malheureusement qu’une maladie passagère, et je me sens avec dégoût renaître à la vie. Les uns disent que tu arrivais vers moi pour me sucer le peu de sang qui se trouve dans mon corps : pourquoi cette hypothèse n’est-elle pas la réalité !

Une famille entoure une lampe posée sur la table :

— Mon fils, donne-moi les ciseaux qui sont placés sur cette chaise.

— Ils n’y sont pas, mère.

— Va les chercher alors dans l’autre chambre. Te rappelles-tu cette époque, mon doux maître, où nous faisions des vœux, pour avoir un enfant, dans lequel nous renaîtrions une seconde fois, et qui serait le soutien de notre vieillesse ?

— Je me la rappelle, et Dieu nous a exaucés. Nous n’avons pas à nous plaindre de notre lot sur cette terre. Chaque jour nous bénissons la Providence de ses bienfaits. Notre Édouard possède toutes les grâces de sa mère.

— Et les mâles qualités de son père.

— Voici les ciseaux, mère ; je les ai enfin trouvés.

Il reprend son travail… Mais quelqu’un s’est présenté à la porte d’entrée, et contemple, pendant quelques instants, le tableau qui s’offre à ses yeux :

— Que signifie ce spectacle ! Il y a beaucoup de gens qui sont moins heureux que ceux-là. Quel est le raisonnement qu’ils se font pour aimer l’existence ? Éloigne-toi, Maldoror, de ce foyer paisible ; ta place n’est pas ici.

Il s’est retiré !

— Je ne sais comment cela se fait ; mais, je sens les facultés humaines qui se livrent des combats dans mon cœur. Mon âme est inquiète, et sans savoir pourquoi ; l’atmosphère est lourde.

— Femme, je ressens les mêmes impressions que toi ; je tremble qu’il ne nous arrive quelque malheur. Ayons confiance en Dieu, en lui est le suprême espoir.

— Mère, je respire à peine ; j’ai mal à la tête.

— Toi aussi, mon fils ! Je vais te mouiller le front et les tempes avec du vinaigre.

— Bon, bonne mère…

Voyez, il appuie son corps sur le revers de la chaise, fatigué.

— Quelque chose se retourne en moi, que je ne saurais expliquer. Maintenant, le moindre objet me contrarie.

— Comme tu es pâle ! La fin de cette veillée ne se passera pas sans que quelque événement funeste nous plonge tous les trois dans le lac du désespoir !

J’entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante.

— Mon fils !

— Ah ! mère… j’ai peur !

— Dis-moi vite si tu souffres.

— Mère, je ne souffre pas… Je ne dis pas la vérité.

Le père ne revient pas de son étonnement :

— Voilà des cris que l’on entend quelquefois, dans le silence des nuits sans étoiles. Quoique nous entendions ces cris, néanmoins, celui qui les pousse n’est pas près d’ici ; car, on peut entendre ces gémissements à trois lieues de distance, transportés par le vent d’une cité à une autre. On m’avait souvent parlé de ce phénomène ; mais, je n’avais jamais eu l’occasion de juger par moi-même de sa véracité. Femme, tu me parlais de malheur ; si malheur plus réel exista dans la longue spirale du temps, c’est le malheur de celui qui trouble maintenant le sommeil de ses semblables…

J’entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante.

— Plût au ciel que sa naissance ne soit pas une calamité pour son pays, qui l’a repoussé de son sein. Il va de contrée en contrée, abhorré partout. Les uns disent qu’il est accablé d’une espèce de folie originelle, depuis son enfance. D’autres croient savoir qu’il est d’une cruauté extrême et instinctive, dont il a honte lui-même, et que ses parents en sont morts de douleur. Il y en a qui prétendent qu’on l’a flétri d’un surnom dans sa jeunesse ; qu’il en est resté inconsolable le reste de son existence, parce que sa dignité blessée voyait là une preuve flagrante de la méchanceté des hommes, qui se montre aux premières années, pour augmenter ensuite. Ce surnom était le vampire !…

J’entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante.

— Ils ajoutent que, les jours, les nuits, sans trêve ni repos, des cauchemars horribles lui font saigner le sang par la bouche et les oreilles ; et que des spectres s’assoient au chevet de son lit, et lui jettent à la face, poussés malgré eux par une force inconnue, tantôt d’une voix douce, tantôt d’une voix pareille aux rugissements des combats, avec une persistance implacable, ce surnom toujours vivace, toujours hideux, et qui ne périra qu’avec l’univers. Quelques-uns mêmes ont affirmé que l’amour l’a réduit dans cet état ; ou que ces cris témoignent du repentir de quelque crime enseveli dans la nuit de son passé mystérieux. Mais le plus grand nombre pense qu’un incommensurable orgueil le torture, comme jadis Satan, et qu’il voudrait égaler Dieu…

J’entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante.

— Mon fils, ce sont là des confidences exceptionnelles ; je plains ton âge de les avoir entendues, et j’espère que tu n’imiteras jamais cet homme.

— Parle, ô mon Édouard ; réponds que tu n’imiteras jamais cet homme.

— Ô mère, bien-aimée, à qui je dois le jour, je te promets, si ta sainte promesse d’un enfant a quelque valeur, de ne jamais imiter cet homme.

— C’est parfait, mon fils ; il faut obéir à sa mère, en quoi que ce soit.

On n’entend plus les gémissements.

— Femme, as-tu fini ton travail ?

— Il me manque quelques points à cette chemise, quoique nous ayons prolongé la veillée bien tard.

— Moi, aussi, je n’ai pas fini un chapitre commencé. Profitons des dernières lueurs de la lampe ; car, il n’y a presque plus d’huile, et achevons chacun notre travail…
L’enfant s’est écrié :
— Si Dieu nous laisse vivre !

— Ange radieux, viens à moi ; tu te promèneras dans la prairie, du matin jusqu’au soir ; tu ne travailleras point. Mon palais magnifique est construit avec des murailles d’argent, des colonnes d’or et des portes de diamant. Tu te coucheras quand tu voudras, au son d’une musique céleste, sans faire ta prière. Quand, au matin, le soleil montrera ses rayons resplendissants et que l’alouette joyeuse emportera avec elle, son cri, à perte de vue, dans les airs, tu pourras rester encore au lit, jusqu’à ce que cela te fatigue. Tu marcheras sur les tapis les plus précieux ; tu seras constamment enveloppé dans une atmosphère composée des essences parfumées des fleurs les plus odorantes.

— Il est temps de reposer le corps et l’esprit. Lève-toi, mère de famille, sur tes chevilles musculeuses. Il est juste que tes doigts raidis n’abandonnent l’aiguille du travail exagéré. Les extrêmes n’ont rien de bon.

— Oh ! que ton existence sera suave ! Je te donnerai une bague enchantée ; quand tu en retourneras le rubis, tu seras invisible, comme les princes, dans les contes de fées.

— Remets tes armes quotidiennes dans l’armoire protectrice, pendant que, de mon côté, j’arrange mes affaires.

— Quand tu le replaceras dans sa position ordinaire, tu reparaîtras tel que la nature t’a formé, ô jeune magicien. Cela, parce que je t’aime et que j’aspire à faire ton bonheur.

— Va-t’en, qui que tu sois ; ne me prends pas par les épaules.

— Mon fils, ne t’endors point, bercé par les rêves de l’enfance : la prière en commun n’est pas commencée et tes habits ne sont pas encore soigneusement placés sur une chaise… À genoux ! Éternel créateur de l’univers, tu montres ta bonté inépuisable jusque dans les plus petites choses.

— Tu n’aimes donc pas les ruisseaux limpides, où glissent des milliers de petits poissons rouges, bleus et argentés ? Tu les prendras avec un filet si beau, qu’il les attirera de lui-même, jusqu’à ce qu’il soit rempli. De la surface, tu verras des cailloux luisants, plus polis que le marbre.

— Mère, vois ces griffes : je me méfie de lui ; mais ma conscience est calme, car je n’ai rien à me reprocher.

— Tu nous vois prosternés à tes pieds, accablés du sentiment de ta grandeur. Si quelque pensée orgueilleuse s’insinue dans notre imagination, nous la rejetons aussitôt avec la salive du dédain et nous t’en faisons le sacrifice irrémissible.

— Tu t’y baigneras avec de petites filles, qui t’enlaceront de leurs bras. Une fois sortis du bain, elles te tresseront des couronnes de roses et d’œillets. Elles auront des ailes transparentes de papillon et des cheveux d’une longueur ondulée, qui flottent autour de la gentillesse de leur front.

— Quand même ton palais serait plus beau que le cristal, je ne sortirais pas de cette maison pour te suivre. Je crois que tu n’es qu’un imposteur, puisque tu me parles si doucement, de crainte de te faire entendre. Abandonner ses parents est une mauvaise action. Ce n’est pas moi qui serais fils ingrat. Quant à tes petites filles, elles ne sont pas si belles que les yeux de ma mère.

— Toute notre vie s’est épuisée dans les cantiques de ta gloire. Tels nous avons été jusqu’ici, tels nous serons, jusqu’au moment où nous recevrons de toi l’ordre de quitter cette terre.

— Elles t’obéiront à ton moindre signe et ne songeront qu’à te plaire. Si tu désires l’oiseau qui ne se repose jamais, elles te l’apporteront. Si tu désires la voiture de neige, qui transporte au soleil en un clin d’œil, elles te l’apporteront. Que ne t’apporteraient-elles pas ! Elles t’apporteraient même le cerf-volant, grand comme une tour, qu’on a caché dans la lune, et à la queue duquel sont suspendus, par des liens de soie, des oiseaux de toute espèce. Fais attention à toi… écoute mes conseils.

— Fais ce que tu voudras ; je ne veux pas interrompre la prière, pour appeler au secours. Quoique ton corps s’évapore, quand je veux l’écarter, sache que je ne te crains pas.

— Devant toi, rien n’est grand, si ce n’est la flamme exhalée d’un cœur pur.

— Réfléchis à ce que je t’ai dit, si tu ne veux pas t’en repentir.

— Père céleste, conjure, conjure les malheurs qui peuvent fondre sur notre famille.

— Tu ne veux donc pas te retirer, mauvais esprit ?

— Conserve cette épouse chérie, qui m’a consolé dans mes découragements…

— Puisque tu me refuses, je te ferai pleurer et grincer des dents comme un pendu.

— Et ce fils aimant, dont les chastes lèvres s’entr’ouvrent à peine aux baisers de l’aurore de vie.

— Mère, il m’étrangle… Père, secourez-moi… Je ne puis plus respirer… Votre bénédiction !

Un cri d’ironie immense s’est élevé dans les airs. Voyez comme les aigles, étourdis, tombent du haut des nuages, en roulant sur eux-mêmes, littéralement foudroyés par la colonne d’air.

— Son cœur ne bat plus… Et celle-ci est morte, en même temps que le fruit de ses entrailles, fruit que je ne reconnais plus, tant il est défiguré… Mon épouse ! Mon fils !… Je me rappelle un temps lointain où je fus époux et père.

Il s’était dit, devant le tableau qui s’offrit à ses yeux, qu’il ne supporterait pas cette injustice. S’il est efficace, le pouvoir que lui ont accordé les esprits infernaux, ou plutôt qu’il tire de lui-même, cet enfant, avant que la nuit s’écoule, ne devait plus être.

Celui qui ne sait pas pleurer (car, il a toujours refoulé la souffrance en dedans) remarqua qu’il se trouvait en Norwége. Aux îles Fœroé, il assista à la recherche des nids d’oiseaux de mer, dans les crevasses à pic, et s’étonna que la corde de trois cents mètres, qui retient l’explorateur au dessus du précipice, fût choisie d’une telle solidité. Il voyait là, quoi qu’on dise, un exemple frappant de la bonté humaine, et il ne pouvait en croire ses yeux. Si c’était lui qui eût dû préparer la corde, il aurait fait des entailles en plusieurs endroits, afin qu’elle se coupât, et précipitât le chasseur dans la mer ! Un soir, il se dirigea vers un cimetière, et les adolescents qui trouvent du plaisir à violer les cadavres de belles femmes mortes depuis peu, purent, s’ils le voulurent, entendre la conversation suivante, perdue dans le tableau d’une action qui va se dérouler en même temps.

— N’est-ce pas, fossoyeur, que tu voudras causer avec moi ? Un cachalot s’élève peu à peu du fond de la mer, et montre sa tête au-dessus des eaux, pour voir le navire qui passe dans ces parages solitaires. La curiosité naquit avec l’univers.

— Ami, il m’est impossible d’échanger des idées avec toi. Il y a longtemps que les doux rayons de la lune font briller le marbre des tombeaux. C’est l’heure silencieuse où plus d’un être humain rêve qu’il voit apparaître des femmes enchaînées, traînant leurs linceuls, couverts de taches de sang, comme un ciel noir, d’étoiles. Celui qui dort pousse des gémissements, pareils à ceux d’un condamné à mort, jusqu’à ce qu’il se réveille, et s’aperçoive que la réalité est trois fois pire que le rêve. Je dois finir de creuser cette fosse, avec ma bêche infatigable, afin qu’elle soit prête demain matin. Pour faire un travail sérieux, il ne faut pas faire deux choses à la fois.

— Il croit que creuser une fosse est un travail sérieux ! Tu crois que creuser une fosse est un travail sérieux !

— Lorsque le sauvage pélican se résout à donner sa poitrine à dévorer à ses petits, n’ayant pour témoin que celui qui sut créer un pareil amour, afin de faire honte aux hommes, quoique le sacrifice soit grand, cet acte se comprend. Lorsqu’un jeune homme voit, dans les bras de son ami, une femme qu’il idolâtrait, il se met alors à fumer un cigare ; il ne sort pas de la maison, et se noue d’une amitié indissoluble avec la douleur ; cet acte se comprend. Quand un élève interne, dans un lycée, est gouverné, pendant des années qui sont des siècles, du matin jusqu’au soir et du soir jusqu’au lendemain, par un paria de la civilisation, qui a constamment les yeux sur lui, il sent les flots tumultueux d’une haine vivace monter, comme une épaisse fumée, à son cerveau, qui lui paraît près d’éclater. Depuis le moment où on l’a jeté dans la prison, jusqu’à celui, qui s’approche, où il en sortira, une fièvre intense lui jaunit la face, rapproche ses sourcils, et lui creuse les yeux. La nuit, il réfléchit, parce qu’il ne veut pas dormir. Le jour, sa pensée s’élance au-dessus des murailles de la demeure de l’abrutissement, jusqu’au moment où il s’échappe, ou qu’on le rejette, comme un pestiféré, de ce cloître éternel ; cet acte se comprend. Creuser une fosse dépasse souvent les forces de la nature. Comment veux-tu, étranger, que la pioche remue cette terre, qui d’abord nous nourrit, et puis nous donne un lit commode, préservé du vent de l’hiver soufflant avec furie dans ces froides contrées, lorsque celui qui tient la pioche, de ses tremblantes mains, après avoir toute la journée palpé convulsivement les joues des anciens vivants qui rentrent dans son royaume, voit, le soir, devant lui, écrit en lettres de flamme, sur chaque croix de bois, l’énoncé du problème effrayant que l’humanité n’a pas encore résolu : la mortalité ou l’immortalité de l’âme. Le créateur de l’univers, je lui ai toujours conservé mon amour ; mais si, après la mort, nous ne devons plus exister, pourquoi vois-je, la plupart des nuits, chaque tombe s’ouvrir, et leurs habitants soulever doucement les couvercles de plomb, pour aller respirer l’air frais.

— Arrête-toi dans ton travail. L’émotion t’enlève tes forces ; tu me parais faible comme le roseau ; ce serait une grande folie de continuer. Je suis fort ; je vais prendre ta place. Toi, mets-toi à l’écart ; tu me donneras des conseils, si je ne fais pas bien.

— Que tes bras sont musculeux, et qu’il y a du plaisir à te regarder bêcher la terre avec tant de facilité.

— Il ne faut pas qu’un doute inutile tourmente ta pensée : toutes ces tombes, qui sont éparses dans un cimetière, comme les fleurs dans une prairie, comparaison qui manque de vérité, sont dignes d’être mesurées avec le compas serein du philosophe. Les hallucinations dangereuses peuvent venir le jour ; mais elles viennent surtout la nuit. Par conséquent, ne t’étonne pas des visions fantastiques que tes yeux semblent apercevoir. Pendant le jour, lorsque l’esprit est en repos, interroge ta conscience ; elle te dira, avec sûreté, que le Dieu qui a créé l’homme avec une parcelle de sa propre intelligence possède une bonté sans limites, et recevra, après la mort terrestre, ce chef-d’œuvre dans son sein. Fossoyeur, pourquoi pleures-tu ? Pourquoi ces larmes, pareilles à celles d’une femme ? Rappelle-toi-le bien ; nous sommes sur ce vaisseau démâté pour souffrir. C’est un mérite, pour l’homme, que Dieu l’ait jugé capable de vaincre ses souffrances les plus graves. Parle, et puisque, d’après tes vœux les plus chers, l’on ne souffrirait pas, dis en quoi consisterait alors la vertu, idéal que chacun s’efforce d’atteindre, si ta langue est faite comme celle des autres hommes.

— Où suis-je ? N’ai-je pas changé de caractère ? Je sens un souffle puissant de consolation effleurer mon front rasséréné, comme la brise du printemps ranime l’espérance des vieillards. Quel est cet homme dont le langage sublime a dit des choses que le premier venu n’aurait pas prononcées ? Quelle beauté de musique dans la mélodie incomparable de sa voix ! Je préfère l’entendre parler, que chanter d’autres. Cependant, plus je l’observe, plus sa figure n’est pas franche. L’expression générale de ses traits contraste singulièrement avec ces paroles que l’amour de Dieu seul a pu inspirer. Son front, ridé de quelques plis, est marqué d’un stigmate indélébile. Ce stigmate, qui l’a vieilli avant l’âge, est-il honorable ou est-il infâme ? Ses rides doivent-elles être regardées avec vénération ? Je l’ignore, et je crains de le savoir. Quoiqu’il dise ce qu’il ne pense pas, je crois néanmoins qu’il a des raisons pour agir comme il l’a fait, excité par les restes en lambeaux d’une charité détruite en lui. Il est absorbé dans des méditations qui me sont inconnues, et il redouble d’activité dans un travail ardu qu’il n’a pas l’habitude d’entreprendre. La sueur mouille sa peau ; il ne s’en aperçoit pas. Il est plus triste que les sentiments qu’inspire la vue d’un enfant au berceau. Oh ! comme il est sombre !… D’où sors-tu ?… Étranger, permets que je te touche, et que mes mains, qui étreignent rarement celles des vivants, s’imposent sur la noblesse de ton corps. Quoi qu’il en arrive, je saurais à quoi m’en tenir. Ces cheveux sont les plus beaux que j’aie touchés dans ma vie. Qui serait assez audacieux pour constater que je ne connais pas la qualité des cheveux ?

— Que me veux-tu, quand je creuse une tombe ? Le lion ne souhaite pas qu’on l’agace, quand il se repaît. Si tu ne le sais pas, je te l’apprends. Allons, dépêche-toi ; accomplis ce que tu désires.

— Ce qui frissonne à mon contact, en me faisant frissonner moi-même, est de la chair, à n’en pas douter. Il est vrai… je ne rêve pas ! Qui donc es-tu, toi, qui te penches là pour creuser une tombe, tandis que, comme un paresseux qui mange le pain des autres, je ne fais rien. C’est l’heure de dormir, ou de sacrifier son repos à la science. En tout cas, nul n’est absent de sa maison, et se garde de laisser la porte ouverte, pour ne pas laisser entrer les voleurs. Il s’enferme dans sa chambre, le mieux qu’il peut, tandis que les ombres de la vieille cheminée savent encore réchauffer la salle d’un reste de chaleur. Toi, tu ne fais pas comme les autres ; tes habits indiquent un habitant de quelque pays lointain.

— Quoique je ne sois pas fatigué, il est inutile de creuser la fosse davantage. Maintenant, déshabille-moi ; puis, tu me mettras dedans.

— La conversation, que nous avons tous les deux, depuis quelques instants, est si étrange, que je ne sais que te répondre… Je crois qu’il veut rire.

— Oui, oui, c’est vrai, je voulais rire ; ne fais plus attention à ce que j’ai dit.

Il s’est affaissé, et le fossoyeur s’est empressé de le soutenir !

— Qu’as-tu ?

— Oui, oui, c’est vrai, j’avais menti… j’étais fatigué quand j’ai abandonné la pioche… c’est la première fois que j’entreprenais ce travail… ne fais plus attention à ce que j’ai dit.

— Mon opinion prend de plus en plus de la consistance : c’est quelqu’un qui a des chagrins épouvantables. Que le ciel m’ôte la pensée de l’interroger. Je préfère rester dans l’incertitude, tant il m’inspire de la pitié. Puis, il ne voudrait pas me répondre, cela est certain : c’est souffrir deux fois que de communiquer son cœur en cet état anormal.

— Laisse-moi sortir de ce cimetière ; je continuerai ma route.

— Tes jambes ne te soutiennent point ; tu t’égarerais, pendant que tu cheminerais. Mon devoir est de t’offrir un lit grossier ; je n’en ai pas d’autre. Aie confiance en moi ; car, l’hospitalité ne demandera point la violation de tes secrets.

— Ô pou vénérable, toi dont le corps est dépourvu d’élytres, tu me reprocheras avec aigreur de ne pas aimer suffisamment ta sublime intelligence, qui ne se laisse pas lire ; peut-être avais-tu raison, puisque je ne sens même pas de la reconnaissance pour celui-ci. Fanal de Maldoror, où guides-tu ses pas ?

— Chez moi. Que tu sois un criminel, qui n’a pas eu la précaution de laver sa main droite, avec du savon, après avoir commis son forfait, et facile à reconnaître, par l’inspection de cette main ; ou un frère qui a perdu sa sœur ; ou quelque monarque dépossédé, fuyant de ses royaumes, mon palais vraiment grandiose, est digne de te recevoir. Il n’a pas été construit avec du diamant et des pierres précieuses, car ce n’est qu’une pauvre chaumière, mal bâtie ; mais, cette chaumière célèbre a un passé historique que le présent renouvelle et continue sans cesse. Si elle pouvait parler, elle t’étonnerait, toi, qui me parais ne t’étonner de rien. Que de fois, en même temps qu’elle, j’ai vu défiler, devant moi, les bières funéraires, contenant des os bien plus vermoulus que le bois de ma porte, contre laquelle je m’appuyai. Mes innombrables sujets augmentent chaque jour. Je n’ai pas besoin de faire, à des périodes fixes, aucun recensement pour m’en apercevoir. Ici, c’est comme chez les vivants ; chacun paie un impôt, proportionnel à la richesse de la demeure qu’il s’est choisie ; et, si quelque avare refusait de délivrer sa quote-part, j’ai ordre, en parlant à sa personne, de faire comme les huissiers : il ne manque pas de chacals et de vautours qui désireraient faire un bon repas. J’ai vu se ranger, sous les drapeaux de la mort, celui qui fut beau ; celui qui, après sa vie, n’a pas enlaidi ; l’homme, la femme, le mendiant, les fils de rois ; les illusions de la jeunesse ; les squelettes des vieillards ; le génie, la folie ; la paresse, son contraire ; celui qui fut faux, celui qui fut vrai ; le masque de l’orgueilleux, la modestie de l’humble ; le vice couronné de fleurs et l’innocence trahie.

— Non certes, je ne refuse pas ta couche, qui est digne de moi, jusqu’à ce que l’aurore vienne, qui ne tardera point. Je te remercie de ta bienveillance… Fossoyeur, il est beau de contempler les ruines des cités ; mais, il est plus beau de contempler les ruines des humains !

Le frère de la sangsue marchait à pas lents dans la forêt. Il s’arrête à plusieurs reprises, en ouvrant la bouche pour parler. Mais, chaque fois, sa gorge se resserre, et refoule en arrière l’effort avorté. Enfin, il s’écrie : « Homme, lorsque tu rencontres un chien mort retourné, appuyé contre une écluse qui l’empêche de partir, n’aille pas, comme les autres, prendre avec ta main, les vers qui sortent de son ventre gonflé, les considérer avec étonnement, ouvrir un couteau, puis en dépecer un grand nombre, en te disant que, toi aussi, tu ne seras pas plus que ce chien. Quel mystère cherches-tu ? Ni moi, ni les quatre pattes nageoires de l’ours marin de l’océan Boréal, n’avons pu trouver le problème de la vie. Prends garde, la nuit s’approche, et tu es là depuis le matin. Que dira ta famille, avec ta petite sœur, de te voir si tard arriver ? Lave tes mains, reprends ta route, qui va où tu dors… Quel est cet être, là-bas, à l’horizon, et qui ose approcher de moi, sans peur, à sauts obliques et tourmentés ; et quelle majesté, mêlée d’une douceur sereine ! Son regard, quoique doux, est profond. Ses paupières énormes jouent avec la brise, et paraissent vivre. En fixant ses yeux monstrueux, mon corps tremble ; et c’est la première fois, depuis que j’ai sucé les sèches mamelles de ce qu’on appelle une mère. Il y a comme une auréole de lumière éblouissante autour de lui. Quand il a parlé, tout s’est tu dans la nature, et a éprouvé un grand frisson. Puisqu’il te plaît de venir à moi, comme attiré par un aimant, je ne m’y opposerai pas. Qu’il est beau ! Ça me fait de la peine de te le dire. Tu dois être puissant ; car, tu as une figure plus qu’humaine, triste comme l’univers, belle comme le suicide. Je t’abhorre autant que je le peux ; et je préfère voir un serpent, entrelacé autour de mon cou depuis le commencement des siècles, que non pas tes yeux… Comment !… c’est toi, crapaud !… gros crapaud !… infortuné crapaud !… Pardonne !… pardonne !… que viens-tu faire sur cette terre où sont les maudits ? Mais, qu’as-tu donc fait de tes pustules visqueuses et fétides, pour avoir l’air si doux ? Quand tu descendis d’en haut, par un ordre supérieur, avec la mission de consoler les diverses races d’êtres existants, tu t’abattis sur la terre, avec la rapidité du milan, les ailes non fatiguées de cette longue, magnifique course ; je te vis ! Pauvre crapaud ! Comme alors je pensais à l’infini, en même temps qu’à ma faiblesse. « Un de plus qui est supérieur à ceux de la terre, me disais-je : cela, par la volonté divine. Moi, pourquoi pas aussi ? À quoi bon l’injustice, dans les décrets suprêmes ? Est-il insensé, le Créateur ; cependant le plus fort, dont la colère est terrible ! » Depuis que tu m’es apparu, monarque des étangs et des marécages ! couvert d’une gloire qui n’appartient qu’à Dieu, tu m’as en partie consolé ; mais, ma raison chancelante s’abîme devant tant de grandeur ! Qui es-tu donc ? Reste… oh ! Reste encore sur cette terre ! Replie tes blanches ailes, et ne regarde pas en haut, avec des paupières inquiètes… Si tu pars, partons ensemble ! » Le crapaud s’assit sur ses cuisses de derrière (qui ressemblent tant à celles de l’homme !) et, pendant que les limaces, les cloportes et les limaçons s’enfuyaient à la vue de leur ennemi mortel, prit la parole en ces termes : « Maldoror, écoute-moi. Remarque ma figure, calme comme un miroir, et je crois avoir une intelligence égale à la tienne. Un jour, tu m’appelas le soutien de ta vie. Depuis lors, je n’ai pas démenti la confiance que tu m’avais vouée. Je ne suis qu’un simple habitant des roseaux, c’est vrai ; mais, grâce à ton propre contact, ne prenant que ce qu’il y avait de beau en toi, ma raison s’est agrandie, et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de te retirer de l’abîme. Ceux qui s’intitulent tes amis te regardent, frappés de consternation, chaque fois qu’ils te rencontrent, pâle et voûté, dans les théâtres, dans les places publiques, ou pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope que pendant la nuit, tandis qu’il porte son maître-fantôme, enveloppé dans un long manteau noir. Abandonne ces pensées, qui rendent ton cœur vide comme un désert ; elles sont plus brûlantes que le feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne t’en aperçois pas, et que tu crois être dans ton naturel, chaque fois qu’il sort de ta bouche des paroles insensées, quoique pleines d’une infernale grandeur. Malheureux ! qu’as-tu dit depuis le jour de ta naissance ? Ô triste reste d’une intelligence immortelle, que Dieu avait créée avec tant d’amour ! Tu n’as engendré que des malédictions, plus affreuses que la vue de panthères affamées ! Moi, je préférerais avoir les paupières collées, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassiné un homme, que ne pas être toi ! Parce que je te hais. Pourquoi avoir ce caractère qui m’étonne ? De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dérision ceux qui l’habitent, épave pourrie, ballottée par le scepticisme ? Si tu ne t’y plais pas, il faut retourner dans les sphères d’où tu viens. Un habitant des cités ne doit pas résider dans les villages, pareil à un étranger. Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphères plus spacieuses que la nôtre, et dont les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons même pas concevoir. Eh bien, va-t’en !… retire-toi de ce sol mobile !… montre enfin ton essence divine, que tu as cachée jusqu’ici ; et, le plus tôt possible, dirige ton vol ascendant vers la sphère, que nous n’envions point, orgueilleux que tu es ! Car, je ne suis pas parvenu à reconnaître si tu es un homme ou plus qu’un homme ! Adieu donc ; n’espère plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu es la cause de ma mort. Moi, je pars pour l’éternité, afin d’implorer ton pardon ! »

S’il est quelquefois logique de s’en rapporter à l’apparence des phénomènes, ce premier chant finit ici. Ne soyez pas sévère pour celui qui ne fait encore qu’essayer sa lyre : elle rend un son si étrange ! Cependant, si vous voulez être impartial, vous reconnaîtrez déjà une empreinte forte, au milieu des imperfections. Quant à moi, je vais me remettre au travail, pour faire paraître un deuxième chant, dans un laps de temps qui ne soit pas trop retardé. La fin du dix-neuvième siècle verra son poète (cependant, au début, il ne doit pas commencer par un chef-d’œuvre, mais suivre la loi de la nature) ; il est né sur les rives américaines, à l’embouchure de la Plata, là où deux peuples, jadis rivaux, s’efforcent actuellement de se surpasser par le progrès matériel et moral. Buenos-Ayres, la reine du Sud, et Montevideo, la coquette, se tendent une main amie, à travers les eaux argentines du grand estuaire. Mais, la guerre éternelle a placé son empire destructeur sur les campagnes, et moissonne avec joie des victimes nombreuses. Adieu, vieillard, et pense à moi, si tu m’as lu. Toi, jeune homme, ne désespère point ; car, tu as un ami dans le vampire, malgré ton opinion contraire. En comptant l’acarus sarcopte qui produit la gale, tu auras deux amis !

CHANT DEUXIÈME

Où est-il passé ce premier chant de Maldoror, depuis que sa bouche, pleine des feuilles de la belladone, le laissa échapper, à travers les royaumes de la colère, dans un moment de réflexion ? Où est passé ce chant… On ne le sait pas au juste. Ce ne sont pas les arbres, ni les vents qui l’ont gardé. Et la morale, qui passait en cet endroit, ne présageant pas qu’elle avait, dans ces pages incandescentes, un défenseur énergique, l’a vu se diriger, d’un pas ferme et droit, vers les recoins obscurs et les fibres secrètes des consciences. Ce qui est du moins acquis à la science, c’est que, depuis ce temps, l’homme, à la figure de crapaud, ne se reconnaît plus lui-même, et tombe souvent dans des accès de fureur qui le font ressembler à une bête des bois. Ce n’est pas sa faute. Dans tous les temps, il avait cru, les paupières ployant sous les résédas de la modestie, qu’il n’était composé que de bien et d’une quantité minime de mal. Brusquement je lui appris, en découvrant au plein jour son cœur et ses trames, qu’au contraire il n’est composé que de mal, et d’une quantité minime de bien que les législateurs ont de la peine à ne pas laisser évaporer. Je voudrais qu’il ne ressente pas, moi, qui ne lui apprends rien de nouveau, une honte éternelle pour mes amères vérités ; mais, la réalisation de ce souhait ne serait pas conforme aux lois de la nature. En effet, j’arrache le masque à sa figure traîtresse et pleine de boue, et je fais tomber un à un, comme des boules d’ivoire sur un bassin d’argent, les mensonges sublimes avec lesquels il se trompe lui-même : il est alors compréhensible qu’il n’ordonne pas au calme d’imposer les mains sur son visage, même quand la raison disperse les ténèbres de l’orgueil. C’est pourquoi, le héros que je mets en scène s’est attiré une haine irréconciliable, en attaquant l’humanité, qui se croyait invulnérable, par la brèche d’absurdes tirades philanthropiques ; elles sont entassées, comme des grains de sable, dans ses livres, dont je suis quelquefois sur le point, quand la raison m’abandonne, d’estimer le comique si cocasse, mais ennuyant. Il l’avait prévu. Il ne suffit pas de sculpter la statue de la bonté sur le fronton des parchemins que contiennent les bibliothèques. Ô être humain ! te voilà, maintenant, nu comme un ver, en présence de mon glaive de diamant ! Abandonne ta méthode ; il n’est plus temps de faire l’orgueilleux : j’élance vers toi ma prière, dans l’attitude de la prosternation. Il y a quelqu’un qui observe les moindres mouvements de ta coupable vie ; tu es enveloppé par les réseaux subtils de sa perspicacité acharnée. Ne te fie pas à lui, quand il tourne les reins ; car, il te regarde ; ne te fie pas à lui, quand il ferme les yeux ; car, il te regarde encore. Il est difficile de supposer que, touchant les ruses et la méchanceté, ta redoutable résolution soit de surpasser l’enfant de mon imagination. Ses moindres coups portent.

Avec des précautions, il est possible d’apprendre à celui qui croit l’ignorer que les loups et les brigands ne se dévorent pas entre eux : ce n’est peut-être pas leur coutume. Par conséquent, remets sans peur, entre ses mains, le soin de ton existence : il la conduira d’une manière qu’il connaît. Ne crois pas à l’intention qu’il fait reluire au soleil de te corriger ; car, tu l’intéresses médiocrement, pour ne pas dire moins ; encore n’approché-je pas, de la vérité totale, la bienveillante mesure de ma vérification. Mais, c’est qu’il aime à te faire du mal, dans la légitime persuasion que tu deviennes aussi méchant que lui, et que tu l’accompagnes dans le gouffre béant de l’enfer, quand cette heure sonnera. Sa place est depuis longtemps marquée, à l’endroit où l’on remarque une potence en fer, à laquelle sont suspendus des chaînes et des carcans. Quand la destinée l’y portera, le funèbre entonnoir n’aura jamais goûté de proie plus savoureuse, ni lui contemplé de demeure plus convenable. Il me semble que je parle d’une manière intentionnellement paternelle, et que l’humanité n’a pas le droit de se plaindre.

Je saisis la plume qui va construire le deuxième chant… instrument arraché aux ailes de quelque pygargue roux ! Mais… qu’ont-ils donc mes doigts ? Les articulations demeurent paralysées, dès que je commence mon travail. Cependant, j’ai besoin d’écrire… C’est impossible ! Eh bien, je répète que j’ai besoin d’écrire ma pensée : j’ai le droit, comme un autre, de me soumettre à cette loi naturelle… Mais non, mais non, la plume reste inerte !… Tenez, voyez, à travers les campagnes, l’éclair qui brille au loin. L’orage parcourt l’espace. Il pleut… Il pleut toujours… Comme il pleut !… La foudre a éclaté… elle s’est abattue sur ma fenêtre entr’ouverte, et m’a étendu sur le carreau, frappé au front. Pauvre jeune homme ! ton visage était déjà assez maquillé par les rides précoces et la difformité de naissance, pour ne pas avoir besoin, en outre, de cette longue cicatrice sulfureuse ! (Je viens de supposer que la blessure est guérie, ce qui n’arrivera pas de sitôt.) Pourquoi cet orage, et pourquoi la paralysie de mes doigts ? Est-ce un avertissement d’en haut pour m’empêcher d’écrire, et de mieux considérer ce à quoi je m’expose, en distillant la bave de ma bouche carrée ? Mais, cet orage ne m’a pas causé la crainte. Que m’importerait une légion d’orages ! Ces agents de la police céleste accomplissent avec zèle leur pénible devoir, si j’en juge sommairement par mon front blessé. Je n’ai pas à remercier le Tout-Puissant de son adresse remarquable ; il a envoyé la foudre de manière à couper précisément mon visage en deux, à partir du front, endroit où la blessure a été le plus dangereuse : qu’un autre le félicite ! Mais, les orages attaquent quelqu’un de plus fort qu’eux. Ainsi donc, horrible Éternel, à la figure de vipère, il a fallu que, non content d’avoir placé mon âme entre les frontières de la folie et les pensées de fureur qui tuent d’une manière lente, tu aies cru, en outre, convenable à ta majesté, après un mûr examen, de faire sortir de mon front une coupe de sang !… Mais, enfin, qui te dit quelque chose ? Tu sais que je ne t’aime pas, et qu’au contraire je te hais : pourquoi insistes-tu ? Quand ta conduite voudra-t-elle cesser de s’envelopper des apparences de la bizarrerie ? Parle-moi franchement, comme à un ami : est-ce que tu ne te doutes pas, enfin, que tu montres, dans ta persécution odieuse, un empressement naïf, dont aucun de tes séraphins n’oserait faire ressortir le complet ridicule ? Quelle colère te prend ? Sache que, si tu me laissais vivre à l’abri de tes poursuites, ma reconnaissance t’appartiendrait… Allons, Sultan, avec ta langue, débarrasse-moi de ce sang qui salit le parquet. Le bandage est fini : mon front étanché a été lavé avec de l’eau salée, et j’ai croisé des bandelettes à travers mon visage. Le résultat n’est pas infini : quatre chemises, pleines de sang et deux mouchoirs. On ne croirait pas, au premier abord, que Maldoror contînt tant de sang dans ses artères ; car, sur sa figure, ne brillent que les reflets du cadavre. Mais, enfin, c’est comme ça. Peut-être que c’est à peu près tout le sang que pût contenir son corps, et il est probable qu’il n’y en reste pas beaucoup. Assez, assez, chien avide ; laisse le parquet tel qu’il est ; tu as le ventre rempli. Il ne faut pas continuer de boire ; car, tu ne tarderais pas à vomir. Tu es convenablement repu, va te coucher dans le chenil ; estime-toi nager dans le bonheur ; car, tu ne penseras pas à la faim, pendant trois jours immenses, grâce aux globules que tu as descendues dans ton gosier, avec une satisfaction solennellement visible. Toi, Léman, prends un balai ; je voudrais aussi en prendre un, mais je n’en ai pas la force. Tu comprends, n’est-ce pas, que je n’en ai pas la force ? Remets tes pleurs dans leur fourreau ; sinon, je croirais que tu n’as pas le courage de contempler, avec sang-froid, la grande balafre, occasionnée par un supplice déjà perdu pour moi dans la nuit des temps passés. Tu iras chercher à la fontaine deux seaux d’eau. Une fois le parquet lavé, tu mettras ces linges dans la chambre voisine. Si la blanchisseuse revient ce soir, comme elle doit le faire, tu les lui remettras ; mais, comme il a plu beaucoup depuis une heure, et qu’il continue de pleuvoir, je ne crois pas qu’elle sorte de chez elle ; alors, elle viendra demain matin. Si elle te demande d’où vient tout ce sang, tu n’es pas obligé de lui répondre. Oh ! que je suis faible ! N’importe ; j’aurai cependant la force de soulever le porte-plume, et le courage de creuser ma pensée. Qu’a-t-il rapporté au Créateur de me tracasser, comme si j’étais un enfant, par un orage qui porte la foudre ? Je n’en persiste pas moins dans ma résolution d’écrire. Ces bandelettes m’embêtent, et l’atmosphère de ma chambre respire le sang…

Qu’il n’arrive pas le jour où, Lohengrin et moi, nous passerons dans la rue, l’un à côté de l’autre, sans nous regarder, en nous frôlant le coude, comme deux passants pressés ! Oh ! qu’on me laisse fuir à jamais loin de cette supposition ! L’Éternel a créé le monde tel qu’il est : il montrerait beaucoup de sagesse si, pendant le temps strictement nécessaire pour briser d’un coup de marteau la tête d’une femme, il oubliait sa majesté sidérale, afin de nous révéler les mystères au milieu desquels notre existence étouffe, comme un poisson au fond d’une barque. Mais, il est grand et noble ; il l’emporte sur nous par la puissance de ses conceptions ; s’il parlementait avec les hommes, toutes les hontes rejailliraient jusqu’à son visage. Mais… misérable que tu es ! pourquoi ne rougis-tu pas ? Ce n’est pas assez que l’armée des douleurs physiques et morales, qui nous entoure, ait été enfantée : le secret de notre destinée en haillons ne nous est pas divulgué. Je le connais, le Tout-Puissant… et lui, aussi, doit me connaître. Si, par hasard, nous marchons sur le même sentier, sa vue perçante me voit arriver de loin : il prend un chemin de traverse, afin d’éviter le triple dard de platine que la nature me donna comme une langue ! Tu me feras plaisir, ô Créateur, de me laisser épancher mes sentiments. Maniant les ironies terribles, d’une main ferme et froide, je t’avertis que mon cœur en contiendra suffisamment, pour m’attaquer à toi, jusqu’à la fin de mon existence. Je frapperai ta carcasse creuse ; mais, si fort, que je me charge d’en faire sortir les parcelles restantes d’intelligence que tu n’as pas voulu donner à l’homme, parce que tu aurais été jaloux de le faire égal à toi, et que tu avais effrontément cachées dans tes boyaux, rusé bandit, comme si tu ne savais pas qu’un jour ou l’autre je les aurais découvertes de mon œil toujours ouvert, les aurais enlevées, et les aurais partagées avec mes semblables. J’ai fait ainsi que je parle, et, maintenant, ils ne te craignent plus ; ils traitent de puissance à puissance avec toi. Donne-moi la mort, pour faire repentir mon audace : je découvre ma poitrine et j’attends avec humilité. Apparaissez donc, envergures dérisoires de châtiments éternels !… déploiements emphatiques d’attributs trop vantés ! Il a manifesté l’incapacité d’arrêter la circulation de mon sang qui le nargue. Cependant, j’ai des preuves qu’il n’hésite pas d’éteindre, à la fleur de l’âge, le souffle d’autres humains, quand ils ont à peine goûté les jouissances de la vie. C’est simplement atroce ; mais, seulement, d’après la faiblesse de mon opinion ! J’ai vu le Créateur, aiguillonnant sa cruauté inutile, embraser des incendies où périssaient les vieillards et les enfants ! Ce n’est pas moi qui commence l’attaque ; c’est lui qui me force à le faire tourner, ainsi qu’une toupie, avec le fouet aux cordes d’acier. N’est-ce pas lui qui me fournit des accusations contre lui-même ? Ne tarira point ma verve épouvantable ! Elle se nourrit des cauchemars insensés qui tourmentent mes insomnies. C’est à cause de Lohengrin que ce qui précède a été écrit ; revenons donc à lui. Dans la crainte qu’il ne devînt plus tard comme les autres hommes, j’avais d’abord résolu de le tuer à coups de couteau, lorsqu’il aurait dépassé l’âge d’innocence. Mais, j’ai réfléchi, et j’ai abandonné sagement ma résolution à temps. Il ne se doute pas que sa vie a été en péril pendant un quart d’heure. Tout était prêt, et le couteau avait été acheté. Ce stylet était mignon, car j’aime la grâce et l’élégance jusque dans les appareils de la mort ; mais il était long et pointu. Une seule blessure au cou, en perçant avec soin une des artères carotides, et je crois que ç’aurait suffi. Je suis content de ma conduite ; je me serais repenti plus tard. Donc, Lohengrin, fais ce que tu voudras, agis comme il te plaira, enferme-moi toute la vie dans une prison obscure, avec des scorpions pour compagnons de ma captivité, ou arrache-moi un œil jusqu’à ce qu’il tombe à terre, je ne te ferai jamais le moindre reproche ; je suis à toi, je t’appartiens, je ne vis plus pour moi. La douleur que tu me causeras ne sera pas comparable au bonheur de savoir, que celui qui me blesse, de ses mains meurtrières, est trempé dans une essence plus divine que celle de ses semblables ! Oui, c’est encore beau de donner sa vie pour un être humain, et de conserver ainsi l’espérance que tous les hommes ne sont pas méchants, puisqu’il y en a eu un, enfin, qui a su attirer, de force, vers soi, les répugnances défiantes de ma sympathie amère !…

Il est minuit ; on ne voit plus un seul omnibus de la Bastille à la Madeleine. Je me trompe ; en voilà un qui apparaît subitement, comme s’il sortait de dessous terre. Les quelques passants attardés le regardent attentivement ; car, il paraît ne ressembler à aucun autre. Sont assis, à l’impériale, des hommes qui ont l’œil immobile, comme celui d’un poisson mort. Ils sont pressés les uns contre les autres, et paraissent avoir perdu la vie ; au reste, le nombre réglementaire n’est pas dépassé. Lorsque le cocher donne un coup de fouet à ses chevaux, on dirait que c’est le fouet qui fait remuer son bras, et non son bras le fouet. Que doit être cet assemblage d’êtres bizarres et muets ? Sont-ce des habitants de la lune ? Il y a des moments où on serait tenté de le croire ; mais, ils ressemblent plutôt à des cadavres. L’omnibus, pressé d’arriver à la dernière station, dévore l’espace, et fait craquer le pavé… Il s’enfuit !… Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière. « Arrêtez, je vous en supplie ; arrêtez… mes jambes sont gonflées d’avoir marché pendant la journée… je n’ai pas mangé depuis hier… mes parents m’ont abandonné… je ne sais plus que faire… je suis résolu de retourner chez moi, et j’y serais vite arrivé, si vous m’accordiez une place… je suis un petit enfant de huit ans, et j’ai confiance en vous… » Il s’enfuit !… Il s’enfuit !… Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière. Un de ces hommes, à l’œil froid, donne un coup de coude à son voisin, et paraît lui exprimer son mécontentement de ces gémissements, au timbre argentin, qui parviennent jusqu’à son oreille. L’autre baisse la tête d’une manière imperceptible, en forme d’acquiescement, et se replonge ensuite dans l’immobilité de son égoïsme, comme une tortue dans sa carapace. Tout indique dans les traits des autres voyageurs les mêmes sentiments que ceux des deux premiers. Les cris se font encore entendre pendant deux ou trois minutes, plus perçants de seconde en seconde. L’on voit des fenêtres s’ouvrir sur le boulevard, et une figure effarée, une lumière à la main, après avoir jeté les yeux sur la chaussée, refermer le volet avec impétuosité, pour ne plus reparaître… Il s’enfuit !… Il s’enfuit !… Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière. Seul, un jeune homme, plongé dans la rêverie, au milieu de ces personnages de pierre, paraît ressentir de la pitié pour le malheur. En faveur de l’enfant, qui croit pouvoir l’atteindre, avec ses petites jambes endolories, il n’ose pas élever la voix ; car les autres hommes lui jettent des regards de mépris et d’autorité, et il sait qu’il ne peut rien faire contre tous. Le coude appuyé sur ses genoux et la tête entre ses mains, il se demande, stupéfait, si c’est là vraiment ce qu’on appelle la charité humaine. Il reconnaît alors que ce n’est qu’un vain mot, qu’on ne trouve plus même dans le dictionnaire de la poésie, et avoue avec franchise son erreur. Il se dit : « En effet, pourquoi s’intéresser à un petit enfant ? Laissons-le de côté. » Cependant, une larme brûlante a roulé sur la joue de cet adolescent, qui vient de blasphémer. Il passe péniblement la main sur son front, comme pour en écarter un nuage dont l’opacité obscurcit son intelligence. Il se démène, mais en vain, dans le siècle où il a été jeté ; il sent qu’il n’y est pas à sa place, et cependant il ne peut en sortir. Prison terrible ! Fatalité hideuse ! Lombano, je suis content de toi depuis ce jour ! Je ne cessais pas de t’observer, pendant que ma figure respirait la même indifférence que celle des autres voyageurs. L’adolescent se lève, dans un mouvement d’indignation, et veut se retirer, pour ne pas participer, même involontairement, à une mauvaise action. Je lui fais un signe, et il se remet à mon côté… Il s’enfuit !… Il s’enfuit !… Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière. Les cris cessent subitement ; car, l’enfant a touché du pied contre un pavé en saillie, et s’est fait une blessure à la tête, en tombant. L’omnibus a disparu à l’horizon, et l’on ne voit plus que la rue silencieuse… Il s’enfuit !… Il s’enfuit !… Mais, une masse informe ne le poursuit plus avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière. Voyez ce chiffonnier qui passe, courbé sur sa lanterne pâlotte ; il y a en lui plus de cœur que dans tous ses pareils de l’omnibus. Il vient de ramasser l’enfant ; soyez sûr qu’il le guérira, et ne l’abandonnera pas, comme ont fait ses parents. Il s’enfuit !… Il s’enfuit !… Mais, de l’endroit où il se trouve, le regard perçant du chiffonnier le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière !… Race stupide et idiote ! Tu te repentiras de te conduire ainsi. C’est moi qui te le dis. Tu t’en repentiras, va ! tu t’en repentiras. Ma poésie ne consistera qu’à attaquer, par tous les moyens, l’homme, cette bête fauve, et le Créateur, qui n’aurait pas dû engendrer une pareille vermine. Les volumes s’entasseront sur les volumes, jusqu’à la fin de ma vie, et, cependant, l’on n’y verra que cette seule idée, toujours présente à ma conscience !

Faisant ma promenade quotidienne, chaque jour je passais dans une rue étroite ; chaque jour, une jeune fille svelte de dix ans me suivait, à distance, respectueusement, le long de cette rue, en me regardant avec des paupières sympathiques et curieuses. Elle était grande pour son âge et avait la taille élancée. D’abondants cheveux noirs, séparés en deux sur la tête, tombaient en tresses indépendantes sur des épaules marmoréennes. Un jour, elle me suivait comme de coutume ; les bras musculeux d’une femme du peuple la saisit par les cheveux, comme le tourbillon saisit la feuille, appliqua deux gifles brutales sur une joue fière et muette, et ramena dans la maison cette conscience égarée. En vain, je faisais l’insouciant ; elle ne manquait jamais de me poursuivre de sa présence devenue inopportune. Lorsque j’enjambais une autre rue, pour continuer mon chemin, elle s’arrêtait, faisant un violent effort sur elle-même, au terme de cette rue étroite, immobile comme la statue du Silence, et ne cessait de regarder devant elle, jusqu’à ce que je disparusse. Une fois, cette jeune fille me précéda dans la rue, et emboîta le pas devant moi. Si j’allais vite pour la dépasser, elle courait presque pour maintenir la distance égale ; mais, si je ralentissais le pas, pour qu’il y eût un intervalle de chemin, assez grand entre elle et moi, alors, elle le ralentissait aussi, et y mettait la grâce de l’enfance. Arrivée au terme de la rue, elle se retourna lentement, de manière à me barrer le passage. Je n’eus pas le temps de m’esquiver, et je me trouvai devant sa figure. Elle avait les yeux gonflés et rouges. Je voyais facilement qu’elle voulait me parler, et qu’elle ne savait comment s’y prendre. Devenue subitement pâle comme un cadavre, elle me demanda : « Auriez-vous la bonté de me dire quelle heure est-il ? » Je lui dis que je ne portais pas de montre, et je m’éloignai rapidement. Depuis ce jour, enfant à l’imagination inquiète et précoce, tu n’as plus revu, dans la rue étroite, le jeune homme mystérieux qui battait péniblement, de sa sandale lourde, le pavé des carrefours tortueux. L’apparition de cette comète enflammée ne reluira plus, comme un triste sujet de curiosité fanatique, sur la façade de ton observation déçue ; et, tu penseras souvent, trop souvent, peut-être toujours, à celui qui ne paraissait pas s’inquiéter des maux, ni des biens de la vie présente, et s’en allait au hasard, avec une figure horriblement morte, les cheveux hérissés, la démarche chancelante, et les bras nageant aveuglément dans les eaux ironiques de l’éther, comme pour y chercher la proie sanglante de l’espoir, ballottée continuellement, à travers les immenses régions de l’espace, par le chasse-neige implacable de la fatalité. Tu ne me verras plus, et je ne te verrai plus !… Qui sait ? Peut-être que cette fille n’était pas ce qu’elle se montrait. Sous une enveloppe naïve, elle cachait peut-être une immense ruse, le poids de dix-huit années, et le charme du vice. On a vu des vendeuses d’amour s’expatrier avec gaîté des îles Britanniques, et franchir le détroit. Elles rayonnaient leurs ailes, en tournoyant, en essaims dorés, devant la lumière parisienne ; et, quand vous les aperceviez, vous disiez : « Mais elles sont encore enfants ; elles n’ont pas plus de dix ou douze ans. » En réalité elles en avaient vingt. Oh ! dans cette supposition, maudits soient-ils les détours de cette rue obscure ! Horrible ! horrible ! ce qui s’y passe. Je crois que sa mère la frappa parce qu’elle ne faisait pas son métier avec assez d’adresse. Il est possible que ce ne fût qu’un enfant, et alors la mère est plus coupable encore. Moi, je ne veux pas croire à cette supposition, qui n’est qu’une hypothèse, et je préfère aimer, dans ce caractère romanesque, une âme qui se dévoile trop tôt… Ah ! vois-tu, jeune fille, je t’engage à ne plus reparaître devant mes yeux, si jamais je repasse dans la rue étroite. Il pourrait t’en coûter cher ! Déjà le sang et la haine me montent vers la tête, à flots bouillants. Moi, être assez généreux pour aimer mes semblables ! Non, non ! Je l’ai résolu depuis le jour de ma naissance ! Ils ne m’aiment pas, eux ! On verra les mondes se détruire, et le granit glisser, comme un cormoran, sur la surface des flots, avant que je touche la main infâme d’un être humain. Arrière… arrière, cette main !… Jeune fille, tu n’es pas un ange, et tu deviendras, en somme, comme les autres femmes. Non, non, je t’en supplie ; ne reparais plus devant mes sourcils froncés et louches. Dans un moment d’égarement, je pourrais te prendre les bras, les tordre comme un linge lavé dont on exprime l’eau, ou les casser avec fracas, comme deux branches sèches, et te les faire ensuite manger, en employant la force. Je pourrais, en prenant ta tête entre mes mains, d’un air caressant et doux, enfoncer mes doigts avides dans les lobes de ton cerveau innocent, pour en extraire, le sourire aux lèvres, une graisse efficace qui lave mes yeux, endoloris par l’insomnie éternelle de la vie. Je pourrais, cousant tes paupières avec une aiguille, te priver du spectacle de l’univers, et te mettre dans l’impossibilité de trouver ton chemin ; ce n’est pas moi qui te servirai de guide. Je pourrais, soulevant ton corps vierge avec un bras de fer, te saisir par les jambes, te faire rouler autour de moi, comme une fronde, concentrer mes forces en décrivant la dernière circonférence, et te lancer contre la muraille. Chaque goutte de sang rejaillira sur une poitrine humaine, pour effrayer les hommes, et mettre devant eux l’exemple de ma méchanceté ! Ils s’arracheront sans trève des lambeaux et des lambeaux de chair ; mais, la goutte de sang reste ineffaçable, à la même place, et brillera comme un diamant. Sois tranquille, je donnerai à une demi-douzaine de domestiques l’ordre de garder les restes vénérés de ton corps, et de les préserver de la faim des chiens voraces. Sans doute, le corps est resté plaqué sur la muraille, comme une poire mûre, et n’est pas tombé à terre ; mais, les chiens savent accomplir des bonds élevés, si l’on n’y prend garde.

Cet enfant, qui est assis sur un banc du jardin des Tuileries, comme il est gentil ! Ses yeux hardis dardent quelque objet invisible, au loin, dans l’espace. Il ne doit pas avoir plus de huit ans, et, cependant, il ne s’amuse pas, comme il serait convenable. Tout au moins il devrait rire et se promener avec quelque camarade, au lieu de rester seul ; mais, ce n’est pas son caractère.

Cet enfant, qui est assis sur un banc du jardin des Tuileries, comme il est gentil ! Un homme, mû par un dessein caché, vient s’asseoir à côté de lui, sur le même banc, avec des allures équivoques. Qui est-ce ? Je n’ai pas besoin de vous le dire ; car, vous le reconnaîtrez à sa conversation tortueuse. Écoutons-les, ne les dérangeons pas :

— À quoi pensais-tu, enfant ?

— Je pensais au ciel.

— Il n’est pas nécessaire que tu penses au ciel ; c’est déjà assez de penser à la terre. Es-tu fatigué de vivre, toi qui viens à peine de naître ?

— Non, mais chacun préfère le ciel à la terre.

— Eh bien, pas moi. Car, puisque le ciel a été fait par Dieu, ainsi que la terre, sois sûr que tu y rencontreras les mêmes maux qu’ici-bas. Après ta mort, tu ne seras pas récompensé d’après tes mérites ; car, si l’on te commet des injustices sur cette terre (comme tu l’éprouveras, par expérience, plus tard), il n’y a pas de raison pour que, dans l’autre vie, on ne t’en commette non plus. Ce que tu as de mieux à faire, c’est de ne pas penser à Dieu, et de te faire justice toi-même, puisqu’on te la refuse. Si un de tes camarades t’offensait, est-ce que tu ne serais pas heureux de le tuer ?

— Mais, c’est défendu.

— Ce n’est pas si défendu que tu crois. Il s’agit seulement de ne pas se laisser attraper. La justice qu’apportent les lois ne vaut rien ; c’est la jurisprudence de l’offensé qui compte. Si tu détestais un de tes camarades, est-ce que tu ne serais pas malheureux de songer qu’à chaque instant tu aies sa pensée devant tes yeux ?

— C’est vrai.

— Voilà donc un de tes camarades qui te rendrait malheureux toute ta vie ; car, voyant que ta haine n’est que passive, il ne continuera pas moins de se narguer de toi, et de te causer du mal impunément. Il n’y a donc qu’un moyen de faire cesser la situation ; c’est de se débarrasser de son ennemi. Voilà où je voulais en venir, pour te faire comprendre sur quelles bases est fondée la société actuelle. Chacun doit se faire justice lui-même, sinon il n’est qu’un imbécile. Celui qui remporte la victoire sur ses semblables, celui-là est le plus rusé et le plus fort. Est-ce que tu ne voudrais pas un jour dominer tes semblables ?

— Oui, oui.

— Sois donc le plus fort et le plus rusé. Tu es encore trop jeune pour être le plus fort ; mais, dès aujourd’hui, tu peux employer la ruse, le plus bel instrument des hommes de génie. Lorsque le berger David atteignait au front le géant Goliath d’une pierre lancée par la fronde, est-ce qu’il n’est pas admirable de remarquer que c’est seulement par la ruse que David a vaincu son adversaire, et que si, au contraire, ils s’étaient pris à bras-le-corps, le géant l’aurait écrasé comme une mouche ? Il en est de même pour toi. À guerre ouverte, tu ne pourras jamais vaincre les hommes, sur lesquels tu es désireux d’étendre ta volonté ; mais, avec la ruse, tu pourras lutter seul contre tous. Tu désires les richesses, les beaux palais et la gloire ? ou m’as-tu trompé quand tu m’as affirmé ces nobles prétentions ?

— Non, non, je ne vous trompais pas. Mais, je voudrais acquérir ce que je désire par d’autres moyens.

— Alors, tu n’acquerras rien du tout. Les moyens vertueux et bonasses ne mènent à rien. Il faut mettre à l’œuvre des leviers plus énergiques et des trames plus savantes. Avant que tu deviennes célèbre par ta vertu et que tu atteignes le but, cent autres auront le temps de faire des cabrioles par dessus ton dos, et d’arriver au bout de la carrière avant toi, de telle manière qu’il ne s’y trouvera plus de place pour tes idées étroites. Il faut savoir embrasser, avec plus de grandeur, l’horizon du temps présent. N’as-tu jamais entendu parler, par exemple, de la gloire immense qu’apportent les victoires ? Et, cependant, les victoires ne se font pas seules. Il faut verser du sang, beaucoup de sang, pour les engendrer et les déposer aux pieds des conquérants. Sans les cadavres et les membres épars que tu aperçois dans la plaine, où s’est opéré sagement le carnage, il n’y aurait pas de guerre, et, sans guerre, il n’y aurait pas de victoire. Tu vois que, lorsqu’on veut devenir célèbre, il faut se plonger avec grâce dans des fleuves de sang, alimentés par de la chair à canon. Le but excuse le moyen. La première chose, pour devenir célèbre, est d’avoir de l’argent. Or, comme tu n’en as pas, il faudra assassiner pour en acquérir ; mais, comme tu n’es pas assez fort pour manier le poignard, fais-toi voleur, en attendant que tes membres aient grossi. Et, pour qu’ils grossissent plus vite, je te conseille de faire de la gymnastique deux fois par jour, une heure le matin, une heure le soir. De cette manière, tu pourras essayer le crime, avec un certain succès, dès l’âge de quinze ans, au lieu d’attendre jusqu’à vingt. L’amour de la gloire excuse tout, et peut-être, plus tard, maître de tes semblables, leur feras-tu presque autant de bien que tu leur as fait du mal au commencement !…

Maldoror s’aperçoit que le sang bouillonne dans la tête de son jeune interlocuteur ; ses narines sont gonflées, et ses lèvres rejettent une légère écume blanche. Il lui tâte le pouls ; les pulsations sont précipitées. La fièvre a gagné ce corps délicat. Il craint les suites de ses paroles ; il s’esquive, le malheureux, contrarié de n’avoir pas pu entretenir cet enfant pendant plus longtemps. Lorsque, dans l’âge mûr, il est si difficile de maîtriser les passions, balancé entre le bien et le mal, qu’est-ce dans un esprit, encore plein d’inexpérience ? et quelle somme d’énergie relative ne lui faut-il pas en plus ? L’enfant en sera quitte pour garder le lit trois jours. Plût au ciel que le contact maternel amène la paix dans cette fleur sensible, fragile enveloppe d’une belle âme !

Là, dans un bosquet entouré de fleurs, dort l’hermaphrodite, profondément assoupi sur le gazon, mouillé de ses pleurs. La lune a dégagé son disque de la masse des nuages, et caresse avec ses pâles rayons cette douce figure d’adolescent. Ses traits expriment l’énergie la plus virile, en même temps que la grâce d’une vierge céleste. Rien ne paraît naturel en lui, pas même les muscles de son corps, qui se fraient un passage à travers les contours harmonieux de formes féminines. Il a le bras recourbé sur le front, l’autre main appuyée contre la poitrine, comme pour comprimer les battements d’un cœur fermé à toutes les confidences, et chargé du pesant fardeau d’un secret éternel. Fatigué de la vie, et honteux de marcher parmi des êtres qui ne lui ressemblent pas, le désespoir a gagné son âme, et il s’en va seul, comme le mendiant de la vallée. Comment se procure-t-il les moyens d’existence ? Des âmes compatissantes veillent de près sur lui, sans qu’il se doute de cette surveillance, et ne l’abandonnent pas : il est si bon ! il est si résigné ! Volontiers il parle quelquefois avec ceux qui ont le caractère sensible, sans leur toucher la main, et se tient à distance, dans la crainte d’un danger imaginaire. Si on lui demande pourquoi il a pris la solitude pour compagne, ses yeux se lèvent vers le ciel, et retiennent avec peine une larme de reproche contre la Providence ; mais, il ne répond pas à cette question imprudente, qui répand, dans la neige de ses paupières, la rougeur de la rose matinale. Si l’entretien se prolonge, il devient inquiet, tourne les yeux vers les quatre points de l’horizon, comme pour chercher à fuir la présence d’un ennemi invisible qui s’approche, fait de la main un adieu brusque, s’éloigne sur les ailes de sa pudeur en éveil, et disparaît dans la forêt. On le prend généralement pour un fou. Un jour, quatre hommes masqués, qui avaient reçu des ordres, se jetèrent sur lui et le garrottèrent solidement, de manière qu’il ne pût remuer que les jambes. Le fouet abattit ses rudes lanières sur son dos, et ils lui dirent qu’il se dirigeât sans délai vers la route qui mène à Bicêtre. Il se mit à sourire en recevant les coups, et leur parla avec tant de sentiment, d’intelligence sur beaucoup de sciences humaines qu’il avait étudiées et qui montraient une grande instruction dans celui qui n’avait pas encore franchi le seuil de la jeunesse, et sur les destinées de l’humanité où il dévoila entière la noblesse poétique de son âme, que ses gardiens, épouvantés jusqu’au sang de l’action qu’ils avaient commise, délièrent ses membres brisés, se traînèrent à ses genoux, en demandant un pardon qui fut accordé, et s’éloignèrent, avec les marques d’une vénération qui ne s’accorde pas ordinairement aux hommes. Depuis cet événement, dont on parla beaucoup, son secret fut deviné par chacun, mais on paraît l’ignorer, pour ne pas augmenter ses souffrances ; et le gouvernement lui accorde une pension honorable, pour lui faire oublier qu’un instant on voulut l’introduire par force, sans vérification préalable, dans un hospice d’aliénés. Lui, il emploie la moitié de son argent ; le reste, il le donne aux pauvres. Quand il voit un homme et une femme qui se promènent dans quelque allée de platanes, il sent son corps se fendre en deux de bas en haut, et chaque partie nouvelle aller étreindre un des promeneurs ; mais, ce n’est qu’une hallucination, et la raison ne tarde pas à reprendre son empire. C’est pourquoi, il ne mêle sa présence, ni parmi les hommes, ni parmi les femmes ; car, sa pudeur excessive, qui a pris jour dans cette idée qu’il n’est qu’un monstre, l’empêche d’accorder sa sympathie brûlante à qui que ce soit. Il croirait se profaner, et il croirait profaner les autres. Son orgueil lui répète cet axiome : « Que chacun reste dans sa nature. » Son orgueil, ai-je dit, parce qu’il craint qu’en joignant sa vie à un homme ou à une femme, on ne lui reproche tôt ou tard, comme une faute énorme, la conformation de son organisation. Alors, il se retranche dans son amour-propre, offensé par cette supposition impie qui ne vient que de lui, et il persévère à rester seul, au milieu des tourments, et sans consolation. Là, dans un bosquet entouré de fleurs, dort l’hermaphrodite, profondément assoupi sur le gazon, mouillé de ses pleurs. Les oiseaux, éveillés, contemplent avec ravissement cette figure mélancolique, à travers les branches des arbres, et le rossignol ne veut pas faire entendre ses cavatines de cristal. Le bois est devenu auguste comme une tombe, par la présence nocturne de l’hermaphrodite infortuné. Ô voyageur égaré, par ton esprit d’aventure qui t’a fait quitter ton père et ta mère, dès l’âge le plus tendre ; par les souffrances que la soif t’a causées, dans le désert ; par ta patrie que tu cherches peut-être, après avoir longtemps erré, proscrit, dans des contrées étrangères ; par ton coursier, ton fidèle ami, qui a supporté, avec toi, l’exil et l’intempérie des climats que te faisait parcourir ton humeur vagabonde ; par la dignité que donnent à l’homme les voyages sur les terres lointaines et les mers inexplorées, au milieu des glaçons polaires, ou sous l’influence d’un soleil torride, ne touche pas avec ta main, comme avec un frémissement de la brise, ces boucles de cheveux, répandues sur le sol, et qui se mêlent à l’herbe verte. Écarte-toi de plusieurs pas, et tu agiras mieux ainsi. Cette chevelure est sacrée ; c’est l’hermaphrodite lui-même qui l’a voulu. Il ne veut pas que des lèvres humaines embrassent religieusement ses cheveux, parfumés par le souffle de la montagne, pas plus que son front, qui resplendit, en cet instant, comme les étoiles du firmament. Mais, il vaut mieux croire que c’est une étoile elle-même qui est descendue de son orbite, en traversant l’espace, sur ce front majestueux, qu’elle entoure avec sa clarté de diamant, comme d’une auréole. La nuit, écartant du doigt sa tristesse, se revêt de tous ses charmes pour fêter le sommeil de cette incarnation de la pudeur, de cette image parfaite de l’innocence des anges : le bruissement des insectes est moins perceptible. Les branches penchent sur lui leur élévation touffue, afin de le préserver de la rosée, et la brise, faisant résonner les cordes de sa harpe mélodieuse, envoie ses accords joyeux, à travers le silence universel, vers ces paupières baissées, qui croient assister, immobiles, au concert cadencé des mondes suspendus. Il rêve qu’il est heureux ; que sa nature corporelle a changé ; ou que, du moins, il s’est envolé sur un nuage pourpre, vers une autre sphère, habitée par des êtres de même nature que lui. Hélas ! que son illusion se prolonge jusqu’au réveil de l’aurore ! Il rêve que les fleurs dansent autour de lui en rond, comme d’immenses guirlandes folles, et l’imprégnent de leurs parfums suaves, pendant qu’il chante un hymne d’amour, entre les bras d’un être humain d’une beauté magique. Mais, ce n’est qu’une vapeur crépusculaire que ses bras entrelacent ; et, quand il se réveillera, ses bras ne l’entrelaceront plus. Ne te réveille pas, hermaphrodite ; ne te réveille pas encore, je t’en supplie. Pourquoi ne veux-tu pas me croire ? Dors… dors toujours. Que ta poitrine se soulève, en poursuivant l’espoir chimérique du bonheur, je te le permets ; mais, n’ouvre pas tes yeux. Ah ! n’ouvre pas tes yeux ! Je veux te quitter ainsi, pour ne pas être témoin de ton réveil. Peut-être un jour, à l’aide d’un livre volumineux, dans des pages émues, raconterai-je ton histoire, épouvanté de ce qu’elle contient, et des enseignements qui s’en dégagent. Jusqu’ici, je ne l’ai pas pu ; car, chaque fois que je l’ai voulu, d’abondantes larmes tombaient sur le papier, et mes doigts tremblaient, sans que ce fût de vieillesse. Mais, je veux avoir à la fin ce courage. Je suis indigné de n’avoir pas plus de nerfs qu’une femme, et de m’évanouir, comme une petite fille, chaque fois que je réfléchis à ta grande misère. Dors… dors toujours ; mais, n’ouvre pas tes yeux. Ah ! n’ouvre pas tes yeux ! Adieu, hermaphrodite ! Chaque jour, je ne manquerai pas de prier le ciel pour toi (si c’était pour moi, je ne le prierai point). Que la paix soit dans ton sein !

Quand une femme, à la voix de soprano, émet ses notes vibrantes et mélodieuses, à l’audition de cette harmonie humaine, mes yeux se remplissent d’une flamme latente et lancent des étincelles douloureuses, tandis que dans mes oreilles semble retentir le tocsin de la canonnade. D’où peut venir cette répugnance profonde pour tout ce qui tient à l’homme ? Si les accords s’envolent des fibres d’un instrument, j’écoute avec volupté ces notes perlées qui s’échappent en cadence à travers les ondes élastiques de l’atmosphère. La perception ne transmet à mon ouïe qu’une impression d’une douceur à fondre les nerfs et la pensée ; un assoupissement ineffable enveloppe de ses pavots magiques, comme d’un voile qui tamise la lumière du jour, la puissance active de mes sens et les forces vivaces de mon imagination. On raconte que je naquis entre les bras de la surdité ! Aux premières époques de mon enfance, je n’entendais pas ce qu’on me disait. Quand, avec les plus grandes difficultés, on parvint à m’apprendre à parler, c’était seulement, après avoir lu sur une feuille ce que quelqu’un écrivait, que je pouvais communiquer, à mon tour, le fil de mes raisonnements. Un jour, jour néfaste, je grandissais en beauté et en innocence ; et chacun admirait l’intelligence et la bonté du divin adolescent. Beaucoup de consciences rougissaient quand elles contemplaient ces traits limpides où son âme avait placé son trône. On ne s’approchait de lui qu’avec vénération, parce qu’on remarquait dans ses yeux le regard d’un ange. Mais non, je savais de reste que les roses heureuses de l’adolescence ne devaient pas fleurir perpétuellement, tressées en guirlandes capricieuses, sur son front modeste et noble, qu’embrassaient avec frénésie toutes les mères. Il commençait à me sembler que l’univers, avec sa voûte étoilée de globes impassibles et agaçants, n’était peut-être pas ce que j’avais rêvé de plus grandiose. Un jour, donc, fatigué de talonner du pied le sentier abrupte du voyage terrestre, et de m’en aller, en chancelant comme un homme ivre, à travers les catacombes obscures de la vie, je soulevai avec lenteur mes yeux spleenétiques, cernés d’un grand cercle bleuâtre, vers la concavité du firmament, et j’osai pénétrer, moi, si jeune, les mystères du ciel ! Ne trouvant pas ce que je cherchais, je soulevai la paupière effarée plus haut, plus haut encore, jusqu’à ce que j’aperçusse un trône, formé d’excréments humains et d’or, sur lequel trônait, avec un orgueil idiot, le corps recouvert d’un linceul fait avec des draps non lavés d’hôpital, celui qui s’intitule lui-même le Créateur ! Il tenait à la main le tronc pourri d’un homme mort, et le portait, alternativement, des yeux au nez et du nez à la bouche ; une fois à la bouche, on devine ce qu’il en faisait. Ses pieds plongeaient dans une vaste mare de sang en ébullition, à la surface duquel s’élevaient tout à coup, comme des ténias à travers le contenu d’un pot de chambre, deux ou trois têtes prudentes, et qui s’abaissaient aussitôt, avec la rapidité de la flèche : un coup de pied, bien appliqué sur l’os du nez, était la récompense connue de la révolte au règlement, occasionnée par le besoin de respirer un autre milieu ; car, enfin, ces hommes n’étaient pas des poissons ! Amphibies tout au plus, ils nageaient entre deux eaux dans ce liquide immonde !… jusqu’à ce que, n’ayant plus rien dans la main, le Créateur, avec les deux premières griffes du pied, saisît un autre plongeur par le cou, comme dans une tenaille, et le soulevât en l’air, en dehors de la vase rougeâtre, sauce exquise ! Pour celui-là, il faisait comme pour l’autre. Il lui dévorait d’abord la tête, les jambes et les bras, et en dernier lieu le tronc, jusqu’à ce qu’il ne restât plus rien ; car, il croquait les os. Ainsi de suite, durant les autres heures de son éternité. Quelquefois il s’écriait : « Je vous ai créés ; donc j’ai le droit de faire de vous ce que je veux. Vous ne m’avez rien fait, je ne dis pas le contraire. Je vous fais souffrir, et c’est pour mon plaisir. » Et il reprenait son repas cruel, en remuant sa mâchoire inférieure, laquelle remuait sa barbe pleine de cervelle. Ô lecteur, ce dernier détail ne te fait-il pas venir l’eau à la bouche ? N’en mange pas qui veut d’une pareille cervelle, si bonne, toute fraîche, et qui vient d’être pêchée il n’y a qu’un quart d’heure dans le lac aux poissons. Les membres paralysés, et la gorge muette, je contemplai quelque temps ce spectacle. Trois fois, je faillis tomber à la renverse, comme un homme qui subit une émotion trop forte ; trois fois, je parvins à me remettre sur les pieds. Pas une fibre de mon corps ne restait immobile ; et je tremblais, comme tremble la lave intérieure d’un volcan. À la fin, ma poitrine oppressée, ne pouvant chasser avec assez de vitesse l’air qui donne la vie, les lèvres de ma bouche s’entr’ouvrirent, et je poussai un cri… un cri si déchirant… que je l’entendis ! Les entraves de mon oreille se délièrent d’une manière brusque, le tympan craqua sous le choc de cette masse d’air sonore repoussée loin de moi avec énergie, et il se passa un phénomène nouveau dans l’organe condamné par la nature. Je venais d’entendre un son ! Un cinquième sens se révélait en moi ! Mais, quel plaisir eussé-je pu trouver d’une pareille découverte ? Désormais, le son humain n’arriva à mon oreille qu’avec le sentiment de la douleur qu’engendre la pitié pour une grande injustice. Quand quelqu’un me parlait, je me rappelais ce que j’avais vu, un jour, au-dessus des sphères visibles, et la traduction de mes sentiments étouffés en un hurlement impétueux, dont le timbre était identique à celui de mes semblables ! Je ne pouvais pas lui répondre ; car, les supplices exercés sur la faiblesse de l’homme, dans cette mer hideuse de pourpre, passaient devant mon front en rugissant comme des éléphants écorchés, et rasaient de leurs ailes de feu mes cheveux calcinés. Plus tard, quand je connus davantage l’humanité, à ce sentiment de pitié se joignit une fureur intense contre cette tigresse marâtre, dont les enfants endurcis ne savent que maudire et faire le mal. Audace du mensonge ! ils disent que le mal n’est chez eux qu’à l’état d’exception !… Maintenant, c’est fini depuis longtemps ; depuis longtemps, je n’adresse la parole à personne. Ô vous, qui que vous soyez, quand vous serez à côté de moi, que les cordes de votre glotte ne laissent échapper aucune intonation ; que votre larynx immobile n’aille pas s’efforcer de surpasser le rossignol ; et vous-même n’essayez nullement de me faire connaître votre âme à l’aide du langage. Gardez un silence religieux, que rien n’interrompe ; croisez humblement vos mains sur la poitrine, et dirigez vos paupières sur le bas. Je vous l’ai dit, depuis la vision qui me fit connaître la vérité suprême, assez de cauchemars ont sucé avidement ma gorge, pendant les nuits et les jours, pour avoir encore le courage de renouveler, même par la pensée, les souffrances que j’éprouvai dans cette heure infernale, qui me poursuit sans relâche de son souvenir. Oh ! quand vous entendez l’avalanche de neige tomber du haut de la froide montagne ; la lionne se plaindre, au désert aride, de la disparition de ses petits ; la tempête accomplir sa destinée ; le condamné mugir, dans la prison, la veille de la guillotine ; et le poulpe féroce raconter, aux vagues de la mer, ses victoires sur les nageurs et les naufragés, dites-le, ces voix majestueuses ne sont-elles pas plus belles que le ricanement de l’homme !

Il existe un insecte que les hommes nourrissent à leurs frais. Ils ne lui doivent rien ; mais, ils le craignent. Celui-ci, qui n’aime pas le vin, mais qui préfère le sang, si on ne satisfaisait pas à ses besoins légitimes, serait capable, par un pouvoir occulte, de devenir aussi gros qu’un éléphant, d’écraser les hommes comme des épis. Aussi faut-il voir comme on le respecte, comme on l’entoure d’une vénération canine, comme on le place en haute estime au-dessus des animaux de la création. On lui donne la tête pour trône, et lui, accroche ses griffes à la racine des cheveux, avec dignité. Plus tard, lorsqu’il est gras et qu’il entre dans un âge avancé, en imitant la coutume d’un peuple ancien, on le tue, afin de ne pas lui faire sentir les atteintes de la vieillesse. On lui fait des funérailles grandioses, comme à un héros, et la bière, qui le conduit directement vers le couvercle de la tombe, est portée, sur les épaules, par les principaux citoyens. Sur la terre humide que le fossoyeur remue avec sa pelle sagace, on combine des phrases multicolores sur l’immortalité de l’âme, sur le néant de la vie, sur la volonté inexplicable de la Providence, et le marbre se referme, à jamais, sur cette existence, laborieusement remplie, qui n’est plus qu’un cadavre. La foule se disperse, et la nuit ne tarde pas à couvrir de ses ombres les murailles du cimetière.

Mais, consolez-vous, humains, de sa perte douloureuse. Voici sa famille innombrable, qui s’avance, et dont il vous a libéralement gratifié, afin que votre désespoir fût moins amer, et comme adouci par la présence agréable de ces avortons hargneux, qui deviendront plus tard de magnifiques poux, ornés d’une beauté remarquable, monstres à allure de sage. Il a couvé plusieurs douzaines d’œufs chéris, avec son aile maternelle, sur vos cheveux, desséchés par la succion acharnée de ces étrangers redoutables. La période est promptement venue, où les œufs ont éclaté. Ne craignez rien, ils ne tarderont pas à grandir, ces adolescents philosophes, à travers cette vie éphémère. Ils grandiront tellement, qu’ils vous le feront sentir, avec leurs griffes et leurs suçoirs.

Vous ne savez pas, vous autres, pourquoi ils ne dévorent pas les os de votre tête, et qu’ils se contentent d’extraire, avec leur pompe, la quintessence de votre sang. Attendez un instant, je vais vous le dire : c’est parce qu’ils n’en ont pas la force. Soyez certains que, si leur mâchoire était conforme à la mesure de leurs vœux infinis, la cervelle, la rétine des yeux, la colonne vertébrale, tout votre corps y passerait. Comme une goutte d’eau. Sur la tête d’un jeune mendiant des rues, observez, avec un microscope, un pou qui travaille ; vous m’en donnerez des nouvelles. Malheureusement ils sont petits, ces brigands de la longue chevelure. Ils ne seraient pas bons pour être conscrits ; car, ils n’ont pas la taille nécessaire exigée par la loi. Ils appartiennent au monde lilliputien de ceux de la courte cuisse, et les aveugles n’hésitent pas à les ranger parmi les infiniment petits. Malheur au cachalot qui se battrait contre un pou. Il serait dévoré en un clin d’œil, malgré sa taille. Il ne resterait pas la queue pour aller annoncer la nouvelle. L’éléphant se laisse caresser. Le pou, non. Je ne vous conseille pas de tenter cet essai périlleux. Gare à vous, si votre main est poilue, ou que seulement elle soit composée d’os et de chair. C’en est fait de vos doigts. Ils craqueront comme s’ils étaient à la torture. La peau disparaît par un étrange enchantement. Les poux sont incapables de commettre autant de mal que leur imagination en médite. Si vous trouvez un pou dans votre route, passez votre chemin, et ne lui léchez pas les papilles de la langue. Il vous arriverait quelque accident. Cela s’est vu. N’importe, je suis déjà content de la quantité de mal qu’il te fait, ô race humaine ; seulement, je voudrais qu’il t’en fît davantage.

Jusqu’à quand garderas-tu le culte vermoulu de ce dieu, insensible à tes prières et aux offrandes généreuses que tu lui offres en holocauste expiatoire ? Vois, il n’est pas reconnaissant, ce manitou horrible, des larges coupes de sang et de cervelle que tu répands sur ses autels, pieusement décorés de guirlandes de fleurs. Il n’est pas reconnaissant… car, les tremblements de terre et les tempêtes continuent de sévir depuis le commencement des choses. Et, cependant, spectacle digne d’observation, plus il se montre indifférent, plus tu l’admires. On voit que tu te méfies de ses attributs, qu’il cache ; et ton raisonnement s’appuie sur cette considération, qu’une divinité d’une puissance extrême peut seule montrer tant de mépris envers les fidèles qui obéissent à sa religion. C’est pour cela que, dans chaque pays, existent des dieux divers, ici, le crocodile, là, la vendeuse d’amour ; mais, quand il s’agit du pou, à ce nom sacré, baisant universellement les chaînes de leur esclavage, tous les peuples s’agenouillent ensemble sur le parvis auguste, devant le piédestal de l’idole informe et sanguinaire. Le peuple qui n’obéirait pas à ses propres instincts de rampement, et ferait mine de révolte, disparaîtrait tôt ou tard de la terre, comme la feuille d’automne, anéanti par la vengeance du dieu inexorable.

Ô pou, à la prunelle recroquevillée, tant que les fleuves répandront la pente de leurs eaux dans les abîmes de la mer ; tant que les astres graviteront sur le sentier de leur orbite ; tant que le vide muet n’aura pas d’horizon ; tant que l’humanité déchirera ses propres flancs par des guerres funestes ; tant que la justice divine précipitera ses foudres vengeresses sur ce globe égoïste ; tant que l’homme méconnaîtra son créateur, et se narguera de lui, non sans raison, en y mêlant du mépris, ton règne sera assuré sur l’univers, et ta dynastie étendra ses anneaux de siècle en siècle. Je te salue, soleil levant, libérateur céleste, toi, l’ennemi invisible de l’homme. Continue de dire à la saleté de s’unir avec lui dans des embrassements impurs, et de lui jurer, par des serments, non écrits dans la poudre, qu’elle restera son amante fidèle jusqu’à l’éternité. Baise de temps en temps la robe de cette grande impudique, en mémoire des services importants qu’elle ne manque pas de te rendre. Si elle ne séduisait pas l’homme, avec ses mamelles lascives, il est probable que tu ne pourrais pas exister, toi, le produit de cet accouplement raisonnable et conséquent. Ô fils de la saleté ! dis à ta mère que, si elle délaisse la couche de l’homme, marchant à travers des routes solitaires, seule et sans appui, elle verra son existence compromise. Que ses entrailles, qui t’ont porté neuf mois dans leurs parois parfumées, s’émeuvent un instant à la pensée des dangers que courrait, par suite, leur tendre fruit, si gentil et si tranquille, mais déjà froid et féroce. Saleté, reine des empires, conserve aux yeux de ma haine le spectacle de l’accroissement insensible des muscles de ta progéniture affamée. Pour atteindre ce but, tu sais que tu n’as qu’à te coller plus étroitement contre les flancs de l’homme. Tu peux le faire, sans inconvénient pour la pudeur, puisque, tous les deux, vous êtes mariés depuis longtemps.

Pour moi, s’il m’est permis d’ajouter quelques mots à cet hymne de glorification, je dirai que j’ai fait construire une fosse, de quarante lieues carrées, et d’une profondeur relative. C’est là que gît, dans sa virginité immonde, une mine vivante de poux. Elle remplit les bas-fonds de la fosse, et serpente ensuite, en larges veines denses, dans toutes les directions. Voici comment j’ai construit cette mine artificielle. J’arrachai un pou femelle aux cheveux de l’humanité. On m’a vu se coucher avec lui pendant trois nuits consécutives, et je le jetai dans la fosse. La fécondation humaine, qui aurait été nulle dans d’autres cas pareils, fut acceptée, cette fois, par la fatalité ; et, au bout de quelques jours, des milliers de monstres, grouillant dans un nœud compacte de matière, naquirent à la lumière. Ce nœud hideux devint, par le temps, de plus en plus immense, tout en acquérant la propriété liquide du mercure, et se ramifia en plusieurs branches, qui se nourrissent, actuellement, en se dévorant elles-mêmes (la naissance est plus grande que la mortalité), toutes les fois que je ne leur jette pas en pâture un bâtard qui vient de naître, et dont la mère désirait la mort, ou un bras que je vais couper à quelque jeune fille, pendant la nuit, grâce au chloroforme. Tous les quinze ans, les générations de poux, qui se nourrissent de l’homme, diminuent d’une manière notable, et prédisent elles-mêmes, infailliblement, l’époque prochaine de leur complète destruction. Car, l’homme, plus intelligent que son ennemi, parvient à le vaincre. Alors, avec une pelle infernale qui accroît mes forces, j’extrais de cette mine inépuisable des blocs de poux, grands comme des montagnes, je les brise à coups de hache, et je les transporte, pendant les nuits profondes, dans les artères des cités. Là, au contact de la température humaine, ils se dissolvent comme aux premiers jours de leur formation dans les galeries tortueuses de la mine souterraine, se creusent un lit dans le gravier, et se répandent en ruisseaux dans les habitations, comme des esprits nuisibles. Le gardien de la maison aboie sourdement, car il lui semble qu’une légion d’êtres inconnus perce les pores des murs, et apporte la terreur au chevet du sommeil. Peut-être n’êtes-vous pas, sans avoir entendu, au moins, une fois dans votre vie, ces sortes d’aboiements douloureux et prolongés. Avec ses yeux impuissants, il tâche de percer l’obscurité de la nuit ; car, son cerveau de chien ne comprend pas cela. Ce bourdonnement l’irrite, et il sent qu’il est trahi. Des millions d’ennemis s’abattent ainsi, sur chaque cité, comme des nuages de sauterelles. En voilà pour quinze ans. Ils combattront l’homme, en lui faisant des blessures cuisantes. Après ce laps de temps, j’en enverrai d’autres. Quand je concasse les blocs de matière animée, il peut arriver qu’un fragment soit plus dense qu’un autre. Ses atomes s’efforcent avec rage de séparer leur agglomération pour aller tourmenter l’humanité ; mais, la cohésion résiste dans sa dureté. Par une suprême convulsion, ils engendrent un tel effort, que la pierre, ne pouvant pas disperser ses principes vivants, s’élance d’elle-même jusqu’au haut des airs, comme par un effet de la poudre, et retombe, en s’enfonçant solidement sous le sol. Parfois, le paysan rêveur aperçoit un aérolithe fendre verticalement l’espace, en se dirigeant, du côté du bas, vers un champ de maïs. Il ne sait d’où vient la pierre. Vous avez maintenant, claire et succincte, l’explication du phénomène.

Si la terre était couverte de poux, comme de grains de sable le rivage de la mer, la race humaine serait anéantie, en proie à des douleurs terribles. Quel spectacle ! Moi, avec des ailes d’ange, immobile dans les airs, pour le contempler.

Ô mathématiques sévères, je ne vous ai pas oubliées depuis que vos savantes leçons, plus douces que le miel, filtrèrent dans mon cœur, comme une onde rafraîchissante. J’aspirais instinctivement, dès le berceau, à boire à votre source, plus ancienne que le soleil, et je continue encore de fouler le parvis sacré de votre temple solennel, moi, le plus fidèle de vos initiés. Il y avait du vague dans mon esprit, un je ne sais quoi épais comme de la fumée ; mais, je sus franchir religieusement les degrés qui mènent à votre autel, et vous avez chassé ce voile obscur, comme le vent chasse le damier. Vous avez mis, à la place, une froideur excessive, une prudence consommée et une logique implacable. À l’aide de votre lait fortifiant, mon intelligence s’est rapidement développée, et a pris des proportions immenses, au milieu de cette clarté ravissante dont vous faites présent, avec prodigalité, à ceux qui vous aiment d’un sincère amour. Arithmétique ! algèbre ! géométrie ! trinité grandiose ! triangle lumineux ! Celui qui ne vous a pas connues est un insensé ! Il mériterait l’épreuve des plus grands supplices ; car, il y a du mépris aveugle dans son insouciance ignorante ; mais, celui qui vous connaît et vous apprécie ne veut plus rien des biens de la terre ; se contente de vos jouissances magiques ; et, porté sur vos ailes sombres, ne désire plus que de s’élever, d’un vol léger, en construisant une hélice ascendante, vers la voûte sphérique des cieux. La terre ne lui montre que des illusions et des fantasmagories morales ; mais vous, ô mathématiques concises, par l’enchaînement rigoureux de vos propositions tenaces et la constance de vos lois de fer, vous faites luire, aux yeux éblouis, un reflet puissant de cette vérité suprême dont on remarque l’empreinte dans l’ordre de l’univers. Mais, l’ordre qui vous entoure, représenté surtout par la régularité parfaite du carré, l’ami de Pythagore, est encore plus grand ; car, le Tout-Puissant s’est révélé complétement, lui et ses attributs, dans ce travail mémorable qui consista à faire sortir, des entrailles du chaos, vos trésors de théorèmes et vos magnifiques splendeurs. Aux époques antiques et dans les temps modernes, plus d’une grande imagination humaine vit son génie, épouvanté, à la contemplation de vos figures symboliques tracées sur le papier brûlant, comme autant de signes mystérieux, vivants d’une haleine latente, que ne comprend pas le vulgaire profane et qui n’étaient que la révélation éclatante d’axiomes et d’hyéroglyphes éternels, qui ont existé avant l’univers et qui se maintiendront après lui. Elle se demande, penchée vers le précipice d’un point d’interrogation fatal, comment se fait-il que les mathématiques contiennent tant d’imposante grandeur et tant de vérité incontestable, tandis que, si elle les compare à l’homme, elle ne trouve en ce dernier que faux orgueil et mensonge. Alors, cet esprit supérieur, attristé, auquel la familiarité noble de vos conseils fait sentir davantage la petitesse de l’humanité et son incomparable folie, plonge sa tête, blanchie, sur une main décharnée et reste absorbé dans des méditations surnaturelles. Il incline ses genoux devant vous, et sa vénération rend hommage à votre visage divin, comme à la propre image du Tout-Puissant. Pendant mon enfance, vous m’apparûtes, une nuit de mai, aux rayons de la lune, sur une prairie verdoyante, aux bords d’un ruisseau limpide, toutes les trois égales en grâce et en pudeur, toutes les trois pleines de majesté comme des reines. Vous fîtes quelques pas vers moi, avec votre longue robe, flottante comme une vapeur, et vous m’attirâtes vers vos fières mamelles, comme un fils béni. Alors, j’accourus avec empressement, mes mains crispées sur votre blanche gorge. Je me suis nourri, avec reconnaissance, de votre manne féconde, et j’ai senti que l’humanité grandissait en moi, et devenait meilleure. Depuis ce temps, ô déesses rivales, je ne vous ai pas abandonnées. Depuis ce temps, que de projets énergiques, que de sympathies, que je croyais avoir gravées sur les pages de mon cœur, comme sur du marbre, n’ont-elles pas effacé lentement, de ma raison désabusée, leurs lignes configuratives, comme l’aube naissante efface les ombres de la nuit ! Depuis ce temps, j’ai vu la mort, dans l’intention, visible à l’œil nu, de peupler les tombeaux, ravager les champs de bataille, engraissés par le sang humain et faire pousser des fleurs matinales par-dessus les funèbres ossements. Depuis ce temps, j’ai assisté aux révolutions de notre globe ; les tremblements de terre, les volcans, avec leur lave embrasée, le simoun du désert et les naufrages de la tempête ont eu ma présence pour spectateur impassible. Depuis ce temps, j’ai vu plusieurs générations humaines élever, le matin, ses ailes et ses yeux, vers l’espace, avec la joie inexpériente de la chrysalide qui salue sa dernière métamorphose, et mourir, le soir, avant le coucher du soleil, la tête courbée, comme des fleurs fanées que balance le sifflement plaintif du vent. Mais, vous, vous restez toujours les mêmes. Aucun changement, aucun air empesté n’effleure les rocs escarpés et les vallées immenses de votre identité. Vos pyramides modestes dureront davantage que les pyramides d’Égypte, fourmilières élevées par la stupidité et l’esclavage. La fin des siècles verra encore, debout sur les ruines des temps, vos chiffres cabalistiques, vos équations laconiques et vos lignes sculpturales siéger à la droite vengeresse du Tout-Puissant, tandis que les étoiles s’enfonceront, avec désespoir, comme des trombes, dans l’éternité d’une nuit horrible et universelle, et que l’humanité, grimaçante, songera à faire ses comptes avec le jugement dernier. Merci, pour les services innombrables que vous m’avez rendus. Merci, pour les qualités étrangères dont vous avez enrichi mon intelligence. Sans vous, dans ma lutte contre l’homme, j’aurai peut-être été vaincu. Sans vous, il m’aurait fait rouler dans le sable et embrasser la poussière de ses pieds. Sans vous, avec une griffe perfide, il aurait labouré ma chair et mes os. Mais, je me suis tenu sur mes gardes, comme un athlète expérimenté. Vous me donnâtes la froideur qui surgit de vos conceptions sublimes, exemptes de passion. Je m’en servis pour rejeter avec dédain les jouissances éphémères de mon court voyage et pour renvoyer de ma porte les offres sympathiques, mais trompeuses, de mes semblables. Vous me donnâtes la prudence opiniâtre qu’on déchiffre à chaque pas dans vos méthodes admirables de l’analyse, de la synthèse et de la déduction. Je m’en servis pour dérouter les ruses pernicieuses de mon ennemi mortel, pour l’attaquer, à mon tour, avec adresse, et plonger, dans les viscères de l’homme, un poignard aigu qui restera à jamais enfoncé dans son corps ; car, c’est une blessure dont il ne se relèvera pas. Vous me donnâtes la logique, qui est comme l’âme elle-même de vos enseignements, pleins de sagesse ; avec ses syllogismes, dont le labyrinthe compliqué n’en est que plus compréhensible, mon intelligence sentit s’accroître du double ses forces audacieuses. À l’aide de cet auxiliaire terrible, je découvris, dans l’humanité, en nageant vers les bas-fonds, en face de l’écueil de la haine, la méchanceté noire et hideuse, qui croupissait au milieu de miasmes délétères, en s’admirant le nombril. Le premier, je découvris, dans les ténèbres de ses entrailles, ce vice néfaste, le mal ! supérieur en lui au bien. Avec cette arme empoisonnée que vous me prêtâtes, je fis descendre, de son piédestal, construit par la lâcheté de l’homme, le Créateur lui-même ! Il grinça des dents et subit cette injure ignominieuse ; car, il avait pour adversaire quelqu’un de plus fort que lui. Mais, je le laisserai de côté, comme un paquet de ficelles, afin d’abaisser mon vol…

Le penseur Descartes faisait, une fois, cette réflexion que rien de solide n’avait été bâti sur vous. C’était une manière ingénieuse de faire comprendre que le premier venu ne pouvait pas sur le coup découvrir votre valeur inestimable. En effet, quoi de plus solide que les trois qualités principales déjà nommées qui s’élèvent, entrelacées comme une couronne unique, sur le sommet auguste de votre architecture colossale ? Monument qui grandit sans cesse de découvertes quotidiennes, dans vos mines de diamant, et d’explorations scientifiques, dans vos superbes domaines. Ô mathématiques saintes, puissiez-vous, par votre commerce perpétuel, consoler le reste de mes jours de la méchanceté de l’homme et de l’injustice du Grand-Tout !

« Ô lampe au bec d’argent, mes yeux t’aperçoivent dans les airs, compagne de la voûte des cathédrales, et cherchent la raison de cette suspension. On dit que tes lueurs éclairent, pendant la nuit, la tourbe de ceux qui viennent adorer le Tout-Puissant et que tu montres aux repentis le chemin qui mène à l’autel. Écoute, c’est fort possible ; mais… est-ce que tu as besoin de rendre de pareils services à ceux auxquels tu ne dois rien ? Laisse, plongées dans les ténèbres, les colonnes des basiliques ; et, lorsqu’une bouffée de la tempête sur laquelle le démon tourbillonne, emporté dans l’espace, pénétrera, avec lui, dans le saint lieu, en y répandant l’effroi, au lieu de lutter, courageusement, contre la rafale empestée du prince du mal, éteins-toi subitement, sous son souffle fiévreux, pour qu’il puisse, sans qu’on le voie, choisir ses victimes parmi les croyants agenouillés. Si tu fais cela, tu peux dire que je te devrai tout mon bonheur. Quand tu reluis ainsi, en répandant tes clartés indécises, mais suffisantes, je n’ose pas me livrer aux suggestions de mon caractère, et je reste, sous le portique sacré, en regardant par le portail entr’ouvert, ceux qui échappent à ma vengeance, dans le sein du Seigneur. Ô lampe poétique ! toi qui serais mon amie si tu pouvais me comprendre, quand mes pieds foulent le basalte des églises, dans les heures nocturnes, pourquoi te mets-tu à briller d’une manière qui, je l’avoue, me parait extraordinaire ? Tes reflets se colorent, alors, des nuances blanches de la lumière électrique ; l’œil ne peut pas te fixer ; et tu éclaires d’une flamme nouvelle et puissante les moindres détails du chenil du Créateur, comme si tu étais en proie à une sainte colère. Et, quand je me retire après avoir blasphémé, tu redeviens inaperçue, modeste et pâle, sûre d’avoir accompli un acte de justice. Dis-moi, un peu ; serait-ce, parce que tu connais les détours de mon cœur, que, lorsqu’il m’arrive d’apparaître où tu veilles, tu t’empresses de désigner ma présence pernicieuse, et de porter l’attention des adorateurs vers le côté où vient de se montrer l’ennemi des hommes ? Je penche vers cette opinion ; car, moi aussi, je commence à te connaître ; et je sais qui tu es, vieille sorcière, qui veilles si bien sur les mosquées sacrées, où se pavane, comme la crête d’un coq, ton maître curieux. Vigilante gardienne, tu t’es donné une mission folle. Je t’avertis ; la première fois que tu me désigneras à la prudence de mes semblables, par l’augmentation de tes lueurs phosphorescentes, comme je n’aime pas ce phénomène d’optique, qui n’est mentionné, du reste, dans aucun livre de physique, je te prends par la peau de ta poitrine, en accrochant mes griffes aux escarres de ta nuque teigneuse, et je te jette dans la Seine. Je ne prétends pas que, lorsque je ne te fais rien, tu te comportes sciemment d’une manière qui me soit nuisible. Là, je te permettrai de briller autant qu’il me sera agréable ; là, tu me nargueras avec un sourire inextinguible ; là, convaincue de l’incapacité de ton huile criminelle, tu l’urineras avec amertume. »

Après avoir parlé ainsi, Maldoror ne sort pas du temple, et reste les yeux fixés sur la lampe du saint lieu… Il croit voir une espèce de provocation, dans l’attitude de cette lampe, qui l’irrite au plus haut degré, par sa présence inopportune. Il se dit que, si quelque âme est renfermée dans cette lampe, elle est lâche de ne pas répondre, à une attaque loyale, par la sincérité. Il bat l’air de ses bras nerveux et souhaiterait que la lampe se transformât en homme ; il lui ferait passer un mauvais quart d’heure, il se le promet. Mais, le moyen qu’une lampe se change en homme ; ce n’est pas naturel. Il ne se résigne pas, et va chercher, sur le parvis de la misérable pagode, un caillou plat, à tranchant effilé. Il le lance en l’air avec force… la chaîne est coupée, par le milieu, comme l’herbe par la faux, et l’instrument du culte tombe à terre, en répandant son huile sur les dalles… Il saisit la lampe pour la porter dehors, mais elle résiste et grandit. Il lui semble voir des ailes sur ses flancs, et la partie supérieure revêt la forme d’un buste d’ange. Le tout veut s’élever en l’air pour prendre son essor ; mais il le retient d’une main ferme. Une lampe et un ange qui forment un même corps, voilà ce que l’on ne voit pas souvent. Il reconnaît la forme de la lampe ; il reconnaît la forme de l’ange ; mais, il ne peut pas les scinder dans son esprit ; en effet, dans la réalité, elles sont collées l’une dans l’autre, et ne forment qu’un corps indépendant et libre ; mais, lui croit que quelque nuage a voilé ses yeux, et lui a fait perdre un peu de l’excellence de sa vue. Néanmoins, il se prépare à la lutte avec courage, car son adversaire n’a pas peur. Les gens naïfs racontent, à ceux qui veulent les croire, que le portail sacré se referma de lui-même, en roulant sur ses gonds affligés, pour que personne ne pût assister à cette lutte impie, dont les péripéties allaient se dérouler dans l’enceinte du sanctuaire violé. L’homme au manteau, pendant qu’il reçoit des blessures cruelles avec un glaive invisible, s’efforce de rapprocher de sa bouche la figure de l’ange ; il ne pense qu’à cela, et tous ses efforts se portent vers ce but. Celui-ci perd son énergie, et paraît pressentir sa destinée. Il ne lutte plus que faiblement, et l’on voit le moment où son adversaire pourra l’embrasser à son aise, si c’est ce qu’il veut faire. Eh bien, le moment est venu. Avec ses muscles, il étrangle la gorge de l’ange, qui ne peut plus respirer, et lui renverse le visage, en l’appuyant sur sa poitrine odieuse. Il est un instant touché du sort qui attend cet être céleste, dont il aurait volontiers fait son ami. Mais, il se dit que c’est l’envoyé du Seigneur, et il ne peut pas retenir son courroux. C’en est fait ; quelque chose d’horrible va rentrer dans la cage du temps ! Il se penche, et porte la langue, imbibée de salive, sur cette joue angélique, qui jette des regards suppliants. Il promène quelque temps sa langue sur cette joue. Oh !… voyez !… voyez donc !… la joue blanche et rose est devenue noire, comme un charbon ! Elle exhale des miasmes putrides. C’est la gangrène ; il n’est plus permis d’en douter. Le mal rongeur s’étend sur toute la figure, et de là, exerce ses furies sur les parties basses ; bientôt, tout le corps n’est qu’une vaste plaie immonde. Lui-même, épouvanté (car, il ne croyait pas que sa langue contînt un poison d’une telle violence), il ramasse la lampe et s’enfuit de l’église. Une fois dehors, il aperçoit dans les airs une forme noirâtre, aux ailes brûlées, qui dirige péniblement son vol vers les régions du ciel. Ils se regardent tous les deux, pendant que l’ange monte vers les hauteurs sereines du bien, et que lui, Maldoror, au contraire, descend vers les abîmes vertigineux du mal… Quel regard ! Tout ce que l’humanité a pensé depuis soixante siècles, et ce qu’elle pensera encore, pendant les siècles suivants, pourrait y contenir aisément, tant de choses se dirent-ils, dans cet adieu suprême ! Mais, on comprend que c’étaient des pensées plus élevées que celles qui jaillissent de l’intelligence humaine ; d’abord, à cause des deux personnages, et puis, à cause de la circonstance. Ce regard les noua d’une amitié éternelle. Il s’étonne que le Créateur puisse avoir des missionnaires d’une âme si noble. Un instant, il croit s’être trompé, et se demande s’il aurait dû suivre la route du mal, comme il l’a fait. Le trouble est passé ; il persévère dans sa résolution ; et il est glorieux, d’après lui, de vaincre tôt ou tard le Grand-Tout, afin de régner à sa place sur l’univers entier, et sur des légions d’anges aussi beaux. Celui-ci lui fait comprendre, sans parler, qu’il reprendra sa forme primitive, à mesure qu’il montera vers le ciel ; laisse tomber une larme, qui rafraîchit le front de celui qui lui a donné la gangrène ; et disparaît peu à peu, comme un vautour, en s’élevant au milieu des nuages. Le coupable regarde la lampe, cause de ce qui précède. Il court comme un insensé à travers les rues, se dirige vers la Seine, et lance la lampe par-dessus le parapet. Elle tourbillonne, pendant quelques instants, et s’enfonce définitivement dans les eaux bourbeuses. Depuis ce jour, chaque soir, dès la tombée de la nuit, l’on voit une lampe brillante qui surgit et se maintient, gracieusement, sur la surface du fleuve, à la hauteur du pont Napoléon, en portant, au lieu d’anse, deux mignonnes ailes d’ange. Elle s’avance lentement, sur les eaux, passe sous les arches du pont de la Gare et du pont d’Austerlitz, et continue son sillage silencieux, sur la Seine, jusqu’au pont de l’Alma. Une fois en cet endroit, elle remonte avec facilité le cours de la rivière, et revient au bout de quatre heures à son point de départ. Ainsi de suite, pendant toute la nuit. Ses lueurs, blanches comme la lumière électrique, effacent les becs de gaz qui longent les deux rives, et, entre lesquels, elle s’avance comme une reine, solitaire, impénétrable, avec un sourire inextinguible, sans que son huile se répande avec amertume. Au commencement, les bateaux lui faisaient la chasse ; mais, elle déjouait ces vains efforts, échappait à toutes les poursuites, en plongeant, comme une coquette, et reparaissait, plus loin, à une grande distance. Maintenant, les marins superstitieux, lorsqu’ils la voient, rament vers une direction opposée, et retiennent leurs chansons. Quand vous passez sur un pont, pendant la nuit, faites bien attention ; vous êtes sûr de voir briller la lampe, ici ou là ; mais, on dit qu’elle ne se montre pas à tout le monde. Quand il passe sur les ponts un être humain qui a quelque chose sur la conscience, elle éteint subitement ses reflets, et le passant, épouvanté, fouille en vain, d’un regard désespéré, la surface et le limon du fleuve. Il sait ce que cela signifie. Il voudrait croire qu’il a vu la céleste lueur ; mais, il se dit que la lumière venait du devant des bateaux ou de la réflexion des becs de gaz ; et il a raison… Il sait que, cette disparition, c’est lui qui en est la cause ; et, plongé dans de tristes réflexions, il hâte le pas pour gagner sa demeure. Alors, la lampe au bec d’argent reparaît à la surface, et poursuit sa marche, à travers des arabesques élégantes et capricieuses.

Écoutez les pensées de mon enfance, quand je me réveillais, humains, à la verge rouge : « Je viens de me réveiller ; mais, ma pensée est encore engourdie. Chaque matin, je ressens un poids dans la tête. Il est rare que je trouve le repos dans la nuit ; car, des rêves affreux me tourmentent, quand je parviens à m’endormir. Le jour, ma pensée se fatigue dans des méditations bizarres, pendant que mes yeux errent au hasard dans l’espace ; et, la nuit, je ne peux pas dormir. Quand faut-il alors que je dorme ? Cependant, la nature a besoin de réclamer ses droits. Comme je la dédaigne, elle rend ma figure pâle et fait luire mes yeux avec la flamme aigre de la fièvre. Au reste, je ne demanderais pas mieux que de ne pas épuiser mon esprit à réfléchir continuellement ; mais, quand même je ne le voudrais pas, mes sentiments consternés m’entraînent invinciblement vers cette pente. Je me suis aperçu que les autres enfants sont comme moi ; mais, ils sont plus pâles encore, et leurs sourcils sont froncés, comme ceux des hommes, nos frères aînés. Ô Créateur de l’univers, je ne manquerai pas, ce matin, de t’offrir l’encens de ma prière enfantine. Quelquefois je l’oublie, et j’ai remarqué que, ces jours-là, je me sens plus heureux qu’à l’ordinaire ; ma poitrine s’épanouit, libre de toute contrainte, et je respire, plus à l’aise, l’air embaumé des champs ; tandis que, lorsque j’accomplis le pénible devoir, ordonné par mes parents, de t’adresser quotidiennement un cantique de louanges, accompagné de l’ennui inséparable que me cause sa laborieuse invention, alors, je suis triste et irrité, le reste de la journée, parce qu’il ne me semble pas logique et naturel de dire ce que je ne pense pas, et je recherche le recul des immenses solitudes. Si je leur demande l’explication de cet état étrange de mon âme, elles ne me répondent pas. Je voudrais t’aimer et t’adorer ; mais, tu es trop puissant, et il y a de la crainte, dans mes hymnes. Si, par une seule manifestation de ta pensée, tu peux détruire ou créer des mondes, mes faibles prières ne te seront pas utiles ; si, quand il te plaît, tu envoies le choléra ravager les cités, ou la mort emporter dans ses serres, sans aucune distinction, les quatre âges de la vie, je ne veux pas me lier avec un ami si redoutable. Non pas que la haine conduise le fil de mes raisonnements ; mais, j’ai peur, au contraire, de ta propre haine, qui, par un ordre capricieux, peut sortir de ton cœur et devenir immense, comme l’envergure du condor des Andes. Tes amusements équivoques ne sont pas à ma portée, et j’en serais probablement la première victime. Tu es le Tout-Puissant ; je ne te conteste pas ce titre, puisque, toi seul, as le droit de le porter, et que tes désirs, aux conséquences funestes ou heureuses, n’ont de terme que toi-même. Voilà précisément pourquoi il me serait douloureux de marcher à côté de ta cruelle tunique de saphir, non pas comme ton esclave, mais pouvant l’être d’un moment à l’autre. Il est vrai que, lorsque tu descends en toi-même, pour scruter ta conduite souveraine, si le fantôme d’une injustice passée, commise envers cette malheureuse humanité, qui t’a toujours obéi, comme ton ami le plus fidèle, dresse, devant toi, les vertèbres immobiles d’une épine dorsale vengeresse, ton œil hagard laisse tomber la larme épouvantée du remords tardif, et qu’alors, les cheveux hérissés, tu crois, toi-même, prendre, sincèrement, la résolution de suspendre, à jamais, aux broussailles du néant, les jeux inconcevables de ton imagination de tigre, qui serait burlesque, si elle n’était pas lamentable ; mais, je sais aussi que la constance n’a pas fixé, dans tes os, comme une moelle tenace, le harpon de sa demeure éternelle, et que tu retombes assez souvent, toi et tes pensées, recouvertes de la lèpre noire de l’erreur, dans le lac funèbre des sombres malédictions. Je veux croire que celles-ci sont inconscientes (quoiqu’elles n’en renferment pas moins leur venin fatal), et que le mal et le bien, unis ensemble, se répandent en bonds impétueux de ta royale poitrine gangrenée, comme le torrent du rocher, par le charme secret d’une force aveugle ; mais, rien ne m’en fournit la preuve. J’ai vu, trop souvent, tes dents immondes claquer de rage, et ton auguste face, recouverte de la mousse des temps, rougir, comme un charbon ardent, à cause de quelque futilité microscopique que les hommes avaient commise, pour pouvoir m’arrêter, plus longtemps, devant le poteau indicateur de cette hypothèse bonasse. Chaque jour, les mains jointes, j’élèverai vers toi les accents de mon humble prière, puisqu’il le faut ; mais, je t’en supplie, que ta providence ne pense pas à moi ; laisse-moi de côté, comme le vermisseau qui rampe sous la terre. Sache que je préférerais me nourrir avidement des plantes marines d’îles inconnues et sauvages, que les vagues tropicales entraînent, au milieu de ces parages, dans leur sein écumeux, que de savoir que tu m’observes, et que tu portes, dans ma conscience, ton scalpel qui ricane. Elle vient de te révéler la totalité de mes pensées, et j’espère que ta prudence applaudira facilement au bon sens dont elles gardent l’ineffaçable empreinte. À part ces réserves faites sur le genre de relations plus ou moins intimes que je dois garder avec toi, ma bouche est prête, à n’importe quelle heure du jour, à exhaler, comme un souffle artificiel, le flot de mensonges que ta gloriole exige sévèrement de chaque humain, dès que l’aurore s’élève bleuâtre, cherchant la lumière dans les replis de satin du crépuscule, comme, moi, je recherche la bonté, excité par l’amour du bien. Mes années ne sont pas nombreuses, et, cependant, je sens déjà que la bonté n’est qu’un assemblage de syllabes sonores ; je ne l’ai trouvée nulle part. Tu laisses trop percer ton caractère ; il faudrait le cacher avec plus d’adresse. Au reste, peut-être que je me trompe et que tu fais exprès ; car, tu sais mieux qu’un autre comment tu dois te conduire. Les hommes, eux, mettent leur gloire à t’imiter ; c’est pourquoi la bonté sainte ne reconnaît pas son tabernacle dans leurs yeux farouches : tel père, tel fils. Quoi qu’on doive penser de ton intelligence, je n’en parle que comme un critique impartial. Je ne demande pas mieux que d’avoir été induit en erreur. Je ne désire pas te montrer la haine que je te porte et que je couve avec amour, comme une fille chérie ; car, il vaut mieux la cacher à tes yeux et prendre seulement, devant toi, l’aspect d’un censeur sévère, chargé de contrôler tes actes impurs. Tu cesseras ainsi tout commerce actif avec elle, tu l’oublieras et tu détruiras complètement cette punaise avide qui ronge ton foie. Je préfère plutôt te faire entendre des paroles de rêverie et de douceur… Oui, c’est toi qui as créé le monde et tout ce qu’il renferme. Tu es parfait. Aucune vertu ne te manque. Tu es très-puissant, chacun le sait. Que l’univers entier entonne, à chaque heure du temps, ton cantique éternel ! Les oiseaux te bénissent, en prenant leur essor dans la campagne. Les étoiles t’appartiennent… Ainsi soit-il ! » Après ces commencements, étonnez-vous de me trouver tel que je suis !

Je cherchais une âme qui me ressemblât, et je ne pouvais pas la trouver. Je fouillais tous les recoins de la terre ; ma persévérance était inutile. Cependant, je ne pouvais pas rester seul. Il fallait quelqu’un qui approuvât mon caractère ; il fallait quelqu’un qui eût les mêmes idées que moi. C’était le matin ; le soleil se leva à l’horizon, dans toute sa magnificence, et voilà qu’à mes yeux se lève aussi un jeune homme, dont la présence engendrait des fleurs sur son passage. Il s’approcha de moi, et, me tendant la main : « Je suis venu vers toi, toi, qui me cherches. Bénissons ce jour heureux. » Mais, moi : « Va-t’en ; je ne t’ai pas appelé ; je n’ai pas besoin de ton amitié… » C’était le soir ; la nuit commençait à étendre la noirceur de son voile sur la nature. Une belle femme, que je ne faisais que distinguer, étendait aussi sur moi son influence enchanteresse, et me regardait avec compassion ; cependant, elle n’osait me parler. Je dis : « Approche-toi de moi, afin que je distingue nettement les traits de ton visage ; car, la lumière des étoiles n’est pas assez forte, pour les éclairer à cette distance. » Alors, avec une démarche modeste, et les yeux baissés, elle foula l’herbe du gazon, en se dirigeant de mon côté. Dès que je la vis : « Je vois que la bonté et la justice ont fait résidence dans ton cœur : nous ne pourrions pas vivre ensemble. Maintenant, tu admires ma beauté, qui a bouleversé plus d’une ; mais, tôt ou tard, tu te repentirais de m’avoir consacré ton amour ; car, tu ne connais pas mon âme. Non que je te sois jamais infidèle : celle qui se livre à moi avec tant d’abandon et de confiance, avec autant de confiance et d’abandon, je me livre à elle ; mais, mets-te le dans la tête, pour ne jamais l’oublier : les loups et les agneaux ne se regardent pas avec des yeux doux. » Que me fallait-il donc, à moi, qui rejetais, avec tant de dégoût, ce qu’il y avait de plus beau dans l’humanité ! ce qu’il me fallait, je n’aurais pas su le dire. Je n’étais pas encore habitué à me rendre un compte rigoureux des phénomènes de mon esprit, au moyen des méthodes que recommande la philosophie. Je m’assis sur un roc, près de la mer. Un navire venait de mettre toutes voiles pour s’éloigner de ce parage : un point imperceptible venait de paraître à l’horizon, et s’approchait peu à peu, poussé par la rafale, en grandissant avec rapidité. La tempête allait commencer ses attaques, et déjà le ciel s’obscurcissait, en devenant d’un noir presque aussi hideux que le cœur de l’homme. Le navire, qui était un grand vaisseau de guerre, venait de jeter toutes ses ancres, pour ne pas être balayé sur les rochers de la côte. Le vent sifflait avec fureur des quatre points cardinaux, et mettait les voiles en charpie. Les coups de tonnerre éclataient au milieu des éclairs, et ne pouvaient surpasser le bruit des lamentations qui s’entendaient sur la maison sans bases, sépulcre mouvant. Le roulis de ces masses aqueuses n’était pas parvenu à rompre les chaînes des ancres ; mais, leurs secousses avaient entr’ouvert une voie d’eau, sur les flancs du navire. Brèche énorme ; car, les pompes ne suffisent pas à rejeter les paquets d’eau salée qui viennent, en écumant, s’abattre sur le pont, comme des montagnes. Le navire en détresse tire des coups de canon d’alarme ; mais, il sombre avec lenteur… avec majesté. Celui qui n’a pas vu un vaisseau sombrer au milieu de l’ouragan, de l’intermittence des éclairs et de l’obscurité la plus profonde, pendant que ceux qu’il contient sont accablés de ce désespoir que vous savez, celui-là ne connaît pas les accidents de la vie. Enfin, il s’échappe un cri universel de douleur immense d’entre les flancs du vaisseau, tandis que la mer redouble ses attaques redoutables. C’est le cri qu’a fait pousser l’abandon des forces humaines. Chacun s’enveloppe dans le manteau de la résignation, et remet son sort entre les mains de Dieu. On s’accule comme un troupeau de moutons. Le navire en détresse tire des coups de canon d’alarme ; mais, il sombre avec lenteur… avec majesté. Ils ont fait jouer les pompes pendant tout le jour. Efforts inutiles. La nuit est venue, épaisse, implacable, pour mettre le comble à ce spectacle gracieux. Chacun se dit qu’une fois dans l’eau, il ne pourra plus respirer ; car, d’aussi loin qu’il fait revenir sa mémoire, il ne se reconnaît aucun poisson pour ancêtre ; mais, il s’exhorte à retenir son souffle le plus longtemps possible, afin de prolonger sa vie de deux ou trois secondes ; c’est là l’ironie vengeresse qu’il veut adresser à la mort… Le navire en détresse tire des coups de canon d’alarme ; mais, il sombre avec lenteur… avec majesté. Il ne sait pas que le vaisseau, en s’enfonçant, occasionne une puissante circonvolution des houles autour d’elles-mêmes ; que le limon bourbeux s’est mêlé aux eaux troublées, et qu’une force qui vient de dessous, contre-coup de la tempête qui exerce ses ravages en haut, imprime à l’élément des mouvements saccadés et nerveux. Ainsi, malgré la provision de sang-froid qu’il ramasse d’avance, le futur noyé, après réflexion plus ample, devra se sentir heureux, s’il prolonge sa vie, dans les tourbillons de l’abîme, de la moitié d’une respiration ordinaire, afin de faire bonne mesure. Il lui sera donc impossible de narguer la mort, son suprême vœu. Le navire en détresse tire des coups de canon d’alarme ; mais, il sombre avec lenteur… avec majesté. C’est une erreur. Il ne tire plus des coups de canon, il ne sombre pas. La coquille de noix s’est engouffrée complètement. Ô ciel ! comment peut-on vivre, après avoir éprouvé tant de voluptés ! Il venait de m’être donné d’être témoin des agonies de mort de plusieurs de mes semblables. Minute par minute, je suivais les péripéties de leurs angoisses. Tantôt, le beuglement de quelque vieille, devenue folle de peur, faisait prime sur le marché. Tantôt, le seul glapissement d’un enfant en mamelles empêchait d’entendre le commandement des manœuvres. Le vaisseau était trop loin pour percevoir distinctement les gémissements que m’apportait la rafale ; mais, je le rapprochais par la volonté, et l’illusion d’optique était complète. Chaque quart d’heure, quand un coup de vent, plus fort que les autres, rendant ses accents lugubres à travers le cri des pétrels effarés, disloquait le navire dans un craquement longitudinal, et augmentait les plaintes de ceux qui allaient être offerts en holocauste à la mort, je m’enfonçais dans la joue la pointe aiguë d’un fer, et je pensais secrètement : « Ils souffrent davantage ! » J’avais, au moins, ainsi, un terme de comparaison. Du rivage, je les apostrophais, en leur lançant des imprécations et des menaces. Il me semblait qu’ils devaient m’entendre ! Il me semblait que ma haine et mes paroles, franchissant la distance, anéantissaient les lois physiques du son, et parvenaient, distinctes, à leurs oreilles, assourdies par les mugissements de l’océan en courroux ! Il me semblait qu’ils devaient penser à moi, et exhaler leur vengeance en impuissante rage ! De temps à autre, je jetais les yeux vers les cités, endormies sur la terre ferme ; et, voyant que personne ne se doutait qu’un vaisseau allait sombrer, à quelques milles du rivage, avec une couronne d’oiseaux de proie et un piédestal de géants aquatiques, au ventre vide, je reprenais courage, et l’espérance me revenait : j’étais donc sûr de leur perte ! Ils ne pouvaient échapper ! Par surcroît de précaution, j’avais été chercher mon fusil à deux coups, afin que, si quelque naufragé était tenté d’aborder les rochers à la nage, pour échapper à une mort imminente, une balle sur l’épaule lui fracassât le bras, et l’empêchât d’accomplir son dessein. Au moment le plus furieux de la tempête, je vis, surnageant sur les eaux, avec des efforts désespérés, une tête énergique, aux cheveux hérissés. Il avalait des litres d’eau, et s’enfonçait dans l’abîme, ballotté comme un liège. Mais, bientôt, il apparaissait de nouveau, les cheveux ruisselants ; et, fixant l’œil sur le rivage, il semblait défier la mort. Il était admirable de sang-froid. Une large blessure sanglante, occasionnée par quelque pointe d’écueil caché, balafrait son visage intrépide et noble. Il ne devait pas avoir plus de seize ans ; car, à peine, à travers les éclairs qui illuminaient la nuit, le duvet de la pêche s’apercevait sur sa lèvre. Et, maintenant, il n’était plus qu’à deux cents mètres de la falaise ; et je le dévisageais facilement. Quel courage ! Quel esprit indomptable ! Comme la fixité de sa tête semblait narguer le destin, tout en fendant avec vigueur l’onde, dont les sillons s’ouvraient difficilement devant lui !… Je l’avais décidé d’avance. Je me devais à moi-même de tenir ma promesse : l’heure dernière avait sonné pour tous, aucun ne devait en échapper. Voilà ma résolution ; rien ne le changerait… Un son sec s’entendit, et la tête aussitôt s’enfonça, pour ne plus reparaître. Je ne pris pas à ce meurtre autant de plaisir qu’on pourrait le croire ; et, c’était, précisément, parce que j’étais rassasié de toujours tuer, que je le faisais dorénavant par simple habitude, dont on ne peut se passer, mais, qui ne procure qu’une jouissance légère. Le sens est émoussé, endurci. Quelle volupté ressentir à la mort de cet être humain, quand il y en avait plus d’une centaine, qui allaient s’offrir à moi, en spectacle, dans leur lutte dernière contre les flots, une fois le navire submergé ? À cette mort, je n’avais même pas l’attrait du danger ; car, la justice humaine, bercée par l’ouragan de cette nuit affreuse, sommeillait dans les maisons, à quelques pas de moi. Aujourd’hui que les années pèsent sur mon corps, je le dis avec sincérité, comme une vérité suprême et solennelle : je n’étais pas aussi cruel qu’on l’a raconté ensuite, parmi les hommes ; mais, des fois, leur méchanceté exerçait ses ravages persévérants pendant des années entières. Alors, je ne connaissais plus de borne à ma fureur ; il me prenait des accès de cruauté, et je devenais terrible pour celui qui s’approchait de mes yeux hagards, si toutefois il appartenait à ma race. Si c’était un cheval ou un chien, je le laissais passer : avez-vous entendu ce que je viens de dire ? Malheureusement, la nuit de cette tempête, j’étais dans un de ces accès, ma raison s’était envolée (car, ordinairement, j’étais aussi cruel, mais, plus prudent) ; et tout ce qui tomberait, cette fois-là, entre mes mains, devait périr ; je ne prétends pas m’excuser de mes torts. La faute n’en est pas toute à mes semblables. Je ne fais que constater ce qui est, en attendant le jugement dernier qui me fait gratter la nuque d’avance… Que m’importe le jugement dernier ! Ma raison ne s’envole jamais, comme je le disais pour vous tromper. Et, quand je commets un crime, je sais ce que je fais : je ne voulais pas faire autre chose ! Debout sur le rocher, pendant que l’ouragan fouettait mes cheveux et mon manteau, j’épiais dans l’extase cette force de la tempête, s’acharnant sur un navire, sous un ciel sans étoiles. Je suivis, dans une attitude triomphante, toutes les péripéties de ce drame, depuis l’instant où le vaisseau jeta ses ancres, jusqu’au moment où il s’engloutit, habit fatal qui entraîna, dans les boyaux de la mer, ceux qui s’en étaient revêtus comme d’un manteau. Mais, l’instant s’approchait, où j’allais, moi-même, me mêler comme acteur à ces scènes de la nature bouleversée. Quand la place où le vaisseau avait soutenu le combat montra clairement que celui-ci avait été passer le reste de ses jours au rez-de-chaussée de la mer, alors, ceux qui avaient été emportés avec les flots reparurent en partie à la surface. Il se prirent à bras-le-corps, deux par deux, trois par trois ; c’était le moyen de ne pas sauver leur vie ; car, leurs mouvements devenaient embarrassés, et ils coulaient bas comme des cruches percées… Quelle est cette armée de monstres marins qui fend les flots avec vitesse ? Ils sont six ; leurs nageoires sont vigoureuses, et s’ouvrent un passage, à travers les vagues soulevées. De tous ces êtres humains, qui remuent les quatre membres dans ce continent peu ferme, les requins ne font bientôt qu’une omelette sans œufs, et se la partagent d’après la loi du plus fort. Le sang se mêle aux eaux, et les eaux se mêlent au sang. Leurs yeux féroces éclairent suffisamment la scène du carnage… Mais, quel est encore ce tumulte des eaux, là-bas, à l’horizon ? On dirait une trombe qui s’approche. Quels coups de rame ! J’aperçois ce que c’est. Une énorme femelle de requin vient prendre part au pâté de foie de canard, et manger du bouilli froid. Elle est furieuse ; car, elle arrive affamée. Une lutte s’engage entre elle et les requins, pour se disputer les quelques membres palpitants qui flottent par-ci, par-là, sans rien dire, sur la surface de la crême rouge. À droite, à gauche, elle lance des coups de dent qui engendrent des blessures mortelles. Mais, trois requins vivants l’entourent encore, et elle est obligée de tourner en tous sens, pour déjouer leurs manœuvres. Avec une émotion croissante, inconnue jusqu’alors, le spectateur, placé sur le rivage, suit cette bataille navale d’un nouveau genre. Il a les yeux fixés sur cette courageuse femelle de requin, aux dents si fortes. Il n’hésite plus, il épaule son fusil, et, avec son adresse habituelle, il loge sa deuxième balle dans l’ouïe d’un des requins, au moment où il se montrait au-dessus d’une vague. Restent deux requins qui n’en témoignent qu’un acharnement plus grand. Du haut du rocher, l’homme à la salive saumâtre, se jette à la mer, et nage vers le tapis agréablement coloré, en tenant à la main ce couteau d’acier qui ne l’abandonne jamais. Désormais, chaque requin a affaire à un ennemi. Il s’avance vers son adversaire fatigué, et, prenant son temps, lui enfonce dans le ventre sa lame aiguë. La citadelle mobile se débarrasse facilement du dernier adversaire… Se trouvent en présence le nageur et la femelle de requin, sauvée par lui. Ils se regardèrent entre les yeux pendant quelques minutes ; et chacun s’étonna de trouver tant de férocité dans les regards de l’autre. Ils tournent en rond en nageant, ne se perdent pas de vue, et se disent à part soi : « Je me suis trompé jusqu’ici ; en voilà un qui est plus méchant. » Alors, d’un commun accord, entre deux eaux, ils glissèrent l’un vers l’autre, avec une admiration mutuelle, la femelle de requin écartant l’eau de ses nageoires, Maldoror battant l’onde avec ses bras ; et retinrent leur souffle, dans une vénération profonde, chacun désireux de contempler, pour la première fois, son portrait vivant. Arrivés à trois mètres de distance, sans faire aucun effort, ils tombèrent brusquement l’un contre l’autre, comme deux aimants, et s’embrassèrent avec dignité et reconnaissance, dans une étreinte aussi tendre que celle d’un frère ou d’une sœur. Les désirs charnels suivirent de près cette démonstration d’amitié. Deux cuisses nerveuses se collèrent étroitement à la peau visqueuse du monstre, comme deux sangsues ; et, les bras et les nageoires entrelacés autour du corps de l’objet aimé qu’ils entouraient avec amour, tandis que leurs gorges et leurs poitrines ne faisaient bientôt plus qu’une masse glauque aux exhalaisons de goëmon ; au milieu de la tempête qui continuait de sévir ; à la lueur des éclairs ; ayant pour lit d’hyménée la vague écumeuse, emportés par un courant sous-marin comme dans un berceau, et roulant, sur eux-mêmes, vers les profondeurs inconnues de l’abîme, ils se réunirent dans un accouplement long, chaste et hideux !… Enfin, je venais de trouver quelqu’un qui me ressemblât !… Désormais, je n’étais plus seul dans la vie !… Elle avait les mêmes idées que moi !… J’étais en face de mon premier amour !

La Seine entraîne un corps humain. Dans ces circonstances, elle prend des allures solennelles. Le cadavre gonflé se soutient sur les eaux ; il disparaît sous l’arche d’un pont ; mais, plus loin, on le voit apparaître de nouveau, tournant lentement sur lui-même, comme une roue de moulin, et s’enfonçant par intervalles. Un maître de bâteau, à l’aide d’une perche, l’accroche au passage, et le ramène à terre. Avant de transporter le corps à la Morgue, on le laisse quelque temps sur la berge, pour le ramener à la vie. La foule compacte se rassemble autour du corps. Ceux qui ne peuvent pas voir, parce qu’ils sont derrière, poussent, tant qu’ils peuvent, ceux qui sont devant. Chacun se dit : « Ce n’est pas moi qui me serais noyé. » On plaint le jeune homme qui s’est suicidé ; on l’admire ; mais, on ne l’imite pas. Et, cependant, lui, a trouvé très-naturel de se donner la mort, ne jugeant rien sur la terre capable de le contenter, et aspirant plus haut. Sa figure est distinguée, et ses habits sont riches. A-t-il encore dix-sept ans ? C’est mourir jeune ! La foule paralysée continue de jeter sur lui ses yeux immobiles… Il se fait nuit. Chacun se retire silencieusement. Aucun n’ose renverser le noyé, pour lui faire rejeter l’eau qui remplit son corps. On a craint de passer pour sensible, et aucun n’a bougé, retranché dans le col de sa chemise. L’un s’en va, en sifflotant aigrement une tyrolienne absurde ; l’autre fait claquer ses doigts comme des castagnettes… Harcelé par sa pensée sombre, Maldoror, sur son cheval, passe près de cet endroit, avec la vitesse de l’éclair. Il aperçoit le noyé ; cela suffit. Aussitôt, il a arrêté son coursier, et est descendu de l’étrier. Il soulève le jeune homme sans dégoût, et lui fait rejeter l’eau avec abondance. À la pensée que ce corps inerte pourrait revivre sous sa main, il sent son cœur bondir, sous cette impression excellente, et redouble de courage. Vains efforts ! Vains efforts, ai-je dit, et c’est vrai. Le cadavre reste inerte, et se laisse tourner en tous sens. Il frotte les tempes ; il frictionne ce membre-ci, ce membre-là ; il souffle pendant une heure, dans la bouche, en pressant ses lèvres contre les lèvres de l’inconnu. Il lui semble enfin sentir sous sa main, appliquée contre la poitrine, un léger battement. Le noyé vit ! À ce moment suprême, on put remarquer que plusieurs rides disparurent du front du cavalier, et le rajeunirent de dix ans. Mais, hélas ! les rides reviendront, peut-être demain, peut-être aussitôt qu’il se sera éloigné des bords de la Seine. En attendant, le noyé ouvre des yeux ternes, et, par un sourire blafard, remercie son bienfaiteur ; mais, il est faible encore, et ne peut faire aucun mouvement. Sauver la vie à quelqu’un, que c’est beau ! Et comme cette action rachète de fautes ! L’homme aux lèvres de bronze, occupé jusque-là à l’arracher de la mort, regarde le jeune homme avec plus d’attention, et ses traits ne lui paraissent pas inconnus. Il se dit qu’entre l’asphyxié, aux cheveux blonds, et Holzer, il n’y a pas beaucoup de différence. Les voyez-vous comme ils s’embrassent avec effusion ! N’importe ! L’homme à la prunelle de jaspe tient à conserver l’apparence d’un rôle sévère. Sans rien dire, il prend son ami qu’il met en croupe, et le coursier s’éloigne au galop. Ô toi, Holzer, qui te croyais si raisonnable et si fort, n’as-tu pas vu, par ton exemple même, comme il est difficile, dans un accès de désespoir, de conserver le sang-froid dont tu te vantes. J’espère que tu ne me causeras plus un pareil chagrin, et moi, de mon côté, je t’ai promis de ne jamais attenter à ma vie.

Il y a des heures dans la vie où l’homme, à la chevelure pouilleuse, jette, l’œil fixe, des regards fauves sur les membranes vertes de l’espace ; car, il lui semble entendre, devant lui, les ironiques huées d’un fantôme. Il chancelle et courbe la tête : ce qu’il a entendu, c’est la voix de la conscience. Alors, il s’élance de la maison, avec la vitesse d’un fou, prend la première direction qui s’offre à sa stupeur, et dévore les plaines rugueuses de la campagne. Mais, le fantôme jaune ne le perd pas de vue, et le poursuit avec une égale vitesse. Quelquefois, dans une nuit d’orage, pendant que des légions de poulpes ailés, ressemblant de loin à des corbeaux, planent au-dessus des nuages, en se dirigeant d’une rame raide vers les cités des humains, avec la mission de les avertir de changer de conduite, le caillou, à l’œil sombre, voit deux êtres passer à la lueur de l’éclair, l’un derrière l’autre ; et, essuyant une furtive larme de compassion, qui coule de sa paupière glacée, il s’écrie : « Certes, il le mérite ; et ce n’est que justice. » Après avoir dit cela, il se replace dans son attitude farouche, et continue de regarder, avec un tremblement nerveux, la chasse à l’homme, et les grandes lèvres du vagin d’ombre, d’où découlent, sans cesse, comme un fleuve, d’immenses spermatozoïdes ténébreux qui prennent leur essor dans l’éther lugubre, en cachant, avec le vaste déploiement de leurs ailes de chauve-souris, la nature entière, et les légions solitaires de poulpes, devenues mornes à l’aspect de ces fulgurations sourdes et inexprimables. Mais, pendant ce temps, le steeple-chase continue entre les deux infatigables coureurs, et le fantôme lance par sa bouche des torrents de feu sur le dos calciné de l’antilope humain. Si, dans l’accomplissement de ce devoir, il rencontre en chemin la pitié qui veut lui barrer le passage, il cède avec répugnance à ses supplications, et laisse l’homme s’échapper. Le fantôme fait claquer sa langue, comme pour se dire à lui-même qu’il va cesser la poursuite, et retourne vers son chenil, jusqu’à nouvel ordre. Sa voix de condamné s’entend jusque dans les couches les plus lointaines de l’espace ; et, lorsque son hurlement épouvantable pénètre dans le cœur humain, celui-ci préférerait avoir, dit-on, la mort pour mère que le remords pour fils. Il enfonce la tête jusqu’aux épaules dans les complications terreuses d’un trou ; mais, la conscience volatilise cette ruse d’autruche. L’excavation s’évapore, goutte d’éther ; la lumière apparaît, avec son cortège de rayons, comme un vol de courlis qui s’abat sur les lavandes ; et l’homme se retrouve en face de lui-même, les yeux ouverts et blêmes. Je l’ai vu se diriger du côté de la mer, monter sur un promontoire déchiqueté et battu par le sourcil de l’écume ; et, comme une flèche, se précipiter dans les vagues. Voici le miracle : le cadavre reparaissait, le lendemain, sur la surface de l’océan, qui reportait au rivage cette épave de chair. L’homme se dégageait du moule que son corps avait creusé dans le sable, exprimait l’eau de ses cheveux mouillés, et, reprenait, le front muet et penché, le chemin de la vie. La conscience juge sévèrement nos pensées et nos actes les plus secrets, et ne se trompe pas. Comme elle est souvent impuissante à prévenir le mal, elle ne cesse de traquer l’homme comme un renard, surtout pendant l’obscurité. Des yeux vengeurs, que la science ignorante appelle météores, répandent une flamme livide, passent en roulant sur eux-mêmes, et articulent des paroles de mystère… qu’il comprend ! Alors, son chevet est broyé par les secousses de son corps, accablé sous le poids de l’insomnie, et il entend la sinistre respiration des rumeurs vagues de la nuit. L’ange du sommeil, lui-même, mortellement atteint au front d’une pierre inconnue, abandonne sa tâche, et remonte vers les cieux. Eh bien, je me présente pour défendre l’homme, cette fois ; moi, le contempteur de toutes les vertus ; moi, celui que n’a pas pu oublier le Créateur, depuis le jour glorieux où, renversant de leur socle les annales du ciel, où, par je ne sais quel tripotage infâme, étaient consignées sa puissance et son éternité, j’appliquai mes quatre cents ventouses sur le dessous de son aisselle, et lui fis pousser des cris terribles… Ils se changèrent en vipères, en sortant par sa bouche, et allèrent se cacher dans les broussailles, les murailles en ruine, aux aguets le jour, aux aguets la nuit. Ces cris, devenus rampants, et doués d’anneaux innombrables, avec une tête petite et aplatie, des yeux perfides, ont juré d’être en arrêt devant l’innocence humaine ; et, quand celle-ci se promène dans les enchevêtrements des maquis, ou au revers des talus ou sur les sables des dunes, elle ne tarde pas à changer d’idée. Si, cependant, il en est temps encore ; car, des fois, l’homme aperçoit le poison s’introduire dans les veines de sa jambe, par une morsure presque imperceptible, avant qu’il ait eu le temps de rebrousser chemin, et de gagner le large. C’est ainsi que le Créateur, conservant un sang-froid admirable, jusque dans les souffrances les plus atroces, sait retirer, de leur propre sein, des germes nuisibles aux habitants de la terre. Quel ne fut pas son étonnement, quand il vit Maldoror, changé en poulpe, avancer contre son corps ses huit pattes monstrueuses, dont chacune, lanière solide, aurait pu embrasser facilement la circonférence d’une planète. Pris au dépourvu, il se débattit, quelques instants, contre cette étreinte visqueuse, qui se resserrait de plus en plus… je craignais quelque mauvais coup de sa part ; après m’être nourri abondamment des globules de ce sang sacré, je me détachai brusquement de son corps majestueux, et je me cachai dans une caverne, qui, depuis lors, resta ma demeure. Après des recherches infructueuses, il ne put m’y trouver. Il y a longtemps de ça ; mais, je crois que maintenant il sait où est ma demeure ; il se garde d’y rentrer ; nous vivons, tous les deux, comme deux monarques voisins, qui connaissent leurs forces respectives, ne peuvent se vaincre l’un l’autre, et sont fatigués des batailles inutiles du passé. Il me craint, et je le crains ; chacun, sans être vaincu, a éprouvé les rudes coups de son adversaire, et nous en restons là. Cependant, je suis prêt à recommencer la lutte, quand il le voudra. Mais, qu’il n’attende pas quelque moment favorable à ses desseins cachés. Je me tiendrai toujours sur mes gardes, en ayant l’œil sur lui. Qu’il n’envoie plus sur la terre la conscience et ses tortures. J’ai enseigné aux hommes les armes avec lesquelles on peut la combattre avec avantage. Ils ne sont pas encore familiarisés avec elle ; mais, tu sais que, pour moi, elle est comme la paille qu’emporte le vent. J’en fais autant de cas. Si je voulais profiter de l’occasion, qui se présente, de subtiliser ces discussions poétiques, j’ajouterais que je fais même plus de cas de la paille que de la conscience ; car, la paille est utile pour le bœuf qui la rumine, tandis que la conscience ne sait montrer que ses griffes d’acier. Elles subirent un pénible échec, le jour où elles se placèrent devant moi. Comme la conscience avait été envoyée par le Créateur, je crus convenable de ne pas me laisser barrer le passage par elle. Si elle s’était présentée avec la modestie et l’humilité propres à son rang, et dont elle n’aurait jamais dû se départir, je l’aurais écoutée. Je n’aimais pas son orgueil. J’étendis une main, et sous mes doigts broyai les griffes ; elles tombèrent en poussière, sous la pression croissante de ce mortier de nouvelle espèce. J’étendis l’autre main, et lui arrachai la tête. Je chassai ensuite, hors de ma maison, cette femme, à coups de fouet, et je ne la revis plus. J’ai gardé sa tête en souvenir de ma victoire… Une tête à la main, dont je rongeais le crâne, je me suis tenu sur un pied, comme le héron, au bord du précipice creusé dans les flancs de la montagne. On m’a vu descendre dans la vallée, pendant que la peau de ma poitrine était immobile et calme, comme le couvercle d’une tombe ! Une tête à la main, dont je rongeais le crâne, j’ai nagé dans les gouffres les plus dangereux, longé les écueils mortels, et plongé plus bas que les courants, pour assister, comme un étranger, aux combats des monstres marins ; je me suis écarté du rivage, jusqu’à le perdre de ma vue perçante ; et, les crampes hideuses, avec leur magnétisme paralysant, rôdaient autour de mes membres, qui fendaient les vagues avec des mouvements robustes, sans oser approcher. On m’a vu revenir, sain et sauf, dans la plage, pendant que la peau de ma poitrine était immobile et calme, comme le couvercle d’une tombe ! Une tête à la main, dont je rongeais le crâne, j’ai franchi les marches ascendantes d’une tour élevée. Je suis parvenu, les jambes lasses, sur la plate-forme vertigineuse. J’ai regardé la campagne, la mer ; j’ai regardé le soleil, le firmament ; repoussant du pied le granit qui ne recula pas, j’ai défié la mort et la vengeance divine par une huée suprême, et me suis précipité, comme un pavé, dans la bouche de l’espace. Les hommes entendirent le choc douloureux et retentissant qui résulta de la rencontre du sol avec la tête de la conscience, que j’avais abandonnée dans ma chute. On me vit descendre, avec la lenteur de l’oiseau, porté par un nuage invisible, et ramasser la tête, pour la forcer à être témoin d’un triple crime, que je devais commettre le jour même, pendant que la peau de ma poitrine était immobile et calme, comme le couvercle d’une tombe ! Une tête à la main, dont je rongeais le crâne, je me suis dirigé vers l’endroit où s’élèvent les poteaux qui soutiennent la guillotine. J’ai placé la grâce suave des cous de trois jeunes filles sous le couperet. Exécuteur des hautes-œuvres, je lâchai le cordon avec l’expérience apparente d’une vie entière ; et, le fer triangulaire, s’abattant obliquement, trancha trois têtes qui me regardaient avec douceur. Je mis ensuite la mienne sous le rasoir pesant, et le bourreau prépara l’accomplissement de son devoir. Trois fois, le couperet redescendit entre les rainures avec une nouvelle vigueur ; trois fois, ma carcasse matérielle, surtout au siège du cou, fut remuée jusqu’en ses fondements, comme lorsqu’on se figure en rêve être écrasé par une maison qui s’effondre. Le peuple stupéfait me laissa passer, pour m’écarter de la place funèbre ; il m’a vu ouvrir avec mes coudes ses flots ondulatoires, et me remuer, plein de vie, avançant devant moi, la tête droite, pendant que la peau de ma poitrine était immobile et calme, comme le couvercle d’une tombe ! J’avais dit que je voulais défendre l’homme, cette fois ; mais, je crains que mon apologie ne soit pas l’expression de la vérité ; et, par conséquent, je préfère me taire. C’est avec reconnaissance que l’humanité applaudira à cette mesure !

Il est temps de serrer les freins à mon inspiration, et de m’arrêter, un instant, en route, comme quand on regarde le vagin d’une femme ; il est bon d’examiner la carrière parcourue, et de s’élancer, ensuite, les membres reposés, d’un bond impétueux. Fournir une traite d’une seule haleine n’est pas facile ; et les ailes se fatiguent beaucoup, dans un vol élevé, sans espérance et sans remords. Non… ne conduisons pas plus profondément la meute hagarde des pioches et des fouilles, à travers les mines explosibles de ce chant impie ! Le crocodile ne changera pas un mot au vomissement sorti de dessous son crâne. Tant pis, si quelque ombre furtive, excitée par le but louable de venger l’humanité, injustement attaquée par moi, ouvre subrepticement la porte de ma chambre, en frôlant la muraille comme l’aile d’un goëland, et enfonce un poignard, dans les côtes du pilleur d’épaves célestes ! Autant vaut que l’argile dissolve ses atomes, de cette manière que d’une autre.

CHANT TROISIÈME

Rappelons les noms de ces êtres imaginaires, à la nature d’ange, que ma plume, pendant le deuxième chant, a tirés d’un cerveau, brillant d’une lueur émanée d’eux-mêmes. Ils meurent, dès leur naissance, comme ces étincelles dont l’œil a de la peine à suivre l’effacement rapide, sur du papier brûlé. Léman !… Lohengrin !… Lombano !… Holzer !… un instant, vous apparûtes, recouverts des insignes de la jeunesse, à mon horizon charmé ; mais, je vous ai laissés retomber dans le chaos, comme des cloches de plongeur. Vous n’en sortirez plus. Il me suffit que j’aie gardé votre souvenir ; vous devez céder la place à d’autres substances, peut-être moins belles, qu’enfantera le débordement orageux d’un amour qui a résolu de ne pas apaiser sa soif auprès de la race humaine. Amour affamé, qui se dévorerait lui-même, s’il ne cherchait sa nourriture dans des fictions célestes : créant, à la longue, une pyramide de séraphins, plus nombreux que les insectes qui fourmillent dans une goutte d’eau, il les entrelacera dans une ellipse qu’il fera tourbillonner autour de lui. Pendant ce temps, le voyageur, arrêté contre l’aspect d’une cataracte, s’il relève le visage, verra, dans le lointain, un être humain, emporté vers la cave de l’enfer par une guirlande de camélias vivants ! Mais… silence ! l’image flottante du cinquième idéal se dessine lentement, comme les replis indécis d’une aurore boréale, sur le plan vaporeux de mon intelligence, et prend de plus en plus une consistance déterminée…

Mario et moi nous longions la grève. Nos chevaux, le cou tendu, fendaient les membranes de l’espace, et arrachaient des étincelles aux galets de la plage. La bise, qui nous frappait en plein visage, s’engouffrait dans nos manteaux, et faisait voltiger en arrière les cheveux de nos têtes jumelles. La mouette, par ses cris et ses mouvements d’aile, s’efforçait en vain de nous avertir de la proximité possible de la tempête, et s’écriait : « Où s’en vont-ils, de ce galop insensé ? » Nous ne disions rien ; plongés dans la rêverie, nous nous laissions emporter sur les ailes de cette course furieuse ; le pêcheur, nous voyant passer, rapides comme l’albatros, et croyant apercevoir, fuyant devant lui, les deux frères mystérieux, comme on les avait ainsi appelés, parce qu’ils étaient toujours ensemble, s’empressait de faire le signe de la croix, et se cachait, avec son chien paralysé, sous quelque roche profonde. Les habitants de la côte avaient entendu raconter des choses étranges sur ces deux personnages, qui apparaissaient sur la terre, au milieu des nuages, aux grandes époques de calamité, quand une guerre affreuse menaçait de planter son harpon sur la poitrine de deux pays ennemis, ou que le choléra s’apprêtait à lancer, avec sa fronde, la pourriture et la mort dans des cités entières. Les plus vieux pilleurs d’épaves fronçaient le sourcil, d’un air grave, affirmant que les deux fantômes, dont chacun avait remarqué la vaste envergure des ailes noires, pendant les ouragans, au-dessus des bancs de sable et des écueils, étaient le génie de la terre et le génie de la mer, qui promenaient leur majesté, au milieu des airs, pendant les grandes révolutions de la nature, unis ensemble par une amitié éternelle, dont la rareté et la gloire ont enfanté l’étonnement du câble indéfini des générations. On disait que, volant côte à côte comme deux condors des Andes, ils aimaient à planer, en cercles concentriques, parmi les couches d’atmosphères qui avoisinent le soleil ; qu’ils se nourrissaient, dans ces parages, des plus pures essences de la lumière ; mais, qu’ils ne se décidaient qu’avec peine à rabattre l’inclinaison de leur vol vertical, vers l’orbite épouvanté où tourne le globe humain en délire, habité par des esprits cruels qui se massacrent entre eux dans les champs où rugit la bataille (quand ils ne se tuent pas perfidement, en secret, dans le centre des villes, avec le poignard de la haine ou de l’ambition), et qui se nourrissent d’êtres pleins de vie comme eux et placés quelques degrés plus bas dans l’échelle des existences. Ou bien, quand ils prenaient la ferme résolution, afin d’exciter les hommes au repentir par les strophes de leurs prophéties, de nager, en se dirigeant à grandes brassées, vers les régions sidérales où une planète se mouvait au milieu des exhalaisons épaisses d’avarice, d’orgueil, d’imprécation et de ricanement qui se dégageaient, comme des vapeurs pestilentielles, de sa surface hideuse et paraissait petite comme une boule, étant presque invisible, à cause de la distance, ils ne manquaient pas de trouver des occasions où ils se repentaient amèrement de leur bienveillance, méconnue et conspuée, et allaient se cacher au fond des volcans, pour converser avec le feu vivace qui bouillonne dans les cuves des souterrains centraux, ou au fond de la mer, pour reposer agréablement leur vue désillusionnée sur les monstres les plus féroces de l’abîme, qui leur paraissaient des modèles de douceur, en comparaison des bâtards de l’humanité. La nuit venue, avec son obscurité propice, ils s’élançaient des cratères, à la crête de porphyre, des courants sous-marins et laissaient, bien loin derrière eux, le pot de chambre rocailleux où se démène l’anus constipé des kakatoès humains, jusqu’à ce qu’ils ne pussent plus distinguer la silhouette suspendue de la planète immonde. Alors, chagrinés de leur tentative infructueuse, au milieu des étoiles qui compatissaient à leur douleur et sous l’œil de Dieu, s’embrassaient, en pleurant, l’ange de la terre et l’ange de la mer !…

Mario et celui qui galopait auprès de lui n’ignoraient pas les bruits vagues et superstitieux que racontaient, dans les veillées, les pêcheurs de la côte, en chuchotant autour de l’âtre, portes et fenêtres fermées ; pendant que le vent de la nuit, qui désire se réchauffer, fait entendre ses sifflements autour de la cabanne de paille, et ébranle, par sa vigueur, ces frêles murailles, entourées à la base de fragments de coquillage, apportés par les replis mourants des vagues. Nous ne parlions pas. Que se disent deux cœurs qui s’aiment ? Rien. Mais nos yeux exprimaient tout. Je l’avertis de serrer davantage son manteau autour de lui, et lui me fait observer que mon cheval s’éloigne trop du sien : chacun prend autant d’intérêt à la vie de l’autre qu’à sa propre vie ; nous ne rions pas. Il s’efforce de me sourire ; mais, j’aperçois que son visage porte le poids des terribles impressions qu’y a gravées la réflexion, constamment penchée sur les sphynx qui déroutent, avec un œil oblique, les grandes angoisses de l’intelligence des mortels. Voyant ses manœuvres inutiles, il détourne les yeux, mord son frein terrestre avec la bave de la rage, et regarde l’horizon, qui s’enfuit à notre approche. À mon tour, je m’efforce de lui rappeler sa jeunesse dorée, qui ne demande qu’à s’avancer dans les palais des plaisirs, comme une reine ; mais, il remarque que mes paroles sortent difficilement de ma bouche amaigrie, et que les années de mon propre printemps ont passé, tristes et glaciales, comme un rêve implacable qui promène, sur les tables des banquets, et sur les lits de satin, où sommeille la pâle prêtresse d’amour, payée avec les miroitements de l’or, les voluptés amères du désenchantement, les rides pestilentielles de la vieillesse, les effarements de la solitude et les flambeaux de la douleur. Voyant mes manœuvres inutiles, je ne m’étonne pas de ne pas pouvoir le rendre heureux ; le Tout-Puissant m’apparaît revêtu de ses instruments de torture, dans toute l’auréole resplendissante de son horreur ; je détourne les yeux et regarde l’horizon qui s’enfuit à notre approche… Nos chevaux galopaient le long du rivage, comme s’ils fuyaient l’œil humain… Mario est plus jeune que moi ; l’humidité du temps et l’écume salée qui rejaillit jusqu’à nous amènent le contact du froid sur ses lèvres. Je lui dis : « Prends garde !… prends garde !… ferme tes lèvres, les unes contre les autres ; ne vois-tu pas les griffes aiguës de la gerçure, qui sillonne ta peau de blessures cuisantes ? » Il fixe mon front, et me répliqua, avec les mouvements de sa langue : « Oui, je les vois, ces griffes vertes ; mais, je ne dérangerai pas la situation naturelle de ma bouche pour les faire fuir. Regarde, si je mens. Puisqu’il paraît que c’est la volonté de la Providence, je veux m’y conformer. Sa volonté aurait pu être meilleure. » Et moi, je m’écriai : « J’admire cette vengeance noble. » Je voulus m’arracher les cheveux ; mais, il me le défendit avec un regard sévère, et je lui obéis avec respect. Il se faisait tard, et l’aigle regagnait son nid, creusé dans les anfractuosités de la roche. Il me dit : « Je vais te prêter mon manteau, pour te garantir du froid ; je n’en ai pas besoin. » Je lui répliquai : « Malheur à toi, si tu fais ce que tu dis. Je ne veux pas qu’un autre souffre à ma place, et surtout toi. » Il ne répondit pas, parce que j’avais raison ; mais, moi, je me mis à le consoler, à cause de l’accent trop impétueux de mes paroles… Nos chevaux galopaient le long du rivage, comme s’ils fuyaient l’œil humain… Je relevai la tête, comme la proue d’un vaisseau soulevée par une vague énorme, et je lui dis : « Est-ce que tu pleures ? Je te le demande, roi des neiges et des brouillards. Je ne vois pas des larmes sur ton visage, beau comme la fleur du cactus, et tes paupières sont sèches, comme le lit du torrent ; mais, je distingue, au fond de tes yeux, une cuve, pleine de sang, où bout ton innocence, mordue au cou par un scorpion de la grande espèce. Un vent violent s’abat sur le feu qui réchauffe la chaudière, et en répand les flammes obscures jusqu’en dehors de ton orbite sacré. J’ai approché mes cheveux de ton front rosé, et j’ai senti une odeur de roussi, parce qu’ils se brûlèrent. Ferme tes yeux ; car, sinon, ton visage, calciné comme la lave du volcan, tombera en cendres sur le creux de ma main. » Et, lui, se retournait vers moi, sans faire attention aux rênes qu’il tenait dans la main, et me contemplait avec attendrissement, tandis que lentement il baissait et relevait ses paupières de lis, comme le flux et le reflux de la mer. Il voulut bien répondre à ma question audacieuse, et voici comme il le fit : « Ne fais pas attention à moi. De même que les vapeurs des fleuves rampent le long des flancs de la colline, et, une fois arrivées au sommet, s’élancent dans l’atmosphère, en formant des nuages ; de même, tes inquiétudes sur mon compte se sont insensiblement accrues, sans motif raisonnable, et forment au-dessus de ton imagination, le corps trompeur d’un mirage désolé. Je t’assure qu’il n’y a pas de feu dans mes yeux, quoique j’y ressente la même impression que si mon crâne était plongé dans un casque de charbons ardents. Comment veux-tu que les chairs de mon innocence bouillent dans la cuve, puisque je n’entends que des cris très faibles et confus, qui, pour moi, ne sont que les gémissements du vent qui passe au-dessus de nos têtes. Il est impossible qu’un scorpion ait fixé sa résidence et ses pinces aiguës au fond de mon orbite haché ; je crois plutôt que ce sont des tenailles vigoureuses qui broient les nerfs optiques. Cependant, je suis d’avis, avec toi, que le sang, qui remplit la cuve, a été extrait de mes veines par un bourreau invisible, pendant le sommeil de la dernière nuit. Je t’ai attendu longtemps, fils aimé de l’océan ; et mes bras assoupis ont engagé un vain combat avec Celui qui s’était introduit dans le vestibule de ma maison… Oui, je sens que mon âme est cadenacée dans le verroux de mon corps, et qu’elle ne peut se dégager, pour fuir loin des rivages que frappe la mer humaine, et n’être plus témoin du spectacle de la meute livide des malheurs, poursuivant sans relâche, à travers les fondrières et les gouffres de l’abattement immense, les isards humains. Mais, je ne me plaindrai pas. J’ai reçu la vie comme une blessure, et j’ai défendu au suicide de guérir la cicatrice. Je veux que le Créateur en contemple, à chaque heure de son éternité, la crevasse béante. C’est le châtiment que je lui inflige. Nos coursiers ralentissent la vitesse de leurs pieds d’airain ; leurs corps tremble, comme le chasseur surpris par un troupeau de peccaris. Il ne faut pas qu’ils se mettent à écouter ce que nous disons. À force d’attention, leur intelligence grandirait, et ils pourraient peut-être nous comprendre. Malheur à eux ; car, ils souffriraient davantage ! En effet, ne pense qu’aux marcassins de l’humanité : le degré d’intelligence qui les sépare des autres êtres de la création ne semble-t-il pas ne leur être accordé qu’au prix irremédiable de souffrances incalculables ? Imite mon exemple, et que ton éperon d’argent s’enfonce dans les flancs de ton coursier… » Nos chevaux galopaient le long du rivage, comme s’ils fuyaient l’œil humain.

Voici la folle qui passe en dansant, tandis qu’elle se rappelle vaguement quelque chose. Les enfants la poursuivent à coups de pierre, comme si c’était un merle. Elle brandit un bâton et fait mine de les poursuivre, puis reprend sa course. Elle a laissé un soulier en chemin, et ne s’en aperçoit pas. De longues pattes d’araignée circulent sur sa nuque ; ce ne sont autre chose que ses cheveux. Son visage ne ressemble plus au visage humain, et elle lance des éclats de rire comme l’hyène. Elle laisse échapper des lambeaux de phrases dans lesquels, en les recousant, très-peu trouveraient une signification claire. Sa robe, percée en plus d’un endroit, exécute des mouvements saccadés autour de ses jambes osseuses et pleines de boue. Elle va devant soi, comme la feuille du peuplier, emportée, elle, sa jeunesse, ses illusions et son bonheur passé, qu’elle revoit à travers les brumes d’une intelligence détruite, par le tourbillon des facultés inconscientes. Elle a perdu sa grâce et sa beauté primitives ; sa démarche est ignoble, et son haleine respire l’eau-de-vie. Si les hommes étaient heureux sur cette terre, c’est alors qu’il faudrait s’étonner. La folle ne fait aucun reproche, elle est trop fière pour se plaindre, et mourra, sans avoir révélé son secret à ceux qui s’intéressent à elle, mais auxquels elle a défendu de ne jamais lui adresser la parole. Les enfants la poursuivent, à coups de pierre, comme si c’était un merle. Elle a laissé tomber de son sein un rouleau de papier. Un inconnu le ramasse, s’enferme chez lui toute la nuit, et lit le manuscrit, qui contenait ce qui suit : « Après bien des années stériles, la Providence m’envoya une fille. Pendant trois jours, je m’agenouillai dans les églises, et ne cessai de remercier le grand nom de Celui qui avait enfin exaucé mes vœux. Je nourrissais de mon propre lait celle qui était plus que ma vie, et que je voyais grandir rapidement, douée de toutes les qualités de l’âme et du corps. Elle me disait : « Je voudrais avoir une petite sœur pour m’amuser avec elle ; recommande au bon Dieu de m’en envoyer une ; et, pour le récompenser, j’entrelacerai, pour lui, une guirlande de violettes, de menthes et de géraniums. » Pour toute réponse, je l’enlevais sur mon sein et l’embrassais avec amour. Elle savait déjà s’intéresser aux animaux, et me demandait pourquoi l’hirondelle se contente de raser de l’aile les chaumières humaines, sans oser y rentrer. Mais, moi, je mettais un doigt sur ma bouche, comme pour lui dire de garder le silence sur cette grave question, dont je ne voulais pas encore lui faire comprendre les éléments, afin de ne pas frapper, par une sensation excessive, son imagination enfantine ; et, je m’empressais de détourner la conversation de ce sujet, pénible à traiter pour tout être appartenant à la race qui a étendu une domination injuste sur les autres animaux de la création. Quand elle me parlait des tombes du cimetière, en me disant qu’on respirait dans cette atmosphère les agréables parfums des cyprès et des immortelles, je me gardais de la contredire ; mais, je lui disais que c’était la ville des oiseaux, que, là, ils chantaient depuis l’aurore jusqu’au crépuscule du soir, et que les tombes étaient leurs nids, où ils couchaient la nuit avec leur famille, en soulevant le marbre. Tous les mignons vêtements qui la couvraient, c’est moi qui les avais cousus, ainsi que les dentelles, aux mille arabesques, que je réservais pour le dimanche. L’hiver, elle avait sa place légitime autour de la grande cheminée ; car elle se croyait une personne sérieuse, et, pendant l’été, la prairie reconnaissait la suave pression de ses pas, quand elle s’aventurait, avec son filet de soie, attaché au bout d’un jonc, après les colibris, pleins d’indépendance, et les papillons, aux zigzags agaçants. « Que fais-tu, petite vagabonde, quand la soupe t’attend depuis une heure, avec la cuillère qui s’impatiente ? » Mais, elle s’écriait, en me sautant au cou, qu’elle n’y reviendrait plus. Le lendemain, elle s’échappait de nouveau, à travers les marguerites et les résédas ; parmi les rayons du soleil et le vol tournoyant des insectes éphémères ; ne connaissant que la coupe prismatique de la vie, pas encore le fiel ; heureuse d’être plus grande que la mésange ; se moquant de la fauvette, qui ne chante pas si bien que le rossignol ; tirant sournoisement la langue au vilain corbeau, qui la regardait paternellement ; et gracieuse comme un jeune chat. Je ne devais pas longtemps jouir de sa présence ; le temps s’approchait, où elle devait, d’une manière inattendue, faire ses adieux aux enchantements de la vie, abandonnant pour toujours la compagnie des tourterelles, des gelinottes et des verdiers, les babillements de la tulipe et de l’anémone, les conseils des herbes du marécage, l’esprit incisif des grenouilles, et la fraîcheur des ruisseaux. On me raconta ce qui s’était passé ; car, moi, je ne fus pas présente à l’événement qui eut pour conséquence la mort de ma fille. Si je l’avais été, j’aurais défendu cet ange au prix de mon sang… Maldoror passait avec son bouledogue ; il voit une jeune fille qui dort à l’ombre d’un platane, et il la prit d’abord pour une rose. On ne peut dire qui s’éleva le plus tôt dans son esprit, ou la vue de cette enfant, ou la résolution qui en fut la suite. Il se déshabille rapidement, comme un homme qui sait ce qu’il va faire. Nu comme une pierre, il s’est jeté sur le corps de la jeune fille, et lui a levé la robe pour commettre un attentat à la pudeur… à la clarté du soleil ! Il ne se gênera pas, allez !… N’insistons pas sur cette action impure. L’esprit mécontent, il se rhabille avec précipitation, jette un regard de prudence sur la route poudreuse, où personne ne chemine, et ordonne au bouledogue d’étrangler avec le mouvement de ses mâchoires, la jeune fille ensanglantée. Il indique au chien de la montagne la place où respire et hurle la victime souffrante, et se retire à l’écart, pour ne pas être témoin de la rentrée des dents pointues dans les veines roses. L’accomplissement de cet ordre put paraître sévère au bouledogue. Il crut qu’on lui demanda ce qui avait été déjà fait, et se contenta, ce loup, au muffle monstrueux, de violer à son tour la virginité de cette enfant délicate. De son ventre déchiré, le sang coule de nouveau le long de ses jambes, à travers la prairie. Ses gémissements se joignent aux pleurs de l’animal. La jeune fille lui présente la croix d’or qui ornait son cou, afin qu’il l’épargne ; elle n’avait pas osé le présenter aux yeux farouches de celui qui, d’abord, avait eu la pensée de profiter de la faiblesse de son âge. Mais le chien n’ignorait pas que, s’il désobéissait à son maître, un couteau lancé de dessous une manche, ouvrirait brusquement ses entrailles, sans crier gare. Maldoror (comme ce nom répugne à prononcer !) entendait les agonies de la douleur, et s’étonnait que la victime eût la vie si dure, pour ne pas être encore morte. Il s’approche de l’autel sacrificatoire, et voit la conduite de son bouledogue, livré à de bas penchants, et qui élevait sa tête au-dessus de la jeune fille, comme un naufragé élève la sienne, au-dessus des vagues en courroux. Il lui donne un coup de pied et lui fend un œil. Le bouledogue, en colère, s’enfuit dans la campagne, entraînant après lui, pendant un espace de route qui est toujours trop long, pour si court qu’il fût, le corps de la jeune fille suspendue, qui n’a été dégagé que grâce aux mouvements saccadés de la fuite ; mais, il craint d’attaquer son maître, qui ne le reverra plus. Celui-ci tire de sa poche un canif américain, composé de dix à douze lames qui servent à divers usages. Il ouvre les pattes anguleuses de cet hydre d’acier ; et, muni d’un pareil scalpel, voyant que le gazon n’avait pas encore disparu sous la couleur de tant de sang versé, s’apprête, sans pâlir, à fouiller courageusement le vagin de la malheureuse enfant. De ce trou élargi, il retire successivement les organes intérieurs ; les boyaux, les poumons, le foie et enfin le cœur lui-même sont arrachés de leurs fondements et entraînés à la lumière du jour, par l’ouverture épouvantable. Le sacrificateur s’aperçoit que la jeune fille, poulet vidé, est morte depuis longtemps ; il cesse la persévérance croissante de ses ravages, et laisse le cadavre redormir à l’ombre du platane. On ramassa le canif, abandonné à quelques pas. Un berger, témoin du crime, dont on n’avait pas découvert l’auteur, ne le raconta que longtemps après, quand il se fut assuré que le criminel avait gagné en sûreté les frontières, et qu’il n’avait plus à redouter la vengeance certaine proférée contre lui, en cas de révélation. Je plaignis l’insensé qui avait commis ce forfait, que le législateur n’avait pas prévu, et qui n’avait pas eu de précédents. Je le plaignis, parce qu’il est probable qu’il n’avait pas gardé l’usage de la raison, quand il mania le poignard à la lame quatre fois triple, labourant de fond en comble, les parois des viscères. Je le plaignis, parce que, s’il n’était pas fou, sa conduite honteuse devait couver une haine bien grande contre ses semblables, pour s’acharner ainsi sur les chairs et les artères d’un enfant inoffensif, qui fut ma fille. J’assistai à l’enterrement de ces décombres humains, avec une résignation muette ; et chaque jour je viens prier sur une tombe. » À la fin de cette lecture, l’inconnu ne peut plus garder ses forces, et s’évanouit. Il reprend ses sens, et brûle le manuscrit. Il avait oublié ce souvenir de sa jeunesse (l’habitude émousse la mémoire !) ; et après vingt ans d’absence, il revenait dans ce pays fatal. Il n’achètera pas de bouledogue !… Il ne conversera pas avec les bergers !… Il n’ira pas dormir à l’ombre des platanes !… Les enfants la poursuivent à coups de pierre, comme si c’était un merle.

Tremdall a touché la main pour la dernière fois, à celui qui s’absente volontairement, toujours fuyant devant lui, toujours l’image de l’homme le poursuivant. Le juif errant se dit que, si le sceptre de la terre appartenait à la race des crocodiles, il ne fuirait pas ainsi. Tremdall, debout sur la vallée, a mis une main devant ses yeux, pour concentrer les rayons solaires, et rendre sa vue plus perçante, tandis que l’autre palpe le sein de l’espace, avec le bras horizontal et immobile. Penché en avant, statue de l’amitié, il regarde avec des yeux, mystérieux comme la mer, grimper, sur la pente de la côte, les guêtres du voyageur, aidé de son bâton ferré. La terre semble manquer à ses pieds, et quand même il le voudrait, il ne pourrait retenir ses larmes et ses sentiments :

« Il est loin ; je vois sa silhouette cheminer sur un étroit sentier. Où s’en va-t-il, de ce pas pesant ? Il ne le sait lui-même… Cependant, je suis persuadé que je ne dors pas : qu’est-ce qui s’approche, et va à la rencontre de Maldoror ? Comme il est grand, le dragon… plus qu’un chêne ! On dirait que ses ailes blanchâtres, nouées par de fortes attaches, ont des nerfs d’acier, tant elles fendent l’air avec aisance. Son corps commence par un buste de tigre, et se termine par une longue queue de serpent. Je n’étais pas habitué à voir ces choses. Qu’a-t-il donc sur le front ? J’y vois écrit, dans une langue symbolique, un mot que je ne puis déchiffrer. D’un dernier coup d’aile, il s’est transporté auprès de celui dont je connais le timbre de voix. Il lui a dit : « Je t’attendais, et toi aussi. L’heure est arrivée ; me voilà. Lis, sur mon front, mon nom écrit en signes hiéroglyphiques. » Mais lui, à peine a-t-il vu venir l’ennemi, s’est changé en aigle immense, et se prépare au combat, en faisant claquer de contentement son bec recourbé, voulant dire par là qu’il se charge, à lui seul, de manger la partie postérieure du dragon. Les voilà qui tracent des cercles dont la concentricité diminue, espionnant leurs moyens réciproques, avant de combattre ; ils font bien. Le dragon me paraît plus fort ; je voudrais qu’il remportât la victoire sur l’aigle. Je vais éprouver de grandes émotions, à ce spectacle où une partie de mon être est engagée. Puissant dragon, je t’exciterai de mes cris, s’il est nécessaire ; car, il est de l’intérêt de l’aigle qu’il soit vaincu. Qu’attendent-ils pour s’attaquer ? Je suis dans des transes mortelles. Voyons, dragon, commence, toi, le premier, l’attaque. Tu viens de lui donner un coup de griffe sec : ce n’est pas trop mal. Je t’assure que l’aigle l’aura senti ; le vent emporte la beauté de ses plumes, tâchées de sang. Ah ! l’aigle t’arrache un œil avec son bec, et, toi, tu ne lui avais arraché que la peau ; il fallait faire attention à cela. Bravo, prends ta revanche, et casse-lui une aile ; il n’y a pas à dire, tes dents de tigre sont très bonnes. Si tu pouvais approcher de l’aigle, pendant qu’il tournoie dans l’espace, lancé en bas vers la campagne ! Je le remarque, cet aigle t’inspire de la retenue, même quand il tombe. Il est par terre, il ne pourra pas se relever. L’aspect de toutes ces blessures béantes m’enivre. Vole à fleur de terre autour de lui, et, avec les coups de ta queue écaillée de serpent, achève-le, si tu peux. Courage, beau dragon ; enfonce-lui tes griffes vigoureuses, et que le sang se mêle au sang, pour former des ruisseaux où il n’y ait pas d’eau. C’est facile à dire, mais non à faire. L’aigle vient de combiner un nouveau plan stratégique de défense, occasionné par les chances malencontreuses de cette lutte mémorable ; il est prudent. Il s’est assis solidement, dans une position inébranlable, sur l’aile restante, sur ses deux cuisses, et sur sa queue, qui lui servait auparavant de gouvernail. Il défie des efforts plus extraordinaires que ceux qu’on lui a opposés jusqu’ici. Tantôt, il tourne aussi vite que le tigre, et n’a pas l’air de se fatiguer ; tantôt, il se couche sur le dos, avec ses deux fortes pattes en l’air, et, avec sang-froid, regarde ironiquement son adversaire. Il faudra, à bout de compte, que je sache qui sera le vainqueur ; le combat ne peut pas s’éterniser. Je songe aux conséquences qu’il en résultera ! L’aigle est terrible, et fait des sauts énormes qui ébranlent la terre, comme s’il allait prendre son vol ; cependant, il sait que cela lui est impossible. Le dragon ne s’y fie pas ; il croit qu’à chaque instant l’aigle va l’attaquer par le côté où il manque d’œil… Malheureux que je suis ! C’est ce qui arrive. Comment le dragon s’est laissé prendre à la poitrine ? Il a beau user de la ruse et de la force ; je m’aperçois que l’aigle, collé à lui par tous ses membres, comme une sangsue, enfonce de plus en plus son bec, malgré de nouvelles blessures qu’il reçoit, jusqu’à la racine du cou, dans le ventre du dragon. On ne lui voit que le corps. Il paraît être à l’aise ; il ne se presse pas d’en sortir. Il cherche sans doute quelque chose, tandis que le dragon, à la tête de tigre, pousse des beuglements qui réveillent les forêts. Voilà l’aigle, qui sort de cette caverne. Aigle, comme tu es horrible ! Tu es plus rouge qu’une mare de sang ! Quoique tu tiennes dans ton bec nerveux un cœur palpitant, tu es si couvert de blessures, que tu peux à peine te soutenir sur tes pattes emplumées ; et que tu chancelles, sans desserrer le bec, à côté du dragon qui meurt dans d’effroyables agonies. La victoire a été difficile ; n’importe, tu l’as remportée : il faut, au moins, dire la vérité… Tu agis d’après les règles de la raison, en te dépouillant de la forme d’aigle, pendant que tu t’éloignes du cadavre du dragon. Ainsi donc, Maldoror, tu as été vainqueur ! Ainsi donc, Maldoror, tu as vaincu l’Espérance ! Désormais, le désespoir se nourrira de ta substance la plus pure ! Désormais, tu rentres, à pas délibérés, dans la carrière du mal ! Malgré que je sois, pour ainsi dire, blasé sur la souffrance, le dernier coup que tu as porté au dragon n’a pas manqué de se faire sentir en moi. Juge toi-même si je souffre ! Mais tu me fais peur. Voyez, voyez, dans le lointain, cet homme qui s’enfuit. Sur lui, terre excellente, la malédiction a poussé son feuillage touffu ; il est maudit et il maudit. Où portes-tu tes sandales ? Où t’en vas-tu, hésitant comme un somnambule, au-dessus d’un toit ? Que ta destinée perverse s’accomplisse ! Maldoror, adieu ! Adieu, jusqu’à l’éternité, où nous ne nous retrouverons pas ensemble ! »

C’était une journée de printemps. Les oiseaux répandaient leurs cantiques en gazouillements, et les humains, rendus à leurs différents devoirs, se baignaient dans la sainteté de la fatigue. Tout travaillait à sa destinée : les arbres, les planètes, les squales. Tout, excepté le Créateur ! Il était étendu sur la route, les habits déchirés. Sa lèvre inférieure pendait comme un câble somnifère ; ses dents n’étaient pas lavées, et la poussière se mêlait aux ondes blondes de ses cheveux. Engourdi par un assoupissement pesant, broyé contre les cailloux, son corps faisait des efforts inutiles pour se relever. Ses forces l’avaient abandonné, et il gisait, là, faible comme le ver de terre, impassible comme l’écorce. Des flots de vin remplissaient les ornières, creusées par les soubresauts nerveux de ses épaules. L’abrutissement, au groin de porc, le couvrait de ses ailes protectrices, et lui jetait un regard amoureux. Ses jambes, aux muscles détendus, balayaient le sol, comme deux mâts aveugles. Le sang coulait de ses narines : dans sa chute, sa figure avait frappé contre un poteau… Il était soûl ! Horriblement soûl ! Soûl comme une punaise qui a mâché pendant la nuit trois tonneaux de sang ! Il remplissait l’écho de paroles incohérentes, que je me garderai de répéter ici ; si l’ivrogne suprême ne se respecte pas, moi, je dois respecter les hommes. Saviez-vous que le Créateur… se soûlât ! Pitié pour cette lèvre, souillée dans les coupes de l’orgie ! Le hérisson, qui passait, lui enfonça ses pointes dans le dos, et dit : « Ça, pour toi. Le soleil est à la moitié de sa course : travaille, fainéant, et ne mange pas le pain des autres. Attends un peu, et tu vas voir, si j’appelle le kakatoès, au bec crochu. » Le pivert et la chouette, qui passaient, lui enfoncèrent le bec entier dans le ventre, et dirent : « Ça, pour toi. Que viens-tu faire sur cette terre ? Est-ce pour offrir cette lugubre comédie aux animaux ? Mais, ni la taupe, ni le casoar, ni le flammant ne t’imiteront, je te le jure. » L’âne, qui passait, lui donna un coup de pied sur la tempe, et dit : « Ça, pour toi. Que t’avais-je fait pour me donner des oreilles si longues ? Il n’y a pas jusqu’au grillon qui ne me méprise. » Le crapaud, qui passait, lança un jet de bave sur son front, et dit : « Ça, pour toi. Si tu ne m’avais fait l’œil si gros, et que je t’eusse aperçu dans l’état où je te vois, j’aurais chastement caché la beauté de tes membres sous une pluie de renoncules, de myosotis et de camélias, afin que nul ne te vît. » Le lion, qui passait, inclina sa face royale, et dit : « Pour moi, je le respecte, quoique sa splendeur nous paraisse pour le moment éclipsée. Vous autres, qui faites les orgueilleux, et n’êtes que des lâches, puisque vous l’avez attaqué quand il dormait, seriez-vous contents, si, mis à sa place, vous supportiez, de la part des passants, les injures que vous ne lui avez pas épargnées. » L’homme, qui passait, s’arrêta devant le Créateur méconnu ; et, aux applaudissements du morpion et de la vipère, fienta, pendant trois jours, sur son visage auguste ! Malheur à l’homme, à cause de cette injure ; car, il n’a pas respecté l’ennemi, étendu dans le mélange de boue, de sang et de vin ; sans défense, et presque inanimé !… Alors, le Dieu souverain, réveillé, enfin, par toutes ces insultes mesquines, se releva comme il put ; en chancelant, alla s’asseoir sur une pierre, les bras pendants, comme les deux testicules du poitrinaire ; et jeta un regard vitreux, sans flamme, sur la nature entière, qui lui appartenait. Ô humains, vous êtes les enfants terribles ; mais, je vous en supplie, épargnons cette grande existence, qui n’a pas encore fini de cuver la liqueur immonde, et, n’ayant pas conservé assez de force pour se tenir droite, est retombée, lourdement, sur cette roche, où elle s’est assise, comme un voyageur. Faites attention à ce mendiant qui passe ; il a vu que le derviche tendait un bras affamé, et, sans savoir à qui il faisait l’aumône, il a jeté un morceau de pain dans cette main qui implore la miséricorde. Le Créateur lui a exprimé sa reconnaissance par un mouvement de tête. Oh ! vous ne saurez jamais comme de tenir constamment les rênes de l’univers devient une chose difficile ! Le sang monte quelquefois à la tête, quand on s’applique à tirer du néant une dernière comète, avec une nouvelle race d’esprits. L’intelligence, trop remuée de fond en comble, se retire comme un vaincu, et peut tomber, une fois dans la vie, dans les égarements dont vous avez été témoins !

Une lanterne rouge, drapeau du vice, suspendue à l’extrémité d’une tringle, balançait sa carcasse au fouet des quatre vents, au-dessus d’une porte massive et vermoulue. Un corridor sale, qui sentait la cuisse humaine, donnait sur un préau, où cherchaient leur pâture des coqs et des poules, plus maigres que leurs ailes. Sur la muraille qui servait d’enceinte au préau, et située du côté de l’ouest, étaient parcimonieusement pratiquées diverses ouvertures, fermées par un guichet grillé. La mousse recouvrait ce corps de logis, qui, sans doute, avait été un couvent et servait, à l’heure actuelle, avec le reste du bâtiment, comme demeure de toutes ces femmes qui montraient chaque jour, à ceux qui entraient, l’intérieur de leur vagin, en échange d’un peu d’or. J’étais sur un pont, dont les piles plongeaient dans l’eau fangeuse d’un fossé de ceinture. De sa surface élevée, je contemplais dans la campagne cette construction penchée sur sa vieillesse et les moindres détails de son architecture intérieure. Quelquefois, la grille d’un guichet s’élevait sur elle-même en grinçant, comme par l’impulsion ascendante d’une main qui violentait la nature du fer : un homme présentait sa tête à l’ouverture dégagée à moitié, avançait ses épaules, sur lesquelles tombait le plâtre écaillé, faisait suivre, dans cette extraction laborieuse, son corps couvert de toiles d’araignées. Mettant ses mains, ainsi qu’une couronne, sur les immondices de toutes sortes qui pressaient le sol de leur poids, tandis qu’il avait encore la jambe engagée dans les torsions de la grille, il reprenait ainsi sa posture naturelle, allait tremper ses mains dans un baquet boiteux, dont l’eau savonnée avait vu s’élever, tomber des générations entières, et s’éloignait ensuite, le plus vite possible, de ces ruelles faubouriennes, pour aller respirer l’air pur vers le centre de la ville. Lorsque le client était sorti, une femme toute nue se portait au dehors, de la même manière, et se dirigeait vers le même baquet. Alors, les coqs et les poules accouraient en foule des divers points du préau, attirés par l’odeur séminale, la renversaient par terre, malgré ses efforts vigoureux, trépignaient la surface de son corps comme un fumier et déchiquetaient, à coups de bec, jusqu’à ce qu’il sortît du sang, les lèvres flasques de son vagin gonflé. Les poules et les coqs, avec leur gosier rassasié, retournaient gratter l’herbe du préau ; la femme, devenue propre, se relevait, tremblante, couverte de blessures, comme lorsqu’on s’éveille après un cauchemar. Elle laissait tomber le torchon qu’elle avait apporté pour essuyer ses jambes ; n’ayant plus besoin du baquet commun, elle retournait dans sa tanière, comme elle en était sortie, pour attendre une autre pratique. À ce spectacle, moi, aussi, je voulus pénétrer dans cette maison ! J’allai descendre du pont, quand je vis, sur l’entablement d’un pilier, cette inscription, en caractères hébreux : « Vous, qui passez sur ce pont, n’y allez pas. Le crime y séjourne avec le vice ; un jour, ses amis attendirent en vain un jeune homme qui avait franchi la porte fatale. » La curiosité l’emporta sur la crainte ; au bout de quelques instants, j’arrivai devant un guichet, dont la grille possédait de solides barreaux, qui s’entre-croisaient étroitement. Je voulus regarder dans l’intérieur, à travers ce tamis épais. D’abord, je ne pus rien voir ; mais, je ne tardai pas à distinguer les objets qui étaient dans la chambre obscure, grâce aux rayons du soleil qui diminuait sa lumière et allait bientôt disparaître à l’horizon. La première et la seule chose qui frappa ma vue fut un bâton blond, composé de cornets, s’enfonçant les uns dans les autres. Ce bâton se mouvait ! Il marchait dans la chambre ! Ses secousses étaient si fortes, que le plancher chancelait ; avec ses deux bouts, il faisait des brèches énormes dans la muraille et paraissait un bélier qu’on ébranle contre la porte d’une ville assiégée. Ses efforts étaient inutiles ; les murs étaient construits avec de la pierre de taille, et, quand il choquait la paroi, je le voyais se recourber en lame d’acier et rebondir comme une balle élastique. Ce bâton n’était donc pas fait en bois ! Je remarquai, ensuite, qu’il se roulait et se déroulait avec facilité comme une anguille. Quoique haut comme un homme, il ne se tenait pas droit. Quelquefois, il l’essayait, et montrait un de ses bouts, devant le grillage du guichet. Il faisait des bonds impétueux, retombait à terre et ne pouvait défoncer l’obstacle. Je me mis à le regarder de plus en plus attentivement et je vis que c’était un cheveu ! Après une grande lutte, avec la matière qui l’entourait comme une prison, il alla s’appuyer contre le lit qui était dans cette chambre, la racine reposant sur un tapis et la pointe adossée au chevet. Après quelques instants de silence, pendant lesquels j’entendis des sanglots entrecoupés, il éleva la voix et parla ainsi :

« Mon maître m’a oublié dans cette chambre ; il ne vient pas me chercher. Il s’est levé de ce lit, où je suis appuyé, il a peigné sa chevelure parfumée et n’a pas songé qu’auparavant j’étais tombé à terre. Cependant, s’il m’avait ramassé, je n’aurais pas trouvé étonnant cet acte de simple justice. Il m’abandonne, dans cette chambre claquemurée, après s’être enveloppé dans les bras d’une femme. Et quelle femme ! Les draps sont encore moites de leur contact attiédi et portent, dans leur désordre, l’empreinte d’une nuit passée dans l’amour… » Et je me demandais qui pouvait être son maître ! Et mon œil se recollait à la grille avec plus d’énergie !… « Pendant que la nature entière sommeillait dans sa chasteté, lui, il s’est accouplé avec une femme dégradée, dans des embrassements lascifs et impurs. Il s’est abaissé jusqu’à laisser approcher, de sa face auguste, des joues méprisables par leur impudence habituelle, flétries dans leur séve. Il ne rougissait pas, mais, moi, je rougissais pour lui. Il est certain qu’il se sentait heureux de dormir avec une telle épouse d’une nuit. La femme, étonnée de l’aspect majestueux de cet hôte, semblait éprouver des voluptés incomparables, lui embrassait le cou avec frénésie. » Et je me demandais qui pouvait être son maître ! Et mon œil se recollait à la grille avec plus d’énergie !… « Moi, pendant ce temps, je sentais des pustules envenimées qui croissaient plus nombreuses, en raison de son ardeur inaccoutumée pour les jouissances de la chair, entourer ma racine de leur fiel mortel, absorber, avec leurs ventouses, la substance génératrice de ma vie. Plus ils s’oubliaient, dans leurs mouvements insensés, plus je sentais mes forces décroître. Au moment où les désirs corporels atteignaient au paroxysme de la fureur, je m’aperçus que ma racine s’affaissait sur elle-même, comme un soldat blessé par une balle. Le flambeau de la vie s’étant éteint en moi, je me détachai, de sa tête illustre, comme une branche morte ; je tombai à terre, sans courage, sans force, sans vitalité ; mais, avec une profonde pitié pour celui auquel j’appartenais ; mais, avec une éternelle douleur pour son égarement volontaire !… » Et je me demandais qui pouvait être son maître ! Et mon œil se recollait à la grille avec plus d’énergie !… « S’il avait, au moins, entouré de son âme le sein innocent d’une vierge. Elle aurait été plus digne de lui et la dégradation aurait été moins grande. Il embrasse, avec ses lèvres, ce front couvert de boue, sur lequel les hommes ont marché avec le talon, plein de poussière !… Il aspire, avec des narines effrontées, les émanations de ces deux aisselles humides !… J’ai vu la membrane des dernières se contracter de honte, pendant que, de leur côté, les narines se refusaient à cette respiration infâme. Mais lui, ni elle, ne faisaient aucune attention aux avertissements solennels des aisselles, à la répulsion morne et blême des narines. Elle levait davantage ses bras, et lui, avec une poussée plus forte, enfonçait son visage dans leur creux. J’étais obligé d’être le complice de cette profanation. J’étais obligé d’être le spectateur de ce déhanchement inouï ; d’assister à l’alliage forcé de ces deux êtres, dont un abîme incommensurable séparait les natures diverses» Et je me demandais qui pouvait être son maître ! Et mon œil se recollait à la grille avec plus d’énergie !… « Quand il fut rassasié de respirer cette femme, il voulut lui arracher ses muscles un par un ; mais, comme c’était une femme, il lui pardonna et préféra faire souffrir un être de son sexe. Il appela, dans la cellule voisine, un jeune homme qui était venu dans cette maison pour passer quelques moments d’insouciance avec une de ces femmes, et lui enjoignit de venir se placer à un pas de ses yeux. Il y avait longtemps que je gisais sur le sol. N’ayant pas la force de me lever sur ma racine brûlante, je ne pus voir ce qu’ils firent. Ce que je sais, c’est qu’à peine le jeune homme fut à portée de sa main, que des lambeaux de chair tombèrent aux pieds du lit et vinrent se placer à mes côtés. Ils me racontaient tout bas que les griffes de mon maître les avaient détachés des épaules de l’adolescent. Celui-ci, au bout de quelques heures, pendant lesquelles il avait lutté contre une force plus grande, se leva du lit et se retira majestueusement. Il était littéralement écorché des pieds jusqu’à la tête ; il traînait, à travers les dalles de la chambre, sa peau retournée. Il se disait que son caractère était plein de bonté ; qu’il aimait à croire ses semblables bons aussi ; que pour cela il avait acquiescé au souhait de l’étranger distingué qui l’avait appelé auprès de lui ; mais que, jamais, au grand jamais, il ne se serait attendu à être torturé par un bourreau. Par un pareil bourreau, ajoutait-il après une pause. Enfin, il se dirigea vers le guichet, qui se fendit avec pitié jusqu’au nivellement du sol, en présence de ce corps dépourvu d’épiderme. Sans abandonner sa peau, qui pouvait encore lui servir, ne serait-ce que comme manteau, il essaya de disparaître de ce coupe-gorge ; une fois éloigné de la chambre, je ne pus voir s’il avait eu la force de regagner la porte de sortie. Oh ! comme les poules et les coqs s’éloignaient avec respect, malgré leur faim, de cette longue traînée de sang, sur la terre imbibée ! » Et je me demandais qui pouvait être son maître ! Et mes yeux se recollaient à la grille avec plus d’énergie !… « Alors, celui qui aurait dû penser davantage à sa dignité et à sa justice, se releva, péniblement, sur son coude fatigué. Seul, sombre, dégoûté et hideux !… Il s’habilla lentement. Les nonnes, ensevelies depuis des siècles dans les catacombes du couvent, après avoir été réveillées en sursaut par les bruits de cette nuit horrible, qui s’entre-choquaient entre eux dans une cellule située au-dessus des caveaux, se prirent par la main, et vinrent former une ronde funèbre autour de lui. Pendant qu’il recherchait les décombres de son ancienne splendeur ; qu’il lavait ses mains avec du crachat en les essuyant ensuite sur ses cheveux (il valait mieux les laver avec du crachat, que de ne pas les laver du tout, après le temps d’une nuit entière passée dans le vice et le crime), elles entonnèrent les prières lamentables pour les morts, quand quelqu’un est descendu dans la tombe. En effet, le jeune homme ne devait pas survivre à ce supplice, exercé sur lui par une main divine, et ses agonies se terminèrent pendant les chants des nonnes… » Je me rappelai l’inscription du pilier ; je compris ce qu’était devenu le rêveur pubère que ses amis attendaient encore chaque jour depuis le moment de sa disparition… Et je me demandais qui pouvait être son maître ! Et mes yeux se recollaient à la grille avec plus d’énergie !… « Les murailles s’écartèrent pour le laisser passer ; les nonnes, le voyant prendre son essor, dans les airs, avec des ailes qu’il avait cachées jusque-là dans sa robe d’émeraude, se replacèrent en silence dessous le couvercle de la tombe. Il est parti dans sa demeure céleste, en me laissant ici ; cela n’est pas juste. Les autres cheveux sont restés sur sa tête ; et, moi, je gis, dans cette chambre lugubre, sur le parquet couvert de sang caillé, de lambeaux de viande sèche ; cette chambre est devenue damnée, depuis qu’il s’y est introduit ; personne n’y entre ; cependant, j’y suis enfermé. C’en est donc fait ! Je ne verrai plus les légions des anges marcher en phalanges épaisses, ni les astres se promener dans les jardins de l’harmonie. Eh bien, soit… je saurai supporter mon malheur avec résignation. Mais, je ne manquerai pas de dire aux hommes ce qui s’est passé dans cette cellule. Je leur donnerai la permission de rejeter leur dignité, comme un vêtement inutile, puisqu’ils ont l’exemple de mon maître ; je leur conseillerai de sucer la verge du crime, puisqu’un autre l’a déjà fait… » Le cheveu se tut… Et je me demandais qui pouvait être son maître ! Et mes yeux se recollaient à la grille avec plus d’énergie !… Aussitôt le tonnerre éclata ; une lueur phosphorique pénétra dans la chambre. Je reculai, malgré moi, par je ne sais quel instinct d’avertissement ; quoique je fusse éloigné du guichet, j’entendis une autre voix, mais, celle-ci rampante et douce, de crainte de se faire entendre : « Ne fais pas de pareils bonds ! Tais-toi… tais-toi… si quelqu’un t’entendait ! je te replacerai parmi les autres cheveux ; mais, laisse d’abord le soleil se coucher à l’horizon, afin que la nuit couvre tes pas… je ne t’ai pas oublié ; mais, on t’aurait vu sortir, et j’aurais été compromis. Oh ! si tu savais comme j’ai souffert depuis ce moment ! Revenu au ciel, mes archanges m’ont entouré avec curiosité ; ils n’ont pas voulu me demander le motif de mon absence. Eux, qui n’avaient jamais osé élever leur vue sur moi, jetaient, s’efforçant de deviner l’énigme, des regards stupéfaits sur ma face abattue, quoiqu’ils n’aperçussent pas le fond de ce mystère, et se communiquaient tout bas des pensées qui redoutaient en moi quelque changement inaccoutumé. Ils pleuraient des larmes silencieuses ; ils sentaient vaguement que je n’étais plus le même, devenu inférieur à mon identité. Ils auraient voulu connaître quelle funeste résolution m’avait fait franchir les frontières du ciel, pour venir m’abattre sur la terre, et goûter des voluptés éphémères, qu’eux-mêmes méprisent profondément. Ils remarquèrent sur mon front une goutte de sperme, une goutte de sang. La première avait jailli des cuisses de la courtisane ! La deuxième s’était élancée des veines du martyr ! Stygmates odieux ! Rosaces inébranlables ! Mes archanges ont retrouvé, pendus aux halliers de l’espace, les débris flamboyants de ma tunique d’opale, qui flottaient sur les peuples béants. Ils n’ont pas pu la reconstruire, et mon corps reste nu devant leur innocence ; châtiment mémorable de la vertu abandonnée. Vois les sillons qui se sont tracé un lit sur mes joues décolorées : c’est la goutte de sperme et la goutte de sang, qui filtrent lentement le long de mes rides sèches. Arrivées à la lèvre supérieure, elles font un effort immense, et pénètrent dans le sanctuaire de ma bouche, attirées, comme un aimant, par le gosier irrésistible. Elles m’étouffent, ces deux gouttes implacables. Moi, jusqu’ici, je m’étais cru le Tout-Puissant ; mais, non ; je dois abaisser le cou devant le remords qui me crie : « Tu n’es qu’un misérable ! » Ne fais pas de pareils bonds ! Tais-toi… tais-toi… si quelqu’un t’entendait ! je te replacerai parmi les autres cheveux ; mais, laisse d’abord le soleil se coucher à l’horizon, afin que la nuit couvre tes pas… J’ai vu Satan, le grand ennemi, redresser les enchevêtrements osseux de la charpente, au-dessus de son engourdissement de larve, et, debout, triomphant, sublime, haranguer ses troupes rassemblées ; comme je le mérite, me tourner en dérision. Il a dit qu’il s’étonnait beaucoup que son orgueilleux rival, pris en flagrant délit par le succès, enfin réalisé, d’un espionnage perpétuel, pût ainsi s’abaisser jusqu’à baiser la robe de la débauche humaine, par un voyage de long cours à travers les récifs de l’éther, et faire périr, dans les souffrances, un membre de l’humanité. Il a dit que ce jeune homme, broyé dans l’engrenage de mes supplices raffinés, aurait peut-être pu devenir une intelligence de génie ; consoler les hommes, sur cette terre, par des chants admirables de poésie, de courage, contre les coups de l’infortune. Il a dit que les nonnes du couvent-lupanar ne retrouvent plus leur sommeil ; rôdent dans le préau, gesticulant comme des automates, écrasant avec le pied les renoncules et les lilas ; devenues folles d’indignation, mais, non assez, pour ne pas se rappeler la cause qui engendra cette maladie, dans leur cerveau… (Les voici qui s’avancent, revêtues de leur linceul blanc ; elle ne se parlent pas ; elle se tiennent par la main. Leurs cheveux tombent en désordre sur leurs épaules nues ; un bouquet de fleurs noires est penché sur leur sein. Nonnes, retournez dans vos caveaux ; la nuit n’est pas encore complètement arrivée ; ce n’est que le crépuscule du soir… Ô cheveu, tu le vois toi-même ; de tous les côtés, je suis assailli par le sentiment déchaîné de ma dépravation !) Il a dit que le Créateur, qui se vante d’être la Providence de tout ce qui existe, s’est conduit avec beaucoup de légèreté, pour ne pas dire plus, en offrant un pareil spectacle aux mondes étoilés ; car, il a affirmé clairement le dessein qu’il avait d’aller rapporter dans les planètes orbiculaires comment je maintiens, par mon propre exemple, la vertu et la bonté dans la vastitude de mes royaumes. Il a dit que la grande estime, qu’il avait pour un ennemi si noble, s’était envolée de son imagination, et qu’il préférait porter la main sur le sein d’une jeune fille, quoique cela soit un acte de méchanceté exécrable, que de cracher sur ma figure, recouverte de trois couches de sang et de sperme mêlés, afin de ne pas salir son crachat baveux. Il a dit qu’il se croyait, à juste titre, supérieur à moi, non par le vice, mais par la vertu et la pudeur ; non par le crime, mais par la justice. Il a dit qu’il fallait m’attacher à une claie, à cause de mes fautes innombrables ; me faire brûler à petit feu dans un brasier ardent, pour me jeter ensuite dans la mer, si toutefois la mer voudrait me recevoir. Que puisque je me vantais d’être juste, moi, qui l’avais condamné aux peines éternelles pour une révolte légère qui n’avait pas eu de suites graves, je devais donc faire justice sévère sur moi-même, et juger impartialement ma conscience, chargée d’iniquités… Ne fais pas de pareils bonds ! Tais-toi… tais-toi… si quelqu’un t’entendait ! je te replacerai parmi les autres cheveux ; mais, laisse d’abord le soleil se coucher à l’horizon, afin que la nuit couvre tes pas. » Il s’arrêta un instant ; quoique je ne le visse point, je compris, par ce temps d’arrêt nécessaire, que la houle de l’émotion soulevait sa poitrine, comme un cyclone giratoire soulève une famille de baleines. Poitrine divine, souillée, un jour, par l’amer contact des têtons d’une femme sans pudeur ! Âme royale, livrée, dans un moment d’oubli, au crabe de la débauche, au poulpe de la faiblesse de caractère, au requin de l’abjection individuelle, au boa de la morale absente, et au colimaçon monstrueux de l’idiotisme ! Le cheveu et son maître s’embrassèrent étroitement, comme deux amis qui se revoient après une longue absence. Le Créateur continua, accusé reparaissant devant son propre tribunal : Et les hommes, que penseront-ils de moi, dont ils avaient une opinion si élevée, quand ils apprendront les errements de ma conduite, la marche hésitante de ma sandale, dans les labyrinthes boueux de la matière, et la direction de ma route ténébreuse à travers les eaux stagnantes et les humides joncs de la mare où, recouvert de brouillards, bleuit et mugit le crime, à la patte sombre !… Je m’aperçois qu’il faut que je travaille beaucoup à ma réhabilitation, dans l’avenir, afin de reconquérir leur estime. Je suis le Grand-Tout ; et cependant, par un côté, je reste inférieur aux hommes, que j’ai créés avec un peu de sable ! Raconte-leur un mensonge audacieux, et dis-leur que je ne suis jamais sorti du ciel, constamment enfermé, avec les soucis du trône, entre les marbres, les statues et les mosaïques de mes palais. Je me suis présenté devant les célestes fils de l’humanité ; je leur ai dit : « Chassez le mal de vos chaumières, et laissez entrer au foyer le manteau du bien. Celui-ci qui portera la main sur un de ses semblables, en lui faisant au sein une blessure mortelle, avec le fer homicide, qu’il n’espère point les effets de ma miséricorde, et qu’il redoute les balances de la justice. Il ira cacher sa tristesse dans les bois ; mais, le bruissement des feuilles, à travers les clairières, chantera à ses oreilles la ballade du remords ; et il s’enfuira de ces parages, piqué à la hanche par le buisson, le houx et le chardon bleu, ses pas rapides entrelacés par la souplesse des lianes et les morsures des scorpions. Il se dirigera vers les galets de la plage ; mais, la marée montante, avec ses embruns et son approche dangereuse, lui raconteront qu’ils n’ignorent pas son passé ; et il précipitera sa course aveugle vers le couronnement de la falaise, tandis que les vents stridents d’équinoxe, en s’enfonçant dans les grottes naturelles du golfe et les carrières pratiquées sous la muraille des rochers retentissants, beugleront comme les troupeaux immenses des buffles des pampas. Les phares de la côte le poursuivront, jusqu’aux limites du septentrion, de leurs reflets sarcastiques, et les feux follets des maremmes, simples vapeurs en combustion, dans leurs danses fantastiques, feront frissonner les poils de ses pores, et verdir l’iris de ses yeux. Que la pudeur se plaise dans vos cabanes, et soit en sûreté à l’ombre de vos champs. C’est ainsi que vos fils deviendront beaux, et s’inclineront devant leurs parents avec reconnaissance ; sinon, malingres, et rabougris comme le parchemin des bibliothèques, ils s’avanceront à grands pas, conduits par la révolte, contre le jour de leur naissance et le clitoris de leur mère impure. » Comment les hommes voudront-ils obéir à ces lois sévères, si le législateur lui-même se refuse le premier à s’y astreindre ?… Et ma honte est immense comme l’éternité ! » J’entendis le cheveu qui lui pardonnait, avec humilité, sa séquestration, puisque son maître avait agi par prudence et non par légèreté ; et le pâle dernier rayon de soleil qui éclairait mes paupières se retira des ravins de la montagne. Tourné vers lui, je le vis se replier ainsi qu’un linceul… Ne fais pas de pareils bonds ! Tais-toi… tais-toi… si quelqu’un t’entendait ! Il te replacera parmi les autres cheveux. Et, maintenant que le soleil est couché à l’horizon, vieillard cynique et cheveu doux, rampez, tous les deux, vers l’éloignement du lupanar, pendant que la nuit, étendant son ombre sur le couvent, couvre l’allongement de vos pas furtifs dans la plaine… Alors, le pou, sortant subitement de derrière un promontoire, me dit, en hérissant ses griffes : « Que penses-tu de cela ? » Mais, moi, je ne voulus pas lui répliquer. Je me retirai, et j’arrivai sur le pont. J’effaçai l’inscription primordiale, je la remplaçai par celle-ci : « Il est douloureux de garder, comme un poignard, un tel secret dans son cœur ; mais, je jure de ne jamais révéler ce dont j’ai été témoin, quand je pénétrai, pour la première fois, dans ce donjon terrible. » Je jetai, par dessus le parapet, le canif qui m’avait servi à graver les lettres ; et, faisant quelques rapides réflexions sur le caractère du Créateur en enfance, qui devait encore, hélas ! pendant bien de temps, faire souffrir l’humanité (l’éternité est longue), soit par les cruautés exercées, soit par le spectacle ignoble des chancres qu’occasionne un grand vice, je fermai les yeux, comme un homme ivre, à la pensée d’avoir un tel être pour ennemi, et je repris, avec tristesse, mon chemin, à travers les dédales des rues.

CHANT QUATRIÈME

C’est un homme ou une pierre ou un arbre qui va commencer le quatrième chant. Quand le pied glisse sur une grenouille, l’on sent une sensation de dégoût ; mais, quand on effleure, à peine, le corps humain, avec la main, la peau des doigts se fend, comme les écailles d’un bloc de mica qu’on brise à coups de marteau ; et, de même que le cœur d’un requin, mort depuis une heure, palpite encore, sur le pont, avec une vitalité tenace, ainsi nos entrailles se remuent de fond en comble, longtemps après l’attouchement. Tant l’homme inspire de l’horreur à son propre semblable ! Peut-être que, lorsque j’avance cela, je me trompe ; mais, peut-être qu’aussi je dis vrai. Je connais, je conçois une maladie plus terrible que les yeux gonflés par les longues méditations sur le caractère étrange de l’homme : mais, je la cherche encor… et je n’ai pas pu la trouver ! Je ne me crois pas moins intelligent qu’un autre, et, cependant, qui oserait affirmer que j’ai réussi dans mes investigations ? Quel mensonge sortirait de sa bouche ! Le temple antique de Denderah est situé à une heure et demie de la rive gauche du Nil. Aujourd’hui, des phalanges innombrables de guêpes se sont emparées des rigoles et des corniches. Elles voltigent autour des colonnes, comme les ondes épaisses d’une chevelure noire. Seuls habitants du froid portique, ils gardent l’entrée des vestibules, comme un droit héréditaire. Je compare le bourdonnement de leurs ailes métalliques, au choc incessant des glaçons, précipités les uns contre les autres, pendant la débâcle des mers polaires. Mais, si je considère la conduite de celui auquel la providence donna le trône sur cette terre, les trois ailerons de ma douleur font entendre un plus grand murmure ! Quand une comète, pendant la nuit, apparaît subitement dans une région du ciel, après quatre vingts ans d’absence, elle montre aux habitants terrestres et aux grillons sa queue brillante et vaporeuse. Sans doute, elle n’a pas conscience de ce long voyage ; il n’en est pas ainsi de moi : accoudé sur le chevet de mon lit, pendant que les dentelures d’un horizon aride et morne s’élèvent en vigueur sur le fond de mon âme, je m’absorbe dans les rêves de la compassion et je rougis pour l’homme ! Coupé en deux par la bise, le matelot, après avoir fait son quart de nuit, s’empresse de regagner son hamac : pourquoi cette consolation ne m’est-elle pas offerte ? L’idée que je suis tombé, volontairement, aussi bas que mes semblables, et que j’ai le droit moins qu’un autre de prononcer des plaintes, sur notre sort, qui reste enchaîné à la croûte durcie d’une planète, et sur l’essence de notre âme perverse, me pénètre comme un clou de forge. On a vu des explosions de feu grisou anéantir des familles entières ; mais, elles connurent l’agonie peu de temps, parce que la mort est presque subite, au milieu des décombres et des gaz délétères : moi… j’existe toujours comme le basalte ! Au milieu, comme au commencement de la vie, les anges se ressemblent à eux-mêmes : n’y a-t-il pas longtemps que je ne me ressemble plus ! L’homme et moi, claquemurés dans les limites de notre intelligence, comme souvent un lac dans une ceinture d’îles de corail, au lieu d’unir nos forces respectives pour nous défendre contre le hasard et l’infortune, nous nous écartons, avec le tremblement de la haine, en prenant deux routes opposées, comme si nous nous étions réciproquement blessés avec la pointe d’une dague ! On dirait que l’un comprend le mépris qu’il inspire à l’autre ; poussés par le mobile d’une dignité relative, nous nous empressons de ne pas induire en erreur notre adversaire ; chacun reste de son côté et n’ignore pas que la paix proclamée serait impossible à conserver. Eh bien, soit ! que ma guerre contre l’homme s’éternise, puisque chacun reconnaît dans l’autre sa propre dégradation… puisque les deux sont ennemis mortels. Que je doive remporter une victoire désastreuse ou succomber, le combat sera beau : moi, seul, contre l’humanité. Je ne me servirai pas d’armes construites avec le bois ou le fer ; je repousserai du pied les couches de minéraux extraites de la terre : la sonorité puissante et séraphique de la harpe deviendra, sous mes doigts, un talisman redoutable. Dans plus d’une embuscade, l’homme, ce singe sublime, a déjà percé ma poitrine de sa lance de porphyre : un soldat ne montre pas ses blessures, pour si glorieuses qu’elles soient. Cette guerre terrible jettera la douleur dans les deux partis : deux amis qui cherchent obstinément à se détruire, quel drame !

Deux piliers, qu’il n’était pas difficile et encore moins impossible de prendre pour des baobabs, s’apercevaient dans la vallée, plus grands que deux épingles. En effet, c’étaient deux tours énormes. Et, quoique deux baobabs, au premier coup d’œil, ne ressemblent pas à deux épingles, ni même à deux tours, cependant, en employant habilement les ficelles de la prudence, on peut affirmer, sans crainte d’avoir tort (car, si cette affirmation était accompagnée d’une seule parcelle de crainte, ce ne serait plus une affirmation ; quoiqu’un même nom exprime ces deux phénomènes de l’âme qui présentent des caractères assez tranchés pour ne pas être confondus légèrement) qu’un baobab ne diffère pas tellement d’un pilier, que la comparaison soit défendue entre ces formes architecturales… ou géométriques… ou l’une et l’autre… ou ni l’une ni l’autre… ou plutôt formes élevées et massives. Je viens de trouver, je n’ai pas la prétention de dire le contraire, les épithètes propres aux substantifs pilier et baobab : que l’on sache bien que ce n’est pas, sans une joie mêlée d’orgueil, que j’en fais la remarque à ceux qui, après avoir relevé leurs paupières, ont pris la très-louable résolution de parcourir ces pages, pendant que la bougie brûle, si c’est la nuit, pendant que le soleil éclaire, si c’est le jour. Et encore, quand même une puissance supérieure nous ordonnerait, dans les termes le plus clairement précis, de rejeter, dans les abîmes du chaos, la comparaison judicieuse que chacun a certainement pu savourer avec impunité, même alors, et surtout alors, que l’on ne perde pas de vue cet axiome principal, les habitudes contractées par les ans, les livres, le contact de ses semblables, et le caractère inhérent à chacun, qui se développe dans une efflorescence rapide, imposeraient, à l’esprit humain, l’irréparable stigmate de la récidive, dans l’emploi criminel (criminel, en se plaçant momentanément et spontanément au point de vue de la puissance supérieure) d’une figure de rhétorique que plusieurs méprisent, mais que beaucoup encensent. Si le lecteur trouve cette phrase trop longue, qu’il accepte mes excuses ; mais, qu’il ne s’attende pas de ma part à des bassesses. Je puis avouer mes fautes ; mais, non, les rendre plus graves par ma lâcheté. Mes raisonnements se choqueront quelquefois contre les grelots de la folie et l’apparence sérieuse de ce qui n’est en somme que grotesque (quoique, d’après certains philosophes, il soit assez difficile de distinguer le bouffon du mélancolique, la vie elle-même étant un drame comique ou une comédie dramatique) ; cependant, il est permis à chacun de tuer des mouches et même des rhinocéros, afin de se reposer de temps en temps d’un travail trop escarpé. Pour tuer des mouches, voici la manière la plus expéditive, quoique ce ne soit pas la meilleure : on les écrase entre les deux premiers doigts de la main. La plupart des écrivains qui ont traité ce sujet à fond ont calculé, avec beaucoup de vraisemblance, qu’il est préférable, dans plusieurs cas, de leur couper la tête. Si quelqu’un me reproche de parler d’épingles, comme d’un sujet radicalement frivole, qu’il remarque, sans parti pris, que les plus grands effets ont été souvent produits par les plus petites causes. Et, pour ne pas m’éloigner davantage du cadre de cette feuille de papier, ne voit-on pas que le laborieux morceau de littérature que je suis à composer, depuis le commencement de cette strophe, serait peut-être moins goûté, s’il prenait son point d’appui dans une question épineuse de chimie ou de pathologie interne ? Au reste, tous les goûts sont dans la nature ; et, quand au commencement j’ai comparé les piliers aux épingles avec tant de justesse (certes, je ne croyais pas qu’on viendrait, un jour, me le reprocher), je me suis basé sur les lois de l’optique, qui ont établi que, plus le rayon visuel est éloigné d’un objet, plus l’image se reflète à diminution dans la rétine.

C’est ainsi que ce que l’inclination de notre esprit à la farce prend pour un misérable coup d’esprit, n’est, la plupart du temps, dans la pensée de l’auteur, qu’une vérité importante, proclamée avec majesté ! Oh ! ce philosophe insensé qui éclata de rire, en voyant un âne manger une figue ! Je n’invente rien : les livres antiques ont raconté, avec les plus amples détails, ce volontaire et honteux dépouillement de la noblesse humaine. Moi, je ne sais pas rire. Je n’ai jamais pu rire, quoique plusieurs fois j’aie essayé de le faire. C’est très difficile d’apprendre à rire. Ou, plutôt, je crois qu’un sentiment de répugnance à cette monstruosité forme une marque essentielle de mon caractère. Eh bien, j’ai été témoin de quelque chose de plus fort : j’ai vu une figue manger un âne ! Et, cependant, je n’ai pas ri ; franchement, aucune partie buccale n’a remué. Le besoin de pleurer s’empara de moi si fortement, que mes yeux laissèrent tomber une larme. « Nature ! nature ! m’écriai-je en sanglotant, l’épervier déchire le moineau, la figue mange l’âne et le ténia dévore l’homme ! » Sans prendre la résolution d’aller plus loin, je me demande en moi-même si j’ai parlé de la manière dont on tue les mouches. Oui, n’est-ce pas ? Il n’en est pas moins vrai que je n’avais pas parlé de la destruction des rhinocéros ! Si certains amis me prétendaient le contraire, je ne les écouterais pas, et je me rappellerais que la louange et la flatterie sont deux grandes pierres d’achoppement. Cependant, afin de contenter ma conscience autant que possible, je ne puis m’empêcher de faire remarquer que cette dissertation sur le rhinocéros m’entraînerait hors des frontières de la patience et du sang-froid, et, de son côté, découragerait probablement (ayons, même, la hardiesse de dire certainement) les générations présentes. N’avoir pas parlé du rhinocéros après la mouche ! Au moins, pour excuse passable, aurai-je dû mentionner avec promptitude (et je ne l’ai pas fait !) cette omission non préméditée, qui n’étonnera pas ceux qui ont étudié à fond les contradictions réelles et inexplicables qui habitent les lobes du cerveau humain. Rien n’est indigne pour une intelligence grande et simple : le moindre phénomène de la nature, s’il y a mystère en lui, deviendra, pour le sage, inépuisable matière à réflexion. Si quelqu’un voit un âne manger une figue ou une figue manger un âne (ces deux circonstances ne se présentent pas souvent, à moins que ce ne soit en poésie), soyez certain qu’après avoir réfléchi deux ou trois minutes, pour savoir quelle conduite prendre, il abandonnera le sentier de la vertu et se mettra à rire comme un coq ! Encore, n’est-il pas exactement prouvé que les coqs ouvrent exprès leur bec pour imiter l’homme et faire une grimace tourmentée. J’appelle grimace dans les oiseaux ce qui porte le même nom dans l’humanité ! Le coq ne sort pas de sa nature, moins par incapacité, que par orgueil. Apprenez-leur à lire, ils se révoltent. Ce n’est pas un perroquet, qui s’extasierait ainsi devant sa faiblesse, ignorante et impardonnable ! Oh ! avilissement exécrable ! comme on ressemble à une chèvre quand on rit ! Le calme du front a disparu pour faire place à deux énormes yeux de poissons qui (n’est-ce pas déplorable ?)… qui… qui se mettent à briller comme des phares ! Souvent, il m’arrivera d’énoncer, avec solennité, les propositions les plus bouffonnes… je ne trouve pas que cela devienne un motif péremptoirement suffisant pour élargir la bouche ! Je ne puis m’empêcher de rire, me répondrez-vous ; j’accepte cette explication absurde, mais, alors, que ce soit un rire mélancolique. Riez, mais pleurez en même temps. Si vous ne pouvez pleurer par les yeux, pleurez par la bouche. Est-ce encore impossible, urinez ; mais, j’avertis qu’un liquide quelconque est ici nécessaire, pour atténuer la sécheresse que porte, dans ses flancs, le rire, aux traits fendus en arrière. Quant à moi, je ne me laisserai pas décontenancer par les gloussements cocasses et les beuglements originaux de ceux qui trouvent toujours quelque chose à redire dans un caractère qui ne ressemble pas au leur, parce qu’il est une des innombrables modifications intellectuelles que Dieu, sans sortir d’un type primordial, créa pour gouverner les charpentes osseuses. Jusqu’à nos temps, la poésie fit une route fausse ; s’élevant jusqu’au ciel ou rampant jusqu’à terre, elle a méconnu les principes de son existence, et a été, non sans raison, constamment bafouée par les honnêtes gens. Elle n’a pas été modeste… qualité la plus belle qui doive exister dans un être imparfait ! Moi, je veux montrer mes qualités ; mais, je ne suis pas assez hypocrite pour cacher mes vices ! Le rire, le mal, l’orgueil, la folie, paraîtront, tour à tour, entre la sensibilité et l’amour de la justice, et serviront d’exemple à la stupéfaction humaine : chacun s’y reconnaîtra, non pas tel qu’il devrait être, mais tel qu’il est. Et, peut-être que ce simple idéal, conçu par mon imagination, surpassera, cependant, tout ce que la poésie a trouvé jusqu’ici de plus grandiose et de plus sacré. Car, si je laisse mes vices transpirer dans ces pages, on ne croira que mieux aux vertus que j’y fais resplendir, et, dont je placerai l’auréole si haut, que les plus grands génies de l’avenir témoigneront, pour moi, une sincère reconnaissance. Ainsi, donc, l’hypocrisie sera chassée carrément de ma demeure. Il y aura, dans mes chants, une preuve imposante de puissance, pour mépriser ainsi les opinions reçues. Il chante pour lui seul, et non pas pour ses semblables. Il ne place pas la mesure de son inspiration dans la balance humaine. Libre comme la tempête, il est venu échouer, un jour, sur les plages indomptables de sa terrible volonté ! Il ne craint rien, si ce n’est lui-même ! Dans ses combats surnaturels, il attaquera l’homme et le Créateur, avec avantage, comme quand l’espadon enfonce son épée dans le ventre de la baleine : qu’il soit maudit, par ses enfants et par ma main décharnée, celui qui persiste à ne pas comprendre les kanguroos implacables du rire et les poux audacieux de la caricature !… Deux tours énormes s’apercevaient dans la vallée ; je l’ai dit au commencement. En les multipliant par deux, le produit était quatre… mais je ne distinguai pas très bien la nécessité de cette opération d’arithmétique. Je continuai ma route, avec la fièvre au visage, et je m’écriai sans cesse : « Non… non… je ne distingue pas très bien la nécessité de cette opération d’arithmétique ! » J’avais entendu des craquements de chaînes, et des gémissements douloureux. Que personne ne trouve possible, quand il passera dans cet endroit, de multiplier les tours par deux, afin que le produit soit quatre ! Quelques-uns soupçonnent que j’aime l’humanité comme si j’étais sa propre mère, et que je l’eusse portée, neuf mois, dans mes flancs parfumés ; c’est pourquoi, je ne repasse plus dans la vallée où s’élèvent les deux unités du multiplicande !

Une potence s’élevait sur le sol ; à un mètre de celui-ci, était suspendu par les cheveux un homme, dont les bras étaient attachés par derrière. Ses jambes avaient été laissées libres, pour accroître ses tortures, et lui faire désirer davantage n’importe quoi de contraire à l’enlacement de ses bras. La peau du front était tellement tendue par le poids de la pendaison, que son visage, condamné par la circonstance à l’absence de l’expression naturelle, ressemblait à la concrétion pierreuse d’un stalagtite. Depuis trois jours, il subissait ce supplice. Il s’écriait : « Qui me dénouera les bras ? qui me dénouera les cheveux ? Je me disloque dans des mouvements qui ne font que séparer davantage de ma tête la racine des cheveux ; la soif et la faim ne sont pas les causes principales qui m’empêchent de dormir. Il est impossible que mon existence enfonce son prolongement au delà des bornes d’une heure. Quelqu’un pour m’ouvrir la gorge, avec un caillou acéré ! » Chaque mot était précédé, suivi de hurlements intenses. Je m’élançai du buisson derrière lequel j’étais abrité, et je me dirigeai vers le pantin ou morceau de lard attaché au plafond. Mais, voici que, du côté opposé, arrivèrent en dansant deux femmes ivres. L’une tenait un sac, et deux fouets, aux cordes de plomb, l’autre, un baril plein de goudron et deux pinceaux. Les cheveux grisonnants de la plus vieille flottaient au vent, comme les lambeaux d’une voile déchirée, et les chevilles de l’autre claquaient entre elles, comme les coups de queue d’un thon sur la dunette d’un vaisseau. Leurs yeux brillaient d’une flamme si noire et si forte, que je ne crus pas d’abord que ces deux femmes appartinssent à mon espèce. Elles riaient avec un aplomb tellement égoïste, et leurs traits inspiraient tant de répugnance, que je ne doutai pas un seul instant que je n’eusse devant les yeux les deux spécimens les plus hideux de la race humaine. Je me recachai derrière le buisson, et je me tins tout coi, comme l’acantophorus serraticornis, qui ne montre que la tête en dehors de son nid. Elles approchaient avec la vitesse de la marée ; appliquant l’oreille sur le sol, le son, distinctement perçu, m’apportait l’ébranlement lyrique de leur marche. Lorsque les deux femelles d’orang-outang furent arrivées sous la potence, elles reniflèrent l’air pendant quelques secondes ; elles montrèrent, par leurs gestes saugrenus, la quantité vraiment remarquable de stupéfaction qui résulta de leur expérience, quand elles s’aperçurent que rien n’était changé dans ces lieux : le dénoûment de la mort, conforme à leurs vœux, n’était pas survenu. Elles n’avaient pas daigné lever la tête, pour savoir si la mortadelle était encore à la même place. L’une dit : « Est-ce possible que tu sois encore respirant ? Tu as la vie dure, mon mari bien-aimé. » Comme quand deux chantres, dans une cathédrale, entonnent alternativement les versets d’un psaume, la deuxième répondit : « Tu ne veux donc pas mourir, ô mon gracieux fils ? Dis-moi donc comment tu as fait (sûrement c’est par quelque maléfice) pour épouvanter les vautours ? En effet, ta carcasse est devenue si maigre ! Le zéphyr la balance comme une lanterne. » Chacune prit un pinceau et goudronna le corps du pendu… chacune prit un fouet et leva les bras… J’admirais (il était absolument impossible de ne pas faire comme moi) avec quelle exactitude énergique les lames de métal, au lieu de glisser à la surface, comme quand on se bat contre un nègre et qu’on fait des efforts inutiles, propres au cauchemar, pour l’empoigner aux cheveux, s’appliquaient, grâce au goudron, jusqu’à l’intérieur des chairs, marquées par des sillons aussi creux que l’empêchement des os pouvait raisonnablement le permettre. Je me suis préservé de la tentation de trouver de la volupté dans ce spectacle excessivement curieux, mais moins profondément comique qu’on n’était en droit de l’attendre. Et, cependant, malgré les bonnes résolutions prises d’avance, comment ne pas reconnaître la force de ces femmes, les muscles de leur bras ? Leur adresse, qui consistait à frapper sur les parties les plus sensibles, comme le visage et le bas-ventre, ne sera mentionnée par moi, que si j’aspire à l’ambition de raconter la totale vérité ! À moins que, appliquant mes lèvres, l’une contre l’autre, surtout dans la direction horizontale (mais, chacun n’ignore pas que c’est la manière la plus ordinaire d’engendrer cette pression), je ne préfère garder un silence gonflé de larmes et de mystères, dont la manifestation pénible sera impuissante à cacher, non seulement aussi bien mais encore mieux que mes paroles (car, je ne crois pas me tromper, quoiqu’il ne faille pas certainement nier en principe, sous peine de manquer aux règles les plus élémentaires de l’habileté, les possibilités hypothétiques d’erreur) les résultats funestes occasionnés par la fureur qui met en œuvre les métacarpes secs et les articulations robustes : quand même on ne se mettrait pas au point de vue de l’observateur impartial et du moraliste expérimenté (il est presque assez important que j’apprenne que je n’admets pas, au moins entièrement, cette restriction plus ou moins fallacieuse), le doute, à cet égard, n’aurait pas la faculté d’étendre ses racines ; car, je ne le suppose pas, pour l’instant, entre les mains d’une puissance surnaturelle, et périrait immanquablement, pas subitement peut-être, faute d’une séve remplissant les conditions simultanées de nutrition et d’absence de matières vénéneuses. Il est entendu, sinon ne me lisez pas, que je ne mets en scène que la timide personnalité de mon opinion : loin de moi, cependant, la pensée de renoncer à des droits qui sont incontestables ! Certes, mon intention n’est pas de combattre cette affirmation, où brille le criterium de la certitude, qu’il est un moyen plus simple de s’entendre ; il consisterait, je le traduis avec quelques mots seulements, mais, qui en valent plus de mille, à ne pas discuter : il est plus difficile à mettre en pratique que ne le veut bien penser généralement le commun des mortels. Discuter est le mot grammatical, et beaucoup de personnes trouveront qu’il ne faudrait pas contredire, sans un volumineux dossier de preuves, ce que je viens de coucher sur le papier ; mais, la chose diffère notablement, s’il est permis d’accorder à son propre instinct qu’il emploie une rare sagacité au service de sa circonspection, quand il formule des jugements qui paraîtraient autrement, soyez-en persuadé, d’une hardiesse qui longe les rivages de la fanfaronnade. Pour clore ce petit incident, qui s’est lui-même dépouillé de sa gangue par une légèreté aussi irremédiablement déplorable que fatalement pleine d’intérêt (ce que chacun n’aura pas manqué de vérifier, à la condition qu’il ait ausculté ses souvenirs les plus récents), il est bon, si l’on possède des facultés en équilibre parfait, ou mieux, si la balance de l’idiotisme ne l’emporte pas de beaucoup sur le plateau dans lequel reposent les nobles et magnifiques attributs de la raison, c’est-à-dire, afin d’être plus clair (car, jusqu’ici je n’ai été que concis, ce que même plusieurs n’admettront pas, à cause de mes longueurs, qui ne sont qu’imaginaires, puisqu’elles remplissent leur but, de traquer, avec le scalpel de l’analyse, les fugitives apparitions de la vérité, jusqu’en leurs derniers retranchements), si l’intelligence prédomine suffisamment sur les défauts sous le poids desquels l’ont étouffée en partie l’habitude, la nature et l’éducation, il est bon répété-je pour la deuxième et la dernière fois, car, à force de répéter, on finirait, le plus souvent ce n’est pas faux, par ne plus s’entendre, de revenir la queue basse, (si, même, il est vrai que j’aie une queue) au sujet dramatique cimenté dans cette strophe. Il est utile de boire un verre d’eau, avant d’entreprendre la suite de mon travail. Je préfère en boire deux, plutôt que de m’en passer. Ainsi, dans une chasse contre un nègre marron, à travers la forêt, à un moment convenu, chaque membre de la troupe suspend son fusil aux lianes, et l’on se réunit en commun, à l’ombre d’un massif, pour étancher la soif et apaiser la faim. Mais, la halte ne dure que quelques secondes, la poursuite est reprise avec acharnement et le hallali ne tarde pas à résonner. Et, de même que l’oxygène est reconnaissable à la propriété qu’il possède, sans orgueil, de rallumer une allumette présentant quelques points en ignition, ainsi, l’on reconnaîtra l’accomplissement de mon devoir à l’empressement que je montre à revenir à la question. Lorsque les femelles se virent dans l’impossibilité de retenir le fouet, que la fatigue laissa tomber de leurs mains, elles mirent judicieusement fin au travail gymnastique qu’elles avaient entrepris pendant près de deux heures, et se retirèrent, avec une joie qui n’était pas dépourvue de menaces pour l’avenir. Je me dirigeai vers celui qui m’appelait au secours, avec un œil glacial (car, la perte de son sang était si grande, que la faiblesse l’empêchait de parler, et que mon opinion était, quoique je ne fusse pas médecin, que l’hémorrhagie s’était déclarée au visage et au bas-ventre), et je coupai ses cheveux avec une paire de ciseaux, après avoir dégagé ses bras. Il me raconta que sa mère l’avait, un soir, appelé dans sa chambre, et lui avait ordonné de se déshabiller, pour passer la nuit avec elle dans un lit, et que, sans attendre aucune réponse, la maternité s’était dépouillée de tous ses vêtements, en entre-croisant, devant lui, les gestes les plus impudiques. Qu’alors il s’était retiré. En outre, par ses refus perpétuels, il s’était attiré la colère de sa femme, qui s’était bercée de l’espoir d’une récompense, si elle eût pu réussir à engager son mari à ce qu’il prêtât son corps aux passions de la vieille. Elles résolurent, par un complot, de le suspendre à une potence, préparée d’avance, dans quelque parage non fréquenté, et de le laisser périr insensiblement, exposé à toutes les misères et à tous les dangers. Ce n’était pas sans de très-mûres et de nombreuses réflexions, pleines de difficultés presque insurmontables, qu’elles étaient enfin parvenues à guider leur choix sur le supplice raffiné qui n’avait trouvé la disparition de son terme que dans le secours inespéré de mon intervention. Les marques les plus vives de la reconnaissance soulignaient chaque expression, et ne donnaient pas à ses confidences leur moindre valeur. Je le portai dans la chaumière la plus voisine ; car, il venait de s’évanouir, et je ne quittai les laboureurs que lorsque je leur eus laissé ma bourse, pour donner des soins au blessé, et que je leur eusse fait promettre qu’ils prodigueraient au malheureux, comme à leur propre fils, les marques d’une sympathie persévérante. À mon tour, je leur racontai l’événement, et je m’approchai de la porte, pour remettre le pied sur le sentier ; mais, voilà qu’après avoir fait une centaine de mètres, je revins machinalement sur mes pas, j’entrai de nouveau dans la chaumière, et, m’adressant à leurs propriétaires naïfs, je m’écriai : « Non, non… ne croyez pas que cela m’étonne ! » Cette fois-ci, je m’éloignai définitivement ; mais, la plante des pieds ne pouvait pas se poser d’une manière sûre : un autre aurait pu ne pas s’en apercevoir ! Le loup ne passe plus sous la potence qu’élevèrent, un jour de printemps, les mains entrelacées d’une épouse et d’une mère, comme quand il faisait prendre, à son imagination charmée, le chemin d’un repas illusoire. Quand il voit, à l’horizon, cette chevelure noire, balancée par le vent, il n’encourage pas sa force d’inertie, et prend la fuite avec une vitesse incomparable ! Faut-il voir, dans ce phénomène psychologique, une intelligence supérieure à l’ordinaire instinct des mammifères ? Sans rien certifier et même sans rien prévoir, il me semble que l’animal a compris ce que c’est que le crime ! Comment ne le comprendrait-il pas, quand des êtres humains, eux-mêmes, ont rejeté, jusqu’à ce point indescriptible, l’empire de la raison, pour ne laisser subsister, à la place de cette reine détrônée, qu’une vengeance farouche !

Je suis sale. Les poux me rongent. Les pourceaux, quand ils me regardent, vomissent. Les croûtes et les escarres de la lèpre ont écaillé ma peau, couverte de pus jaunâtre. Je ne connais pas l’eau des fleuves, ni la rosée des nuages. Sur ma nuque, comme sur un fumier, pousse un énorme champignon, aux pédoncules ombellifères. Assis sur un meuble informe, je n’ai pas bougé mes membres depuis quatre siècles. Mes pieds ont pris racine dans le sol et composent, jusqu’à mon ventre, une sorte de végétation vivace, remplie d’ignobles parasites, qui ne dérive pas encore de la plante, et qui n’est plus de la chair. Cependant mon cœur bat. Mais comment battrait-il, si la pourriture et les exhalaisons de mon cadavre (je n’ose pas dire corps) ne le nourrissaient abondamment ? Sous mon aisselle gauche, une famille de crapauds a pris résidence, et, quand l’un d’eux remue, il me fait des chatouilles. Prenez garde qu’il ne s’en échappe un, et ne vienne gratter, avec sa bouche, le dedans de votre oreille : il serait ensuite capable d’entrer dans votre cerveau. Sous mon aisselle droite, il y a un caméléon qui leur fait une chasse perpétuelle, afin de ne pas mourir de faim : il faut que chacun vive. Mais, quand un parti déjoue complètement les ruses de l’autre, ils ne trouvent rien de mieux que de ne pas se gêner, et sucent la graisse délicate qui couvre mes côtes : j’y suis habitué. Une vipère méchante a dévoré ma verge et a pris sa place : elle m’a rendu eunuque, cette infâme. Oh ! si j’avais pu me défendre avec mes bras paralysés ; mais, je crois plutôt qu’ils se sont changés en bûches. Quoi qu’il en soit, il importe de constater que le sang ne vient plus y promener sa rougeur. Deux petits hérissons, qui ne croissent plus, ont jeté à un chien, qui n’a pas refusé, l’intérieur de mes testicules : l’épiderme, soigneusement lavé, ils ont logé dedans. L’anus a été intercepté par un crabe ; encouragé par mon inertie, il garde l’entrée avec ses pinces, et me fait beaucoup de mal ! Deux méduses ont franchi les mers, immédiatement alléchées par un espoir qui ne fut pas trompé. Elles ont regardé avec attention les deux parties charnues qui forment le derrière humain, et, se cramponnant à leur galbe convexe, elles les ont tellement écrasées par une pression constante, que les deux morceaux de chair ont disparu, tandis qu’il est resté deux monstres, sortis du royaume de la viscosité, égaux par la couleur, la forme et la férocité. Ne parlez pas de ma colonne vertébrale, puisque c’est un glaive. Oui, oui… je n’y faisais pas attention… votre demande est juste. Vous désirez savoir, n’est-ce pas, comment il se trouve implanté verticalement dans mes reins ? Moi-même, je ne me le rappelle pas très clairement ; cependant, si je me décide à prendre pour un souvenir ce qui n’est peut-être qu’un rêve, sachez que l’homme, quand il a su que j’avais fait vœu de vivre avec la maladie et l’immobilité jusqu’à ce que j’eusse vaincu le Créateur, marcha, derrière moi, sur la pointe des pieds, mais, non pas si doucement, que je ne l’entendisse. Je ne perçus plus rien, pendant un instant qui ne fut pas long. Ce poignard aigu s’enfonça, jusqu’au manche, entre les deux épaules du taureau des fêtes, et son ossature frissonna, comme un tremblement de terre. La lame adhère si fortement au corps, que personne, jusqu’ici, n’a pu l’extraire. Les athlètes, les mécaniciens, les philosophes, les médecins ont essayé, tour à tour, les moyens les plus divers. Ils ne savaient pas que le mal qu’a fait l’homme ne peut plus se défaire ! J’ai pardonné à la profondeur de leur ignorance native, et je les ai salués des paupières de mes yeux. Voyageur, quand tu passeras près de moi, ne m’adresse pas, je t’en supplie, le moindre mot de consolation : tu affaiblirais mon courage. Laisse-moi réchauffer ma ténacité à la flamme du martyre volontaire. Va-t’en… que je ne t’inspire aucune piété. La haine est plus bizarre que tu ne le penses ; sa conduite est inexplicable, comme l’apparence brisée d’un bâton enfoncé dans l’eau. Tel que tu me vois, je puis encore faire des excursions jusqu’aux murailles du ciel, à la tête d’une légion d’assassins, et revenir prendre cette posture, pour méditer, de nouveau, sur les nobles projets de la vengeance. Adieu, je ne te retarderai pas davantage ; et, pour t’instruire et te préserver, réfléchis au sort fatal qui m’a conduit à la révolte, quand peut-être j’étais né bon ! Tu raconteras à ton fils ce que tu as vu ; et, le prenant par la main, fais-lui admirer la beauté des étoiles et les merveilles de l’univers, le nid du rouge-gorge et les temples du Seigneur. Tu seras étonné de le voir si docile aux conseils de la paternité, et tu le récompenseras par un sourire. Mais, quand il apprendra qu’il n’est pas observé, jette les yeux sur lui, et tu le verras cracher sa bave sur la vertu ; il t’a trompé, celui qui est descendu de la race humaine, mais, il ne te trompera plus : tu sauras désormais ce qu’il deviendra. Ô père infortuné, prépare, pour accompagner les pas de ta vieillesse, l’échafaud ineffaçable qui tranchera la tête d’un criminel précoce, et la douleur qui te montrera le chemin qui conduit à la tombe.

Sur le mur de ma chambre, quelle ombre dessine, avec une puissance incomparable, la fantasmagorique projection de sa silhouette racornie ? Quand je place sur mon cœur cette interrogation délirante et muette, c’est moins pour la majesté de la forme, que pour le tableau de la réalité, que la sobriété du style se conduit de la sorte. Qui que tu sois, défends-toi ; car, je vais diriger vers toi la fronde d’une terrible accusation : ces yeux ne t’appartiennent pas… où les as-tu pris ? Un jour, je vis passer devant moi une femme blonde ; elle les avait pareils aux tiens : tu les lui as arrachés. Je vois que tu veux faire croire à ta beauté ; mais, personne ne s’y trompe ; et moi, moins qu’un autre. Je te le dis, afin que tu ne me prennes pas pour un sot. Toute une série d’oiseaux rapaces, amateurs de la viande d’autrui et défenseurs de l’utilité de la poursuite, beaux comme des squelettes qui effeuillent des panoccos de l’Arkansas, voltigent autour de ton front, comme des serviteurs soumis et agréés. Mais, est-ce un front ? Il n’est pas difficile de mettre beaucoup d’hésitation à le croire. Il est si bas, qu’il est impossible de vérifier les preuves, numériquement exiguës, de son existence équivoque. Ce n’est pas pour m’amuser que je te dis cela. Peut-être que tu n’as pas de front, toi, qui promènes, sur la muraille, comme le symbole mal réfléchi d’une danse fantastique, le fiévreux ballottement de tes vertèbres lombaires. Qui donc alors t’a scalpé ? si c’est un être humain, parce que tu l’as enfermé, pendant vingt ans, dans une prison, et qui s’est échappé pour préparer une vengeance digne de ses représailles, il a fait comme il devait, et je l’applaudis ; seulement, il y a un seulement, il ne fut pas assez sévère. Maintenant, tu ressembles à un Peau-Rouge prisonnier, du moins (notons-le préalablement) par le manque expressif de chevelure. Non pas qu’elle ne puisse repousser, puisque les physiologistes ont découvert que même les cerveaux enlevés reparaissent à la longue, chez les animaux ; mais, ma pensée, s’arrêtant à une simple constatation, qui n’est pas dépourvue, d’après le peu que j’en aperçois, d’une volupté énorme, ne va pas, même dans ses conséquences les plus hardies, jusqu’aux frontières d’un vœu pour ta guérison, et reste, au contraire, fondée, par la mise en œuvre de sa neutralité plus que suspect, à regarder (ou du moins à souhaiter), comme le présage de malheurs plus grands, ce qui ne peut être pour toi qu’une privation momentanée de la peau qui recouvre le dessus de ta tête. J’espère que tu m’as compris. Et même, si le hasard te permettait, par un miracle absurde, mais non pas, quelquefois, raisonnable, de retrouver cette peau précieuse qu’a gardée la religieuse vigilance de ton ennemi, comme le souvenir enivrant de sa victoire, il est presque extrêmement possible que, quand même on n’aurait étudié la loi des probabilités que sous le rapport des mathématiques (or, on sait que l’analogie transporte facilement l’application de cette loi dans les autres domaines de l’intelligence), ta crainte légitime, mais, un peu exagérée, d’un refroidissement partiel ou total, ne refuserait pas l’occasion importante, et même unique, qui se présenterait d’une manière si opportune, quoique brusque, de préserver les diverses parties de ta cervelle du contact de l’atmosphère, surtout pendant l’hiver, par une coiffure qui, à bon droit, t’appartient, puisqu’elle est naturelle, et qu’il te serait permis, en outre (il serait incompréhensible que tu le niasses), de garder constamment sur la tête, sans courir les risques, toujours désagréables, d’enfreindre les règles les plus simples d’une convenance élémentaire. N’est-il pas vrai que tu m’écoutes avec attention ? Si tu m’écoutes davantage, ta tristesse sera loin de se détacher de l’intérieur de tes narines rouges. Mais, comme je suis très-impartial, et que je ne te déteste pas autant que je le devrais (si je me trompe, dis-le moi), tu prêtes, malgré toi, l’oreille à mes discours, comme poussé par une force supérieure. Je ne suis pas si méchant que toi : voilà pourquoi ton génie s’incline de lui-même devant le mien… En effet, je ne suis pas si méchant que toi ! Tu viens de jeter un regard sur la cité bâtie sur le flanc de cette montagne. Et maintenant, que vois-je ?… Tous les habitants sont morts ! J’ai de l’orgueil comme un autre, et c’est un vice de plus, que d’en avoir peut-être davantage. Eh bien, écoute… écoute, si l’aveu d’un homme, qui se rappelle avoir vécu un demi-siècle sous la forme de requin dans les courants sous-marins qui longent les côtes de l’Afrique, t’intéresse assez vivement pour lui prêter ton attention, sinon avec amertume, du moins sans la faute irréparable de montrer le dégoût que je t’inspire. Je ne jetterai pas à tes pieds le masque de la vertu, pour paraître à tes yeux tel que je suis ; car, je ne l’ai jamais porté (si, toutefois, c’est là une excuse) ; et, dès les premiers instants, si tu remarques mes traits avec attention, tu me reconnaîtras comme ton disciple respectueux dans la perversité, mais, non pas, comme ton rival redoutable. Puisque je ne te dispute pas la palme du mal, je ne crois pas qu’un autre le fasse : il devrait s’égaler auparavant à moi, ce qui n’est pas facile… Écoute, à moins que tu ne sois la faible condensation d’un brouillard (tu caches ton corps quelque part, et je ne puis le rencontrer) : un matin, que je vis une petite fille qui se penchait sur un lac, pour cueillir un lotus rose, elle affermit ses pas, avec une expérience précoce ; elle se penchait vers les eaux, quand ses yeux rencontrèrent mon regard (il est vrai que, de mon côté, ce n’était pas sans préméditation). Aussitôt, elle chancela comme le tourbillon qu’engendre la marée autour d’un roc, ses jambes fléchirent, et, chose merveilleuse à voir, phénomène qui s’accomplit avec autant de véracité que je cause avec toi, elle tomba jusqu’au fond du lac : conséquence étrange, elle ne cueillit plus aucune nymphéacée. Que fait-elle au dessous ?… je ne m’en suis pas informé. Sans doute, sa volonté, qui s’est rangée sous le drapeau de la délivrance, livre des combats acharnés contre la pourriture ! Mais toi, ô mon maître, sous ton regard, les habitants des cités sont subitement détruits, comme un tertre de fourmis qu’écrase le talon de l’éléphant. Ne viens-je pas d’être témoin d’un exemple démonstrateur ? Vois… la montagne n’est plus joyeuse… elle reste isolée comme un vieillard. C’est vrai, les maisons existent ; mais ce n’est pas un paradoxe d’affirmer, à voix basse, que tu ne pourrais en dire autant de ceux qui n’y existent plus. Déjà, les émanations des cadavres viennent jusqu’à moi. Ne les sens-tu pas ? Regarde ces oiseaux de proie, qui attendent que nous nous éloignions, pour commencer ce repas géant ; il en vient un nuage perpétuel des quatre coins de l’horizon. Hélas ! ils étaient déjà venus, puisque je vis leurs ailes rapaces tracer, au-dessus de toi, le monument des spirales, comme pour t’exciter de hâter le crime. Ton odorat ne reçoit-il donc pas la moindre effluve ? L’imposteur n’est pas autre chose… Tes nerfs olfactifs sont enfin ébranlés par la perception d’atomes aromatiques : ceux-ci s’élèvent de la cité anéantie, quoique je n’aie pas besoin de te l’apprendre… Je voudrais embrasser tes pieds, mais mes bras n’entrelacent qu’une transparente vapeur. Cherchons ce corps introuvable, que cependant mes yeux aperçoivent : il mérite, de ma part, les marques les plus nombreuses d’une admiration sincère. Le fantôme se moque de moi : il m’aide à chercher son propre corps. Si je lui fais signe de rester à sa place, voilà qu’il me renvoie le même signe… Le secret est découvert ; mais, ce n’est pas, je le dis avec franchise, à ma plus grande satisfaction. Tout est expliqué, les grands comme les plus petits détails ; ceux-ci sont indifférents à remettre devant l’esprit, comme, par exemple, l’arrachement des yeux à la femme blonde : cela n’est presque rien !… Ne me rappelais-je donc pas que, moi, aussi, j’avais été scalpé, quoique ce ne fût que pendant cinq ans (le nombre exact du temps m’avait failli) que j’avais enfermé un être humain dans une prison, pour être témoin du spectacle de ses souffrances, parce qu’il m’avait refusé, à juste titre, une amitié qui ne s’accorde pas à des êtres comme moi ? Puisque je fais semblant d’ignorer que mon regard peut donner la mort, même aux planètes qui tournent dans l’espace, il n’aura pas tort, celui qui prétendra que je ne possède pas la faculté des souvenirs. Ce qui me reste à faire, c’est de briser cette glace, en éclats, à l’aide d’une pierre… Ce n’est pas la première fois que le cauchemar de la perte momentanée de la mémoire établit sa demeure dans mon imagination, quand, par les inflexibles lois de l’optique, il m’arrive d’être placé devant la méconnaissance de ma propre image !

Je m’étais endormi sur la falaise. Celui qui, pendant un jour, a poursuivi l’autruche à travers le désert, sans pouvoir l’atteindre, n’a pas eu le temps de prendre de la nourriture et de fermer les yeux. Si c’est lui qui me lit, il est capable de deviner, à la rigueur, quel sommeil s’appesantit sur moi. Mais, quand la tempête a poussé verticalement un vaisseau, avec la paume de sa main, jusqu’au fond de la mer ; si, sur le radeau, il ne reste plus de tout l’équipage qu’un seul homme, rompu par les fatigues et les privations de toute espèce ; si la lame le ballotte, comme une épave, pendant des heures plus prolongées que la vie d’homme ; et, si, une frégate, qui sillonne plus tard ces parages de désolation d’une carène fendue, aperçoit le malheureux qui promène sur l’océan sa carcasse décharnée, et lui porte un secours qui a failli être tardif, je crois que ce naufragé devinera mieux encore à quel degré fut porté l’assoupissement de mes sens. Le magnétisme et le chloroforme, quand ils s’en donnent la peine, savent quelquefois engendrer pareillement de ces catalepsies léthargiques. Elles n’ont aucune ressemblance avec la mort : ce serait un grand mensonge de le dire. Mais arrivons tout de suite au rêve, afin que les impatients, affamés de ces sortes de lectures, ne se mettent pas à rugir, comme un banc de cachalots macrocéphales qui se battent entre eux pour une femelle enceinte. Je rêvais que j’étais entré dans le corps d’un pourceau, qu’il ne m’était pas facile d’en sortir, et que je vautrais mes poils dans les marécages les plus fangeux. Était-ce comme une récompense ? Objet de mes vœux, je n’appartenais plus à l’humanité ! Pour moi, j’entendis l’interprétation ainsi, et j’en éprouvai une joie plus que profonde. Cependant, je recherchais activement quel acte de vertu j’avais accompli pour mériter, de la part de la Providence, cette insigne faveur. Maintenant que j’ai repassé dans ma mémoire les diverses phases de cet aplatissement épouvantable contre le ventre du granit, pendant lequel la marée, sans que je m’en aperçusse, passa, deux fois, sur ce mélange irréductible de matière morte et de chair vivante, il n’est peut-être pas sans utilité de proclamer que cette dégradation n’était probablement qu’une punition, réalisée sur moi par la justice divine. Mais, qui connaît ses besoins intimes ou la cause de ses joies pestilentielles ? La métamorphose ne parut jamais à mes yeux que comme le haut et magnanime retentissement d’un bonheur parfait, que j’attendais depuis longtemps. Il était enfin venu, le jour où je fus un pourceau ! J’essayais mes dents sur l’écorce des arbres ; mon groin, je le contemplais avec délice. Il ne restait plus la moindre parcelle de divinité : je sus élever mon âme jusqu’à l’excessive hauteur de cette volupté ineffable. Écoutez-moi donc, et ne rougissez pas, inépuisables caricatures du beau, qui prenez au sérieux le braiement risible de votre âme, souverainement méprisable ; et qui ne comprenez pas pourquoi le Tout-Puissant, dans un rare moment de bouffonnerie excellente, qui, certainement, ne dépasse pas les grandes lois générales du grotesque, prit, un jour, le mirifique plaisir de faire habiter une planète par des êtres singuliers et microscopiques, qu’on appelle humains, et dont la matière ressemble à celle du corail vermeil. Certes, vous avez raison de rougir, os et graisse, mais écoutez-moi. Je n’invoque pas votre intelligence ; vous la feriez rejeter du sang par l’horreur qu’elle vous témoigne : oubliez-la, et soyez conséquents avec vous-mêmes… Là, plus de contrainte. Quand je voulais tuer, je tuais ; cela, même, m’arrivait souvent, et personne ne m’en empêchait. Les lois humaines me poursuivaient encore de leur vengeance, quoique je n’attaquasse pas la race que j’avais abandonnée si tranquillement ; mais ma conscience ne me faisait aucun reproche. Pendant la journée, je me battais avec mes nouveaux semblables, et le sol était parsemé de nombreuses couches de sang caillé. J’étais le plus fort, et je remportais toutes les victoires. Des blessures cuisantes couvraient mon corps ; je faisais semblant de ne pas m’en apercevoir. Les animaux terrestres s’éloignaient de moi, et je restais seul dans ma resplendissante grandeur. Quel ne fut pas mon étonnement, quand, après avoir traversé un fleuve à la nage, pour m’éloigner des contrées que ma rage avait dépeuplées, et gagner d’autres campagnes pour y planter mes coutumes de meurtre et de carnage, j’essayai de marcher sur cette rive fleurie. Mes pieds étaient paralysés ; aucun mouvement ne venait trahir la vérité de cette immobilité forcée. Au milieu d’efforts surnaturels, pour continuer mon chemin, ce fut alors que je me réveillai, et que je sentis que je redevenais homme. La Providence me faisait ainsi comprendre, d’une manière qui n’est pas inexplicable, qu’elle ne voulait pas que, même en rêve, mes projets sublimes s’accomplissent. Revenir à ma forme primitive fut pour moi une douleur si grande, que, pendant les nuits, j’en pleure encore. Mes draps sont constamment mouillés, comme s’ils avaient été passés dans l’eau, et, chaque jour, je les fais changer. Si vous ne le croyez pas, venez me voir ; vous contrôlerez, par votre propre expérience, non pas la vraisemblance, mais, en outre, la vérité même de mon assertion. Combien de fois, depuis cette nuit passée à la belle étoile, sur une falaise, ne me suis-je pas mêlé à des troupeaux de pourceaux, pour reprendre, comme un droit, ma métamorphose détruite ! Il est temps de quitter ces souvenirs glorieux, qui ne laissent, après leur suite, que la pâle voie lactée des regrets éternels.

Il n’est pas impossible d’être témoin d’une déviation anormale dans le fonctionnement latent ou visible des lois de la nature. Effectivement, si chacun se donne la peine ingénieuse d’interroger les diverses phases de son existence (sans en oublier une seule, car c’était peut-être celle-là qui était destinée à fournir la preuve de ce que j’avance), il ne se souviendra pas, sans un certain étonnement, qui serait comique en d’autres circonstances, que, tel jour, pour parler premièrement de choses objectives, il fut témoin de quelque phénomène qui semblait dépasser et dépassait positivement les notions connues fournies par l’observation et l’expérience, comme, par exemple, les pluies de crapauds, dont le magique spectacle dut ne pas être d’abord compris par les savants. Et que, tel autre jour, pour parler en deuxième et dernier lieu de choses subjectives, son âme présenta au regard investigateur de la psychologie, je ne vais pas jusqu’à dire une aberration de la raison (qui, cependant, n’en serait pas moins curieuse ; au contraire, elle le serait davantage), mais, du moins, pour ne pas faire le difficile auprès de certaines personnes froides, qui ne me pardonneraient jamais les élucubrations flagrantes de mon exagération, un état inaccoutumé, assez souvent très-grave, qui marque que la limite accordée par le bon sens à l’imagination est quelquefois, malgré le pacte éphémère conclu entre ces deux puissances, malheureusement dépassée par la pression énergique de la volonté, mais, la plupart du temps aussi, par l’absence de sa collaboration effective : donnons à l’appui quelques exemples, dont il n’est pas difficile d’apprécier l’opportunité ; si, toutefois, l’on prend pour compagne une attentive modération. J’en présente deux : les emportements de la colère et les maladies de l’orgueil. J’avertis celui qui me lit qu’il prenne garde à ce qu’il ne se fasse pas une idée vague, et, à plus forte raison fausse, des beautés de littérature que j’effeuille, dans le développement excessivement rapide de mes phrases. Hélas ! je voudrais dérouler mes raisonnements et mes comparaisons lentement et avec beaucoup de magnificence (mais qui dispose de son temps ?), pour que chacun comprenne davantage, sinon mon épouvante, du moins ma stupéfaction, quand, un soir d’été, comme le soleil semblait s’abaisser à l’horizon, je vis nager, sur la mer, avec de larges pattes de canard à la place des extrémités des jambes et des bras, porteur d’une nageoire dorsale, proportionnellement aussi longue et aussi effilée que celle des dauphins, un être humain, aux muscles vigoureux, et que des bancs nombreux de poissons (je vis, dans ce cortége, entre autres habitants des eaux, la torpille, l’anarnak groënlandais et le scorpène-horrible) suivaient avec les marques très-ostensibles de la plus grande admiration. Quelquefois il plongeait, et son corps visqueux reparaissait presque aussitôt, à deux cents mètres de distance. Les marsouins, qui n’ont pas volé, d’après mon opinion, la réputation de bons nageurs, pouvaient à peine suivre de loin cet amphibie de nouvelle espèce. Je ne crois pas que le lecteur ait lieu de se repentir, s’il prête à ma narration, moins le nuisible obstacle d’une crédulité stupide, que le suprême service d’une confiance profonde, qui discute légalement, avec une secrète sympathie, les mystères poétiques, trop peu nombreux, à son propre avis, que je me charge de lui révéler, quand, chaque fois, l’occasion s’en présente, comme elle s’est inopinément aujourd’hui présentée, intimement pénétrée des toniques senteurs des plantes aquatiques, que la bise fraîchissante transporte dans cette strophe, qui contient un monstre, qui s’est approprié les marques distinctives de la famille des palmipèdes. Qui parle ici d’appropriation ? Que l’on sache bien que l’homme, par sa nature multiple et complexe, n’ignore pas les moyens d’en élargir encore les frontières ; il vit dans l’eau, comme l’hippocampe ; à travers les couches supérieures de l’air, comme l’orfraie ; et sous la terre, comme la taupe, le cloporte et la sublimité du vermiceau. Tel est dans sa forme, plus ou moins concise (mais plus, que moins), l’exact critérium de la consolation extrêmement fortifiante que je m’efforçais de faire naître dans mon esprit, quand je songeais que l’être humain que j’apercevais à une grande distance nager des quatre membres, à la surface des vagues, comme jamais cormoran le plus superbe ne le fit, n’avait, peut-être, acquis le nouveau changement des extrémités de ses bras et de ses jambes, que comme l’expiatoire châtiment de quelque crime inconnu. Il n’était pas nécessaire que je me tourmentasse la tête, pour fabriquer d’avance les mélancoliques pilules de la pitié ; car, je ne savais pas que cet homme, dont les bras frappaient alternativement l’onde amère, tandis que ses jambes, avec une force pareille à celle que possèdent les défenses en spirale du narval, engendraient le recul des couches aquatiques, ne s’était pas plus volontairement approprié ces extraordinaires formes, qu’elles ne lui avaient été imposées comme supplice. D’après ce que j’appris plus tard, voici la simple vérité : la prolongation de l’existence, dans cet élément fluide, avait insensiblement amené, dans l’être humain qui s’était lui-même exilé des continents rocailleux, les changements importants, mais, non pas essentiels, que j’avais remarqués, dans l’objet qu’un regard passablement confus m’avait fait prendre, dès les moments primordiaux de son apparition (par une inqualifiable légèreté, dont les écarts engendrent le sentiment si pénible que comprendront facilement les psychologistes et les amants de la prudence) pour un poisson, à forme étrange, non encore décrit dans les classifications des naturalistes ; mais, peut-être, dans leurs ouvrages posthumes, quoique je n’eusse pas l’excusable prétention de pencher vers cette dernière supposition, imaginée dans de trop hypothétiques conditions. En effet, cet amphibie (puisque amphibie il y a, sans qu’on puisse affirmer le contraire) n’était visible que pour moi seul, abstraction faite des poissons et des cétacés ; car, je m’aperçus que quelques paysans, qui s’étaient arrêtés à contempler mon visage, troublé par ce phénomène surnaturel, et qui cherchaient inutilement à s’expliquer pourquoi mes yeux étaient constamment fixés, avec une persévérance qui paraissait invincible, et qui ne l’était pas en réalité, sur un endroit de la mer où ils ne distinguaient, eux, qu’une quantité appréciable et limitée de bancs de poissons de toutes les espèces, distendaient l’ouverture de leur bouche grandiose, peut-être autant qu’une baleine. « Cela les faisait sourire, mais non, comme à moi, pâlir, disaient-ils dans leur pittoresque langage ; et ils n’étaient pas assez bêtes pour ne pas remarquer que, précisément, je ne regardais pas les évolutions champêtres des poissons, mais que ma vue se portait, de beaucoup plus, en avant ». De telle manière que, quant à ce qui me concerne, tournant machinalement les yeux du côté de l’envergure remarquable de ces puissantes bouches, je me disais, en moi-même, qu’à moins qu’on ne trouvât dans la totalité de l’univers un pélican, grand comme une montagne ou du moins comme un promontoire (admirez, je vous prie, la finesse de la restriction qui ne perd aucun pouce de terrain), aucun bec d’oiseau de proie ou mâchoire d’animal sauvage ne serait jamais capable de surpasser, ni même d’égaler, chacun de ces cratères béants, mais trop lugubres. Et, cependant, quoique je réserve une bonne part au sympathique emploi de la métaphore (cette figure de rhétorique rend beaucoup plus de services aux aspirations humaines vers l’infini que ne s’efforcent de se le figurer ordinairement ceux qui sont imbus de préjugés ou d’idées fausses, ce qui est la même chose), il n’en est pas moins vrai que la bouche risible de ces paysans reste encore assez large pour avaler trois cachalots. Raccourcissons davantage notre pensée, soyons sérieux, et contentons-nous de trois petits éléphants qui viennent à peine de naître. D’une seule brassée, l’amphibie laissait après lui un kilomètre de sillon écumeux. Pendant le très-court moment où, le bras tendu en avant reste suspendu dans l’air, avant qu’il s’enfonce de nouveau, ses doigts écartés, réunis à l’aide d’un repli de la peau, à forme de membrane, semblaient s’élancer vers les hauteurs de l’espace, et prendre les étoiles. Debout sur le roc, je me servis de mes mains, comme d’un porte-voix, et je m’écriai, pendant que les crabes et les écrevisses s’enfuyaient vers l’obscurité des plus secrètes crevasses : « O toi, dont la natation l’emporte sur le vol des longues ailes de la frégate, si tu comprends encore la signification des grands éclats de voix que, comme fidèle interprétation de sa pensée intime, lance avec force l’humanité, daigne t’arrêter, un instant, dans ta marche rapide, et, raconte-moi sommairement les phases de ta véridique histoire. Mais, je t’avertis que tu n’as pas besoin de m’adresser la parole, si ton dessein audacieux est de faire naître en moi l’amitié et la vénération que je sentis pour toi, dès que je te vis, pour la première fois, accomplissant, avec la grâce et la force du requin, ton pèlerinage indomptable et rectiligne. » Un soupir, qui me glaça les os, et qui fit chanceler le roc sur lequel je reposai la plante de mes pieds (à moins que ce ne fût moi-même qui chancelai, par la rude pénétration des ondes sonores, qui portaient à mon oreille un tel cri de désespoir) s’entendit jusqu’aux entrailles de la terre : les poissons plongèrent sous les vagues, avec le bruit de l’avalanche. L’amphibie n’osa pas trop s’avancer jusqu’au rivage ; mais, dès qu’il se fut assuré que sa voix parvenait assez distinctement jusqu’à mon tympan, il réduisit le mouvement de ses membres palmés, de manière à soutenir son buste, couvert de goëmons, au-dessus des flots mugissants. Je le vis incliner son front, comme pour invoquer, par un ordre solennel, la meute errante des souvenirs. Je n’osais pas l’interrompre dans cette occupation, saintement archéologique : plongé dans le passé, il ressemblait à un écueil. Il prit enfin la parole en ces termes : « Le scolopendre ne manque pas d’ennemis ; la beauté fantastique de ses pattes innombrables, au lieu de lui attirer la sympathie des animaux, n’est, peut-être, pour eux, que le puissant stimulant d’une jalouse irritation. Et, je ne serais pas étonné d’apprendre que cet insecte est en butte aux haines les plus intenses. Je te cacherai le lieu de ma naissance, qui n’importe pas à mon récit : mais, la honte qui rejaillirait sur ma famille importe à mon devoir. Mon père et ma mère (que Dieu leur pardonne !), après un an d’attente, virent le ciel exaucer leurs vœux : deux jumeaux, mon frère et moi, parurent à la lumière. Raison de plus pour s’aimer. Il n’en fut pas ainsi que je parle. Parce que j’étais le plus beau des deux, et le plus intelligent, mon frère me prit en haine, et ne se donna pas la peine de cacher ses sentiments : c’est pourquoi, mon père et ma mère firent rejaillir sur moi la plus grande partie de leur amour, tandis que, par mon amitié sincère et constante, j’efforçai d’apaiser une âme, qui n’avait pas le droit de se révolter, contre celui qui avait été tiré de la même chair. Alors, mon frère ne connut plus de bornes à sa fureur, et me perdit, dans le cœur de nos parents communs, par les calomnies les plus invraisemblables. J’ai vécu, pendant quinze ans, dans un cachot, avec des larves et de l’eau fangeuse pour toute nourriture. Je ne te raconterai pas en détail les tourments inouïs que j’ai éprouvés, dans cette longue séquestration injuste. Quelquefois, dans un moment de la journée, un des trois bourreaux, à tour de rôle, entrait brusquement, chargé de pinces, de tenailles et de divers instruments de supplice. Les cris que m’arrachaient les tortures les laissaient inébranlables ; la perte abondante de mon sang les faisait sourire. Ô mon frère, je t’ai pardonné, toi la cause première de tous mes maux ! Se peut-il qu’une rage aveugle ne puisse enfin dessiller ses propres yeux ! J’ai fait beaucoup de réflexions, dans ma prison éternelle. Quelle devint ma haine générale contre l’humanité, tu le devines. L’étiolement progressif, la solitude du corps et de l’âme ne m’avaient pas fait perdre encore toute ma raison, au point de garder du ressentiment contre ceux que je n’avais cessé d’aimer : triple carcan dont j’étais l’esclave. Je parvins, par la ruse, à recouvrer ma liberté ! Dégoûté des habitants du continent, qui, quoiqu’ils s’intitulassent mes semblables, ne paraissaient pas jusqu’ici me ressembler en rien (s’ils trouvaient que je leur ressemblasse, pourquoi me faisaient-ils du mal ?), je dirigeai ma course vers les galets de la plage, fermement résolu à me donner la mort, si la mer devait m’offrir les réminiscences antérieures d’une existence fatalement vécue. En croiras-tu tes propres yeux ? Depuis le jour que je m’enfuis de la maison paternelle, je ne me plains pas autant que tu le penses d’habiter la mer et ses grottes de cristal. La Providence, comme tu le vois, m’a donné en partie l’organisation du cygne. Je vis en paix avec les poissons, et ils me procurent la nourriture dont j’ai besoin, comme si j’étais leur monarque. Je vais pousser un sifflement particulier, pourvu que cela ne te contrarie pas, et tu vas voir comme ils vont reparaître. » Il arriva comme il le prédit. Il reprit sa royale natation, entouré de son cortège de sujets. Et, quoiqu’au bout de quelques secondes, il eût complètement disparu à mes yeux, avec une longue vue, je pus encore le distinguer, aux dernières limites de l’horizon. Il nageait, d’une main, et, de l’autre, essuyait ses yeux, qu’avait injectés de sang la contrainte terrible de s’être approché de la terre ferme. Il avait agi ainsi pour me faire plaisir. Je rejetai l’instrument révélateur contre l’escarpement à pic ; il bondit de roche en roche, et ses fragments épars, ce sont les vagues qui le reçurent : tels furent la dernière démonstration et le suprême adieu, par lesquels, je m’inclinai, comme dans un rêve, devant une noble et infortunée intelligence ! Cependant, tout était réel dans ce qui s’était passé, pendant ce soir d’été.

Chaque nuit, plongeant l’envergure de mes ailes dans ma mémoire agonisante, j’évoquais le souvenir de Falmer… chaque nuit. Ses cheveux blonds, sa figure ovale, ses traits majestueux étaient encore empreints dans mon imagination… indestructiblement… surtout ses cheveux blonds. Éloignez, éloignez donc cette tête sans chevelure, polie comme la carapace de la tortue. Il avait quatorze ans, et je n’avais qu’un an de plus. Que cette lugubre voix se taise. Pourquoi vient-elle me dénoncer ? Mais c’est moi-même qui parle. Me servant de ma propre langue pour émettre ma pensée, je m’aperçois que mes lèvres remuent, et que c’est moi-même qui parle. Et, c’est moi-même qui, racontant une histoire de ma jeunesse, et sentant le remords pénétrer dans mon cœur… c’est moi-même, à moins que je ne me trompe… c’est moi-même qui parle. Je n’avais qu’un an de plus. Quel est donc celui auquel je fais allusion ? C’est un ami que je possédais dans les temps passés, je crois. Oui, oui, j’ai déjà dit comment il s’appelle… je ne veux pas épeler de nouveau ces six lettres, non, non. Il n’est pas utile non plus de répéter que j’avais un an de plus. Qui le sait ? Répétons-le, cependant, mais, avec un pénible murmure : je n’avais qu’un an de plus. Même alors, la prééminence de ma force physique était plutôt un motif de soutenir, à travers le rude sentier de la vie, celui qui s’était donné à moi, que de maltraiter un être visiblement plus faible. Or, je crois en effet qu’il était plus faible… Même alors. C’est un ami que je possédais dans les temps passés, je crois. La prééminence de ma force physique… chaque nuit… Surtout ses cheveux blonds. Il existe plus d’un être humain qui a vu des têtes chauves : la vieillesse, la maladie, la douleur (les trois ensemble ou prises séparément) expliquent ce phénomène négatif d’une manière satisfaisante. Telle est, du moins, la réponse que me ferait un savant, si je l’interrogeais là-dessus. La vieillesse, la maladie, la douleur. Mais je n’ignore pas (moi, aussi, je suis savant) qu’un jour, parce qu’il m’avait arrêté la main, au moment où je levais mon poignard pour percer le sein d’une femme, je le saisis par les cheveux avec un bras de fer, et le fis tournoyer dans l’air avec une telle vitesse, que la chevelure me resta dans la main, et que son corps, lancé par la force centrifuge, alla cogner contre le tronc d’un chêne… Je n’ignore pas qu’un jour sa chevelure me resta dans la main. Moi, aussi, je suis savant. Oui, oui, j’ai déjà dit comment il s’appelle. Je n’ignore pas qu’un jour j’accomplis un acte infâme, tandis que son corps était lancé par la force centrifuge. Il avait quatorze ans. Quand, dans un accès d’aliénation mentale, je cours à travers les champs, en tenant, pressée sur mon cœur, une chose sanglante que je conserve depuis longtemps, comme une relique vénérée, les petits enfants qui me poursuivent… les petits enfants et les vieilles femmes qui me poursuivent à coups de pierre, poussent ces gémissements lamentables : « Voilà la chevelure de Falmer. » Éloignez, éloignez donc cette tête chauve, polie comme la carapace de la tortue… Une chose sanglante. Mais c’est moi-même qui parle. Sa figure ovale, ses traits majestueux. Or, je crois en effet qu’il était plus faible. Les vieilles femmes et les petits enfants. Or, je crois en effet… qu’est-ce que je voulais dire ?… or, je crois en effet qu’il était plus faible. Avec un bras de fer. Ce choc, ce choc l’a-t-il tué ? Ses os ont-ils été brisés contre l’arbre… irréparablement ? L’a-t-il tué, ce choc engendré par la vigueur d’un athlète ? A-t-il conservé la vie, quoique ses os se soient irréparablement brisés… irréparablement ? Ce choc l’a-t-il tué ? Je crains de savoir ce dont mes yeux fermés ne furent pas témoins. En effet… Surtout ses cheveux blonds. En effet, je m’enfuis au loin avec une conscience désormais implacable. Il avait quatorze ans. Avec une conscience désormais implacable. Chaque nuit. Lorsqu’un jeune homme, qui aspire à la gloire, dans un cinquième étage, penché sur sa table de travail, à l’heure silencieuse de minuit, perçoit un bruissement qu’il ne sait à quoi attribuer, il tourne, de tous les côtés, sa tête, alourdie par la méditation et les manuscrits poudreux ; mais, rien, aucun indice surpris ne lui révèle la cause de ce qu’il entend si faiblement, quoique cependant il l’entende. Il s’aperçoit, enfin, que la fumée de sa bougie, prenant son essor vers le plafond, occasionne, à travers l’air ambiant, les vibrations presque imperceptibles d’une feuille de papier accrochée à un clou figé contre la muraille. Dans un cinquième étage. De même qu’un jeune homme, qui aspire à la gloire, entend un bruissement qu’il ne sait à quoi attribuer, ainsi j’entends une voix mélodieuse qui prononce à mon oreille : « Maldoror ! » Mais, avant de mettre fin à sa méprise, il croyait entendre les ailes d’un moustique… penché sur sa table de travail. Cependant, je ne rêve pas ; qu’importe que je sois étendu sur mon lit de satin ? Je fais avec sang-froid la perspicace remarque que j’ai les yeux ouverts, quoiqu’il soit l’heure des dominos roses et des bals masqués. Jamais… oh ! non, jamais !… une voix mortelle ne fit entendre ces accents séraphiques, en prononçant, avec tant de douloureuse élégance, les syllabes de mon nom ! Les ailes d’un moustique… Comme sa voix est bienveillante. M’a-t-il donc pardonné ? Son corps alla cogner contre le tronc d’un chêne… « Maldoror ! »

CHANT CINQUIÈME

Que le lecteur ne se fâche pas contre moi, si ma prose n’a pas le bonheur de lui plaire. Tu soutiens que mes idées sont au moins singulières. Ce que tu dis là, homme respectable, est la vérité ; mais, une vérité partiale. Or, quelle source abondante d’erreurs et de méprises n’est pas toute vérité partiale ! Les bandes d’étourneaux ont une manière de voler qui leur est propre, et semble soumise à une tactique uniforme et régulière, telle que serait celle d’une troupe disciplinée, obéissant avec précision à la voix d’un seul chef. C’est à la voix de l’instinct que les étourneaux obéissent, et leur instinct les porte à se rapprocher toujours du centre du peloton, tandis que la rapidité de leur vol les emporte sans cesse au delà ; en sorte que cette multitude d’oiseaux, ainsi réunis par une tendance commune vers le même point aimanté, allant et venant sans cesse, circulant et se croisant en tous sens, forme une espèce de tourbillon fort agité, dont la masse entière, sans suivre de direction bien certaine, paraît avoir un mouvement général d’évolution sur elle-même, résultant des mouvements particuliers de circulation propres à chacune de ses parties, et dans lequel le centre, tendant perpétuellement à se développer, mais sans cesse pressé, repoussé par l’effort contraire des lignes environnantes qui pèsent sur lui, est constamment plus serré qu’aucune de ces lignes, lesquelles le sont elles-mêmes d’autant plus, qu’elles sont plus voisines du centre.

Malgré cette singulière manière de tourbillonner, les étourneaux n’en fendent pas moins, avec une vitesse rare, l’air ambiant, et gagnent sensiblement, à chaque seconde, un terrain précieux pour le terme de leurs fatigues et le but de leur pèlerinage. Toi, de même, ne fais pas attention à la manière bizarre dont je chante chacune de ces strophes. Mais, sois persuadé que les accents fondamentaux de la poésie n’en conservent pas moins leur intrinsèque droit sur mon intelligence. Ne généralisons pas des faits exceptionnels, je ne demande pas mieux : cependant mon caractère est dans l’ordre des choses possibles. Sans doute, entre les deux termes extrêmes de ta littérature, telle que tu l’entends, et de la mienne, il en est une infinité d’intermédiaires et il serait facile de multiplier les divisions ; mais, il n’y aurait nulle utilité, et il y aurait le danger de donner quelque chose d’étroit et de faux à une conception éminemment philosophique, qui cesse d’être rationnelle, dès qu’elle n’est plus comprise comme elle a été imaginée, c’est-à-dire avec ampleur. Tu sais allier l’enthousiasme et le froid intérieur, observateur d’une humeur concentrée ; enfin, pour moi, je te trouve parfait… Et tu ne veux pas me comprendre ! Si tu n’es pas en bonne santé, suis mon conseil (c’est le meilleur que je possède à ta disposition), et va faire une promenade dans la campagne. Triste compensation, qu’en dis-tu ? Lorsque tu auras pris l’air, reviens me trouver : tes sens seront plus reposés. Ne pleure plus ; je ne voulais pas te faire de la peine. N’est-il pas vrai, mon ami, que, jusqu’à un certain point, ta sympathie est acquise à mes chants ? Or, qui t’empêche de franchir les autres degrés ? La frontière entre ton goût et le mien est invisible ; tu ne pourras jamais la saisir : preuve que cette frontière elle-même n’existe pas. Réfléchis donc qu’alors (je ne fais ici qu’effleurer la question) il ne serait pas impossible que tu eusses signé un traité d’alliance avec l’obstination, cette agréable fille du mulet, source si riche d’intolérance. Si je ne savais pas que tu n’étais pas un sot, je ne te ferais pas un semblable reproche. Il n’est pas utile pour toi que tu t’encroûtes dans la cartilagineuse carapace d’un axiome que tu crois inébranlable. Il y a d’autres axiomes aussi qui sont inébranlables, et qui marchent parallèlement avec le tien. Si tu as un penchant marqué pour le caramel (admirable farce de la nature), personne ne le concevra comme un crime ; mais, ceux dont l’intelligence, plus énergique et capable de plus grandes choses, préfère le poivre et l’arsenic, ont de bonnes raisons pour agir de la sorte, sans avoir l’intention d’imposer leur pacifique domination à ceux qui tremblent de peur devant une musaraigne ou l’expression parlante des surfaces d’un cube. Je parle par expérience, sans venir jouer ici le rôle de provocateur. Et, de même que les rotifères et les tardigrades peuvent être chauffés à une température voisine de l’ébullition, sans perdre nécessairement leur vitalité, il en sera de même pour toi, si tu sais t’assimiler, avec précaution, l’âcre sérosité suppurative qui se dégage avec lenteur de l’agacement que causent mes intéressantes élucubrations. Eh quoi, n’est-on pas parvenu à greffer sur le dos d’un rat vivant la queue détachée du corps d’un autre rat ? Essaie donc pareillement de transporter dans ton imagination les diverses modifications de ma raison cadavérique. Mais, sois prudent. À l’heure que j’écris, de nouveaux frissons parcourent l’atmosphère intellectuelle : il ne s’agit que d’avoir le courage de les regarder en face. Pourquoi fais-tu cette grimace ? Et même tu l’accompagnes d’un geste que l’on ne pourrait imiter qu’après un long apprentissage. Sois persuadé que l’habitude est nécessaire en tout ; et, puisque la répulsion instinctive, qui s’était déclarée dès les premières pages, a notablement diminué de profondeur, en raison inverse de l’application à la lecture, comme un furoncle qu’on incise, il faut espérer, quoique ta tête soit encore malade, que ta guérison ne tardera certainement pas à rentrer dans sa dernière période. Pour moi, il est indubitable que tu vogues déjà en pleine convalescence ; cependant, ta figure est restée bien maigre, hélas ! Mais… courage ! il y a en toi un esprit peu commun, je t’aime, et je ne désespère pas de ta complète délivrance, pourvu que tu absorbes quelques substances médicamenteuses ; qui ne feront que hâter la disparition des derniers symptômes du mal. Comme nourriture astringente et tonique, tu arracheras d’abord les bras de ta mère (si elle existe encore), tu les dépèceras en petits morceaux, et tu les mangeras ensuite, en un seul jour, sans qu’aucun trait de ta figure ne trahisse ton émotion. Si ta mère était trop vieille, choisis un autre sujet chirurgique, plus jeune et plus frais, sur lequel la rugine aura prise, et dont les os tarsiens, quand il marche, prennent aisément un point d’appui pour faire la bascule : ta sœur, par exemple. Je ne puis m’empêcher de plaindre son sort, et je ne suis pas de ceux dans lesquels un enthousiasme très froid ne fait qu’affecter la bonté. Toi et moi, nous verserons pour elle, pour cette vierge aimée (mais, je n’ai pas de preuves pour établir qu’elle soit vierge), deux larmes incoercibles, deux larmes de plomb. Ce sera tout. La potion la plus lénitive, que je te conseille, est un bassin, plein d’un pus blennorrhagique à noyaux, dans lequel on aura préalablement dissous un kyste pileux de l’ovaire, un chancre folliculaire, un prépuce enflammé, renversé en arrière du gland par une paraphimosis, et trois limaces rouges. Si tu suis mes ordonnances, ma poésie te recevra à bras ouverts, comme quand un pou resèque, avec ses baisers, la racine d’un cheveu.

Je voyais, devant moi, un objet debout sur un tertre. Je ne distinguais pas clairement sa tête ; mais, déjà, je devinais qu’elle n’était pas d’une forme ordinaire, sans, néanmoins, préciser la proportion exacte de ses contours. Je n’osais m’approcher de cette colonne immobile ; et, quand même j’aurais eu à ma disposition les pattes ambulatoires de plus de trois mille crabes (je ne parle même pas de celles qui servent à la préhension et à la mastication des aliments), je serais encore resté à la même place, si un événement, très futile par lui-même, n’eût prélevé un lourd tribut sur ma curiosité, qui faisait craquer ses digues. Un scarabée, roulant, sur le sol, avec ses mandibules et ses antennes, une boule, dont les principaux éléments étaient composés de matières excrémentielles, s’avançait, d’un pas rapide, vers le tertre désigné, s’appliquant à mettre bien en évidence la volonté qu’il avait de prendre cette direction. Cet animal articulé n’était pas de beaucoup plus grand qu’une vache ! Si l’on doute de ce que je dis, que l’on vienne à moi, et je satisferai les plus incrédules par le témoignage de bons témoins. Je le suivis de loin, ostensiblement intrigué. Que voulait-il faire de cette grosse boule noire ? Ô lecteur, toi qui te vantes sans cesse de ta perspicacité (et non à tort), serais-tu capable de me le dire ? Mais, je ne veux pas soumettre à une rude épreuve ta passion connue pour les énigmes. Qu’il te suffise de savoir que, la plus douce punition que je puisse t’infliger, est encore de te faire observer que ce mystère ne te sera révélé (il te sera révélé) que plus tard, à la fin de ta vie, quand tu entameras des discussions philosophiques avec l’agonie sur le bord de ton chevet… et peut-être même à la fin de cette strophe. Le scarabée était arrivé au bas du tertre. J’avais emboîté mon pas sur ses traces, et j’étais encore à une grande distance du lieu de la scène ; car, de même que les stercoraires, oiseaux inquiets comme s’ils étaient toujours affamés, se plaisent dans les mers qui baignent les deux pôles, et n’avancent qu’accidentellement dans les zônes tempérées, ainsi je n’étais pas tranquille, et je portais mes jambes en avant avec beaucoup de lenteur. Mais qu’était-ce donc que la substance corporelle vers laquelle j’avançais ? Je savais que la famille des pélécaninés comprend quatre genres distincts : le fou, le pélican, le cormoran, la frégate. La forme grisâtre qui m’apparaissait n’était pas un fou. Le bloc plastique que j’apercevais n’était pas une frégate. La chair cristallisée que j’observais n’était pas un cormoran. Je le voyais maintenant, l’homme à l’encéphale dépourvu de protubérance annulaire ! Je recherchais vaguement, dans les replis de ma mémoire, dans quelle contrée torride ou glacée, j’avais déjà remarqué ce bec très-long, large, convexe, en voûte, à arête marquée, onguiculée, renflée et très crochue à son extrémité ; ces bords dentelés, droits ; cette mandibule inférieure, à branches séparées jusqu’auprès de la pointe ; cet intervalle rempli par une peau membraneuse ; cette large poche, jaune et sacciforme, occupant toute la gorge et pouvant se distendre considérablement ; et ces narines très étroites, longitudinales, presque imperceptibles, creusées dans un sillon bazal ! Si cet être vivant, à respiration pulmonaire et simple, à corps garni de poils, avait été un oiseau entier jusqu’à la plante des pieds, et non plus seulement jusqu’aux épaules, il ne m’aurait pas alors été si difficile de le reconnaître : chose très facile à faire, comme vous allez le voir vous-même. Seulement, cette fois, je m’en dispense ; pour la clarté de ma démonstration, j’aurais besoin qu’un de ces oiseaux fût placée sur ma table de travail, quand même il ne serait qu’empaillé. Or, je ne suis pas assez riche pour m’en procurer. Suivant pas à pas une hypothèse antérieure, j’aurais de suite assigné sa véritable nature et trouvé une place, dans les cadres d’histoire naturelle, à celui dont j’admirais la noblesse dans sa pose maladive. Avec quelle satisfaction de n’être pas tout à fait ignorant sur les secrets de son double organisme, et quelle avidité d’en savoir davantage, je le contemplais dans sa métamorphose durable ! Quoiqu’il ne possédât pas un visage humain, il me paraissait beau comme les deux longs filaments tentaculiformes d’un insecte ; ou plutôt, comme une inhumation précipitée ; ou encore, comme la loi de la reconstitution des organes mutilés ; et surtout, comme un liquide éminemment putrescible ! Mais, ne prêtant aucune attention à ce qui se passait aux alentours, l’étranger regardait toujours devant lui, avec sa tête de pélican ! Un autre jour, je reprendrai la fin de cette histoire. Cependant, je continuerai ma narration avec un morne empressement ; car, si, de votre côté, il vous tarde de savoir où mon imagination veut en venir (plût au ciel qu’en effet, ce ne fût là que de l’imagination !), du mien, j’ai pris la résolution de terminer en une seule fois (et non en deux !) ce que j’avais à vous dire. Quoique cependant personne n’ait le droit de m’accuser de manquer de courage. Mais, quand on se trouve en présence de pareilles circonstances, plus d’un sent battre contre la paume de sa main les pulsations de son cœur. Il vient de mourir, presque inconnu, dans un petit port de Bretagne, un maître caboteur, vieux marin, qui fut le héros d’une terrible histoire. Il était alors capitaine au long cours, et voyageait pour un armateur de Saint-Malo. Or, après une absence de treize mois, il arriva au foyer conjugal, au moment où sa femme, encore alitée, venait de lui donner un héritier, à la reconnaissance duquel il ne se reconnaissait aucun droit. Le capitaine ne fit rien paraître de sa surprise et de sa colère ; il pria froidement sa femme de s’habiller, et de l’accompagner à une promenade, sur les remparts de la ville. On était en janvier. Les remparts de Saint-Malo sont élevés, et, lorsque souffle le vent du nord, les plus intrépides reculent. La malheureuse obéit, calme et résignée ; en entrant, elle délira. Elle expira dans la nuit. Mais, ce n’était qu’une femme. Tandis que moi, qui suis un homme, en présence d’un drame non moins grand, je ne sais si je conservai assez d’empire sur moi-même, pour que les muscles de ma figure restassent immobiles ! Dès que le scarabée fut arrivé au bas du tertre, l’homme leva son bras vers l’ouest (précisément, dans cette direction, un vautour des agneaux et un grand-duc de Virginie avaient engagé un combat dans les airs), essuya sur son bec une longue larme qui présentait un système de coloration diamantée, et dit au scarabée : « Malheureuse boule ! ne l’as-tu pas fait rouler assez longtemps ? Ta vengeance n’est pas encore assouvie ; et, déjà, cette femme, dont tu avais attaché, avec des colliers de perles, les jambes et les bras, de manière à réaliser un polyèdre amorphe, afin de la traîner, avec tes tarses, à travers les vallées et les chemins, sur les ronces et les pierres (laisse-moi m’approcher pour voir si c’est encore elle !), a vu ses os se creuser de blessures, ses membres se polir par la loi mécanique du frottement rotatoire, se confondre dans l’unité de la coagulation, et son corps présenter, au lieu des linéaments primordiaux et des courbes naturelles, l’apparence monotone d’un seul tout homogène qui ne ressemble que trop, par la confusion de ses divers éléments broyés, à la masse d’une sphère ! Il y a longtemps qu’elle est morte ; laisse ces dépouilles à la terre, et prends garde d’augmenter, dans d’irréparables proportions, la rage qui te consume : ce n’est plus de la justice ; car, l’égoïsme, caché dans les téguments de ton front, soulève lentement, comme un fantôme, la draperie qui le recouvre. » Le vautour des agneaux et le grand-duc de Virginie, portés insensiblement, par les péripéties de leur lutte, s’étaient rapprochés de nous. Le scarabée trembla devant ces paroles inattendues, et, ce qui, dans une autre occasion, aurait été un mouvement insignifiant, devint, cette fois, la marque distinctive d’une fureur qui ne connaissait plus de bornes ; car, il frotta redoutablement ses cuisses postérieures contre le bord des élytres, en faisant entendre un bruit aigu : « Qui es-tu, donc, toi ; être pusillanime ? Il paraît que tu as oublié certains développements étranges des temps passés ; tu ne les retiens pas dans ta mémoire, mon frère. Cette femme nous a trahis, l’un après l’autre. Toi le premier, moi le second. Il me semble que cette injure ne doit pas (ne doit pas !) disparaître du souvenir si facilement. Si facilement ! Toi, ta nature magnanime te permet de pardonner. Mais, sais-tu si, malgré la situation anormale des atomes de cette femme, réduite à pâte de pétrin (il n’est pas maintenant question de savoir si l’on ne croirait pas, à la première investigation, que ce corps ait été augmenté d’une quantité notable de densité plutôt par l’engrenage de deux fortes roues que par les effets de ma passion fougueuse), elle n’existe pas encore ? Tais-toi, et permets que je me venge. » Il reprit son manège, et s’éloigna, la boule poussée devant lui. Quand il se fut éloigné, le pélican s’écria : « Cette femme, par son pouvoir magique, m’a donné une tête de palmipède, et a changé mon frère en scarabée : peut-être qu’elle mérite même de pires traitements que ceux que je viens d’énumérer. » Et moi, qui n’étais pas certain de ne pas rêver, devinant, par ce que j’avais entendu, la nature des relations hostiles qui unissaient, au-dessus de moi, dans un combat sanglant, le vautour des agneaux et le grand-duc de Virginie, je rejetai, comme un capuchon, ma tête en arrière, afin de donner, au jeu de mes poumons, l’aisance et l’élasticité susceptibles, et je leur criai, en dirigeant mes yeux vers le haut : « Vous autres, cessez votre discorde. Vous avez raison tous les deux ; car, à chacun elle avait promis son amour ; par conséquent, elle vous a trompés ensemble. Mais, vous n’êtes pas les seuls. En outre, elle vous dépouilla de votre forme humaine, se faisant un jeu cruel de vos plus saintes douleurs. Et, vous hésiteriez à me croire ! D’ailleurs elle est morte ; et le scarabée lui a fait subir un châtiment d’ineffaçable empreinte, malgré la pitié du premier trahi. » À ces mots, ils mirent fin à leur querelle, et ne s’arrachèrent plus les plumes, ni les lambeaux de chair : ils avaient raison d’agir ainsi. Le grand-duc de Virginie, beau comme un mémoire sur la courbe que décrit un chien en courant après son maître, s’enfonça dans les crevasses d’un couvent en ruines. Le vautour des agneaux, beau comme la loi de l’arrêt de développement de la poitrine chez les adultes dont la propension à la croissance n’est pas en rapport avec la quantité de molécules que leur organisme s’assimile, se perdit dans les hautes couches de l’atmosphère. Le pélican, dont le généreux pardon m’avait causé beaucoup d’impression, parce que je ne le trouvais pas naturel, reprenant sur son tertre l’impassibilité majestueuse d’un phare, comme pour avertir les navigateurs humains de faire attention à son exemple, et de préserver leur sort de l’amour des magiciennes sombres, regardait toujours devant lui. Le scarabée, beau comme le tremblement des mains dans l’alcoolisme, disparaissait à l’horizon. Quatre existences de plus que l’on pouvait rayer du livre de vie. Je m’arrachai un muscle entier dans le bras gauche, car je ne savais plus ce que je faisais, tant je me trouvais ému devant cette quadruple infortune. Et, moi, qui croyais que c’étaient des matières excrémentitielles. Grande bête que je suis, va.

L’anéantissement intermittent des facultés humaines : quoi que votre pensée penchât à supposer, ce ne sont pas là des mots. Du moins, ce ne sont pas des mots comme les autres. Qu’il lève la main, celui qui croirait accomplir un acte juste, en priant quelque bourreau de l’écorcher vivant. Qu’il redresse la tête, avec la volupté du sourire, celui qui, volontairement, offrirait sa poitrine aux balles de la mort. Mes yeux chercheront la marque des cicatrices ; mes dix doigts concentreront la totalité de leur attention à palper soigneusement la chair de cet excentrique ; je vérifierai que les éclaboussures de la cervelle ont rejailli sur le satin de mon front. N’est-ce pas qu’un homme, amant d’un pareil martyre, ne se trouverait pas dans l’univers entier ? Je ne connais pas ce que c’est que le rire, c’est vrai, ne l’ayant jamais éprouvé par moi-même. Cependant, quelle imprudence n’y aurait-il pas à soutenir que mes lèvres ne s’élargiraient pas, s’il m’était donné de voir celui qui prétendrait que, quelque part, cet homme-là existe ? Ce qu’aucun ne souhaiterait pour sa propre existence, m’a été échu par un lot inégal. Ce n’est pas que mon corps nage dans le lac de la douleur ; passe alors. Mais, l’esprit se dessèche par une réflexion condensée et continuellement tendue ; il hurle comme les grenouilles d’un marécage, quand une troupe de flamants voraces et de hérons affamés vient s’abattre sur les joncs de ses bords. Heureux celui qui dort paisiblement dans un lit de plumes, arrachées à la poitrine de l’eider, sans remarquer qu’il se trahit lui-même. Voilà plus de trente ans que je n’ai pas encore dormi. Depuis l’imprononçable jour de ma naissance, j’ai voué aux planches somnifères une haine irréconciliable. C’est moi qui l’ai voulu ; que nul ne soit accusé. Vite, que l’on se dépouille du soupçon avorté. Distinguez-vous, sur mon front, cette pâle couronne ? Celle qui la tressa de ses doigts maigres fut la ténacité. Tant qu’un reste de séve brûlante coulera dans mes os, comme un torrent de métal fondu, je ne dormirai point. Chaque nuit, je force mon œil livide à fixer les étoiles, à travers les carreaux de ma fenêtre. Pour être plus sûr de moi-même, un éclat de bois sépare mes paupières gonflées. Lorsque l’aurore apparaît, elle me retrouve dans la même position, le corps appuyé verticalement, et debout contre le plâtre de la muraille froide. Cependant, il m’arrive quelquefois de rêver, mais sans perdre un seul instant le vivace sentiment de ma personnalité et la libre faculté de me mouvoir : sachez que le cauchemar qui se cache dans les angles phosphoriques de l’ombre, la fièvre qui palpe mon visage avec son moignon, chaque animal impur qui dresse sa griffe sanglante, eh bien, c’est ma volonté qui, pour donner un aliment stable à son activité perpétuelle, les fait tourner en rond. En effet, atome qui se venge en son extrême faiblesse, le libre arbitre ne craint pas d’affirmer, avec une autorité puissante, qu’il ne compte pas l’abrutissement parmi le nombre de ses fils : celui qui dort est moins qu’un animal châtré la veille. Quoique l’insomnie entraîne, vers les profondeurs de la fosse, ces muscles qui déjà répandent une odeur de cyprès, jamais la blanche catacombe de mon intelligence n’ouvrira ses sanctuaires aux yeux du Créateur. Une secrète et noble justice, vers les bras tendus de laquelle je me lance par instinct, m’ordonne de traquer sans trève cet ignoble châtiment. Ennemi redoutable de mon âme imprudente, à l’heure où l’on allume un falot sur la côte, je défends à mes reins infortunés de se coucher sur la rosée de gazon. Vainqueur, je repousse les embûches de l’hypocrite pavot. Il est en conséquence certain que, par cette lutte étrange, mon cœur a muré ses desseins, affamé qui se mange lui-même. Impénétrable comme les géants, moi, j’ai vécu sans cesse avec l’envergure des yeux béante. Au moins, il est avéré que, pendant le jour, chacun peut opposer une résistance utile contre le Grand Objet Extérieur (qui ne sait pas son nom ?) ; car, alors, la volonté veille à sa propre défense avec un remarquable acharnement. Mais aussitôt que le voile des vapeurs nocturnes s’étend, même sur les condamnés que l’on va pendre, oh ! voir son intellect entre les sacrilèges mains d’un étranger. Un implacable scalpel en scrute les broussailles épaisses. La conscience exhale un long râle de malédiction ; car, le voile de sa pudeur reçoit de cruelles déchirures. Humiliation ! notre porte est ouverte à la curiosité farouche du Céleste Bandit. Je n’ai pas mérité ce supplice infâme, toi, le hideux espion de ma causalité ! Si j’existe, je ne suis pas un autre. Je n’admets pas en moi cette équivoque pluralité. Je veux résider seul dans mon intime raisonnement. L’autonomie… ou bien qu’on me change en hippopotame. Abîme-toi sous terre, ô anonyme stigmate, et ne reparais plus devant mon indignation hagarde. Ma subjectivité et le Créateur, c’est trop pour un cerveau. Quand la nuit obscurcit le cours des heures, quel est celui qui n’a pas combattu contre l’influence du sommeil, dans sa couche mouillée d’une glaciale sueur ? Ce lit, attirant contre son sein les facultés mourantes, n’est qu’un tombeau composé de planches de sapin équarri. La volonté se retire insensiblement, comme en présence d’une force invisible. Une poix visqueuse épaissit le cristallin des yeux. Les paupières se recherchent comme deux amis. Le corps n’est plus qu’un cadavre qui respire. Enfin, quatre énormes pieux clouent sur le matelas la totalité des membres. Et remarquez, je vous prie, qu’en somme les draps ne sont que des linceuls. Voici la cassolette où brûle l’encens des religions. L’éternité mugit, ainsi qu’une mer lointaine, et s’approche à grands pas. L’appartement a disparu : prosternez-vous, humains, dans la chapelle ardente ! Quelquefois, s’efforçant inutilement de vaincre les imperfections de l’organisme, au milieu du sommeil le plus lourd, le sens magnétisé s’aperçoit avec étonnement qu’il n’est plus qu’un bloc de sépulture, et raisonne admirablement, appuyé sur une subtilité incomparable : « Sortir de cette couche est un problème plus difficile qu’on ne le pense. Assis sur la charrette, l’on m’entraîne vers la binarité des poteaux de la guillotine. Chose curieuse, mon bras inerte s’est assimilé savamment la raideur de la souche. C’est très mauvais de rêver qu’on marche à l’échafaud. » Le sang coule à larges flots à travers la figure. La poitrine effectue des soubresauts répétés, et se gonfle avec des sifflements. Le poids d’un obélisque étouffe l’expansion de la rage. Le réel a détruit les rêves de la somnolence ! Qui ne sait pas que, lorsque la lutte se prolonge entre le moi, plein de fierté, et l’accroissement terrible de la catalepsie, l’esprit halluciné perd le jugement ? Rongé par le désespoir, il se complaît dans son mal, jusqu’à ce qu’il ait vaincu la nature, et que le sommeil, voyant sa proie lui échapper, s’enfuie sans retour loin de son cœur, d’une aile irritée et honteuse. Jetez un peu de cendre sur mon orbite en feu. Ne fixez pas mon œil qui ne se ferme jamais. Comprenez-vous les souffrances que j’endure (cependant, l’orgueil est satisfait) ? Dès que la nuit exhorte les humains au repos, un homme, que je connais, marche à grands pas dans la campagne. Je crains que ma résolution ne succombe aux atteintes de la vieillesse. Qu’il arrive, ce jour fatal où je m’endormirai ! Au réveil mon rasoir, se frayant un passage à travers le cou, prouvera que rien n’était, en effet, plus réel.

— Mais qui donc !… mais qui donc ose, ici, comme un conspirateur, traîner les anneaux de son corps vers ma poitrine noire ? Qui que tu sois, excentrique python, par quel prétexte excuses-tu ta présence ridicule ? Est-ce un vaste remords qui te tourmente ? Car, vois-tu, boa, ta sauvage majesté n’a pas, je le suppose, l’exorbitante prétention de se soustraire à la comparaison que j’en fais avec les traits du criminel. Cette bave écumeuse et blanchâtre est, pour moi, le signe de la rage. Écoute-moi : sais-tu que ton œil est loin de boire un rayon céleste ? N’oublie pas que si ta présomptueuse cervelle m’a cru capable de t’offrir quelques paroles de consolation, ce ne peut être que par le motif d’une ignorance totalement dépourvue de connaissances physiognomoniques. Pendant un temps, bien entendu, suffisant, dirige la lueur de tes yeux vers ce que j’ai le droit, comme un autre, d’appeler mon visage ! Ne vois-tu pas comme il pleure ? Tu t’es trompé, basilic. Il est nécessaire que tu cherches ailleurs la triste ration de soulagement, que mon impuissance radicale te retranche, malgré les nombreuses protestations de ma bonne volonté. Oh ! quelle force, en phrases exprimable, fatalement t’entraîna vers ta perte ? Il est presque impossible que je m’habitue à ce raisonnement que tu ne comprennes pas que, plaquant sur le gazon rougi, d’un coup de mon talon, les courbes fuyantes de ta tête triangulaire, je pourrais pétrir un innommable mastic avec l’herbe de la savane et la chair de l’écrasé.

— Disparais le plus tôt possible loin de moi, coupable à la face blême ! Le mirage fallacieux de l’épouvantement t’a montré ton propre spectre ! Dissipe tes injurieux soupçons, si tu ne veux pas que je t’accuse à mon tour, et que je ne porte contre toi une récrimination qui serait certainement approuvée par le jugement du serpentaire reptilivore. Quelle monstrueuse aberration de l’imagination t’empêche de me reconnaître ! Tu ne te rappelles donc pas les services importants que je t’ai rendus, par la gratification d’une existence que je fis émerger du chaos, et, de ton côté, le vœu, à jamais inoubliable, de ne pas déserter mon drapeau, afin de me rester fidèle jusqu’à la mort ? Quand tu étais enfant (ton intelligence était alors dans sa plus belle phase), le premier, tu grimpais sur la colline, avec la vitesse de l’izard, pour saluer, par un geste de ta petite main, les multicolores rayons de l’aurore naissante. Les notes de ta voix jaillissaient, de son larynx sonore, comme des perles diamantines, et résolvaient leurs collectives personnalités, dans l’agrégation vibrante d’un long hymne d’adoration. Maintenant, tu rejettes à tes pieds, comme un haillon souillé de boue, la longanimité dont j’ai fait trop longtemps preuve. La reconnaissance a vu ses racines se dessécher, comme le lit d’une mare ; mais, à sa place, l’ambition a crû dans des proportions qu’il me serait pénible de qualifier. Quel est-il, celui qui m’écoute, pour avoir une telle confiance dans l’abus de sa propre faiblesse ?

— Et qui es-tu, toi-même, substance audacieuse ? Non !… non !… je ne me trompe pas ; et, malgré les métamorphoses multiples auxquelles tu as recours, toujours ta tête de serpent reluira devant mes yeux comme un phare d’éternelle injustice, et de cruelle domination ! Il a voulu prendre les rênes du commandement, mais il ne sait pas régner ! Il a voulu devenir un objet d’horreur pour tous les êtres de la création, et il a réussi. Il a voulu prouver que lui seul est le monarque de l’univers, et c’est en cela qu’il s’est trompé. O misérable ! as-tu attendu jusqu’à cette heure pour entendre les murmures et les complots qui, s’élevant simultanément de la surface des sphères, viennent raser d’une aile farouche les rebords papillacés de ton destructible tympan ?

Il n’est pas loin, le jour, où mon bras te renversera dans la poussière, empoisonnée par ta respiration, et, arrachant de tes entrailles une nuisible vie, laissera sur le chemin ton cadavre, criblé de contorsions, pour apprendre au voyageur consterné, que cette chair palpitante, qui frappe sa vue d’étonnement, et cloue dans son palais sa langue muette, ne doit plus être comparée, si l’on garde son sang-froid, qu’au tronc pourri d’un chêne, qui tomba de vétusté ! Quelle pensée de pitié me retient devant ta présence ? Toi-même, recule plutôt devant moi, te dis-je, et va laver ton incommensurable honte dans le sang d’un enfant qui vient de naître : voilà quelles sont tes habitudes. Elles sont dignes de toi. Va… marche toujours devant toi. Je te condamne à devenir errant. Je te condamne à rester seul et sans famille. Chemine constamment, afin que tes jambes te refusent leur soutien. Traverse les sables des déserts jusqu’à ce que la fin du monde engloutisse les étoiles dans le néant. Lorsque tu passeras près de la tanière du tigre, il s’empressera de fuir, pour ne pas regarder, comme dans un miroir, son caractère exhaussé sur le socle de la perversité idéale. Mais, quand la fatigue impérieuse t’ordonnera d’arrêter ta marche devant les dalles de mon palais, recouvertes de ronces et de chardons, fais attention à tes sandales en lambeaux, et franchis, sur la pointe des pieds, l’élégance des vestibules. Ce n’est pas une recommandation inutile. Tu pourrais éveiller ma jeune épouse et mon fils en bas âge, couchés dans les caveaux de plomb qui longent les fondements de l’antique château. Si tu ne prenais tes précautions d’avance, ils pourraient te faire pâlir par leurs hurlements souterrains. Quand ton impénétrable volonté leur ôta l’existence, ils n’ignoraient pas que ta puissance est redoutable, et n’avaient aucun doute à cet égard ; mais, ils ne s’attendaient point (et leurs adieux suprêmes me confirmèrent leur croyance) que ta Providence se serait montrée à ce point impitoyable ! Quoi qu’il en soit, traverse rapidement ces salles abandonnées et silencieuses, aux lambris d’émeraude, mais aux armoiries fanées, où reposent les glorieuses statues de mes ancêtres. Ces corps de marbre sont irrités contre toi ; évite leurs regards vitreux. C’est un conseil que te donne la langue de leur unique et dernier descendant. Regarde comme leur bras est levé dans l’attitude de la défense provocatrice, la tête fièrement renversée en arrière. Sûrement ils ont deviné le mal que tu m’as fait ; et, si tu passes à portée des piédestaux glacés qui soutiennent ces blocs sculptés, la vengeance t’y attend. Si ta défense a besoin de m’objecter quelque chose, parle. Il est trop tard pour pleurer maintenant. Il fallait pleurer dans des moments plus convenables, quand l’occasion était propice. Si tes yeux sont enfin dessillés, juge toi-même quelles ont été les conséquences de ta conduite. Adieu ! je m’en vais respirer la brise des falaises ; car, mes poumons, à moitié étouffés, demandent à grands cris un spectacle plus tranquille et plus vertueux que le tien !

Ô pédérastes incompréhensibles, ce n’est pas moi qui lancerai des injures à votre grande dégradation ; ce n’est pas moi qui viendrai jeter le mépris sur votre anus infundibuliforme. Il suffit que les maladies honteuses, et presque incurables, qui vous assiègent, portent avec elles leur immanquable châtiment. Législateurs d’institutions stupides, inventeurs d’une morale étroite, éloignez-vous de moi, car je suis une âme impartiale. Et vous, jeunes adolescents ou plutôt jeunes filles, expliquez-moi comment et pourquoi (mais, tenez-vous à une convenable distance, car, moi non plus, je ne sais pas résister à mes passions) la vengeance a germé dans vos cœurs, pour avoir attaché au flanc de l’humanité une pareille couronne de blessures. Vous la faites rougir de ses fils par votre conduite (que, moi, je vénère !) ; votre prostitution, s’offrant au premier venu, exerce la logique des penseurs les plus profonds, tandis que votre sensibilité exagérée comble la mesure de la stupéfaction de la femme elle-même. Êtes-vous d’une nature moins ou plus terrestre que celle de vos semblables ? Possédez-vous un sixième sens qui nous manque ? Ne mentez pas, et dites ce que vous pensez. Ce n’est pas une interrogation que je vous pose ; car, depuis que je fréquente en observateur la sublimité de vos intelligences grandioses, je sais à quoi m’en tenir. Soyez bénis par ma main gauche, soyez sanctifiés par ma main droite, anges protégés par mon amour universel. Je baise votre visage, je baise votre poitrine, je baise, avec mes lèvres suaves, les diverses parties de votre corps harmonieux et parfumé. Que ne m’aviez-vous dit tout de suite ce que vous étiez, cristallisations d’une beauté morale supérieure ? Il a fallu que je devinasse par moi-même les innombrables trésors de tendresse et de chasteté que recélaient les battements de votre cœur oppressé. Poitrine ornée de guirlandes de roses et de vétyver. Il a fallu que j’entr’ouvrisse vos jambes pour vous connaître et que ma bouche se suspendît aux insignes de votre pudeur. Mais (chose importante à représenter) n’oubliez pas chaque jour de laver la peau de vos parties, avec de l’eau chaude, car, sinon, des chancres vénériens pousseraient infailliblement sur les commissures fendues de mes lèvres inassouvies. Oh ! si au lieu d’être un enfer, l’univers n’avait été qu’un céleste anus immense, regardez le geste que je fais du côté de mon bas-ventre : oui, j’aurais enfoncé ma verge, à travers son sphyncter sanglant, fracassant, par mes mouvements impétueux, les propres parois de son bassin ! Le malheur n’aurait pas alors soufflé, sur mes yeux aveuglés, des dunes entières de sable mouvant ; j’aurais découvert l’endroit souterrain où gît la vérité endormie, et les fleuves de mon sperme visqueux auraient trouvé de la sorte un océan où se précipiter ! Mais, pourquoi me surprends-je à regretter un état de choses imaginaire et qui ne recevra jamais le cachet de son accomplissement ultérieur ? Ne nous donnons pas la peine de construire de fugitives hypothèses. En attendant, que celui qui brûle de l’ardeur de partager mon lit vienne me trouver ; mais, je mets une condition rigoureuse à mon hospitalité : il faut qu’il n’ait pas plus de quinze ans. Qu’il ne croie pas de son côté que j’en ai trente ; qu’est-ce que cela y fait ? L’âge ne diminue pas l’intensité des sentiments, loin de là ; et, quoique mes cheveux soient devenus blancs comme la neige, ce n’est pas à cause de la vieillesse : c’est, au contraire, pour le motif que vous savez. Moi, je n’aime pas les femmes ! Ni même les hermaphrodites ! Il me faut des êtres qui me ressemblent, sur le front desquels la noblesse humaine soit marquée en caractères plus tranchés et ineffaçables ! Êtes-vous certain que celles qui portent de longs cheveux, soient de la même nature que la mienne ? Je ne le crois pas, et je ne déserterai pas mon opinion. Une salive saumâtre coule de ma bouche, je ne sais pas pourquoi. Qui veut me la sucer, afin que j’en sois débarrassé ? Elle monte… elle monte toujours ! Je sais ce que c’est. J’ai remarqué que, lorsque je bois à la gorge le sang de ceux qui se couchent à côté de moi (c’est à tort que l’on me suppose vampire, puisqu’on appelle ainsi des morts qui sortent de leur tombeau ; or, moi, je suis un vivant), j’en rejette le lendemain une partie par la bouche : voilà l’explication de la salive infecte. Que voulez-vous que j’y fasse, si les organes, affaiblis par le vice, se refusent à l’accomplissement des fonctions de la nutrition ? Mais, ne révélez mes confidences à personne. Ce n’est pas pour moi que je vous dis cela ; c’est pour vous-même et les autres, afin que le prestige du secret retienne dans les limites du devoir et de la vertu ceux qui, aimantés par l’électricité de l’inconnu, seraient tentés de m’imiter. Ayez la bonté de regarder ma bouche (pour le moment, je n’ai pas le temps d’employer une formule plus longue de politesse) ; elle vous frappe au premier abord par l’apparence de sa structure, sans mettre le serpent dans vos comparaisons ; c’est que j’en contracte le tissu jusqu’à la dernière réduction, afin de faire croire que je possède un caractère froid. Vous n’ignorez pas qu’il est diamétralement opposé. Que ne puis-je regarder à travers ces pages séraphiques le visage de celui qui me lit. S’il n’a pas dépassé la puberté, qu’il s’approche. Serre-moi contre toi, et ne crains pas de me faire du mal ; rétrécissons progressivement les liens de nos muscles. Davantage. Je sens qu’il est inutile d’insister ; l’opacité, remarquable à plus d’un titre, de cette feuille de papier, est un empêchement des plus considérables à l’opération de notre complète jonction. Moi, j’ai toujours éprouvé un caprice infâme pour la pâle jeunesse des collèges, et les enfants étiolés des manufactures ! Mes paroles ne sont pas les réminiscences d’un rêve, et j’aurai trop de souvenirs à débrouiller, si l’obligation m’était imposée de faire passer devant vos yeux les événements qui pourraient affermir de leur témoignage la véracité de ma douloureuse affirmation. La justice humaine ne m’a pas encore surpris en flagrant délit, malgré l’incontestable habileté de ses agents. J’ai même assassiné (il n’y a pas longtemps !) un pédéraste qui ne se prêtait pas suffisamment à ma passion ; j’ai jeté son cadavre dans un puits abandonné, et l’on n’a pas de preuves décisives contre moi. Pourquoi frémissez-vous de peur, adolescent qui me lisez ? Croyez-vous que je veuille en faire autant envers vous ? Vous vous montrez souverainement injuste… Vous avez raison : méfiez-vous de moi, surtout si vous êtes beau. Mes parties offrent éternellement le spectacle lugubre de la turgescence ; nul ne peut soutenir (et combien ne s’en ont-ils pas approchés !) qu’il les a vues à l’état de tranquillité normale, pas même le décrotteur qui m’y porta un coup de couteau dans un moment de délire. L’ingrat ! Je change de vêtements deux fois par semaine, la propreté n’étant pas le principal motif de ma détermination. Si je n’agissais pas ainsi, les membres de l’humanité disparaîtraient au bout de quelques jours, dans des combats prolongés. En effet, dans quelque contrée que je me trouve, ils me harcèlent continuellement de leur présence et viennent lécher la surface de mes pieds. Mais, quelle puissance possèdent-elles donc, mes gouttes séminales, pour attirer vers elles tout ce qui respire par des nerfs olfactifs ! Ils viennent des bords des Amazones, ils traversent les vallées qu’arrose le Gange, ils abandonnent le lichen polaire, pour accomplir de longs voyages à ma recherche, et demander aux cités immobiles, si elles n’ont pas vu passer, un instant, le long de leurs remparts, celui dont le sperme sacré embaume les montagnes, les lacs, les bruyères, les forêts, les promontoires et la vastitude des mers ! Le désespoir de ne pas pouvoir me rencontrer (je me cache secrètement dans les endroits les plus inaccessibles, afin d’alimenter leur ardeur) les porte aux actes les plus regrettables. Ils se mettent trois cent mille de chaque côté, et les mugissements des canons servent de prélude à la bataille. Toutes les ailes s’ébranlent à la fois, comme un seul guerrier. Les carrés se forment et tombent aussitôt pour ne plus se relever. Les chevaux effarés s’enfuient dans toutes les directions. Les boulets labourent le sol, comme des météores implacables. Le théâtre du combat n’est plus qu’un vaste champ de carnage, quand la nuit révèle sa présence et que la lune silencieuse apparaît entre les déchirures d’un nuage. Me montrant du doigt un espace de plusieurs lieues recouvert de cadavres, le croissant vaporeux de cet astre m’ordonne de prendre un instant, comme le sujet de méditatives réflexions, les conséquences funestes qu’entraîne, après lui, l’inexplicable talisman enchanteur que la Providence m’accorda. Malheureusement que de siècles ne faudra-t-il pas encore, avant que la race humaine périsse entièrement par mon piége perfide ! C’est ainsi qu’un esprit habile, et qui ne se vante pas, emploie, pour atteindre à ses fins, les moyens mêmes qui paraîtraient d’abord y porter un invincible obstacle. Toujours mon intelligence s’élève vers cette imposante question, et vous êtes témoin vous-même qu’il ne m’est plus possible de rester dans le sujet modeste qu’au commencement j’avais le dessein de traiter. Un dernier mot… c’était une nuit d’hiver. Pendant que la bise sifflait dans les sapins, le Créateur ouvrit sa porte au milieu des ténèbres et fit entrer un pédéraste.

Silence ! il passe un cortège funéraire à côté de vous. Inclinez la binarité de vos rotules vers la terre et entonnez un chant d’outre-tombe. (Si vous considérez mes paroles plutôt comme une simple forme impérative, que comme un ordre formel qui n’est pas à sa place, vous montrerez de l’esprit et du meilleur.) Il est possible que vous parveniez de la sorte à réjouir extrêmement l’âme du mort, qui va se reposer de la vie dans une fosse. Même le fait est, pour moi, certain. Remarquez que je ne dis pas que votre opinion ne puisse jusqu’à un certain point être contraire à la mienne ; mais, ce qu’il importe avant tout, c’est de posséder des notions justes sur les bases de la morale, de telle manière que chacun doive se pénétrer du principe qui commande de faire à autrui ce que l’on voudrait peut-être qui fût fait à soi-même. Le prêtre des religions ouvre le premier la marche, en tenant à la main un drapeau blanc, signe de la paix, et de l’autre un emblème d’or qui représente les parties de l’homme et de la femme, comme pour indiquer que ces membres charnels sont la plupart du temps, abstraction faite de toute métaphore, des instruments très dangereux entre les mains de ceux qui s’en servent, quand ils les manipulent aveuglément pour des buts divers qui se querellent entre eux, au lieu d’engendrer une opportune réaction contre la passion connue qui cause presque tous nos maux. Au bas de son dos est attachée (artificiellement, bien entendu) une queue de cheval, aux crins épais, qui balaie la poussière du sol. Elle signifie de prendre garde de ne pas nous ravaler par notre conduite au rang des animaux. Le cercueil connaît sa route et marche après la tunique flottante du consolateur. Les parents et les amis du défunt, par la manifestation de leur position, ont résolu de fermer la marche du cortège. Celui-ci s’avance avec majesté, comme un vaisseau qui fend la pleine mer, et ne craint pas le phénomène de l’enfoncement ; car, au moment actuel, les tempêtes et les écueils ne se font pas remarquer par quelque chose de moins que leur explicable absence. Les grillons et les crapauds suivent à quelques pas la fête mortuaire ; eux, aussi, n’ignorent pas que leur modeste présence aux funérailles de quiconque leur sera un jour comptée. Ils s’entretiennent à voix basse dans leur pittoresque langage (ne soyez pas assez présomptueux, permettez-moi de vous donner ce conseil non intéressé, pour croire que vous seul possédez la précieuse faculté de traduire les sentiments de votre pensée) de celui qu’ils regardèrent plus d’une fois courir à travers les prairies verdoyantes, et plonger la sueur de ses membres dans les bleuâtres vagues des golfes arénacés. D’abord, la vie parut lui sourire sans arrière-pensée ; et, magnifiquement, le couronna de fleurs ; mais, puisque votre intelligence elle-même s’aperçoit ou plutôt devine qu’il s’est arrêté aux limites de l’enfance, je n’ai pas besoin, jusqu’à l’apparition d’une rétractation véritablement nécessaire, de continuer les prolégomènes de ma rigoureuse démonstration. Dix ans. Nombre exactement calqué, à s’y méprendre, sur celui des doigts de la main. C’est peu et c’est beaucoup. Dans le cas qui nous préoccupe, cependant, je m’appuierai sur votre amour envers la vérité, pour que vous prononciez, avec moi, sans tarder une seconde de plus, que c’est peu. Et, quand je réfléchis sommairement à ces ténébreux mystères, par lesquels, un être humain disparaît de la terre, aussi facilement qu’une mouche ou une libellule, sans conserver l’espérance d’y revenir, je me surprends à couver le vif regret de ne pas probablement pouvoir vivre assez longtemps, pour vous bien expliquer ce que je n’ai pas la prétention de comprendre moi-même. Mais, puisqu’il est prouvé que, par un hasard extraordinaire, je n’ai pas encore perdu la vie depuis ce temps lointain où je commençai, plein de terreur, la phrase précédente, je calcule mentalement qu’il ne sera pas inutile ici, de construire l’aveu complet de mon impuissance radicale, quand il s’agit surtout, comme à présent, de cette imposante et inabordable question. C’est, généralement parlant, une chose singulière que la tendance attractive qui nous porte à rechercher (pour ensuite les exprimer) les ressemblances et les différences que recèlent, dans leurs naturelles propriétés, les objets les plus opposés entre eux, et quelquefois les moins aptes, en apparence, à se prêter à ce genre de combinaisons sympathiquement curieuses, et qui, ma parole d’honneur, donnent gracieusement au style de l’écrivain, qui se paie cette personnelle satisfaction, l’impossible et inoubliable aspect d’un hibou sérieux jusqu’à l’éternité. Suivons en conséquence le courant qui nous entraîne. Le milan royal a les ailes proportionnellement plus longues que les buses, et le vol bien plus aisé : aussi passe-t-il sa vie dans l’air. Il ne se repose presque jamais et parcourt chaque jour des espaces immenses ; et ce grand mouvement n’est point un exercice de chasse, ni poursuite de proie, ni même de découverte ; car, il ne chasse pas ; mais, il semble que le vol soit son état naturel, sa favorite situation. L’on ne peut s’empêcher d’admirer la manière dont il l’exécute. Ses ailes longues et étroites paraissent immobiles ; c’est la queue qui croit diriger toutes les évolutions, et la queue ne se trompe pas : elle agit sans cesse. Il s’élève sans effort ; il s’abaisse comme s’il glissait sur un plan incliné ; il semble plutôt nager que voler ; il précipite sa course, il la ralentit, s’arrête, et reste comme suspendu ou fixé à la même place, pendant des heures entières. L’on ne peut s’apercevoir d’aucun mouvement dans ses ailes : vous ouvririez les yeux comme la porte d’un four, que ce serait d’autant inutile. Chacun a le bon sens de confesser sans difficulté (quoique avec un peu de mauvaise grâce) qu’il ne s’aperçoit pas, au premier abord, du rapport, si lointain qu’il soit, que je signale entre la beauté du vol du milan royal, et celle de la figure de l’enfant, s’élevant doucement, au-dessus du cercueil découvert, comme un nénuphar qui perce la surface des eaux ; et voilà précisément en quoi consiste l’impardonnable faute qu’entraîne l’inamovible situation d’un manque de repentir, touchant l’ignorance volontaire dans laquelle on croupit. Ce rapport de calme majesté entre les deux termes de ma narquoise comparaison n’est déjà que trop commun, et d’un symbole assez compréhensible, pour que je m’étonne davantage de ce qui ne peut avoir, comme seule excuse, que ce même caractère de vulgarité qui fait appeler, sur tout objet ou spectacle qui en est atteint, un profond sentiment d’indifférence injuste. Comme si ce qui se voit quotidiennement n’en devrait pas moins réveiller l’attention de notre admiration ! Arrivé à l’entrée du cimetière, le cortège s’empresse de s’arrêter ; son intention n’est pas d’aller plus loin. Le fossoyeur achève le creusement de la fosse ; l’on y dépose le cercueil avec toutes les précautions prises en pareil cas ; quelques pelletées de terre inattendues viennent recouvrir le corps de l’enfant. Le prêtre des religions, au milieu de l’assistance émue, prononce quelques paroles pour bien enterrer le mort, davantage, dans l’imagination des assistants. « Il dit qu’il s’étonne beaucoup de ce que l’on verse ainsi tant de pleurs, pour un acte d’une telle insignifiance. Textuel. Mais il craint de ne pas qualifier suffisamment ce qu’il prétend, lui, être un incontestable bonheur. S’il avait cru que la mort est aussi peu sympathique dans sa naïveté, il aurait renoncé à son mandat, pour ne pas augmenter la légitime douleur des nombreux parents et amis du défunt ; mais, une secrète voix l’avertit de leur donner quelques consolations, qui ne seront pas inutiles, ne fût-ce que celle qui ferait entrevoir l’espoir d’une prochaine rencontre dans les cieux entre celui qui mourut et ceux qui survécurent. » Maldoror s’enfuyait au grand galop, en paraissant diriger sa course vers les murailles du cimetière. Les sabots de son coursier élevaient autour de son maître une fausse couronne de poussière épaisse. Vous autres, vous ne pouvez savoir le nom de ce cavalier ; mais, moi, je le sais. Il s’approchait de plus en plus ; sa figure de platine commençait à devenir perceptible, quoique le bas en fût entièrement enveloppé d’un manteau que le lecteur s’est gardé d’ôter de sa mémoire et qui ne laissait apercevoir que les yeux. Au milieu de son discours, le prêtre des religions devient subitement pâle, car son oreille reconnaît le galop irrégulier de ce célèbre cheval blanc qui n’abandonna jamais son maître. « Oui, ajouta-t-il de nouveau, ma confiance est grande dans cette prochaine rencontre ; alors, on comprendra, mieux qu’auparavant, quel sens il fallait attacher à la séparation temporaire de l’âme et du corps. Tel qui croit vivre sur cette terre se berce d’une illusion dont il importerait d’accélérer l’évaporation. » Le bruit du galop s’accroissait de plus en plus ; et, comme le cavalier, étreignant la ligne d’horizon, paraissait en vue, dans le champ d’optique qu’embrassait le portail du cimetière, rapide comme un cyclone giratoire, le prêtre des religions plus gravement reprit : « Vous ne semblez pas vous douter que celui-ci, que la maladie força de ne connaître que les premières phases de la vie, et que la fosse vient de recevoir dans son sein, est l’indubitable vivant ; mais, sachez, au moins, que celui-là, dont vous apercevez la silhouette équivoque emportée par un cheval nerveux, et sur lequel je vous conseille de fixer le plus tôt possible les yeux, car il n’est plus qu’un point, et va bientôt disparaître dans la bruyère, quoiqu’il ait beaucoup vécu, est le seul véritable mort. »

« Chaque nuit, à l’heure où le sommeil est parvenu à son plus grand degré d’intensité, une vieille araignée de la grande espèce sort lentement sa tête d’un trou placé sur le sol, à l’une des intersections des angles de la chambre. Elle écoute attentivement si quelque bruissement remue encore ses mandibules dans l’atmosphère. Vu sa conformation d’insecte, elle ne peut pas faire moins, si elle prétend augmenter de brillantes personnifications les trésors de la littérature, que d’attribuer des mandibules au bruissement. Quand elle s’est assurée que le silence règne aux alentours, elle retire successivement, des profondeurs de son nid, sans le secours de la méditation, les diverses parties de son corps, et s’avance à pas comptés vers ma couche. Chose remarquable ! moi qui fais reculer le sommeil et les cauchemars, je me sens paralysé dans la totalité de mon corps, quand elle grimpe le long des pieds d’ébène de mon lit de satin. Elle m’étreint la gorge avec les pattes, et me suce le sang avec son ventre. Tout simplement ! Combien de litres d’une liqueur pourprée, dont vous n’ignorez pas le nom, n’a-t-elle pas bus, depuis qu’elle accomplit le même manège avec une persistance digne d’une meilleure cause ! Je ne sais pas ce que je lui ai fait, pour qu’elle se conduise de la sorte à mon égard. Lui ai-je broyé une patte par inattention ? Lui ai-je enlevé ses petits ? Ces deux hypothèses, sujettes à caution, ne sont pas capables de soutenir un sérieux examen ; elles n’ont même pas de la peine à provoquer un haussement dans mes épaules et un sourire sur mes lèvres, quoique l’on ne doive se moquer de personne. Prends garde à toi, tarentule noire ; si ta conduite n’a pas pour excuse un irréfutable syllogisme, une nuit je me réveillerai en sursaut, par un dernier effort de ma volonté agonisante, je romprai le charme avec lequel tu retiens mes membres dans l’immobilité, et je t’écraserai entre les os de mes doigts, comme un morceau de matière mollasse. Cependant, je me rappelle vaguement que je t’ai donné la permission de laisser tes pattes grimper sur l’éclosion de la poitrine, et de là jusqu’à la peau qui recouvre mon visage ; que par conséquent, je n’ai pas le droit de te contraindre. Oh ! qui démêlera mes souvenirs confus ! Je lui donne pour récompense ce qui reste de mon sang : en comptant la dernière goutte inclusivement, il y en a pour remplir au moins la moitié d’une coupe d’orgie. » Il parle, et il ne cesse de se déshabiller. Il appuie une jambe sur le matelas, et de l’autre, pressant le parquet de saphir afin de s’enlever, il se trouve étendu dans une position horizontale. Il a résolu de ne pas fermer les yeux, afin d’attendre son ennemi de pied ferme. Mais, chaque fois ne prend-il pas la même résolution, et n’est-elle pas toujours détruite par l’inexplicable image de sa promesse fatale ? Il ne dit plus rien, et se résigne avec douleur ; car, pour lui le serment est sacré. Il s’enveloppe majestueusement dans le replis de la soie, dédaigne d’entrelacer les glands d’or de ses rideaux, et, appuyant les boucles ondulées de ses longs cheveux noirs sur les franges du coussin de velours, il tâte, avec la main, la large blessure de son cou, dans laquelle la tarentule a pris l’habitude de se loger, comme dans un deuxième nid, tandis que son visage respire la satisfaction. Il espère que cette nuit actuelle (espérez avec lui !) verra la dernière représentation de la succion immense ; car, son unique vœu serait que le bourreau en finît avec son existence : la mort, et il sera content. Regardez cette vieille araignée de la grande espèce, qui sort lentement sa tête d’un trou placé sur le sol, à l’une des intersections des angles de la chambre. Nous ne sommes plus dans la narration. Elle écoute attentivement si quelque bruissement remue encore ses mandibules dans l’atmosphère. Hélas ! nous sommes maintenant arrivés dans le réel, quant à ce qui regarde la tarentule, et, quoique l’on pourrait mettre un point d’exclamation à la fin de chaque phrase, ce n’est peut-être pas une raison pour s’en dispenser ! Elle s’est assurée que le silence règne aux alentours ; la voilà qui retire successivement des profondeurs de son nid, sans le secours de la méditation, les diverses parties de son corps, et s’avance à pas comptés vers la couche de l’homme solitaire. Un instant elle s’arrête ; mais il est court, ce moment d’hésitation. Elle se dit qu’il n’est pas temps encore de cesser de torturer, et qu’il faut auparavant donner au condamné les plausibles raisons qui déterminèrent la perpétualité du supplice. Elle a grimpé à côté de l’oreille de l’endormi. Si vous voulez ne pas perdre une seule parole de ce qu’elle va dire, faites abstraction des occupations étrangères qui obstruent le portique de votre esprit, et soyez, au moins, reconnaissant de l’intérêt que je vous porte, en faisant assister votre présence aux scènes théâtrales qui me paraissent dignes d’exciter une véritable attention de votre part ; car, qui m’empêcherait de garder, pour moi seul, les événements que je raconte ? « Réveille-toi, flamme amoureuse des anciens jours, squelette décharné. Le temps est venu d’arrêter la main de la justice. Nous ne te ferons pas attendre longtemps l’explication que tu souhaites. Tu nous écoutes, n’est-ce pas ? Mais ne remue pas tes membres ; tu es encore aujourd’hui sous notre magnétique pouvoir, et l’atonie encéphalique persiste : c’est pour la dernière fois. Quelle impression la figure d’Elsseneur fait-elle dans ton imagination ? Tu l’as oublié ! Et ce Réginald, à la démarche fière, as tu gravé ses traits dans ton cerveau fidèle ? Regarde-le caché dans les replis des rideaux ; sa bouche est penchée vers ton front ; mais il n’ose te parler, car il est plus timide que moi. Je vais te raconter un épisode de ta jeunesse, et te remettre dans le chemin de la mémoire… » Il y avait longtemps que l’araignée avait ouvert son ventre, d’où s’étaient élancés deux adolescents, à la robe bleue, chacun un glaive flamboyant à la main, et qui avaient pris place aux côtés du lit, comme pour garder désormais le sanctuaire du sommeil. « Celui-ci, qui n’a pas encore cessé de te regarder, car il t’aima beaucoup, fut le premier de nous deux auquel tu donnas ton amour. Mais tu le fis souvent souffrir par les brusqueries de ton caractère. Lui, il ne cessait d’employer ses efforts à n’engendrer de ta part aucun sujet de plainte contre lui : un ange n’aurait pas réussi. Tu lui demandas, un jour, s’il voulait aller se baigner avec toi, sur le rivage de la mer. Tous les deux, comme deux cygnes, vous vous élançâtes en même temps d’une roche à pic. Plongeurs éminents, vous glissâtes dans la masse aqueuse, les bras étendus entre la tête, et se réunissant aux mains. Pendant quelques minutes, vous nageâtes entre deux courants. Vous reparûtes à une grande distance, vos cheveux entremêlés entre eux, et ruisselants du liquide salé. Mais quel mystère s’était donc passé sous l’eau, pour qu’une longue trace de sang s’aperçût à travers les vagues ? Revenus à la surface, toi, tu continuais de nager, et tu faisais semblant de ne pas remarquer la faiblesse croissante de ton compagnon. Il perdait rapidement ses forces, et tu n’en poussais pas moins tes larges brassées vers l’horizon brumeux, qui s’estompait devant toi. Le blessé poussa des cris de détresse, et tu fis le sourd. Réginald frappa trois fois l’écho des syllabes de ton nom, et trois fois tu répondis par un cri de volupté. Il se trouvait trop loin du rivage pour y revenir, et s’efforçait en vain de suivre les sillons de ton passage, afin de t’atteindre, et reposer un instant sa main sur ton épaule. La chasse négative se prolongea pendant une heure, lui, perdant ses forces, et, toi, sentant croître les tiennes. Désespérant d’égaler ta vitesse, il fit une courte prière au Seigneur pour lui recommander son âme, se plaça sur le dos comme quand on fait la planche, de telle manière qu’on apercevait le cœur battre violemment sous sa poitrine, et attendit que la mort arrivât, afin de ne plus attendre. En cet instant, tes membres vigoureux étaient à perte de vue, et s’éloignaient encore, rapides comme une sonde qu’on laisse filer. Une barque, qui revenait de placer ses filets au large, passa dans ces parages. Les pêcheurs prirent Réginald pour un naufragé, et le halèrent, évanoui, dans leur embarcation. On constata la présence d’une blessure au flanc droit ; chacun de ces matelots expérimentés émit l’opinion qu’aucune pointe d’écueil ou fragment de rocher n’était susceptible de percer un trou si microscopique et en même temps si profond. Une arme tranchante, comme le serait un stylet des plus aigus, pouvait seule s’arroger des droits à la paternité d’une si fine blessure. Lui, ne voulut jamais raconter les diverses phases du plongeon, à travers les entrailles des flots, et ce secret, il l’a gardé jusqu’à présent. Des larmes coulent maintenant sur ses joues un peu décolorées, et tombent sur tes draps : le souvenir est quelquefois plus amer que la chose. Mais moi, je ne ressentirai pas de la pitié : ce serait te montrer trop d’estime. Ne roule pas dans leur orbite ces yeux furibonds. Reste calme plutôt. Tu sais que tu ne peux pas bouger. D’ailleurs, je n’ai pas terminé mon récit. — Relève ton glaive, Réginald, et n’oublie pas si facilement la vengeance. Qui sait ? peut-être un jour elle viendrait te faire des reproches. — Plus tard, tu conçus des remords dont l’existence devait être éphémère ; tu résolus de racheter ta faute par le choix d’un autre ami, afin de le bénir et de l’honorer. Par ce moyen expiatoire, tu effaçais les tâches du passé, et tu faisais retomber sur celui qui devint la deuxième victime, la sympathie que tu n’avais pas su montrer à l’autre. Vain espoir ; le caractère ne se modifie pas d’un jour à l’autre, et ta volonté resta pareille à elle-même. Moi, Elsseneur, je te vis pour la première fois, et, dès ce moment, je ne pus t’oublier. Nous nous regardâmes pendant quelques instants, et tu te mis à sourire. Je baissais les yeux, parce que je vis dans les tiens une flamme surnaturelle. Je me demandais si, à l’aide d’une nuit obscure, tu t’étais laissé choir secrètement jusqu’à nous de la surface de quelque étoile ; car, je le confesse, aujourd’hui qu’il n’est pas nécessaire de feindre, tu ne ressemblais pas aux marcassins de l’humanité ; mais une auréole de rayons étincelants enveloppait la périphérie de ton front. J’aurais désiré lier des relations intimes avec toi ; ma présence n’osait approcher devant la frappante nouveauté de cette étrange noblesse, et une tenace terreur rôdait autour de moi. Pourquoi n’ai-je pas écouté ces avertissements de la conscience ? Pressentiments fondés. Remarquant mon hésitation, tu rougis à ton tour, et tu avanças le bras. Je mis courageusement ma main dans la tienne, et, après cette action, je me sentis plus fort ; désormais un souffle de ton intelligence était passé dans moi. Les cheveux au vent et respirant les haleines des brises, nous marchâmes quelques instants devant nous, à travers des bosquets touffus de lentisques, de jasmins, de grenadiers et d’orangers, dont les senteurs nous enivraient. Un sanglier frôla nos habits à toute course, et une larme tomba de son œil, quand il me vit avec toi : je ne m’expliquais pas sa conduite. Nous arrivâmes à la tombée de la nuit devant les portes d’une cité populeuse. Les profils des dômes, les flèches des minarets et les boules de marbre des belvédères découpaient vigoureusement leurs dentelures, à travers les ténèbres, sur le bleu intense du ciel. Mais tu ne voulus pas te reposer en cet endroit, quoique nous fussions accablés de fatigue. Nous longeâmes le bas des fortifications externes, comme des chacals nocturnes ; nous évitâmes la rencontre des sentinelles aux aguets ; et nous parvînmes à nous éloigner, par la porte opposée, de cette réunion solennelle d’animaux raisonnables, civilisés comme les castors. Le vol de la fulgore porte-lanterne, le craquement des herbes sèches, les hurlements intermittents de quelque loup lointain accompagnaient l’obscurité de notre marche incertaine, à travers la campagne. Quels étaient donc tes valables motifs pour fuir les ruches humaines ? Je me posais cette question avec un certain trouble ; mes jambes d’ailleurs commençaient à me refuser un service trop longtemps prolongé. Nous atteignîmes enfin la lisière d’un bois épais, dont les arbres étaient entrelacés entre eux par un fouillis de hautes lianes inextricables, de plantes parasites, et de cactus à épines monstrueuses. Tu t’arrêtas devant un bouleau. Tu me dis de m’agenouiller pour me préparer à mourir ; tu m’accordais un quart d’heure pour sortir de cette terre. Quelques regards furtifs, pendant notre longue course, jetés à la dérobée sur moi, quand je ne t’observais pas, certains gestes dont j’avais remarqué l’irrégularité de mesure et de mouvement se présentèrent aussitôt à ma mémoire, comme les pages ouvertes d’un livre. Mes soupçons étaient confirmés. Trop faible pour lutter contre toi, tu me renversas à terre, comme l’ouragan abat la feuille du tremble. Un de tes genoux sur ma poitrine, et l’autre appuyé sur l’herbe humide, tandis qu’une de tes mains arrêtait la binarité de mes bras dans son étau, je vis l’autre sortir un couteau, de la gaîne appendue à ta ceinture. Ma résistance était presque nulle, et je fermai les yeux : les trépignements d’un troupeau de bœufs s’entendirent à quelque distance, apportés par le vent. Il s’avançait comme une locomotive, harcelé par le bâton d’un pâtre et les mâchoires d’un chien. Il n’y avait pas de temps à perdre, et c’est ce que tu compris ; craignant de ne pas parvenir à tes fins, car l’approche d’un secours inespéré avait doublé ma puissance musculaire, et t’apercevant que tu ne pouvais rendre immobile qu’un de mes bras à la fois, tu te contentas, par un rapide mouvement imprimé à la lame d’acier, de me couper le poignet droit. Le morceau, exactement détaché, tomba par terre. Tu pris la fuite, pendant que j’étais étourdi par la douleur. Je ne te raconterai pas comment le pâtre vint à mon secours, ni combien de temps devint nécessaire à ma guérison. Qu’il te suffise de savoir que cette trahison, à laquelle je ne m’attendais pas, me donna l’envie de rechercher la mort. Je portai ma présence dans les combats, afin d’offrir ma poitrine aux coups. J’acquis de la gloire dans les champs de bataille ; mon nom était devenu redoutable même aux plus intrépides, tant mon artificielle main de fer répandait le carnage et la destruction dans les rangs ennemis. Cependant, un jour que les obus tonnaient beaucoup plus fort qu’à l’ordinaire, et que les escadrons, enlevés de leur base, tourbillonnaient, comme des pailles, sous l’influence du cyclone de la mort, un cavalier, à la démarche hardie, s’avança devant moi, pour me disputer la palme de la victoire. Les deux armées s’arrêtèrent, immobiles, pour nous contempler en silence. Nous combattîmes longtemps, criblés de blessures, et les casques brisés. D’un commun accord, nous cessâmes la lutte, afin de nous reposer, et la reprendre ensuite avec plus d’énergie. Plein d’admiration pour son adversaire, chacun lève sa propre visière : « Elsseneur !… », « Réginald !… », telles furent les simples paroles que nos gorges haletantes prononcèrent en même temps. Ce dernier, tombé dans le désespoir d’une tristesse inconsolable, avait pris, comme moi, la carrière des armes, et les balles l’avaient épargné. Dans quelles circonstances nous nous retrouvions ! Mais ton nom ne fut pas prononcé ! Lui et moi, nous nous jurâmes une amitié éternelle ; mais, certes, différente des deux premières dans lesquelles tu avais été le principal acteur ! Un archange, descendu du ciel et messager du Seigneur, nous ordonna de nous changer en une araignée unique, et de venir chaque nuit te sucer la gorge, jusqu’à ce qu’un commandement venu d’en haut arrêtât le cours du châtiment. Pendant près de dix ans, nous avons hanté ta couche. Dès aujourd’hui, tu es délivré de notre persécution. La promesse vague dont tu parlais, ce n’est pas à nous que tu la fis, mais bien à l’Être qui est plus fort que toi : tu comprenais toi-même qu’il valait mieux se soumettre à ce décret irrévocable. Réveille-toi, Maldoror ! Le charme magnétique qui a pesé sur ton système cérébro-spinal, pendant les nuits de deux lustres, s’évapore. » Il se réveille comme il lui a été ordonné, et voit deux formes célestes disparaître dans les airs, les bras entrelacés. Il n’essaie pas de se rendormir. Il sort lentement, l’un après l’autre, ses membres hors de sa couche. Il va réchauffer sa peau glacée aux tisons rallumés de la cheminée gothique. Sa chemise seule recouvre son corps. Il cherche des yeux la carafe de cristal afin d’humecter son palais desséché. Il ouvre les contrevents de la fenêtre. Il s’appuie sur le rebords. Il contemple la lune qui verse, sur sa poitrine, un cône de rayons extatiques, où palpitent, comme des phalènes, des atomes d’argent d’une douceur ineffable. Il attend que le crépuscule du matin vienne apporter, par le changement de décors, un dérisoire soulagement à son cœur bouleversé.

CHANT SIXIÈME

Vous, dont le calme enviable ne peut pas faire plus que d’embellir le faciès, ne croyez pas qu’il s’agisse encore de pousser, dans des strophes de quatorze ou quinze lignes, ainsi qu’un élève de quatrième, des exclamations qui passeront pour inopportunes, et des gloussements sonores de poule cochinchinoise, aussi grotesques qu’on serait capable de l’imaginer, pour peu qu’on s’en donnât la peine ; mais il est préférable de prouver par des faits les propositions que l’on avance. Prétendriez-vous donc que, parce que j’aurais insulté, comme en me jouant, l’homme, le Créateur et moi-même, dans mes explicables hyperboles, ma mission fût complète ? Non : la partie la plus importante de mon travail n’en subsiste pas moins, comme tâche qui reste à faire. Désormais, les ficelles du roman remueront les trois personnages nommés plus haut : il leur sera ainsi communiqué une puissance moins abstraite. La vitalité se répandra magnifiquement dans le torrent de leur appareil circulatoire, et vous verrez comme vous serez étonné vous-même de rencontrer, là où d’abord vous n’aviez cru voir que des entités vagues appartenant au domaine de la spéculation pure, d’une part, l’organisme corporel avec ses ramifications de nerfs et ses membranes muqueuses, de l’autre, le principe spirituel qui préside aux fonctions physiologiques de la chair. Ce sont des êtres doués d’une énergique vie qui, les bras croisés et la poitrine en arrêt, poseront prosaïquement (mais, je suis certain que l’effet sera très-poétique) devant votre visage, placés seulement à quelques pas de vous, de manière que les rayons solaires, frappant d’abord les tuiles des toits et le couvercle des cheminées, viendront ensuite se refléter visiblement sur leurs cheveux terrestres et matériels. Mais, ce ne seront plus des anathèmes, possesseurs de la spécialité de provoquer le rire ; des personnalités fictives qui auraient bien fait de rester dans la cervelle de l’auteur ; ou des cauchemars placés trop au-dessus de l’existence ordinaire. Remarquez que, par cela même, ma poésie n’en sera que plus belle. Vous toucherez avec vos mains des branches ascendantes d’aorte et des capsules surrénales ; et puis des sentiments ! Les cinq premiers récits n’ont pas été inutiles ; ils étaient le frontispice de mon ouvrage, le fondement de la construction, l’explication préalable de ma poétique future : et je devais à moi-même, avant de boucler ma valise et me mettre en marche pour les contrées de l’imagination, d’avertir les sincères amateurs de la littérature, par l’ébauche rapide d’une généralisation claire et précise, du but que j’avais résolu de poursuivre. En conséquence, mon opinion est que, maintenant, la partie synthétique de mon œuvre est complète et suffisamment paraphrasée. C’est par elle que vous avez appris que je me suis proposé d’attaquer l’homme et Celui qui le créa. Pour le moment et pour plus tard, vous n’avez pas besoin d’en savoir davantage ! Des considérations nouvelles me paraissent superflues, car elles ne feraient que répéter, sous une autre forme, plus ample, il est vrai, mais identique, l’énoncé de la thèse dont la fin de ce jour verra le premier développement. Il résulte, des observations qui précèdent, que mon intention est d’entreprendre, désormais, la partie analytique ; cela est si vrai qu’il n’y a que quelques minutes seulement, que j’exprimai le vœu ardent que vous fussiez emprisonné dans les glandes sudoripares de ma peau, pour vérifier la loyauté de ce que j’affirme, en connaissance de cause. Il faut, je le sais, étayer d’un grand nombre de preuves l’argumentation qui se trouve comprise dans mon théorème ; eh bien, ces preuves existent, et vous savez que je n’attaque personne, sans avoir des motifs sérieux ! Je ris à gorge déployée, quand je songe que vous me reprochez de répandre d’amères accusations contre l’humanité, dont je suis un des membres (cette seule remarque me donnerait raison !) et contre la Providence : je ne rétracterai pas mes paroles ; mais, racontant ce que j’aurai vu, il ne me sera pas difficile, sans autre ambition que la vérité, de les justifier. Aujourd’hui, je vais fabriquer un petit roman de trente pages ; cette mesure restera dans la suite à peu près stationnaire. Espérant voir promptement, un jour ou l’autre, la consécration de mes théories acceptée par telle ou telle forme littéraire, je crois avoir enfin trouvé, après quelques tâtonnements, ma formule définitive. C’est la meilleure : puisque c’est le roman ! Cette préface hybride a été exposée d’une manière qui ne paraîtra peut-être pas assez naturelle, en ce sens qu’elle surprend, pour ainsi dire, le lecteur, qui ne voit pas très-bien où l’on veut d’abord le conduire ; mais, ce sentiment de remarquable stupéfaction, auquel on doit généralement chercher à soustraire ceux qui passent leur temps à lire des livres ou des brochures, j’ai fait tous mes efforts pour le produire. En effet, il m’était impossible de faire moins, malgré ma bonne volonté : ce n’est que plus tard, lorsque quelques romans auront paru, que vous comprendrez mieux la préface du renégat, à la figure fuligineuse.

Avant d’entrer en matière, je trouve stupide qu’il soit nécessaire (je pense que chacun ne sera pas de mon avis, si je me trompe) que je place à côté de moi un encrier ouvert, et quelques feuillets de papier non mâché. De cette manière, il me sera possible de commencer, avec amour, par ce sixième chant, la série des poèmes instructifs qu’il me tarde de produire. Dramatiques épisodes d’une implacable utilité ! Notre héros s’aperçut qu’en fréquentant les cavernes, et prenant pour refuge les endroits inaccessibles, il transgressait les règles de la logique, et commettait un cercle vicieux. Car, si d’un côté, il favorisait ainsi sa répugnance pour les hommes, par le dédommagement de la solitude et de l’éloignement, et circonscrivait passivement son horizon borné, parmi des arbustes rabougris, des ronces et des lambrusques, de l’autre, son activité ne trouvait plus aucun aliment pour nourrir le minotaure de ses instincts pervers. En conséquence, il résolut de se rapprocher des agglomérations humaines, persuadé que parmi tant de victimes toutes préparées, ses passions diverses trouveraient amplement de quoi se satisfaire. Il savait que la police, ce bouclier de la civilisation, le recherchait avec persévérance, depuis nombre d’années, et qu’une véritable armée d’agents et d’espions était continuellement à ses trousses. Sans, cependant, parvenir à le rencontrer. Tant son habileté renversante déroutait, avec un suprême chic, les ruses les plus indiscutables au point de vue de leur succès, et l’ordonnance de la plus savante méditation. Il avait une faculté spéciale pour prendre des formes méconnaissables aux yeux exercés. Déguisements supérieurs, si je parle en artiste ! Accoutrements d’un effet réellement médiocre, quand je songe à la morale. Par ce point, il touchait presqu’au génie. N’avez-vous pas remarqué la gracilité d’un joli grillon, aux mouvements alertes, dans les égouts de Paris ? Il n’y a que celui-là : c’était Maldoror ! Magnétisant les florissantes capitales, avec un fluide pernicieux, il les amène dans un état léthargique où elles sont incapables de se surveiller comme il le faudrait. État d’autant plus dangereux qu’il n’est pas soupçonné. Aujourd’hui il est à Madrid ; demain il sera à Saint-Pétersbourg ; hier il se trouvait à Pékin. Mais, affirmer exactement l’endroit actuel que remplissent de terreur les exploits de ce poétique Rocambole, est un travail au dessus des forces possibles de mon épaisse ratiocination. Ce bandit est, peut-être, à sept cents lieues de ce pays ; peut-être, il est à quelques pas de vous. Il n’est pas facile de faire périr entièrement les hommes, et les lois sont là ; mais, on peut, avec de la patience, exterminer, une par une, les fourmis humanitaires. Or, depuis les jours de ma naissance, où je vivais avec les premiers aïeuls de notre race, encore inexpérimenté dans la tension de mes embûches ; depuis les temps reculés, placés, au delà de l’histoire, où, dans de subtiles métamorphoses, je ravageais, à diverses époques, les contrées du globe par les conquêtes et le carnage, et répandais la guerre civile au milieu des citoyens, n’ai-je pas déjà écrasé sous mes talons, membre par membre ou collectivement, des générations entières, dont il ne serait pas difficile de concevoir le chiffre innombrable ? Le passé radieux a fait de brillantes promesses à l’avenir : il les tiendra. Pour le ratissage de mes phrases, j’emploierai forcément la méthode naturelle, en rétrogradant jusque chez les sauvages, afin qu’ils me donnent des leçons. Gentlemen simples et majestueux, leur bouche gracieuse ennoblit tout ce qui découle de leurs lèvres tatouées. Je viens de prouver que rien n’est risible dans cette planète. Planète cocasse, mais superbe. M’emparant d’un style que quelques-uns trouveront naïf (quand il est si profond), je le ferai servir à interpréter des idées qui, malheureusement, ne paraîtront peut-être pas grandioses ! Par cela même, me dépouillant des allures légères et sceptiques de l’ordinaire conversation, et, assez prudent pour ne pas poser… je ne sais plus ce que j’avais l’intention de dire, car, je ne me rappelle pas le commencement de la phrase. Mais, sachez que la poésie se trouve partout où n’est pas le sourire, stupidement railleur, de l’homme, à la figure de canard. Je vais d’abord me moucher, parce que j’en ai besoin ; et ensuite, puissamment aidé par ma main, je reprendrai le porte-plume que mes doigts avaient laissé tomber. Comment le pont du Carrousel put-il garder la constance de sa neutralité, lorsqu’il entendit les cris déchirants que semblait pousser le sac !

I

Les magasins de la rue Vivienne étalent leurs richesses aux yeux émerveillés. Éclairés par de nombreux becs de gaz, les coffrets d’acajou et les montres en or répandent à travers les vitrines des gerbes de lumière éblouissante. Huit heures ont sonné à l’horloge de la Bourse : ce n’est pas tard ! À peine le dernier coup de marteau s’est-il fait entendre, que la rue, dont le nom a été cité, se met à trembler, et secoue ses fondements depuis la place Royale jusqu’au boulevard Montmartre. Les promeneurs hâtent le pas, et se retirent pensifs dans leurs maisons. Une femme s’évanouit et tombe sur l’asphalte. Personne ne la relève : il tarde à chacun de s’éloigner de ce parage. Les volets se referment avec impétuosité, et les habitants s’enfoncent dans leurs couvertures. On dirait que la peste asiatique a révélé sa présence. Ainsi, pendant que la plus grande partie de la ville se prépare à nager dans les réjouissances des fêtes nocturnes, la rue Vivienne se trouve subitement glacée par une sorte de pétrification. Comme un cœur qui cesse d’aimer, elle a vu sa vie éteinte. Mais, bientôt, la nouvelle du phénomène se répand dans les autres couches de la population, et un silence morne plane sur l’auguste capitale. Où sont-ils passés, les becs de gaz ? Que sont-elles devenues, les vendeuses d’amour ? Rien… la solitude et l’obscurité ! Une chouette, volant dans une direction rectiligne, et dont la patte est cassée, passe au-dessus de la Madeleine, et prend son essor vers la barrière du Trône, en s’écriant : « Un malheur se prépare. » Or, dans cet endroit que ma plume (ce véritable ami qui me sert de compère) vient de rendre mystérieux, si vous regardez du côté par où la rue Colbert s’engage dans la rue Vivienne, vous verrez, à l’angle formé par le croisement de ces deux voies, un personnage montrer sa silhouette, et diriger sa marche légère vers les boulevards. Mais, si l’on s’approche davantage, de manière à ne pas amener sur soi-même l’attention de ce passant, on s’aperçoit, avec un agréable étonnement, qu’il est jeune ! De loin on l’aurait pris en effet pour un homme mûr. La somme des jours ne compte plus, quand il s’agit d’apprécier la capacité intellectuelle d’une figure sérieuse. Je me connais à lire l’âge dans les lignes physiognomoniques du front : il a seize ans et quatre mois ! Il est beau comme la rétractilité des serres des oiseaux rapaces ; ou encore, comme l’incertitude des mouvements musculaires dans les plaies des parties molles de la région cervicale postérieure ; ou plutôt, comme ce piège à rats perpétuel, toujours retendu par l’animal pris, qui peut prendre seul des rongeurs indéfiniment, et fonctionner même caché sous la paille ; et surtout, comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! Mervyn, ce fils de la blonde Angleterre, vient de prendre chez son professeur une leçon d’escrime, et, enveloppé dans son tartan écossais, il retourne chez ses parents. C’est huit heures et demie, et il espère arriver chez lui à neuf heures : de sa part, c’est une grande présomption que de feindre d’être certain de connaître l’avenir. Quelque obstacle imprévu ne peut-il l’embarrasser dans sa route ? Et cette circonstance, serait-elle si peu fréquente, qu’il dût prendre sur lui de la considérer comme une exception ? Que ne considère-t-il plutôt, comme un fait anormal, la possibilité qu’il a eue jusqu’ici de se sentir dépourvu d’inquiétude et pour ainsi dire heureux ? De quel droit en effet prétendrait-il gagner indemne sa demeure, lorsque quelqu’un le guette et le suit par derrière comme sa future proie ? (Ce serait bien peu connaître sa profession d’écrivain à sensation, que de ne pas, au moins, mettre en avant, les restrictives interrogations après lesquelles arrive immédiatement la phrase que je suis sur le point de terminer.) Vous avez reconnu le héros imaginaire qui, depuis un long temps, brise par la pression de son individualité ma malheureuse intelligence ! Tantôt Maldoror se rapproche de Mervyn, pour graver dans sa mémoire les traits de cet adolescent ; tantôt, le corps rejeté en arrière, il recule sur lui-même comme le boomerang d’Australie, dans la deuxième période de son trajet, ou plutôt, comme une machine infernale. Indécis sur ce qu’il doit faire. Mais, sa conscience n’éprouve aucun symptôme d’une émotion la plus embryogénique, comme à tort vous le supposeriez. Je le vis s’éloigner un instant dans une direction opposée ; était-il accablé par le remords ? Mais, il revint sur ses pas avec un nouvel acharnement. Mervyn ne sait pas pourquoi ses artères temporales battent avec force, et il presse le pas, obsédé par une frayeur dont lui et vous cherchent vainement la cause. Il faut lui tenir compte de son application à découvrir l’énigme. Pourquoi ne se retourne-t-il pas ? Il comprendrait tout. Songe-t-on jamais aux moyens les plus simples de faire cesser un état alarmant ? Quand un rôdeur de barrières traverse un faubourg de la banlieue, un saladier de vin blanc dans le gosier et la blouse en lambeaux, si, dans le coin d’une borne, il aperçoit un vieux chat musculeux, contemporain des révolutions auxquelles ont assisté nos pères, contemplant mélancoliquement les rayons de la lune, qui s’abattent sur la plaine endormie, il s’avance tortueusement dans une ligne courbe, et fait un signe à un chien cagneux, qui se précipite. Le noble animal de la race féline attend son adversaire avec courage, et dispute chèrement sa vie. Demain quelque chiffonnier achètera une peau électrisable. Que ne fuyait-il donc ? C’était si facile. Mais, dans le cas qui nous préoccupe actuellement, Mervyn complique encore le danger par sa propre ignorance. Il a comme quelques lueurs, excessivement rares, il est vrai, dont je ne m’arrêterai pas à démontrer le vague qui les recouvre ; cependant, il lui est impossible de deviner la réalité. Il n’est pas prophète, je ne dis pas le contraire, et il ne se reconnaît pas la faculté de l’être. Arrivé sur la grande artère, il tourne à droite et traverse le boulevard Poissonnière et le boulevard Bonne-Nouvelle. À ce point de son chemin, il s’avance dans la rue du faubourg Saint-Denis, laisse derrière lui l’embarcadère du chemin de fer de Strasbourg, et s’arrête devant un portail élevé, avant d’avoir atteint la superposition perpendiculaire de la rue Lafayette. Puisque vous me conseillez de terminer en cet endroit la première strophe, je veux bien, pour cette fois, obtempérer, à votre désir. Savez-vous que, lorsque je songe à l’anneau de fer caché sous la pierre par la main d’un maniaque, un invincible frisson me passe par les cheveux ?

II

Il tire le bouton de cuivre, et le portail de l’hôtel moderne tourne sur ses gonds. Il arpente la cour, parsemée de sable fin, et franchit les huit degrés du perron. Les deux statues, placées à droite et à gauche comme les gardiennes de l’aristocratique villa, ne lui barrent pas le passage. Celui qui a tout renié, père, mère, Providence, amour, idéal, afin de ne plus penser qu’à lui seul, s’est bien gardé de ne pas suivre les pas qui précédaient. Il l’a vu entrer dans un spacieux salon du rez-de-chaussée, aux boiseries de cornaline. Le fils de famille se jette sur un sofa, et l’émotion l’empêche de parler. Sa mère, à la robe longue et traînante, s’empresse autour de lui, et l’entoure de ses bras. Ses frères, moins âgés que lui, se groupent autour du meuble, chargé d’un fardeau ; ils ne connaissent pas la vie d’une manière suffisante, pour se faire une idée nette de la scène qui se passe. Enfin, le père élève sa canne, et abaisse sur les assistants un regard plein d’autorité. Appuyant le poignet sur les bras du fauteuil, il s’éloigne de son siège ordinaire, et s’avance, avec inquiétude, quoique affaibli par les ans, vers le corps immobile de son premier-né. Il parle dans une langue étrangère, et chacun l’écoute dans un recueillement respectueux : « Qui a mis le garçon dans cet état ? La Tamise brumeuse charriera encore une quantité notable de limon avant que mes forces soient complètement épuisées. Des lois préservatrices n’ont pas l’air d’exister dans cette contrée inhospitalière. Il éprouverait la vigueur de mon bras, si je connaissais le coupable. Quoique j’aie pris ma retraite, dans l’éloignement des combats maritimes, mon épée de commodore, suspendue à la muraille, n’est pas encore rouillée. D’ailleurs, il est facile d’en repasser le fil. Mervyn, tranquillise-toi, je donnerai des ordres à mes domestiques, afin de rencontrer la trace de celui que, désormais, je chercherai, pour le faire périr de ma propre main. Femme, ôte-toi de là, et va t’accroupir dans un coin ; tes yeux m’attendrissent, et tu ferais mieux de refermer le conduit de tes glandes lacrymales. Mon fils, je t’en supplie, réveille tes sens, et reconnais ta famille ; c’est ton père qui te parle… » La mère se tient à l’écart, et, pour obéir aux ordres de son maître, elle a pris un livre entre ses mains, et s’efforce de demeurer tranquille, en présence du danger que court celui que sa matrice enfanta. « …Enfants, allez vous amuser dans le parc, et prenez garde, en admirant la natation des cygnes, de ne pas tomber dans la pièce d’eau… » Les frères, les mains pendantes, restent muets ; tous, la toque surmontée d’une plume arrachée à l’aile de l’engoulevent de la Caroline, avec le pantalon de velours s’arrêtant aux genoux, et les bas de soie rouge, se prennent par la main, et se retirent du salon, ayant soin de ne presser le parquet d’ébène que de la pointe des pieds. Je suis certain qu’ils ne s’amuseront pas, et qu’ils se promèneront avec gravité dans les allées de platanes. Leur intelligence est précoce. Tant mieux pour eux. « …Soins inutiles, je te berce dans mes bras, et tu es insensible à mes supplications. Voudrais-tu relever la tête ? J’embrasserai tes genoux, s’il le faut. Mais non… elle retombe inerte. » — « Mon doux maître, si tu le permets à ton esclave, je vais chercher dans mon appartement un flacon rempli d’essence de térébenthine, et dont je me sers habituellement quand la migraine envahit mes tempes, après être revenue du théâtre, ou lorsque la lecture d’une narration émouvante, consignée dans les annales britanniques de la chevaleresque histoire de nos ancêtres, jette ma pensée rêveuse dans les tourbières de l’assoupissement. » — « Femme, je ne t’avais pas donné la parole, et tu n’avais pas le droit de la prendre. Depuis notre légitime union, aucun nuage n’est venu s’interposer entre nous. Je suis content de toi, je n’ai jamais eu de reproches à te faire : et réciproquement. Va chercher dans ton appartement un flacon rempli d’essence de térébenthine. Je sais qu’il s’en trouve un dans les tiroirs de ta commode, et tu ne viendras pas me l’apprendre. Dépêche-toi de franchir les degrés de l’escalier en spirale, et reviens me trouver avec un visage content. » Mais la sensible Londonienne est à peine arrivée aux premières marches (elle ne court pas aussi promptement qu’une personne des classes inférieures) que déjà une de ses demoiselles d’atour redescend du premier étage, les joues empourprées de sueur, avec le flacon qui, peut-être, contient la liqueur de vie dans ses parois de cristal. La demoiselle s’incline avec grâce en présentant son offre, et la mère, avec sa démarche royale, s’est avancée vers les franges qui bordent le sofa, seul objet qui préoccupe sa tendresse. Le commodore, avec un geste fier, mais bienveillant, accepte le flacon des mains de son épouse. Un foulard d’Inde y est trempé, et l’on entoure la tête de Mervyn avec les méandres orbiculaires de la soie. Il respire des sels ; il remue un bras. La circulation se ranime, et l’on entend les cris joyeux d’un kakatoès des Philippines, perché sur l’embrasure de la fenêtre. « Qui va là ?… Ne m’arrêtez point… Où suis-je ? Est-ce une tombe qui supporte mes membres alourdis ? Les planches m’en paraissent douces… Le médaillon qui contient le portrait de ma mère, est-il encore attaché à mon cou ?… Arrière, malfaiteur, à la tête échevelée. Il n’a pu m’atteindre, et j’ai laissé entre ses doigts un pan de mon pourpoint. Détachez les chaînes des bouledogues, car, cette nuit, un voleur reconnaissable peut s’introduire chez nous avec effraction, tandis que nous serons plongés dans le sommeil. Mon père et ma mère, je vous reconnais, et je vous remercie de vos soins. Appelez mes petits frères. C’est pour eux que j’avais acheté des pralines, et je veux les embrasser. » À ces mots, il tombe dans un profond état léthargique. Le médecin, qu’on a mandé en toute hâte, se frotte les mains et s’écrie : « La crise est passée. Tout va bien. Demain votre fils se réveillera dispos. Tous, allez-vous-en dans vos couches respectives, je l’ordonne, afin que je reste seul à côté du malade, jusqu’à l’apparition de l’aurore et du chant du rossignol. » Maldoror, caché derrière la porte, n’a perdu aucune parole. Maintenant, il connaît le caractère des habitants de l’hôtel, et agira en conséquence. Il sait où demeure Mervyn, et ne désire pas en savoir davantage. Il a inscrit dans un calepin le nom de la rue et le numéro du bâtiment. C’est le principal. Il est sûr de ne pas les oublier. Il s’avance, comme une hyène, sans être vu, et longe les côtés de la cour. Il escalade la grille avec agilité, et s’embarrasse un instant dans les pointes de fer ; d’un bond, il est sur la chaussée. Il s’éloigne à pas de loup. « Il me prenait pour un malfaiteur, s’écrie-t-il : lui, c’est un imbécile. Je voudrais trouver un homme exempt de l’accusation que le malade a portée contre moi. Je ne lui ai pas enlevé un pan de son pourpoint, comme il l’a dit. Simple hallucination hypnagogique causée par la frayeur. Mon intention n’était pas aujourd’hui de m’emparer de lui, car, j’ai d’autres projets ultérieurs sur cet adolescent timide. » Dirigez-vous du côté où se trouve le lac des cygnes ; et, je vous dirai plus tard pourquoi il s’en trouve un de complètement noir parmi la troupe, et dont le corps, supportant une enclume, surmontée du cadavre en putréfaction d’un crabe tourteau, inspire à bon droit de la méfiance à ses autres aquatiques camarades.

III

Mervyn est dans sa chambre ; il a reçu une missive. Qui donc lui écrit une lettre ? Son trouble l’a empêché de remercier l’agent postal. L’enveloppe a les bordures noires, et les mots sont tracés d’une écriture hâtive. Ira-t-il porter cette lettre à son père ? Et si le signataire le lui défend expressément ? Plein d’angoisse, il ouvre sa fenêtre pour respirer les senteurs de l’atmosphère ; les rayons du soleil reflètent leurs prismatiques irradiations sur les glaces de Venise et les rideaux de damas. Il jette la missive de côté, parmi les livres à tranche dorée et les albums à couverture de nacre, parsemés sur le cuir repoussé qui recouvre la surface de son pupitre d’écolier. Il ouvre son piano, et fait courir ses doigts effilés sur les touches d’ivoire. Les cordes de laiton ne résonnèrent point. Cet avertissement indirect l’engage à reprendre le papier vélin ; mais celui-ci recula, comme s’il avait été offensé de l’hésitation du destinataire. Prise à ce piège, la curiosité de Mervyn s’accroît et il ouvre le morceau de chiffon préparé. Il n’avait vu jusqu’à ce moment que sa propre écriture. « Jeune homme, je m’intéresse à vous ; je veux faire votre bonheur. Je vous prendrai pour compagnon, et nous accomplirons de longues pérégrinations dans les îles de l’Océanie. Mervyn, tu sais que je t’aime, et je n’ai pas besoin de te le prouver. Tu m’accorderas ton amitié, j’en suis persuadé. Quand tu me connaîtras davantage, tu ne te repentiras pas de la confiance que tu m’auras témoignée. Je te préserverai des périls que courra ton inexpérience. Je serai pour toi un frère, et les bons conseils ne te manqueront pas. Pour de plus longues explications, trouve-toi, après-demain matin, à cinq heures, sur le pont du Carrousel. Si je ne suis pas arrivé, attends-moi ; mais, j’espère être rendu à l’heure juste. Toi, fais de même. Un Anglais n’abandonnera pas facilement l’occasion de voir clair dans ses affaires. Jeune homme, je te salue, et à bientôt. Ne montre cette lettre à personne. » — « Trois étoiles au lieu d’une signature, s’écrie Mervyn ; et une tâche de sang au bas de la page ! » Des larmes abondantes coulent sur les curieuses phrases que ses yeux ont dévorées, et qui ouvrent à son esprit le champ illimité des horizons incertains et nouveaux. Il lui semble (ce n’est que depuis la lecture qu’il vient de terminer) que son père est un peu sévère et sa mère trop majestueuse. Il possède des raisons qui ne sont pas parvenues à ma connaissance et que, par conséquent, je ne pourrais vous transmettre, pour insinuer que ses frères ne lui conviennent pas non plus. Il cache cette lettre dans sa poitrine. Ses professeurs ont observé que ce jour-là il n’a pas ressemblé à lui-même ; ses yeux se sont assombris démesurément, et le voile de la réflexion excessive s’est abaissé sur la région péri-orbitaire. Chaque professeur a rougi, de crainte de ne pas se trouver à la hauteur intellectuelle de son élève, et, cependant, celui-ci, pour la première fois, a négligé ses devoirs et n’a pas travaillé. Le soir, la famille s’est réunie dans la salle à manger, décorée de portraits antiques. Mervyn admire les plats chargés de viandes succulentes et les fruits odoriférants, mais, il ne mange pas ; les polychrômes ruissellements des vins du Rhin et le rubis mousseux du champagne s’enchâssent dans les étroites et hautes coupes de pierre de Bohême, et laissent même sa vue indifférente. Il appuie son coude sur la table, et reste absorbé dans ses pensées comme un somnambule. Le commodore, au visage boucané par l’écume de la mer, se penche à l’oreille de son épouse : « L’aîné a changé de caractère, depuis le jour de la crise ; il n’était déjà que trop porté aux idées absurdes ; aujourd’hui il rêvasse encore plus de coutume. Mais enfin, je n’étais pas comme cela, moi, lorsque j’avais son âge. Fais semblant de ne t’apercevoir de rien. C’est ici qu’un remède efficace, matériel ou moral, trouverait aisément son emploi. Mervyn, toi qui goûtes la lecture des livres de voyages et d’histoire naturelle, je vais te lire un récit qui ne te déplaira pas. Qu’on m’écoute avec attention ; chacun y trouvera son profit, moi, le premier. Et vous autres, enfants, apprenez, par l’attention que vous saurez prêter à mes paroles, à perfectionner le dessin de votre style, et à vous rendre compte des moindres intentions d’un auteur. » Comme si cette nichée d’adorables moutards aurait pu comprendre ce que c’était que la rhétorique ! Il dit, et, sur un geste de sa main, un des frères se dirige vers la bibliothèque paternelle, et en revient avec un volume sous le bras. Pendant ce temps, le couvert et l’argenterie sont enlevés, et le père prend le livre. À ce nom électrisant de voyages, Mervyn a relève la tête, et s’est efforcé de mettre un terme à ses méditations hors de propos. Le livre est ouvert vers le milieu, et la voix métallique du commodore prouve qu’il est resté capable, comme dans les jours de sa glorieuse jeunesse, de commander à la fureur des hommes et des tempêtes. Bien avant la fin de cette lecture, Mervyn est retombé sur son coude, dans l’impossibilité de suivre plus longtemps le raisonné développement des phrases passées à la filière et la saponification des obligatoires métaphores. Le père s’écrie : « Ce n’est pas cela qui l’intéresse ; lisons autre chose. Lis, femme ; tu seras plus heureuse que moi, pour chasser le chagrin des jours de notre fils. » La mère ne conserve plus d’espoir ; cependant, elle s’est emparée d’un autre livre, et le timbre de sa voix de soprano retentit mélodieusement aux oreilles du produit de sa conception. Mais, après quelques paroles, le découragement l’envahit, et elle cesse d’elle-même l’interprétation de l’œuvre littéraire. Le premier-né s’écrie : « Je vais me coucher. » Il se retire, les yeux baissés avec une fixité froide, et sans rien ajouter. Le chien se met à pousser un lugubre aboiement, car il ne trouve pas cette conduite naturelle, et le vent du dehors, s’engouffrant inégalement dans la fissure longitudinale de la fenêtre, fait vaciller la flamme, rabattue par deux coupoles de cristal rosé, de la lampe de bronze. La mère appuie ses mains sur son front, et le père relève les yeux vers le ciel. Les enfants jettent des regards effarés sur le vieux marin. Mervyn ferme la porte de sa chambre à double tour, et sa main court rapidement sur le papier : « J’ai reçu votre lettre à midi, et vous me pardonnerez si je vous ai fait attendre la réponse. Je n’ai pas l’honneur de vous connaître personnellement, et je ne savais pas si je devais vous écrire. Mais, comme l’impolitesse ne loge pas dans notre maison, j’ai résolu de prendre la plume, et de vous remercier chaleureusement de l’intérêt que vous prenez pour un inconnu. Dieu me garde de ne pas montrer de la reconnaissance pour la sympathie dont vous me comblez. Je connais mes imperfections, et je ne m’en montre pas plus fier. Mais, s’il est convenable d’accepter l’amitié d’une personne âgée, il l’est aussi de lui faire comprendre que nos caractères ne sont pas les mêmes. En effet, vous paraissez être plus âgé que moi puisque vous m’appelez jeune homme, et cependant je conserve des doutes sur votre âge véritable. Car, comment concilier la froideur de vos syllogismes avec la passion qui s’en dégage ? Il est certain que je n’abandonnerai pas le lieu qui m’a vu naître, pour vous accompagner dans les contrées lointaines ; ce qui ne serait possible qu’à la condition de demander auparavant aux auteurs de mes jours, une permission impatiemment attendue. Mais, comme vous m’avez enjoint de garder le secret (dans le sens cubique du mot) sur cette affaire spirituellement ténébreuse, je m’empresserai d’obéir à votre sagesse incontestable. À ce qu’il paraît, elle n’affronterait pas avec plaisir la clarté de la lumière. Puisque vous paraissez souhaiter que j’aie de la confiance en votre propre personne (vœu qui n’est pas déplacé, je me plais à le confesser), ayez la bonté, je vous prie, de témoigner, à mon égard, une confiance analogue, et de ne pas avoir la prétention de croire que je serais tellement éloigné de votre avis, qu’après demain matin, à l’heure indiquée, je ne serais pas exact au rendez-vous. Je franchirai le mur de clôture du parc, car la grille sera fermée, et personne ne sera témoin de mon départ. À parler avec franchise, que ne ferais-je pas pour vous, dont l’inexplicable attachement a su promptement se révéler à mes yeux éblouis, surtout étonnés d’une telle preuve de bonté, à laquelle je me suis assuré que je ne me serais pas attendu. Puisque je ne vous connaissais pas. Maintenant je vous connais. N’oubliez pas la promesse que vous m’avez faite de vous promener sur le pont du Carrousel. Dans le cas que j’y passe, j’ai une certitude, à nulle autre pareille, de vous y rencontrer et de vous toucher la main, pourvu que cette innocente manifestation d’un adolescent qui, hier encore, s’inclinait devant l’autel de la pudeur, ne doive pas vous offenser par sa respectueuse familiarité. Or, la familiarité n’est-elle pas avouable dans le cas d’une forte et ardente intimité, lorsque la perdition est sérieuse et convaincue ? Et quel mal y aurait-il après tout, je vous le demande à vous-même, à ce que je vous dise adieu tout en passant, lorsque après-demain, qu’il pleuve ou non, cinq heures auront sonné ? Vous apprécierez vous-même, gentleman, le tact avec lequel j’ai conçu ma lettre ; car, je ne me permets pas dans une feuille volante, apte à s’égarer, de vous en dire davantage. Votre adresse au bas de la page est un rébus. Il m’a fallu près d’un quart-d’heure pour la déchiffrer. Je crois que vous avez bien fait d’en tracer les mots d’une manière microscopique. Je me dispense de signer et en cela je vous imite : nous vivons dans un temps trop excentrique, pour s’étonner un instant de ce qui pourrait arriver. Je serais curieux de savoir comment vous avez appris l’endroit où demeure mon immobilité glaciale, entourée d’une longue rangée de salles désertes, immondes charniers de mes heures d’ennui. Comment dire cela ? Quand je pense à vous, ma poitrine s’agite, retentissante comme l’écroulement d’un empire en décadence ; car, l’ombre de votre amour accuse un sourire qui, peut-être, n’existe pas : elle est si vague, et remue ses écailles si tortueusement ! Entre vos mains, j’abandonne mes sentiments impétueux, tables de marbre toutes neuves, et vierges encore d’un contact mortel. Prenons patience jusqu’aux premières lueurs du crépuscule matinal, et, dans l’attente du moment qui me jettera dans l’entrelacement hideux de vos bras pestiférés, je m’incline humblement à vos genoux, que je presse. » Après avoir écrit cette lettre coupable, Mervyn la porta à la poste et revient se mettre au lit. Ne comptez pas y trouver son ange gardien. La queue de poisson ne volera que pendant trois jours, c’est vrai ; mais, hélas ! la poutre n’en sera pas moins brûlée ; et une balle cylindro-conique percera la peau du rhinocéros, malgré la fille de neige et le mendiant ! C’est que le fou couronné aura dit la vérité sur la fidélité des quatorze poignards.

IV

Je me suis aperçu que je n’avais qu’un œil au milieu du front ! Ô miroirs d’argent, incrustés dans les panneaux des vestibules, combien de services ne m’avez-vous pas rendus par votre pouvoir réflecteur ! Depuis le jour où un chat angora me rongea, pendant une heure, la bosse pariétale, comme un trépan qui perfore le crâne, en s’élançant brusquement sur mon dos, parce que j’avais fait bouillir ses petits dans une cuve remplie d’alcool, je n’ai pas cessé de lancer contre moi-même la flèche des tourments. Aujourd’hui, sous l’impression des blessures que mon corps a reçues dans diverses circonstances, soit par la fatalité de ma naissance, soit par le fait de ma propre faute ; accablé par les conséquences de ma chute morale (quelques-unes ont été accomplies ; qui prévoira les autres ?) ; spectateur impassible des monstruosités acquises ou naturelles, qui décorent les aponévroses et l’intellect de celui qui parle, je jette un long regard de satisfaction sur la dualité qui me compose… et je me trouve beau ! Beau comme le vice de conformation congénital des organes sexuels de l’homme, consistant dans la brièveté relative du canal de l’urètre et la division ou l’absence de sa paroi inférieure, de telle sorte que ce canal s’ouvre à une distance variable du gland et au-dessous du pénis ; ou encore, comme la caroncule charnue, de forme conique, sillonnée par des rides transversales assez profondes, qui s’élève sur la base du bec supérieur du dindon ; ou plutôt, comme la vérité qui suit : « Le système des gammes, des modes et de leur enchaînement harmonique ne repose pas sur des lois naturelles invariables, mais il est, au contraire, la conséquence de principes esthétiques qui ont varié avec le développement progressif de l’humanité, et qui varieront encore ; » et surtout, comme une corvette cuirassée à tourelles ! Oui, je maintiens l’exactitude de mon assertion. Je n’ai pas d’illusion présomptueuse, je m’en vante, et je ne trouverais aucun profit dans le mensonge ; donc, ce que j’ai dit, vous ne devez mettre aucune hésitation à le croire. Car, pourquoi m’inspirerais-je à moi-même de l’horreur, devant les témoignages élogieux qui partent de ma conscience ? Je n’envie rien au Créateur ; mais, qu’il me laisse descendre le fleuve de ma destinée, à travers une série croissante de crimes glorieux. Sinon, élevant à la hauteur de son front un regard irrité de tout obstacle, je lui ferai comprendre qu’il n’est pas le seul maître de l’univers ; que plusieurs phénomènes qui relèvent directement d’une connaissance plus approfondie de la nature des choses, déposent en faveur de l’opinion contraire, et opposent un formel démenti à la viabilité de l’unité de la puissance. C’est que nous sommes deux à nous contempler les cils des paupières, vois-tu… et tu sais que plus d’une fois a retenti, dans ma bouche sans lèvres, le clairon de la victoire. Adieu, guerrier illustre ; ton courage dans le malheur inspire de l’estime à ton ennemi le plus acharné ; mais Maldoror te retrouvera bientôt pour te disputer la proie qui s’appelle Mervyn. Ainsi, sera réalisée la prophétie du coq, quand il entrevit l’avenir au fond du candélabre. Plût au ciel que le crabe tourteau rejoigne à temps la caravane des pèlerins, et leur apprenne en quelques mots la narration du chiffonnier de Clignancourt !

V

Sur un banc du Palais-Royal, du côté gauche et non loin de la pièce d’eau, un individu, débouchant de la rue de Rivoli, est venu s’asseoir. Il a les cheveux en désordre, et ses habits dévoilent l’action corrosive d’un dénûment prolongé. Il a creusé un trou dans le sol avec un morceau de bois pointu, et a rempli de terre le creux de sa main. Il a porté cette nourriture à la bouche et la rejetée avec précipitation. Il s’est relevé, et, appliquant sa tête contre le banc, il a dirigé ses jambes vers le haut. Mais, comme cette situation funambulesque est en dehors des lois de la pesanteur qui régissent le centre de gravité, il est retombé lourdement sur la planche, les bras pendants, la casquette lui cachant la moitié de la figure, et les jambes battant le gravier dans une situation d’équilibre instable, de moins en moins rassurante. Il reste longtemps dans cette position. Vers l’entrée mitoyenne du nord, à côté de la rotonde qui contient une salle de café, le bras de notre héros est appuyé contre la grille. Sa vue parcourt la superficie du rectangle, de manière à ne laisser échapper aucune perspective. Ses yeux reviennent sur eux-mêmes, après l’achèvement de l’investigation, et il aperçoit, au milieu du jardin, un homme qui fait de la gymnastique titubante avec un banc sur lequel il s’efforce de s’affermir, en accomplissant des miracles de force et d’adresse. Mais, que peut la meilleure intention, apportée au service d’une cause juste, contre les dérèglements de l’aliénation mentale ? Il s’est avancé vers le fou, l’a aidé avec bienveillance à replacer sa dignité dans une position normale, lui a tendu la main, et s’est assis à côté de lui. Il remarque que la folie n’est qu’intermittente ; l’accès a disparu ; son interlocuteur répond logiquement à toutes les questions. Est-il nécessaire de rapporter le sens de ses paroles ? Pourquoi rouvrir, à une page quelconque, avec un empressement blasphématoire, l’in-folio des misères humaines ? Rien n’est d’un enseignement plus fécond. Quand même je n’aurais aucun événement de vrai à vous faire entendre, j’inventerais des récits imaginaires pour les transvaser dans votre cerveau, Mais, le malade ne l’est pas devenu pour son propre plaisir ; et la sincérité de ses rapports s’allie à merveille avec la crédulité du lecteur. « Mon père était un charpentier de la rue de la Verrerie… Que la mort des trois Marguerite retombe sur sa tête, et que le bec du canari lui ronge éternellement l’axe du bulbe oculaire ! Il avait contracté l’habitude de s’enivrer ; dans ces moments-là, quand il revenait à la maison, après avoir couru les comptoirs des cabarets, sa fureur devenait presque incommensurable, et il frappait indistinctement les objets qui se présentaient à sa vue. Mais, bientôt, devant les reproches de ses amis, il se corrigea complètement, et devint d’une humeur taciturne. Personne ne pouvait l’approcher, pas même notre mère. Il conservait un secret ressentiment contre l’idée du devoir qui l’empêchait de se conduire à sa guise. J’avais acheté un serin pour mes trois sœurs ; c’était pour mes trois sœurs que j’avais acheté un serin. Elles l’avaient enfermé dans une cage, au-dessus de la porte, et les passants s’arrêtaient, chaque fois, pour écouter les chants de l’oiseau, admirer sa grâce fugitive et étudier ses formes savantes. Plus d’une fois mon père avait donné l’ordre de faire disparaître la cage et son contenu, car il se figurait que le serin se moquait de sa personne, en lui jetant le bouquet des cavatines aériennes de son talent de vocaliste. Il alla détacher la cage du clou, et glissa de la chaise, aveuglé par la colère. Une légère excoriation au genou fut le trophée de son entreprise. Après être resté quelques secondes à presser la partie gonflée avec un copeau, il rabaissa son pantalon, les sourcils froncés, prit mieux ses précautions, mit la cage sous son bras et se dirigea vers le fond de son atelier. Là, malgré les cris et les supplications de sa famille (nous tenions beaucoup à cet oiseau, qui était, pour nous, comme le génie de la maison) il écrasa de ses talons ferrés la boîte d’osier, pendant qu’une varlope, tournoyant autour de sa tête, tenait à distance les assistants. Le hasard fit que le serin ne mourut pas sur le coup ; ce flocon de plumes vivait encore, malgré la maculation sanguine. Le charpentier s’éloigna, et referma la porte avec bruit. Ma mère et moi, nous nous efforçâmes de retenir la vie de l’oiseau, prête à s’échapper ; il atteignait à sa fin, et le mouvement de ses ailes ne s’offrait plus à la vue, que comme le miroir de la suprême convulsion d’agonie. Pendant ce temps, les trois Marguerite, quand elles s’aperçurent que tout espoir allait être perdu, se prirent par la main, d’un commun accord, et la chaîne vivante alla s’accroupir, après avoir repoussé à quelques pas un baril de graisse, derrière l’escalier, à côté du chenil de notre chienne. Ma mère ne discontinuait pas sa tâche, et tenait le serin entre ses doigts, pour le réchauffer de son haleine. Moi, je courais éperdu par toutes les chambres, me coignant aux meubles et aux instruments. De temps à autre, une de mes sœurs montrait sa tête devant le bas de l’escalier pour se renseigner sur le sort du malheureux oiseau, et la retirait avec tristesse. La chienne était sortie de son chenil, et, comme si elle avait compris l’étendue de notre perte, elle léchait avec la langue de la stérile consolation la robe des trois Marguerite. Le serin n’avait plus que quelques instants à vivre. Une de mes sœurs, à son tour (c’était la plus jeune) présenta sa tête dans la pénombre formée par la raréfaction de lumière. Elle vit ma mère pâlir, et l’oiseau, après avoir, pendant un éclair, relevé le cou, par la dernière manifestation de son système nerveux, retomber entre ses doigts, inerte à jamais. Elle annonça la nouvelle à ses sœurs. Elles ne firent entendre le bruissement d’aucune plainte, d’aucun murmure. Le silence régnait dans l’atelier. L’on ne distinguait que le craquement saccadé des fragments de la cage qui, en vertu de l’élasticité du bois, reprenaient en partie la position primordiale de leur construction. Les trois Marguerite ne laissaient écouler aucune larme, et leur visage ne perdait point sa fraîcheur pourprée ; non… elles restaient seulement immobiles. Elles se traînèrent jusqu’à l’intérieur du chenil, et s’étendirent sur la paille, l’une à côté de l’autre ; pendant que la chienne, témoin passif de leur manœuvre, les regardait faire avec étonnement. À plusieurs reprises, ma mère les appela ; elles ne rendirent le son d’aucune réponse. Fatiguées par les émotions précédentes, elles dormaient, probablement ! Elle fouilla tous les coins de la maison sans les apercevoir. Elle suivit la chienne, qui la tirait par la robe, vers le chenil. Cette femme s’abaissa et plaça sa tête à l’entrée. Le spectacle dont elle eut la possibilité d’être témoin, mises à part les exagérations malsaines de la peur maternelle, ne pouvait être que navrant, d’après les calculs de mon esprit. J’allumai une chandelle et la lui présentai ; de cette manière, aucun détail ne lui échappa. Elle ramena sa tête, couverte de brins de paille, de la tombe prématurée, et me dit : « Les trois Marguerite sont mortes. » Comme nous ne pouvions les sortir de cet endroit, car, retenez bien ceci, elles étaient étroitement entrelacées ensemble, j’allai chercher dans l’atelier un marteau, pour briser la demeure canine. Je me mis, sur-le-champ, à l’œuvre de démolition, et les passants purent croire, pour peu qu’ils eussent de l’imagination, que le travail ne chômait pas chez nous. Ma mère, impatientée de ces retards qui, cependant, étaient indispensables, brisait ses ongles contre les planches. Enfin, l’opération de la délivrance négative se termina ; le chenil fendu s’entr’ouvrit de tous les côtés ; et nous retirâmes, des décombres, l’une après l’autre, après les avoir séparées difficilement, les filles du charpentier. Ma mère quitta le pays. Je n’ai plus revu mon père. Quant à moi, l’on dit que je suis fou, et j’implore la charité publique. Ce que je sais, c’est que le canari ne chante plus. » L’auditeur approuve dans son intérieur ce nouvel exemple apporté à l’appui de ses dégoûtantes théories. Comme si, à cause d’un homme, jadis pris de vin, l’on était en droit d’accuser l’entière humanité. Telle est du moins la réflexion paradoxale qu’il cherche à introduire dans son esprit ; mais elle ne peut en chasser les enseignements importants de la grave expérience. Il console le fou avec une compassion feinte, et essuie ses larmes avec son propre mouchoir. Il l’amène dans un restaurant, et ils mangent à la même table. Ils s’en vont chez un tailleur de la fashion et le protégé est habillé comme un prince. Ils frappent chez le concierge d’une grande maison de la rue Saint-Honoré, et le fou est installé dans un riche appartement du troisième étage. Le bandit le force à accepter sa bourse, et, prenant le vase de nuit au-dessous du lit, il le met sur la tête d’Aghone. « Je te couronne roi des intelligences, s’écrie-t-il avec une emphase préméditée ; à ton moindre appel j’accourrai ; puise à pleines mains dans mes coffres ; de corps et d’âme je t’appartiens. La nuit, tu rapporteras la couronne d’albâtre à sa place ordinaire, avec la permission de t’en servir ; mais, le jour, dès que l’aurore illuminera les cités, remets-la sur ton front, comme le symbole de ta puissance. Les trois Marguerite revivront en moi, sans compter que je serai ta mère. » Alors le fou recula de quelques pas, comme s’il était la proie d’un insultant cauchemar ; les lignes du bonheur se peignirent sur son visage, ridé par les chagrins ; il s’agenouilla, plein d’humiliation, aux pieds de son protecteur. La reconnaissance était entrée, comme un poison, dans le cœur du fou couronné ! Il voulut parler, et sa langue s’arrêta. Il pencha son corps en avant, et il retomba sur le carreau. L’homme aux lèvres de bronze se retire. Quel était son but ? Acquérir un ami à toute épreuve, assez naïf pour obéir au moindre de ses commandements. Il ne pouvait mieux rencontrer et le hasard l’avait favorisé. Celui qu’il a trouvé, couché sur le banc, ne sait plus, depuis un événement de sa jeunesse, reconnaître le bien du mal. C’est Aghone même qu’il lui faut.

VI

Le Tout-Puissant avait envoyé sur la terre un de ses archanges, afin de sauver l’adolescent d’une mort certaine. Il sera forcé de descendre lui-même ! Mais, nous ne sommes point encore arrivés à cette partie de notre récit, et je me vois dans l’obligation de fermer ma bouche, parce que je ne puis pas tout dire à la fois : chaque truc à effet paraîtra dans son lieu, lorsque la trame de cette fiction n’y verra point d’inconvénient. Pour ne pas être reconnu, l’archange avait pris la forme d’un crabe tourteau, grand comme une vigogne. Il se tenait sur la pointe d’un écueil, au milieu de la mer, et attendait le favorable moment de la marée, pour opérer sa descente sur le rivage. L’homme aux lèvres de jaspe, caché derrière une sinuosité de la plage, épiait l’animal, un bâton à la main. Qui aurait désiré lire dans la pensée de ces deux êtres ? Le premier ne se cachait pas qu’il avait une mission difficile à accomplir : « Et comment réussir, s’écriait-il, pendant que les vagues grossissantes battaient son refuge temporaire, là où mon maître a vu plus d’une fois échouer sa force et son courage ? Moi, je ne suis qu’une substance limitée, tandis que l’autre, personne ne sait d’où il vient et quel est son but final. À son nom, les armées célestes tremblent ; et plus d’un raconte, dans les régions que j’ai quittées, que Satan lui-même, Satan, l’incarnation du mal, n’est pas si redoutable. » Le second faisait les réflexions suivantes ; elles trouvèrent un écho, jusque dans la coupole azurée qu’elles souillèrent : « Il a l’air plein d’inexpérience ; je lui réglerai son compte avec promptitude. Il vient sans doute d’en haut, envoyé par celui qui craint tant de venir lui-même ! Nous verrons, à l’œuvre, s’il est aussi impérieux qu’il en a l’air ; ce n’est pas un habitant de l’abricot terrestre ; il trahit son origine séraphique par ses yeux errants et indécis. » Le crabe tourteau, qui, depuis quelque temps, promenait sa vue sur un espace délimité de la côte, aperçut notre héros (celui-ci, alors, se releva de toute la hauteur de sa taille herculéenne), et l’apostropha dans les termes qui vont suivre : « N’essaie pas la lutte et rends-toi. Je suis envoyé par quelqu’un qui est supérieur à nous deux, afin de te charger de chaînes, et mettre les deux membres complices de ta pensée dans l’impossibilité de remuer. Serrer des couteaux et des poignards entre tes doigts, il faut que désormais cela te soit défendu, crois-m’en ; aussi bien dans ton intérêt que dans celui des autres. Mort ou vif, je t’aurai ; j’ai l’ordre de t’amener vivant. Ne me mets pas dans l’obligation de recourir au pouvoir qui m’a été prêté. Je me conduirai avec délicatesse ; de ton côté, ne m’oppose aucune résistance. C’est ainsi que je reconnaîtrai, avec empressement et allégresse, que tu auras fait un premier pas vers le repentir. » Quand notre héros entendit cette harangue, empreinte d’un sel si profondément comique, il eut de la peine à conserver le sérieux sur la rudesse de ses traits hâlés. Mais, enfin, chacun ne sera pas étonné si j’ajoute qu’il finit par éclater de rire. C’était plus fort que lui ! Il n’y mettait pas de la mauvaise intention ! Il ne voulait certes pas s’attirer les reproches du crabe tourteau ! Que d’efforts ne fit-il pas pour chasser l’hilarité ! Que de fois ne serra-t-il point ses lèvres l’une contre l’autre, afin de ne pas avoir l’air d’offenser son interlocuteur épaté ! Malheureusement son caractère participait de la nature de l’humanité, et il riait ainsi que font les brebis ! Enfin il s’arrêta ! Il était temps ! Il avait failli s’étouffer ! Le vent porta cette réponse à l’archange de l’écueil : « Lorsque ton maître ne m’enverra plus des escargots et des écrevisses pour régler ses affaires, et qu’il daignera parlementer personnellement avec moi, l’on trouvera, j’en suis sûr, le moyen de s’arranger, puisque je suis inférieur à celui qui t’envoya, comme tu l’as dit avec tant de justesse. Jusque-là, les idées de réconciliation m’apparaissent prématurées, et aptes à produire seulement un chimérique résultat. Je suis très-loin de méconnaître ce qu’il y a de censé dans chacune de tes syllabes ; et, comme nous pourrions fatiguer inutilement notre voix, afin de lui faire parcourir trois kilomètres de distance, il me semble que tu agirais avec sagesse, si tu descendais de ta forteresse inexpugnable, et gagnais la terre ferme à la nage : nous discuterons plus commodément les conditions d’une reddition qui, pour si légitime qu’elle soit, n’en est pas moins finalement, pour moi, d’une perspective désagréable. » L’archange, qui ne s’attendait pas à cette bonne volonté, sortit des profondeurs de la crevasse sa tête d’un cran, et répondit : « Ô Maldoror, est-il enfin arrivé le jour où tes abominables instincts verront s’éteindre le flambeau d’injustifiable orgueil qui les conduit à l’éternelle damnation ! Ce sera donc moi, qui, le premier, raconterai ce louable changement aux phalanges des chérubins, heureux de retrouver un des leurs. Tu sais toi-même et tu n’as pas oublié qu’une époque existait où tu avais ta première place parmi nous. Ton nom volait de bouche en bouche ; tu es actuellement le sujet de nos solitaires conversations. Viens donc… viens faire une paix durable avec ton ancien maître ; il te recevra comme un fils égaré, et ne s’apercevra point de l’énorme quantité de culpabilité que tu as, comme une montagne de cornes d’élan élevée par les Indiens, amoncelée sur ton cœur. » Il dit, et il retire toutes les parties de son corps du fond de l’ouverture obscure. Il se montre, radieux, sur la surface de l’écueil ; ainsi un prêtre des religions quand il a la certitude de ramener une brebis égarée. Il va faire un bond sur l’eau, pour se diriger à la nage vers le pardonné. Mais, l’homme aux lèvres de saphir a calculé longtemps à l’avance un perfide coup. Son bâton est lancé avec force ; après maints ricochets sur les vagues, il va frapper à la tête l’archange bienfaiteur. Le crabe, mortellement atteint, tombe dans l’eau. La marée porte sur le rivage l’épave flottante. Il attendait la marée pour opérer plus facilement sa descente. Eh bien, la marée est venue ; elle l’a bercé de ses chants, et l’a mollement déposé sur la plage : le crabe n’est-il pas content ? Que lui faut-il de plus ? Et Maldoror, penché sur le sable des grèves, reçoit dans ses bras deux amis, inséparablement réunis par les hasards de la lame : le cadavre du crabe tourteau et le bâton homicide ! « Je n’ai pas encore perdu mon adresse, s’écrie-t-il ; elle ne demande qu’à s’exercer ; mon bras conserve sa force et mon œil sa justesse. » Il regarde l’animal inanimé. Il craint qu’on ne lui demande compte du sang versé. Où cachera-t-il l’archange ? Et, en même temps, il se demande si la mort n’a pas été instantanée. Il a mis sur son dos une enclume et un cadavre ; il s’achemine vers une vaste pièce d’eau, dont toutes les rives sont couvertes et comme murées par un inextricable fouillis de grands joncs. Il voulait d’abord prendre un marteau, mais c’est un instrument trop léger, tandis qu’avec un objet plus lourd, si le cadavre donne signe de vie, il le posera sur le sol et le mettra en poussière à coups d’enclume. Ce n’est pas la vigueur qui manque à son bras, allez ; c’est le moindre de ses embarras. Arrivé en vue du lac, il le voit peuplé de cygnes. Il se dit que c’est une retraite sûre pour lui ; à l’aide d’une métamorphose, sans abandonner sa charge, il se mêle à la bande des autres oiseaux. Remarquez la main de la Providence là où l’on était tenté de la trouver absente, et faites votre profit du miracle dont je vais vous parler. Noir comme l’aile d’un corbeau, trois fois il nagea parmi le groupe de palmipèdes, à la blancheur éclatante ; trois fois, il conserva cette couleur distinctive qui l’assimilait à un bloc de charbon. C’est que Dieu, dans sa justice, ne permit point que son astuce pût tromper même une bande de cygnes. De telle manière qu’il resta ostensiblement dans l’intérieur du lac ; mais, chacun se tint à l’écart, et aucun oiseau ne s’approcha de son plumage honteux, pour lui tenir compagnie. Et, alors, il circonscrivit ses plongeons dans une baie écartée, à l’extrémité de la pièce d’eau, seul parmi les habitants de l’air, comme il l’était parmi les hommes ! C’est ainsi qu’il préludait à l’incroyable événement de la place Vendôme !

VII

Le corsaire aux cheveux d’or, a reçu la réponse de Mervyn. Il suit dans cette page singulière la trace des troubles intellectuels de celui qui l’écrivit, abandonné aux faibles forces de sa propre suggestion. Celui-ci aurait beaucoup mieux fait de consulter ses parents, avant de répondre à l’amitié de l’inconnu. Aucun bénéfice ne résultera pour lui de se mêler, comme principal acteur, à cette équivoque intrigue. Mais, enfin, il l’a voulu. À l’heure indiquée, Mervyn, de la porte de sa maison, est allé droit devant lui, en suivant le boulevard Sébastopol, jusqu’à la fontaine Saint-Michel. Il prend le quai des Grands-Augustins et traverse le quai Conti ; au moment où il passe sur le quai Malaquais, il voit marcher sur le quai du Louvre, parallèlement à sa propre direction, un individu, porteur d’un sac sous le bras, et qui paraît l’examiner avec attention. Les vapeurs du matin se sont dissipées. Les deux passants débouchent en même temps de chaque côté du pont du Carrousel. Quoiqu’ils ne se fussent jamais vus, ils se reconnurent ! Vrai, c’était touchant de voir ces deux êtres, séparés par l’âge, rapprocher leurs âmes par la grandeur des sentiments. Du moins, c’eût été l’opinion de ceux qui se seraient arrêtés devant ce spectacle, que plus d’un, même avec un esprit mathématique, aurait trouvé émouvant. Mervyn, le visage en pleurs, réfléchissait qu’il rencontrait, pour ainsi dire à l’entrée de la vie, un soutien précieux dans les futures adversités. Soyez persuadé que l’autre ne disait rien. Voici ce qu’il fit : il déplia le sac qu’il portait, dégagea l’ouverture, et, saisissant l’adolescent par la tête, il fit passer le corps entier dans l’enveloppe de toile. Il noua, avec son mouchoir, l’extrémité qui servait d’introduction. Comme Mervyn poussait des cris aigus, il enleva le sac, ainsi qu’un paquet de linges, et en frappe, à plusieurs reprises, le parapet du pont. Alors, le patient, s’étant aperçu du craquement de ses os, se tut. Scène unique, qu’aucun romancier ne retrouvera ! Un boucher passait, assis sur la viande de sa charrette. Un individu court à lui, l’engage à s’arrêter, et lui dit : « Voici un chien, enfermé dans ce sac ; il a la gale : abattez-le au plus vite. » L’interpellé se montre complaisant. L’interrupteur, en s’éloignant, aperçoit une jeune fille en haillons qui lui tend la main. Jusqu’où va donc le comble de l’audace et de l’impiété ? Il lui donne l’aumône ! Dites-moi si vous voulez que je vous introduise, quelques heures plus tard, à la porte d’un abattoir reculé. Le boucher est revenu, et a dit à ses camarades, en jetant à terre un fardeau : « Dépêchons-nous de tuer ce chien galeux. » Ils sont quatre, et chacun saisit le marteau accoutumé. Et, cependant, ils hésitaient, parce que le sac remuait avec force. « Quelle émotion s’empare de moi ? » cria l’un d’eux en abaissant lentement son bras. « Ce chien pousse, comme un enfant, des gémissements de douleur, dit un autre ; on dirait qu’il comprend le sort qui l’attend. » « C’est leur habitude, répondit un troisième ; même quand ils ne sont pas malades, comme c’est le cas ici, il suffit que leur maître reste quelques jours absents du logis, pour qu’ils se mettent à faire entendre des hurlements qui, véritablement, sont pénibles à supporter. » « Arrêtez !… arrêtez !… cria le quatrième, avant que tous les bras se fussent levés en cadence pour frapper résolûment, cette fois, sur le sac. Arrêtez, vous dis-je ; il y a ici un fait qui nous échappe. Qui vous dit que cette toile renferme un chien ? Je veux m’en assurer. » Alors, malgré les railleries de ses compagnons, il dénoua le paquet, et en retira l’un après l’autre les membres de Mervyn ! Il était presque étouffé par la gêne de cette position. Il s’évanouit en revoyant la lumière. Quelques moments après, il donna des signes indubitables d’existence. Le sauveur dit : « Apprenez, une autre fois, à mettre de la prudence jusque dans votre métier. Vous avez failli remarquer, par vous-mêmes, qu’il ne sert de rien de pratiquer l’inobservance de cette loi. » Les bouchers s’enfuirent. Mervyn, le cœur serré et plein de pressentiments funestes, rentre chez soi et s’enferme dans sa chambre. Ai-je besoin d’insister sur cette strophe ? Eh ! qui n’en déplorera les événements consommés ! Attendons la fin pour porter un jugement encore plus sévère. Le dénoûment va se précipiter ; et, dans ces sortes de récits, où une passion, de quelque genre qu’elle soit, étant donnée, celle-ci ne craint aucun obstacle pour se frayer un passage, il n’y a pas lieu de délayer dans un godet la gomme laque de quatre cents pages banales. Ce qui peut être dit dans une demi-douzaine de strophes, il faut le dire, et puis se taire.

VIII

Pour construire mécaniquement la cervelle d’un conte somnifère, il ne suffit pas de disséquer des bêtises et abrutir puissamment à doses renouvelées l’intelligence du lecteur, de manière à rendre ses facultés paralytiques pour le reste de sa vie, par la loi infaillible de la fatigue ; il faut, en outre, avec du bon fluide magnétique, le mettre ingénieusement dans l’impossibilité somnambulique de se mouvoir, en le forçant à obscurcir ses yeux contre son naturel par la fixité des vôtres. Je veux dire, afin de ne pas me faire mieux comprendre, mais seulement pour développer ma pensée qui intéresse et agace en même temps par une harmonie des plus pénétrantes, que je ne crois pas qu’il soit nécessaire, pour arriver au but que l’on se propose, d’inventer une poésie tout à fait en dehors de la marche ordinaire de la nature, et dont le souffle pernicieux semble bouleverser même les vérités absolues ; mais, amener un pareil résultat (conforme, du reste, aux règles de l’esthétique, si l’on y réfléchit bien), cela n’est pas aussi facile qu’on le pense : voilà ce que je voulais dire. C’est pourquoi je ferai tous mes efforts pour y parvenir ! Si la mort arrête la maigreur fantastique des deux bras longs de mes épaules, employés à l’écrasement lugubre de mon gypse littéraire, je veux au moins que le lecteur en deuil puisse se dire : « Il faut lui rendre justice. Il m’a beaucoup crétinisé. Que n’aurait-il pas fait, s’il eût pu vivre davantage ! c’est le meilleur professeur d’hypnotisme que je connaisse ! » On gravera ces quelques mots touchants sur le marbre de ma tombe, et mes mânes seront satisfaits ! — Je continue ! Il y avait une queue de poisson qui remuait au fond d’un trou, à côté d’une botte éculée. Il n’était pas naturel de se demander : « Où est le poisson ? Je ne vois que la queue qui remue. » Car, puisque, précisément, l’on avouait implicitement ne pas apercevoir le poisson, c’est qu’en réalité il n’y était pas. La pluie avait laissé quelques gouttes d’eau au fond de cet entonnoir, creusé dans le sable. Quant à la botte éculée, quelques-uns ont pensé depuis qu’elle provenait de quelque abandon volontaire. Le crabe tourteau, par la puissance divine, devait renaître de ses atomes résolus. Il retira du puits la queue de poisson et lui promit de la rattacher à son corps perdu, si elle annonçait au Créateur l’impuissance de son mandataire à dominer les vagues en fureur de la mer maldororienne. Il lui prêta deux ailes d’albatros, et la queue de poisson prit son essor. Mais elle s’envola vers la demeure du renégat, pour lui raconter ce qui se passait et trahir le crabe tourteau. Celui-ci devina le projet de l’espion, et, avant que le troisième jour fût parvenu à sa fin, il perça la queue du poisson d’une flèche envenimée. Le gosier de l’espion poussa une faible exclamation, qui rendit le dernier soupir avant de toucher la terre. Alors, une poutre séculaire, placée sur le comble d’un château, se releva de toute sa hauteur, en bondissant sur elle-même, et demanda vengeance à grands cris. Mais le Tout-Puissant, changé en rhinocéros, lui apprit que cette mort était méritée. La poutre s’apaisa, alla se placer au fond du manoir, reprit sa position horizontale, et rappela les araignées effarouchées, afin qu’elles continuassent, comme par le passé, à tisser leur toile à ses coins. L’homme aux lèvres de soufre apprit la faiblesse de son alliée ; c’est pourquoi, il commanda au fou couronné de brûler la poutre et de la réduire en cendres. Aghone exécuta cet ordre sévère. « Puisque, d’après vous, le moment est venu, s’écria-t-il, j’ai été reprendre l’anneau que j’avais enterré sous la pierre, et je l’ai attaché à un des bouts du câble. Voici le paquet. » Et il présenta une corde épaisse, enroulée sur elle-même, de soixante mètres de longueur. Son maître lui demanda ce que faisaient les quatorze poignards. Il répondit qu’ils restaient fidèles et se tenaient prêts à tout événement, si c’était nécessaire. Le forçat inclina sa tête en signe de satisfaction. Il montra de la surprise, et même de l’inquiétude, quand Aghone ajouta qu’il avait vu un coq fendre avec son bec un candélabre en deux, plonger tour à tour le regard dans chacune des parties, et s’écrier, en battant ses ailes d’un mouvement frénétique : « Il n’y a pas si loin qu’on le pense depuis la rue de la Paix jusqu’à la place du Panthéon. Bientôt, on en verra la preuve lamentable ! » Le crabe tourteau, monté sur un cheval fougueux, courait à toute bride vers la direction de l’écueil, le témoin du lancement du bâton par un bras tatoué, l’asile du premier jour de sa descente sur la terre. Une caravane de pèlerins était en marche pour visiter cet endroit, désormais consacré par une mort auguste. Il espérait l’atteindre, pour lui demander des secours pressants contre la trame qui se préparait, et dont il avait eu connaissance. Vous verrez quelque lignes plus loin, à l’aide de mon silence glacial, qu’il n’arriva pas à temps, pour leur raconter ce que lui avait rapporté un chiffonnier, caché derrière l’échafaudage voisin d’une maison en construction, le jour où le pont du Carrousel, encore empreint de l’humide rosée de la nuit, aperçut avec horreur l’horizon de sa pensée s’élargir confusément en cercles concentriques, à l’apparition matinale du rhythmique pétrissage d’un sac icosaèdre, contre son parapet calcaire ! Avant qu’il stimule leur compassion, par le souvenir de cet épisode, ils feront bien de détruire en eux la semence de l’espoir… Pour rompre votre paresse, mettez en usage les ressources d’une bonne volonté, marchez à côté de moi et ne perdez pas de vue ce fou, la tête surmontée d’un vase de nuit, qui pousse, devant lui, la main armée d’un bâton, celui que vous auriez de la peine à reconnaître, si je ne prenais soin de vous avertir, et de rappeler à votre oreille le mot qui se prononce Mervyn. Comme il est changé ! Les mains liées derrière le dos, il marche devant lui, comme s’il allait à l’échafaud, et, cependant, il n’est coupable d’aucun forfait. Ils sont arrivés dans l’enceinte circulaire de la place Vendôme. Sur l’entablement de la colonne massive, appuyé contre la balustrade carrée, à plus de cinquante mètres de hauteur du sol, un homme a lancé et déroulé un câble, qui tombe jusqu’à terre, à quelques pas d’Aghone. Avec de l’habitude, on fait vite une chose ; mais, je puis dire que celui-ci n’employa pas beaucoup de temps pour attacher les pieds de Mervyn à l’extrémité de la corde. Le rhinocéros avait appris ce qui allait arriver. Couvert de sueur, il apparut haletant, au coin de la rue Castiglione. Il n’eut même pas la satisfaction d’entreprendre le combat. L’individu, qui examinait les alentours du haut de la colonne, arma son révolver, visa avec soin et pressa la détente. Le commodore qui mendiait par les rues depuis le jour où avait commencé ce qu’il croyait être la folie de son fils et la mère, qu’on avait appelée la fille de neige, à cause de son extrême pâleur, portèrent en avant leur poitrine pour protéger le rhinocéros. Inutile soin. La balle troua sa peau, comme un vrille ; l’on aurait pu croire, avec une apparence de logique, que la mort devait infailliblement apparaître. Mais nous savions que, dans ce pachyderme, s’était introduite la substance du Seigneur. Il se retira avec chagrin. S’il n’était pas bien prouvé qu’il ne fût trop bon pour une de ses créatures, je plaindrais l’homme de la colonne ! celui-ci, d’un coup sec de poignet, ramène à soi la corde ainsi lestée. Placée hors de la normale, ses oscillations balancent Mervyn, dont la tête regarde le bas. Il saisit vivement, avec ses mains, une longue guirlande d’immortelles, qui réunit deux angles consécutifs de la base, contre laquelle il coigne son front. Il emporte avec lui, dans les airs, ce qui n’était pas un point fixe. Après avoir amoncelé à ses pieds, sous forme d’ellipses superposées, une grande partie du câble, de manière que Mervyn reste suspendu à moitié hauteur de l’obélisque de bronze, le forçat évadé fait prendre, de la main droite, à l’adolescent, un mouvement accéléré de rotation uniforme, dans un plan parallèle à l’axe de la colonne, et ramasse, de la main gauche, les enroulements serpentins du cordage, qui gisent à ses pieds. La fronde siffle dans l’espace ; le corps de Mervyn la suit partout, toujours éloigné du centre par la force centrifuge, toujours gardant sa position mobile et équidistante, dans une circonférence aérienne, indépendante de la matière. Le sauvage civilisé lâche peu à peu, jusqu’à l’autre bout, qu’il retient avec un métacarpe ferme, ce qui ressemble à tort à une barre d’acier. Il se met à courir autour de la balustrade, en se tenant à la rampe par une main. Cette manœuvre a pour effet de changer le plan primitif de la révolution du câble, et d’augmenter sa force de tension, déjà si considérable. Dorénavant, il tourne majestueusement dans un plan horizontal, après avoir successivement passé, par une marche insensible, à travers plusieurs plans obliques. L’angle droit formé par la colonne et le fil végétal a ses côtés égaux ! Le bras du renégat et l’instrument meurtrier sont confondus dans l’unité linéaire, comme les éléments atomistiques d’un rayon de lumière pénétrant dans la chambre noire. Les théorèmes de la mécanique me permettent de parler ainsi ; hélas ! on sait qu’une force, ajoutée à une autre force, engendrent une résultante composée des deux forces primitives ! Qui oserait prétendre que le cordage linéaire ne se serait déjà rompu, sans la vigueur de l’athlète, sans la bonne qualité du chanvre ? Le corsaire aux cheveux d’or, brusquement et en même temps, arrête sa vitesse acquise, ouvre la main et lâche le câble. Le contre-coup de cette opération, si contraire aux précédentes, fait craquer la balustrade dans ses joints. Mervyn, suivi de la corde, ressemble à une comète traînant après elle sa queue flamboyante. L’anneau de fer du nœud coulant, miroitant aux rayons du soleil, engage à compléter soi-même l’illusion. Dans le parcours de sa parabole, le condamné à mort fend l’atmosphère, jusqu’à la rive gauche, la dépasse en vertu de la force d’impulsion que je suppose infinie, et son corps va frapper le dôme du Panthéon, tandis que la corde étreint, en partie, de ses replis, la paroi supérieure de l’immense coupole. C’est sur sa superficie sphérique et convexe, qui ne ressemble à une orange que pour la forme, qu’on voit, à toute heure du jour, un squelette desséché, resté suspendu. Quand le vent le balance, l’on raconte que les étudiants du quartier Latin, dans la crainte d’un pareil sort, font une courte prière : ce sont des bruits insignifiants auxquels on n’est point tenu de croire, et propres seulement à faire peur aux petits enfants. Il tient entre ses mains crispées, comme un grand ruban de vieilles fleurs jaunes. Il faut tenir compte de la distance, et nul ne peut affirmer, malgré l’attestation de sa bonne vue, que ce soient là, réellement, ces immortelles dont je vous ai parlé, et qu’une lutte inégale, engagée près du nouvel Opéra, vit détacher d’un piédestal grandiose. Il n’en est pas moins vrai que les draperies en forme de croissant de lune n’y reçoivent plus l’expression de leur symétrie définitive dans le nombre quaternaire : allez-y voir vous-même, si vous ne voulez pas me croire.

Лотреамон (Изидор Дюкасс)
Песни Мальдорора

ПЕСНЬ I

(1) Дай бог, чтобы читатель, в ком эти песни разбудят дерзость, в чьей груди хоть на миг вспыхнет бушующее в них пламя зла, – дай бог, чтоб он не заблудился в погибельной трясине мрачных, сочащихся ядом страниц, чтобы смог он найти неторную, извилистую тропу сквозь дебри; ибо чтение сей книги требует постоянного напряжения ума, вооруженного суровой логикой вкупе с трезвым сомнением, иначе смертельная отрава пропитает душу, как вода пропитывает сахар. Не каждому такое доступно, лишь избранным дано вкусить сей горький плод и не погибнуть. А потому, о слабая душа, остановись и не пытайся проникнуть дальше, в глубь неизведанных земель; не вперед, а вспять направь свои стопы. Ты слышишь, не вперед, а вспять, подобно тому как почтительный сын отвращает глаза от сияющего добродетелью лица матери или, вернее, длинному клину теплолюбивых и благоразумных журавлей, когда с наступлением холодов летят они в тишине поднебесья, расправив могучие крылья, держась известного им направления, и вдруг навстречу им задует резкий ветер, предвестник бури. Старейший, летящий во главе всей стаи журавль встревоженно качает головой, а стало быть, и клювом тоже и недовольно им трещит (еще бы, на его месте я тоже был бы недоволен), а между тем порывы ветра злобно треплют облезлую его выю, пережившую целых три журавлиных поколения, – гроза все ближе. И тогда, неспешно и тщательно обозрев горизонт своим многоопытным оком, вожак (он и никто другой облечен правом являть свой хвост взорам всех летящих позади и уступающих ему в мудрости птиц) издает унылый предостерегающий крик, как страж, отпугивающий злоумышленника, и плавно отклоняет вершину геометрической фигуры, образованной птичьими телами (возможно, это треугольник, но третьей стороны не видно1Комментарии к «Песням Мальдорора» Лотреамона составлены Н.Мавлевич … возможно, это треугольник, но третьей стороны не видно … – Лотреамон любит вставлять в свои строфы цитаты из зоологических книг, намеренно перебивая высокопарный стиль сухим научным слогом. Основными источниками этих цитат послужили ему «Естественная история» Ж. – Л.Бюффона (1707—1788), «Классическая зоология» А. Пуше (1800—1872), «Энциклопедия естественной истории» Ж. – Ш. Шеню.), вправо или влево – так опытный шкипер меняет галс – и, поворачивая крылья, что кажутся с земли не больше воробьиных, с философическим смирением ложится на другой, безопасный курс.

(2) Ты, верно, ждешь, читатель, чтоб я на первых же страницах попотчевал тебя изрядной порцией ненависти? – будь спокоен, ты ее получишь, ты в полной мере усладишь свое обоняние кровавыми ее испарениями, разлитыми в бархатном мраке; твои благородные тонкие ноздри затрепещут от вожделения, и ты опрокинешься навзничь, как алчная акула, едва ли сознавая сам всю знаменательность своих деяний и этого вдруг пробудившегося в тебе голодного естества. Обещаю, две жадные дырки на гнусной твоей роже, уродина, будут удовлетворены сполна, если только ты не поленишься три тысячи раз подряд вдохнуть зловоние нечистой совести Всевышнего! На свете нет ничего, столь благоуханного, так что твой нос-гурман, вкусив сей аромат, замрет в немом экстазе, как ангелы на благодатных небесах.

(3) Теперь скажу несколько слов о том, как добр и счастлив был Мальдорор2Мальдорор – существует несколько предположений, объясняющих значение имени героя Лотреамона; вполне очевидна только его связь с корнем «Mal» – «зло». См также вступительную статью. в первые, безоблачные годы своей жизни, – вот эти слова уже и сказаны. Но вскоре он заметил, что по некой фатальной прихоти судьбы был создан злым. Долгие годы в меру сил скрывал он свою натуру, но это длительное, неестественное напряженье привело к тому, что ему стала каждый день бешено бросаться в голову кровь, так что наконец, не выдержав этой муки, он всецело предался злу… и задышал полной грудью в родной стихии! Подумать страшно: всякий раз, как Мальдорор касался губами свежих щечек ребенка, он испытывал желанье исполосовать их острой бритвой, и он охотно сделал бы это, не останавливай его Правосудие с его грозным арсеналом наказаний. Но он не лицемерил, он прямо говорил, что жесток. Вняли ль вы его словам, о люди? Вот и теперь он повторяет это свое признанье на бумаге, и перо дрожит в его руке! Увы, его силы помощнее нашей воли… Черт побери! Что бы вы сказали, если б камень вздумал вдруг противиться закону тяготенья? Ах, это невозможно? Но так же невозможно злу жить в ладу с добром, хотя б оно того и пожелало. К тому я и клоню.

(4) Иные пишут для того, чтобы заставить публику рукоплескать своей добродетели, напускной или подлинной. Я же посвящаю свой талант живописанью наслаждений, которые приносит зло. Они не мимолетны, не надуманы, они родились вместе с человеком и вместе с ним умрут. Или благое Провиденье не допустит, чтобы талант служил злу? Или злодей не может быть талантлив? Мое творение покажет, так ли это, а вы судите сами, была бы охота слушать… Погодите, у меня, кажется, встали дыбом волосы, ну, да это пустяки, я пригладил их рукой, и они послушно улеглись. Так вот, мелодии, которые певец исполнит перед вами, не новы, но то и ценно в них, что все надменные и злобные мысли моего героя каждый обнаружит в себе самом.

(5) Я насмотрелся на людей, и все они, все до единого, тщедушны и жалки, все только и делают, что вытворяют одну нелепость за другой да старательно развращают и отупляют себе подобных. И говорят, что все это – ради славы. Глядя на эту комедию, я хотел рассмеяться, как смеются другие, но, несмотря на все старания, не смог – получалась лишь вымученная гримаса. Тогда я взял острый нож и надрезал себе уголки рта3… надрезал себе уголки рта … – Напрашивается сравнение с романом В.Гюго. «Человек, который смеется», однако он появился годом позже, чем первая песнь Мальдорора. с обеих сторон. Я было думал, что достиг желаемого. И, подойдя к зеркалу, смотрел на изуродованный моею же рукой рот. Но нет! Кровь так хлестала из ран, что поначалу было вообще ничего не разглядеть. Когда же я вгляделся хорошенько, то понял, что моя улыбка вовсе не похожа на человеческую, иначе говоря, засмеяться мне так и не удалось.

Я насмотрелся на людей, мерзких уродов с жуткими запавшими глазами, они бесчувственнее скал, тверже стали, злобнее акулы, наглее юнца, неистовей безумного убийцы, коварнее предателя, притворней лицедея, упорнее священника; нет никого на свете, кто был бы столь же скрытен и холоден, как эти существа, им нипочем ни обличенья моралистов, ни справедливый гнев небес! Я насмотрелся на таких, что грозят небу дюжим кулаком, – так угрожает собственной матери испорченный ребенок – верно, злой дух подстрекает их, жгучий стыд превратился в ненависть, которою горит их взор, они угрюмо молчат, не смея выговорить вслух затаенных своих святотатственных мыслей, полных яда и черной злобы, а милосердный Бог глядит на них и сокрушается. Насмотрелся я и на таких, которые с рождения до смерти, каждый день и час, изощряются в страшных проклятиях всему живому, себе самим и своему Создателю, которые растлевают женщин и детей, бесстыдно оскверняя обитель целомудрия. Пусть вознегодует океан и поглотит разом все корабли, пусть смерчи и землетрясенья снесут дома, пусть нагрянут мор, глад, чума и истребят целые семьи, невзирая на мольбы несчастных жертв. Люди этого и не заметят. Я насмотрелся на людей, но чтобы кто-нибудь из них краснел или бледнел, стыдясь своих деяний на земле, – такое доводилось видеть очень редко. О вы, бури и ураганы, ты, блеклый небосвод, – не пойму, в чем твоя хваленая красота! – ты, переменчивое море – подобие моей души, – о вы, таинственные земные недра, вы, небесные духи, о ты, необъятная вселенная, и ты, Боже, щедрый творец ее, к тебе взываю: покажи мне хоть одного праведного человека!.. Но только прежде приумножь мои силы не то я могу не выдержать и умереть, узрев такое диво, – случается, еще и не от такого умирают.

(6) Две недели надо отращивать ногти. А затем – о, сладкий миг! – схватить и вырвать из постели мальчика, у которого еще не пробился пушок над верхней губой, и, пожирая его глазами, сделать вид, будто хочешь откинуть назад его прекрасные волосы и погладить его лоб! И наконец, когда он совсем не, ждет, вонзить длинные ногти в его нежную грудь4… вонзить длинные ногти в его нежную грудь … – первая из множества буффонно-садистских сцен у Лотреамона. Нечто подобное описанному в данной строфе встречается в «Истории Жюльетты» Маркиза де Сада (1797). Возможно также, существует связь этих строк со стихотворением Бодлера «Благословение». Бодлер вообще оказал значительное влияние на Лотреамона. Когда ж наскучит мне весь этот фарс нелепый,Я руку наложу покорному на грудь,И эти когти вмиг, проворны и свирепы,Когтями гарпии проложат к сердцу путь.(Цветы зла. Сплин и Идеал, I. Пер. В. Левика), но так, чтобы он не умер, иначе как потом насладиться его муками. Из раны потечет кровь, ее так приятно слизывать, еще и еще раз, а мальчик все это время – пусть бы оно длилось вечно! – будет плакать. Нет ничего лучше этой его горячей крови, добытой так, как я сказал, – ничего, кроме разве что его же горько-соленых слез. Да разве тебе самому не случалось попробовать собственной крови, ну хотя бы лизнуть ненароком порезанный палец? Она так хороша, не правда ль, хороша тем, что вовсе не имеет вкуса. Теперь припомни, как однажды, когда тебя одолевали тягостные мысли, ты спрятал скорбное, мокрое от текущей из глаз влаги лицо в раскрытые ладони, а затем невольно поднес ладонь, эту чашу, трясущуюся, как бедный школьник, что затравленно смотрит на своего бессменного тирана, – ко рту, поднес и жадно выпил слезы! Они так хороши, не правда ли, остры, как уксус? Как будто слезы влюбленной женщины; и все же детские слезы еще приятней на вкус. Ребенок не предаст, ибо не ведает зла, а женщина, пусть и любящая, предаст непременно (я сужу, опираясь лишь на логику вещей, потому что сам не испытал ни любви, ни дружбы, да, верно, никогда и не принял бы ни того, ни другого, по крайней мере, от людей). Так вот, если собственные кровь и слезы тебе не претят, то отведай, отведай без опаски крови отрока. На то время, пока ты будешь терзать его трепещущую плоть, завяжи ему глаза, когда же вдоволь натешишься его криками, похожими на судорожный хрип, что вырывается из глотки смертельно раненных на поле брани, тогда мгновенно отстранись, отбеги в другую комнату и тут же шумно ворвись обратно, как будто лишь сию минуту явился ему на помощь. Развяжи его отекшие руки, сними повязку с его смятенных глаз и снова слизни его кровь и слезы. Какое непритворное раскаяние охватит тебя! Божественная искра, таящаяся в каждом смертном, но оживающая так редко, вдруг ярко вспыхнет – увы, слишком поздно! Растрогается сердце и изольет потоки состраданья на невинно обиженного отрока: «О бедное дитя! Терпеть такие жестокие муки! Кто мог учинить над тобою неслыханное это преступленье, какому даже нет названья! Тебе, наверно, больно? О, как мне жаль тебя! Родная мать не ужаснулась бы больше, чем я, и не воспылала бы большей ненавистью к твоим обидчикам! Увы! Что такое добро и что такое зло! Быть может, это проявления одной и той же неутолимой страсти к совершенству, которого мы пытаемся достичь любой ценой, не отвергая даже самых безумных средств, и каждая попытка заканчивается, к нашей ярости, признанием собственного бессилия. Или все-таки это вещи разные? Нет… меня куда больше устраивает единосущность, а иначе что станется со мною, когда пробьет час последнего суда! Прости меня, дитя, вот пред твоими чистыми, безгрешными очами стоит тот, кто ломал тебе кости и сдирал твою кожу, – она так и висит на тебе лохмотьями. Бред ли больного рассудка или некий неподвластный воле глухой инстинкт – такой же, как у раздирающего клювом добычу орла, – толкнули меня на это злодеяние, – Не знаю, но только я и сам страдал не меньше того, кого мучил! Прости, прости меня, дитя! Я бы хотел, чтобы, окончив срок земной жизни, мы с тобою, соединив уста с устами и слившись воедино, пребывали в вечности. Но нет, тогда я не понес бы заслуженного наказанья. Пусть лучше так: ногтями и зубами ты станешь разрывать мне плоть – и эта пытка будет длиться вечно. А я для совершения сей искупительной жертвы украшу свое тело благоуханными гирляндами; мы будем страдать вместе: я от боли, ты – от жалости ко мне. О светлокудрый отрок с кротким взором, поступишь ли так, как я сказал? Ты не хочешь, я знаю, но сделай это для облегчения моей совести». И вот, когда кончишь такую речь, получится, что ты не только надругался над человеком, но и заставил его проникнуться к тебе любовью – а слаще этого нет ничего на свете. Что же до мальчугана, ты можешь поместить его в больницу – ведь ему, калеке, не на что будет жить. И все еще станут превозносить твою доброту, а когда ты умрешь, к ногам твоей босоногой статуи со старческим лицом свалят целую груду лавровых венков и золотых медалей. О ты, чье имя не хочу упоминать на этих, посвященных восхваленью зла, страницах, я знаю что до сих пор твое всепрощающее милосердие было безгранично, как вселенная. Но ты еще не знал меня!

(7) Я заключил союз с проституцией, чтобы сеять раздор в семействах. Помню ночь, когда свершился сей пагубный сговор. Я стоял над некой могилой. И услышал голос огромного, как башня, сияющего в темноте червя: «Я посвечу тебе. Прочти, что тут написано. Не я, а тот, кто всех превыше, так велит». И все вокруг залил кровавый свет, такой зловещий, что у меня застучали зубы и беспомощно повисли руки. Прислонившись, чтобы не упасть, к полуразвалившейся кладбищенской стене, я прочитал: «Здесь покоится отрок, погибший от чахотки, его история тебе известна. Не молись за него». Не у многих, верно, хватило бы духу выдержать такое. Меж тем ко мне приблизилась и упала к моим ногам прекрасная нагая женщина. «Встань», – произнес я и протянул ей руку, как протягивает ее брат, чтоб задушить свою сестру. И сказал мне сияющий червь: «Возьми камень и убей ее». – «За что?» – спросил я. А он: «Берегись, ты слаб, а я силен. Имя той, что простерта здесь, Проституция». И я почувствовал, как к горлу подступили слезы, и ярость захлестнула сердце, и неизведанная сила разлилась по жилам. Взявшись за огромный камень, я напряг все жилы, поднял его водрузил себе на плечо. Затем, не выпуская камня, влез на вершину самой высокой горы и оттуда обрушил глыбу на червя и раздавил его. Так что голова его ушла в землю на человеческий рост, а глыба подскочила на высоту полдюжины церквей и вновь упала прямо в озеро, пробив в его дне исполинскую воронку, в которой в тот же миг забурлила хлынувшая от берегов вода. Кровавый свет угас, покой и темнота вновь воцарились на земле. «Горе тебе! Что ты сделал?» – вскричала нагая красавица «Мне больше по душе не он, а ты, – ответил я, – ибо несчастье вызывает во мне сострадание. Не твоя вина, что Вечный Судия тебя такой создал». – «Настанет час, когда и люди воздадут мне по справедливости – вот все, что я могу сказать. Пока же дай мне удалиться, укрыть мою неутолимую печаль на дне морском. На всем свете не презираешь меня один лишь ты, да еще кошмарные чудовища, что водятся там, в мрачных глубинах. Ты добр. Прощай же, единственный, кто возлюбил меня!» – «Прощай! Прощай! Я буду любить тебя вечно!.. Отныне отрекаюсь от добродетели». И потому, о люди, услышав, как студеный ветер воет над морями и над сушей, над большими, давно скорбящими обо мне городами и над полярными пустынями, скажите: «То не Божье дыханье пролетает над землею, то тяжкий вздох Блудницы, смешавшийся со стоном уроженца Монтевидео»5… уроженца Монтевидео – Имеется в виду сам автор: Изидор Дюкасс был родом из Монтевидео.. Запомните это, дети мои. И преклоните в милосердии своем колена, и пусть все люди, которых больше на земле, чем вшей, воссылают к небесам молитвы.

(8) Кому хоть раз случалось провести ночь на пустынном морском берегу, тот замечал, как желтый, призрачный, туманный лунный свет причудливо преображает весь пейзаж. Как ползут, бегут, сплетаются и замирают распластанные по земле тени деревьев. Когда-то, в далекую пору крылатой юности, эта фантасмагория пленяла меня, навевала грезы, теперь же приелась. С унылым стоном треплет листья ветер, зловещим, леденящим душу басом причитает филин. В этот час во всех дворовых псов округи вселяется безумие6… во всех дворовых псов округи вселилось безумье … – Французские исследователи отмечают близость следующей ниже сцены к стихотворению Ш. Леконт де Лиля «Воющие псы». В некоторых местах Лотреамон повторяет де Лиля почти дословно.; одичав, сорвавшись с цепи, они несутся прочь без оглядки. Но вдруг, застыв как вкопанные, тревожно озираются по сторонам горящими глазами и, подобно слонам, что в смертный час отчаянным усильем поднимают головы с беспомощно висящими ушами и вытягивают вверх хоботы, – собаки поднимают головы, с такими же беспомощно висящими ушами, вытягивают шеи и лают, лают… то как плач голодного ребенка звучит этот лай, то как вопль подбитого кота на крыше, то как стенанья роженицы, то как предсмертный хрип в чумном бараке, то как божественное пенье юной девы; псы лают, воют и рычат на звезды, на луну, на горы, застывшие вдали мрачными громадами, на хладный ветер, что наполняет их грудь и обжигает красное нутро ноздрей; на ночное безмолвие, на сов, что со свистом прочерчивают во тьме дуги, едва не касаясь крыльями собачьих морд и унося в клювах лягушек и мышей, живую, лакомую пищу для птенцов; на вора, что скачет во весь опор подальше от ограбленного дома; на змей, скользящих меж стеблей папоротника и заставляющих псов скалить зубы и злобно ощетиниваться; на собственный лай, что пугает их самих; на жаб, которых они звучно цапают зубами (а кто велел этим тварям вылезать из болота?); на ветки, что скрывают столько тайн, непостижимых тайн, в которые они пытаются проникнуть, впиваясь умными глазами в колышущуюся листву; на пауков, что зацепились и повисли на их долговязых лапах или спасаются бегством, карабкаясь вверх по древесным стволам; на воронов, что маялись весь день, ища, чем поживиться, а сейчас, голодные и чуть живые, разлетаются по гнездам; на береговые скалы; на разноцветные огни, что зажигаются на мачтах невидимых судов; на ропот волн; на рыбин, что, резвясь, выныривают из воды, мелькают черными горбами и вновь уходят вглубь; и, наконец, на человека, который обратил их в рабство.

Но вот они снова срываются с места и летят напропалую, кровавя лапы, через поля, овраги, вдоль дорог, по кочкам, рытвинам, по острым камням, как одержимые, как будто неуемная жажда гонит их на поиски прохладного источника. Их протяжный вой полнит ужасом округу. Горе запоздалому ночному путнику! Псы, прислужники смерти, набросятся, и вопьются острыми клыками, загрызут – что-что, а зубы у собак отменные! – сожрут, давясь кровавыми кусками. Даже дикие звери в страхе мчатся прочь, не смея присоединиться к жуткой трапезе. А после нескольких часов такого безумного бега псы, изнуренные, вывалив из пасти языки, в остервенении набросятся друг на друга и в мгновенье ока разорвут друг друга в клочья. Но это не просто жестокость… Я помню, как однажды, глядя на меня остекленевшими глазами, матушка сказала: «Когда услышишь, лежа в постели, лай псов поблизости, накройся поплотнее одеялом и не смейся над их безумьем, ибо ими владеет неизбывная тоска по вечности, тоска, которою томимы все: и ты, и я, и все унылые и худосочные жители земли. Но это зрелище возвышает душу, и я позволяю тебе смотреть на него из окна». Я свято чту завет покойной матери. Меня, как этих псов, томит тоска по вечности… Тоска, которой никогда не утолить!.. Уверяют, что мои родители – обычные мужчина и женщина. Странно… Мне казалось, что я не столь низкого происхождения. А впрочем, какая разница? Будь на то моя воля, я бы и вовсе предпочел быть сыном прожорливой, как смерч, акулы и кровожаднейшего тигра – тогда во мне было бы меньше злобы. Эй, вы, глазеющие на меня зеваки, держитесь-ка подальше: мое дыханье ядовито! Еще никто не видел воочию зеленых морщин на моем челе, моего костистого лица, похожего на рыбий скелет, или на каменистую морену, или на горный кряж – из тех, где я любил бродить, когда седина еще не убелила мою голову. Ибо, когда грозовыми ночами я, одинокий, как валун посреди большой дороги, с горящими глазами и развевающимися на ветру волосами, приближаюсь к жилищам людей, то закрываю ужасное свое лицо бархатным платком, черным, как сажа в трубе, дабы чьи-нибудь глаза не узрели уродства, которым с ухмылкой торжествующей ненависти заклеймил меня Всевышний. По утрам, когда показывается око вселенной, на целый мир отверстое с любовью7… око вселенной, на целый мир отверстое с любовью … – цитата из «Манфреда» Байрона (1,8)., лишь мне отрады нет; забившись в глубину своей излюбленной пещеры, спиною к свету, не отрывая глаз от темных недр, я упиваюсь отчаянием, словно терпким вином, и что есть силы раздираю собственную грудь. Но нет, я не безумен! Нет, я не единственный страдалец! Нет, я все еще дышу! Бывает, смертник перед казнью ощупывает шею и поводит головою, представляя, что с ней станет там, на эшафоте, так же и я, попирая ногами соломенное ложе, стою и часами, круг за кругом, верчу головой, а смерть все не идет. В минуту передышки, когда, устав вращать головой все в одну и ту же сторону, я останавливаюсь, чтобы начать вновь – в другую, я успеваю через щели густо сплетенных ветвей взглянуть на волю – и ничего не вижу! Ничего… лишь круговерть полей, деревьев и четки птичьих стай, перечеркнувших небо. Мутится кровь, мутится разум… И чья-то беспощадная десница все бьет и бьет по голове, как тяжким молотом по наковальне.

(9) Громко, торжественно, ровно, без лишнего пыла намерен я продекламировать сию строфу. Так приготовьтесь же внимать ей, но берегитесь: она разбередит вам душу, оставит в ней глубокий и неизгладимый шрам. Не думайте, будто я при последнем издыхании – еще не иссохла плоть моя, еще не сморщилось от дряхлости лицо мое. А потому сравненье с лебединой песнью не годится: пред нами не лебедь, испускающий дух, а страшное создание; наружность его безобразна – ваше счастье, что вы не видите его лица, – но много мерзостнее душа его. Отсюда, впрочем, еще не следует, что я преступен… Ну, да хватит об этом. Я видел океан совсем недавно, недавно ходил по корабельной палубе, и воспоминания мои так свежи, точно все это было вчера. Однако я буду сдержан, сохраняйте хладнокровие и вы, если, конечно, сможете, читая эти строки – уж я жалею, что принялся писать их, – и не краснейте от стыда за человека. О нежноокий спрут8О нежноокий спрут … – В первом издании I-ой песни здесь стояло имя Жоржа Дазе, школьного друга Дюкасса, упоминавшегося также в других строфах этой песни. Во втором издании от имени остался только инициал, а в каноническом, которое служит источником для перевода, оно заменено названиями отвратительных животных, первое из которых – спрут., ты, чья душа неотделима от моей, ты, самое прекрасное из всех земных существ, ты, властелин четырехсот рабынь-присосок, ты, в ком так гармонично, естественно, счастливо сочетаются божественная прелесть и притягательная сила, зачем ты не со мною, спрут! Как славно было бы сидеть с тобою на скалистом берегу, прижавши грудь к твоей груди, – твоя как ртуть, моя как алюминий – и вместе наслаждаться дивным видом!

О древний Океан, струящий хрустальные воды, ты словно испещренная багровыми рубцами спина бедняги-юнги; ты огромнейший синяк на горбу земного шара – вот удачное сравненье! Не зря твой неумолчный стон, который часто принимают за беззаботный лепет бриза, пронзает наши души и оставляет в них незаживающие язвы, и в каждом, кто пришел вкусить твоих красот, ты оживляешь память о мучительном начале жизни, когда впервые познаем мы боль, с которою уже не расстаемся до самой смерти. Привет тебе, о древний Океан!

О древний Океан, твоя идеальная сфера тешит взор сурового геометра9… тешит взор сурового геометра … – возможно, намек на строки из эссе Жюля Мишле (1798—1874) «Море» (1,4)., а мне она напоминает человеческие глазки: маленькие, как у свиньи, и выпученные, как у филина. Однако человек во все времена мнил и мнит себя совершенством. Подозреваю, что одно лишь самолюбие заставляет его твердить об этом, в глубине души он сам не верит в этот вздор и знает, как он уродлив, иначе почему с таким презрением смотрит он на себе подобных? Привет тебе, о древний Океан!

О древний Океан, ты символ постоянства, ты испокон веков тождествен сам себе. Твоя суть неизменна, и если шторм бушует где-то на твоих просторах, то в других широтах гладь невозмутима. Ты не то что человек, который остановится поглазеть, как два бульдога рвут друг друга в клочья, но не оглянется на похоронную процессию; утром он весел и приветлив, вечером – не в духе, нынче смеется, завтра плачет. Привет тебе, о древний Океан!

О древний Океан, в тебе, возможно, таится нечто, сулящее великую пользу человечеству. Даровал же ты ему кита10Даровал же ты ему кита – Тот же Мишле говорит, что охота на китов способствовала расширению географических познаний человека (111,2).. Но из скромности ты оберегаешь от дотошных натуралистов тайны твоих сокровенных глубин. Не то что человек, расхваливающий себя по каждому пустяку. Привет тебе, о древний Океан!

О древний Океан, рыбьи племена, населяющие твои воды, не клянутся друг другу в братской любви. Каждый вид живет сам по себе, и если такое обособление кажется странным, то лишь на первый взгляд – различие в повадках и в размерах вполне его объясняет. Люди тоже живут порознь, но никакие естественные причины их к этому не побуждают. И хотя бы их скопилось миллионов тридцать на одном клочке земли никому нет дела до соседа, и каждый словно пустил корни в своем углу. Все, от мала до велика, живут, как дикари в пещерах, и лишь изредка наведываются к сородичам, живущим точно так же, забившись в норы. Идея объединить все человечество в одну семью не что иное, как утопия, уверовать в нее способен лишь самый примитивный ум, При взгляде же на твою наполненную соком жизни грудь невольное сравнение приходит в голову, и думаешь о тех родителях – а их немало, – которые, забыв о долге благодарности перед Отцом Небесным, бросают на произвол судьбы своих отпрысков, детей стыда и блуда. Привет тебе, о древний Океан!

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О древний Океан, твоя вода горька. Точь-в-точь как желчь, которую так щедро изливают критики на все подряд: будь то искусство иль наука. Гения обзовут сумасшедшим, красавца – горбуном. Должно быть, люди очень остро ощущают свое несовершенство, коли так строго судят! Привет тебе, о древний Океан!

О древний Океан, никакие новейшие приборы, никакие ухищрения человеческой науки пока не позволяют измерить твои бездны – самые длинные, самые тяжелые зонды не достают до дна. Вот рыбы… им доступно то, что запретно человеку. Как часто задавался я вопросом: что легче измерить – бездну влажных недр океана или глубины человеческой души?11… что легче измерить – бездну влажных недр океана или глубину человеческой души? – Бросается в глаза сходство этого пассажа и стихотворения Бодлера «Человек и Море»: Кто тайное твое, о Человек, поведал?Кто клады влажных недр исчислил и разведал, О Море?..(Цветы зла. Сплин и Идеал, XIV. Пер. В. Иванова)Как часто размышлял об этом, сжимая чело руками, на палубе бороздящего океан корабля, меж тем как луна подпрыгивала и болталась между мачтами12… луна подпрыгивала и болталась между мачтами … – Лотреамон почти дословно повторяет выражение Шатобриана (см.«Путь из Парижа в Иерусалим»)., как мячик, – размышлял, позабыв обо всем, кроме этого непростого вопроса! Так что же глубже и недоступнее: океан или сердце человека? И если тридцать прожитых на свете лет дают хоть какое-то право на собственное суждение о сем предмете, то я сказал бы, что, как ни велики глубины океана, но человеческое сердце несравненно глубже. Знавал я праведных людей. Они умирали, дожив лет до шестидесяти, и перед смертью непременно восклицали, что творили лишь добро на этой земле, что были милосердны, и это-де так просто, и это может каждый. Но кто поймет, почему любовники, еще вчера обожавшие друг друга, сегодня расходятся в разные стороны из-за какого-то неверно истолкованного слова, и каждого терзает жажда мести, и каждый кичится гордым одиночеством? Такие чудеса повторяются каждый день, но не становятся понятнее. Кто поймет, почему нас радуют не только беды человеческие вообще, но и несчастья самых близких друзей, хотя они же нас и огорчают? И наконец главное: человек лицемерен, он говорит «да», а думает «нет». Оттого-то все чада человечества так полны любви друг к другу. О да, психологам предстоит еще немало открытий… Привет тебе, о древний Океан!

О древний Океан! Как ты силен!13О древний Океан! Как ты силен! – В этой строфе слышны отголоски Байрона («Паломничество Чайльд-Гарольда», IV, 180—181) и Гюго («Океан», «Открытое море» из сборника «Легенда веков»). На собственном горьком опыте убедились в этом люди. Они испробовали все, до чего только мог додуматься их изобретательный ум, но покорить тебя так и не смогли. И были вынуждены признать над собою твою власть. Они столкнулись с силой, превосходящей их. И имя этой силы – Океан! Они трепещут пред тобою, и этот страх рождает в них почтенье. Ты резво, легко и изящно играешь с их железными махинами, кружа их, словно в вальсе. Послушные твоим капризам, они взмывают вверх, ныряют в глубь зыбей так лихо, что любого циркового акробата разобрала бы зависть. И счастье, если тебе не вздумается затянуть их насовсем в кипящую пучину и прямиком отправить в свою утробу – тебе для этого не нужно ни дорог, ни рельсов, – чтобы они поглядели, каково там живется рыбам, да заодно составили им компанию. «Но я умнее Океана», – скажет человек. Что ж, возможно, и даже наверное так, но человек страшится Океана больше, чем тот страшится человека, и в этом нет сомненья. Сей патриарх, свидетель всего, что совершалось на нашей висящей в пространстве планете от начала времен, снисходительно усмехается при виде наших морских «битв народов». Сначала соберется сотня рукотворных левиафанов. Потом надсадные команды, крики раненых, пушечные выстрелы – сколько шуму ради того, чтобы скрасить несколько мгновений вечности. Наконец представление окончено, и Океан глотает все его атрибуты. Какая бездонная глотка! Она уходит черным жерлом в бесконечность. А вот и эпилог: какой-нибудь утомленный, отбившийся от стаи лебедь пролетает над местом, где разыгралась эта вздорная и нудная комедия, и не замедляя лета, думает: «Верно, у меня неладно со зрением. Только что тут внизу я видел какие-то черные точки, моргнул – а их уж нет». Привет тебе, о древний Океан!

О древний Океан, великий девственник!14… великий девственник! – Точно так же «великим, вечным девственником» назвал Шатобриан Господа Бога в первом издании «Гения христианства». Это неудачное выражение было подхвачено недоброжелателями поэта и долго еще употреблялось с издевкой по отношению к нему. Окидывая взором бескрайнюю пустыню своих неспешных вод, ты с полным правом наслаждаешься своей природной красотою и теми искренними похвалами, что расточаю тебе я. Величавая медлительность – лучшее из всего, чем наградил тебя Создатель, мерно и сладостно твое дыханье, исполненное безмятежности и вечной, несокрушимой мощи; загадочный, непостижимый, без устали стремишь ты чудо-волны во все концы своих славных владений. Они теснятся друг за другом параллельными грядами. Едва откатится одна, как ей на смену уж растет другая, закипает пеной и тут же тает с печальным ропотом, который словно бы напоминает, что в этом мире все эфемерно, как пена. И люди, живые волны, умирают с таким же неизбежным единообразием, но их смерть не украшает даже пенный всплеск. Порою странница-птица доверчиво опустится на волны и повторяет их изящно-горделивые изгибы, пока уставшие крылья не окрепнут вновь, чтобы нести ее дальше. Хотел бы я, чтоб в человеке был хоть слабый отблеск, хоть тень от тени твоего величья. Я желаю этого от души и от души преклоняюсь пред тобою, но понимаю, что это значит желать слишком многого. Твой высокий дух, воплощение вечности, велик, как мысль философа, как любовь земной женщины, как дивная прелесть летящей птицы, как мечта поэта. Ты прекраснее самой ночи. Послушай, Океан, хочешь быть моим братом? Бушуй же, Океан… еще… еще сильнее, чтобы я мог сравнить тебя с Божьим гневом; выпусти свои белесые когти и расцарапай собственную грудь… вот так. О страшный Океан, гони вперед воинство буйных волн; один лишь я постиг тебя и простираюсь пред тобою ниц. Фальшивое величье человека не внушает мне благоговенья, лишь пред тобою я благоговею. Когда я вижу, как грозно ты шествуешь, увенчанный пенною короной, в сопровождении толпы придворных в белых кружевах, все подчиняя своей магической и страшной силе; когда слышу рев, что вырывается из недр твоих, словно исторгнутый раскаянием в каких-то неведомых грехах, глухой и неумолчный рев, который повергает в ужас и заставляет трепетать людей, хотя бы даже они смотрели на тебя с безопасного берега, – тогда я понимаю, что не вправе посягать на равенство с тобою.

Что ж, равняться с тобою не стану, но я бы отдал тебе всю мою любовь (никто не ведает, сколько ее скопилось во мне, вечно тоскующем по красоте!), когда бы ты не наводил меня на безрадостные мысли о моих соплеменниках, столь смехотворно выглядящих с тобою рядом: ты и они – что может быть комичнее подобного контраста! – вот почему я не могу любить тебя, вот почему ненавижу тебя. Так отчего же вновь и вновь меня влечет к тебе и тянет броситься в твои объятья и освежить твоим прикосновением мое пылающее чело? Я жажду знать о тебе все, жажду проникнуть в неведомый мне тайный смысл твоего бытия. Скажи, быть может, ты обитель Князя Тьмы? Скажи, скажи мне, Океан (мне одному, чтобы не пугать наивные души, живущие в плену иллюзий), уж не дыханье ль Сатаны – причина страшных бурь, что заставляет чуть не до небес взметаться твои соленые волны? Скажи мне будет отрадно узнать, что ад так близок. Еще одна строфа – и конец моему гимну. Итак, мне остается воздать тебе хвалу в последний раз и распрощаться! О древний Океан, струящий хрустальные воды… Нет, я не в силах продолжать, слезы застилают глаза, ибо чувствую; настало время вернуться в грубый мир людей… но делать нечего! Соберемся же с духом и свершим, как велит долг, предначертанный нам земной путь. Привет тебе, о древний Океан!

(10) Пусть в мой последний час (а я пишу эти строки на смертном одре) вокруг меня не будет никаких духовных пастырей. Посреди ревущего моря или стоя на вершине горы хочу я умереть… но не обращу глаз к небу: зачем? – я знаю, мне суждено сгинуть навеки. А если бы это было и не так, – надежды на пощаду для меня все равно нет. Но кто это, кто открывает дверь? Я приказал, чтобы никто не смел сюда входить. Кто б ты ни был, ступай отсюда прочь, но, быть может, ты хотел увидеть на моем лице – лице гиены (сравнение неточно, ибо гиена намного миловиднее, чем я) – признаки страданья или страха, – тогда приблизься и разуверься. Жуткая зимняя ночь стоит над миром – ночь, когда буйствуют враждебные стихии, когда в ужасе трепещут смертные, когда юноша, если он таков, каким был в молодости я сам, замышляет жестокую расправу над своим другом. И воет ветер… твой голос, ветер, унылый вой, наводит тоску на человека: человек и ветер – божьи дети; в последний мой миг на этом свете, о ветер, промчи меня, как тучу, на своих скрипучих крыльях – пронеси над миром, так жадно ждущим моей смерти. Чтоб я тайком полюбовался напоследок обилием примеров злобы человеческой (приятно, оставаясь невидимкой для своих собратьев, поглядеть, чем они занимаются).

Орел и ворон, и бессмертный пеликан, и дикая утка, и вечный странник-журавль – все встрепенутся в поднебесье, задрожат от холода и при вспышках молний увидят, как проносится чудовищная, ликующая тень. Увидят и замрут в недоуменье. И все земные твари: гадюка, пучеглазая жаба, тигр, слон; и твари водяные: киты, акулы, молот-рыба, бесформенные скаты и клыкастый морж – воззрятся на сие вопиющее нарушение законов природы. А человек, стеная, трепеща, падет на землю ниц. Уж не потому ли, что я превосхожу вас всех в жестокости, против которой я и сам бессилен, ибо она врожденная, – не потому ли вы простерлись предо мною во прахе? Иль я кажусь вам невиданным доселе небесным знамением, вроде роковой кометы, окропляющей кровью тьму кромешной ночи? (И правда, из моего огромного и черного, как грозовая туча, тела на землю льется кровь.) Не бойтесь, дети мои, я не прокляну вас. Велико зло, что вы причинили мне, велико зло, что причинил вам я, – слишком велико, чтобы оно могло быть преднамеренным. Вы шли своим путем, а я – своим, но одинаково порочны были эти пути. Столкновенье двух подобных сил было неминуемо и оказалось роковым для вас и для меня. Заслышав такое, люди, чуть осмелев, приподнимут головы и, вытягивая шеи, как улитка выставляет наружу рожки, взглянут вверх, узнать, кому принадлежит эта речь. И в тот же миг их лица исказятся такою жуткою гримасой, вспыхнут такою бешеной злобой, что и волки испугались бы. Точно подброшенные гигантской пружиной, вскочат они на ноги. И такой тут поднимется вопль, такая посыплется брань! Узнали! Вот и зверье включилось в хор людей, со всех сторон несется рев, и рык, и вой, и клекот! И вековой вражды меж человеком и диким зверем как не бывало; она обернулась ненавистью ко мне; а общие чувства, как известно, сближают. Выше, выше поднимите меня, ветры, – я страшусь коварства моих врагов. Я нагляделся вдосталь на это необузданное буйство, теперь пора подальше, пора исчезнуть с глаз их… Благодарю тебя, крылатый подковонос15Подковонос – разновидность летучих мышей., благодарю за то, что разбудил меня шорохом своих перепончатых крыльев; увы, я ошибся, моя болезнь была лишь мимолетной хворью, и я с великим сожаленьем возвращаюсь к жизни. Если верить тому, что о тебе говорят, ты прилетал высосать остатки крови, что еще струится в моих жилах; как жаль, что ты не сделал этого!

(11)16Строфа (11) – В первом издании первой песни эта строфа представляла собой драматическую сцену с четырьмя персонажами: Отец, Мать, Дитя и Мальдорор. Нетрудно уловить сходство ее со знаменитой балладой Гете «Лесной царь». Вечер, горит настольная лампа, все семейство в сборе.

– Сынок, подай мне ножницы, они на стуле.

– Их нет там, матушка.

– Ну, так сходи поищи в соседней комнате… Помнишь, милый супруг, как когда-то мы молили Бога послать нам дитя, чтобы заново прожить с ним жизнь и обрести опору в старости?

– Я помню. И Бог исполнил нашу просьбу. Да, что и говорить, жаловаться на судьбу нам не приходится. Напротив, мы неустанно благословляем провиденье за посланную нам милость. Наш Эдуард красотою пошел в мать.

– А характером – в отца…

– Вот ножницы, матушка.

И юноша вернулся к прерванным занятиям… Но вот в дверях возник какой-то силуэт, кто-то стоит и глядит на тихую семейную сцену.

– Что я вижу! На свете столько недовольных своей долей. Чему же радуются эти? Изыди, Мальдорор, прочь от мирного сего очага, тебе не место здесь.

И он ушел!

– Не понимаю, что со мною, мне кажется, все чувства восстали и смешались в моей груди. Не знаю, почему мне смутно и тревожно и словно какая-то тяжесть нависла над нами.

– Со мною то же самое, жена; боюсь, к нам подступает беда. Но будем уповать на Бога, Он наш заступник.

– О, матушка, мне тяжело дышать, и голова болит.

– Тебе тоже плохо, сынок? Дай я смочу тебе уксусом лоб и виски.

– Ах нет, матушка…

Видите, он без сил откинулся на спинку стула.

– Со мной творится что-то непонятное. Все не по мне, все вызывает раздраженье.

– Как ты бледен! О, я предчувствую, что еще до наступления утра случится что-то страшное, что ввергнет всех нас в пучину бедствий!

Чу!… Где-то вдали протяжные крики мучительной боли…

– Мой мальчик!

– Ах, матушка… мне страшно!

– Скажи скорее, тебе больно?

– Не больно, матушка… Неправда, больно!

В каком-то отрешенном изумлении заговорил отец:

– Такие крики, бывает, раздаются слепыми беззвездными ночами. И хоть мы слышим их, но сам кричащий далеко отсюда, быть может, мили за три, а ветер разносит его стоны по окрестным городам и селам. Мне и раньше рассказывали о таком, но еще никогда не случалось проверить, правда ли это. Ты говоришь о несчастье, жена, но нет и не было с тех пор, как стоит этот мир, никого несчастнее, чем тот, кто ныне тревожит сон своих собратьев…

Чу! Где-то вдали протяжные крики мучительной боли.

– Дай бог, чтобы тот край, где он родился и откуда был изгнан, не поплатился тяжкими несчастьями за то, что дал ему жизнь. Из края в край скитается он, отринутый всеми. Говорят, будто он с детства одержим некоей манией. Говорят и другое: будто неимоверная жестокость дана ему от природы, будто он сам ее стыдится, а его отец и мать умерли от горя. Иные же уверяют, что причиною всему прозвище, которое дали ему еще в детстве товарищи и которое озлобило его на всю жизнь. Обида была так сильна, что он счел это оскорбление неоспоримым доказательством человеческой жестокости, проявляющейся в людях с малолетства и с возрастом лишь усиливающейся. Прозвали же его ВАМПИРОМ!..

Чу! Где-то вдали протяжные крики мучительной боли.

– Говорят, денно и нощно его терзают такие страшные виденья, что кровь струится у него из уст и из ушей; кошмарные призраки обступают его изголовье и, повинуясь некой необоримой силе, то вкрадчиво и тихо, то оглушительно, подобно тысячегласному реву грозной сечи, не зная жалости, твердят и твердят ему все то же ненавистное и неотвязное прозвище, от которого не избавиться до скончания веков. Кое-кто уверяет, будто он жертва любви или его терзает раскаяние за некое неведомое преступленье, скрытое в его темном прошлом. Большинство же сходится на том, что его, как некогда Сатану, снедает непомерная гордыня, и он притязает на равенство с самим Господом.

Чу! Где-то вдали протяжные крики мучительной боли.

– Увы, мой сын, эти страшные излияния не для твоего невинного слуха, и я надеюсь, ты никогда не станешь таким, как этот человек.

– Говори же, Эдуард, скажи, что никогда не станешь таким, как этот человек.

– Любимая матушка, клянусь тебе, родившей меня на свет, что никогда, если только имеет какую-то силу чистая клятва ребенка, никогда не стану таким.

– Ну, вот и хорошо, сынок, и помни: во всем и всегда ты должен слушаться матери.

Далекие стоны затихли.

– Жена, ты кончила работу?

– Осталось несколько стежков на рубахе, хоть мы и так сегодня засиделись допоздна.

– Я тоже не дочитал главу. Давай же, пока есть еще масло в лампе, оба завершим начатое.
– Да, если только волей Божьей останемся в живых! – воскликнул юноша.

– Идем со мною, мой чистый ангел: идем, и тебе не придется работать, с утра до вечера будешь ты гулять на цветущем лугу. Будешь жить в моем чертоге с серебряными стенами, золотыми колоннами и алмазными дверями, Будешь ложиться спать, когда захочешь сам, под звуки чудной музыки, и обходиться без молитвы. А утром, когда светозарное солнце заблещет над миром, когда взовьется на крыльях ввысь веселый жаворонок со звонкою трелью, ты будешь нежиться в постели, пока не надоест. Будешь ступать по мягким коврам, вдыхать нежнейший аромат цветов.

– Пора дать отдых и уму, и телу. Встань, достойнейшая мать семейства, встань, мощною стопою попирая пол. Твои пальцы одеревенели от работы – отложи же иглу. Во всем полезна мера, чрезмерное усердье вредно.

– Ты так чудесно заживешь! Я подарю тебе волшебное кольцо с рубином: повернешь его камнем внутрь – и станешь, как сказочный принц, невидимкой.

– Спрячь, о жена, в недра шкафа орудия твоих повседневных трудов, а я соберу свои бумаги.

– Когда же повернешь рубин обратно, ты, юный чародей, вновь обретешь свое природное обличье. Все это оттого, что я тебя люблю и забочусь о твоем благе.

– Прочь, кто бы ты ни был, отпусти мои плечи…

– Сынок, слишком рано забылся ты в сладких грезах: еще не прочтена совместная вечерняя молитва, еще твоя одежда не сложена в порядке на стуле… Встань же на колени! О предвечный Господь, печать твоей безмерной доброты лежит на всем творении, на каждой малости.

– Неужто тебя не прельщает хрустальный ручей, в котором снуют без устали рыбки: голубые, серебристые, красные? Ты будешь ловить их такой красивой сетью, что они сами станут заплывать в нее, покуда не наполнят до отказа. Вода в том ручье так прозрачна, что видны лежащие на дне, блестящие и гладкие, как мрамор, валуны.

– Матушка, родная, погляди, какие когти! Мне страшно, но совесть моя чиста, мне не в чем упрекнуть себя.

– Вот мы простерлись ниц у ног Твоих, благоговея пред Твоим величьем. Если же закрадется нам в душу дерзкая гордыня, мы тотчас же с презреньем отбросим ее прочь, как горький плод, и, не дрогнув, принесем ее в жертву Тебе.

– Ты будешь купаться в этом ручье рядом с маленькими подружками, и они будут обнимать тебя своими нежными ручками. А когда выйдешь на берег, они тебя украсят венками из роз и из гвоздик. Пленительные существа – за спинами у них дрожат прозрачные крылышки, как у бабочек; прелестные головки, как облачком, окружены длинными кудрями.

– Будь твой дворец прекрасней всех сокровищ мира, я не покину отчий кров и не пойду с тобою. Однако ты, вернее всего, лжешь, потому-то и говоришь так тихо, чтобы никто тебя не услыхал. Бросать родителей – грех. И я не стану неблагодарным чадом. Ну, а твои хваленые подружки, уж верно, не красивее, чем глаза моей матушки.

– Славим Господа ныне и присно, ежедневно и ежечасно. Так было и так будет, покуда, послушные веленью Твоему, мы не покинем эту землю.

– Покорные каждой твоей прихоти, они станут во всем угождать тебе. Захочешь ли птицу, которая без отдыха резвится день и ночь, – получай. Захочешь колесницу из снега, способную домчать тебя до солнца, – получай и колесницу. Чего только не добудут они для тебя! Даже того огромного воздушного змея, что спрятан на луне и к чьему хвосту привязаны за шелковые нити все птицы, какие только есть на свете. Подумай же и соглашайся, лучше соглашайся.

– Делай, что хочешь, но я не прерву молитву, чтобы позвать на помощь. И хотя ты бесплотен – я не могу отстранить тебя рукою, – но знай: я не страшусь тебя.

– Все суетно перед лицом Твоим, не меркнет лишь святое пламя непорочной души.

– Подумай хорошенько, не то придется горько пожалеть.

– Отец небесный, отврати, о отврати несчастье, что нависло над очагом!

– Так ты, злой дух, все не уходишь?

– Храни добрую мою супругу, опору и утешение во всех житейских горестях…

– Ну, что же, раз ты не хочешь, будешь стенать и скрежетать зубами, как висельник.

– И любящего сына, чьих нежных уст едва коснулось своим лобзаньем утро жизни.

– Он душит меня, матушка… Спаси меня, отец… Я задыхаюсь… Благословите!

Подобный грому, грянул злорадный вопль и прокатился по округе, так что орлы – глядите! – оглушенные, падают наземь – их наповал сразила воздушная волна.

– Его сердце не бьется более… Мертва и мать, носившая его во чреве. Дитя… его черты так исказились, что я его не узнаю… Жена моя! Мой сын!.. О, где те дни, когда я был супругом и отцом – они ушли давно и безвозвратно.

Недаром наш герой, завидев мирную картину, представшую его очам, решил, что не потерпит такой несправедливости. Знать, сила, которой наделили его духи ада или, вернее, какую он черпает в себе самом, не мнима, и юноша был обречен не дожить до утра.

(12) Тот, кто не ведает слез (ибо привык прятать боль поглубже), огляделся и увидел, что попал в Норвегию. Здесь, на островах Фероэ17Фероэ – архипелаг в Северном море в 66 км от берегов Норвегии. Принадлежит Дании., он наблюдал охоту на морских птиц18… наблюдал охоту на морских птиц … – Здесь источник Лотреамона – XVI том популярного во Франции географического альманаха «Magazine pittoresque» («Пестрые страницы»), где детально описана такая охота.: смотрел, как охотники добирались до расположенных на отвесных скалах гнезд, удерживаемые над пропастью длинною веревкой, метров в триста, смотрел и удивлялся, что им дали столь прочный канат. Что ни говори, то был наглядный пример человеческой доброты, и он не верил собственным глазам. Если бы снабжать охотников веревкой довелось ему, уж он бы непременно надрезал ее в нескольких местах, чтобы она порвалась и человек сорвался прямо в море! Как-то вечером отправился он на кладбище, и отроки, из тех, кто любит совокупляться с трупами недавно похороненных красавиц, могли бы при желании подслушать разговор, который мы приводим здесь в отрыве от действий, которые им сопровождались.

– Эй, могильщик19Эй, могильщик… – Сцена вызывает ассоциации с разговором Гамлета и могильщика у Шекспира. В первом издании она также имела форму диалога., тебе, верно, хочется поговорить со мною? Ведь даже кашалот, когда в пустыне океана появляется корабль, всплывает из глубин и высовывает из воды голову, чтобы поглазеть на него. Любопытство родилось вместе с миром.

– Нет, дружище, мне недосуг болтать с тобою. Уже не первый час луна серебрит мраморные надгробья. В такое время многим являются во сне закованные в цепи и укутанные в длинный, усеянный кровавыми пятнами, как небо звездами, саван женские фигуры. Спящие испускают тяжелые вздохи, точно смертники перед казнью, и наконец просыпаются, чтобы убедиться, что явь втрое страшнее сна. Я же должен без устали орудовать заступом, дабы вырыть эту могилу к утру. А когда занят серьезным делом, отвлекаться не следует.

– Он полагает, будто рыть могилу – серьезное дело! Так ты полагаешь, будто рыть могилу – серьезное дело?

– Когда утомленный пеликан кормит собственной плотью голодных детей своих20… пеликан кормит собственной плотью голодных детей своих … – намек на известные строки А. де Мюссе: Как только пеликан, в полете утомленный,Туманным вечером садится в тростниках,Птенцы уже бегут на берег опененный…Угрюм и молчалив, среди камней холодных,Он, плотью собственной кормя детей голодных,Сгорает от любви, удерживая стон…(Майская ночь. Пер. В.А. Рождественского), хотя никто не видит его великой жертвы, кроме Всевышнего, который сотворил его таким самоотверженным в укор людям, – это можно понять. Когда влюбленный юноша, застав в объятиях другого ту женщину, что он боготворил, проводит дни наедине с тоской, затворником, куря сигару за сигарой, – это можно понять. Когда ученик обречен долгие годы, из которых каждый тянется, как целая вечность, безвылазно жить в лицейских стенах и подчиняться какому-то презренному плебею, денно и нощно за ним надзирающему, он чувствует, как в нем вскипает живая ненависть и как ее пары заволакивают черной пеленою его мозг, готовый, кажется, взорваться. С той минуты, как его заточили в эту тюрьму и пока не настанет миг освобожденья, что с каждым днем все ближе, его томит губительный недуг: лицо его желтеет, брови угрюмо сдвигаются, глаза западают. Ночью он лежит без сна и напряженно думает. А днем уносится в мечтах за стены этой кузницы тупиц и предвкушает сладкий миг, когда он вырвется на волю или когда его, как зачумленного, вышвырнут из постылого монастыря, – это можно понять. Но рыть могилу – значит переступать через границу естества. Думаешь, незнакомец, тревожить заступом эту землю, что всех нас кормит, а после служит мягким ложем и укрывает от зимнего ветра, столь свирепого в наших холодных краях, легко тому, кто встревоженно ощупывает черепа давно исчезнувших с лица земли, а ныне благодаря ему возвращающихся на свет в таком виде, и кто теперь, в сумерках, видит, как на каждом кресте проступают огненные буквы, из которых слагается доныне не разрешенный людьми вопрос: смертна или бессмертна душа? Я всегда почитал Господа Бога и его установления, но если наше земное существование прекращается с нашей смертью, то почему же чуть не каждую ночь на моих глазах открываются все могилы и обитатели их бесшумно поднимают свинцовые крышки, чтобы глотнуть свежего воздуха?

– Передохни-ка. Ты совсем обессилел от волненья, тебя шатает, как былинку, продолжать работу было бы безумием. Давай я заменю тебя, у меня много сил. А ты стой рядом и поправляй меня, если я буду делать не так, как надо.

– Как мускулисты его руки и как легко он роет землю – приятно посмотреть!

– Не мучайся напрасными сомненьями: к этим могилам, которыми кладбище усеяно, как луг цветами – сравненье несколько неточное, – следует подходить, вооружившись бесстрастным компасом философии. Пагубные галлюцинации могут возникать и среди бела дня, но чаще бывают как раз по ночам. Вот почему в твоих фантастических видениях нет ничего удивительного. Спроси свой рассудок днем, когда он ясен, и он скажет тебе со всею твердостью, что Бог, сотворивший человека, вложивший в него частицу собственного духа, бесконечно милостив и по смерти телесной оболочки забирает этот венец творенья в свое лоно. Отчего ты плачешь, могильщик? К чему проливаешь слезы, точно женщина? Не забывай: мы все – точно пассажиры носимого по бурному морю корабля со сломанными мачтами, мы все посланы в этот мир для страданий. И это честь для человека, ибо Бог признал его способным превозмочь жесточайшие страдания. Подумай и скажи, если ты не утерял дар речи, каковым наделены все смертные: когда бы на свете не было страданий, как ты желал бы, то в чем тогда заключалась бы добродетель – тот идеал, к которому мы все стремимся?

– Что со мною? Не стал ли я другим человеком? На меня повеяло покоем, освежающее дыхание взбодрило душу, подобно тому как весенний ветерок оживляет сердце дряхлых старцев. Кто этот незнакомец? Возвышенные мысли, чудный слог – все обличает в нем человека незаурядного! Какой чарующей музыкой звучит его голос! А речь краше песни. Однако же чем дольше я смотрю на него, тем менее искренним кажется его лицо. Есть что-то в нем, что странным образом противоречит смыслу произносимых слов, хотя, казалось бы, одна лишь любовь к Богу может внушить их. Оно прорезано глубокими морщинами, отмечено неизгладимым шрамом. Откуда этот не по возрасту старящий его шрам? Что это, почетное увечье или позорное клеймо? Почтения или презрения достойны его морщины? Не знаю и боюсь узнать. Но даже если он говорит не то, что думает, мне кажется, он это делает из благородных побуждений, движимый не до конца вытравленным из души состраданием к ближнему. Вот теперь он молчит, задумался – как знать, о чем? – и с удвоенным рвением предается непривычной тяжелой работе. Он весь в поту, но сам не замечает этого. Его снедает скорбь, с какою не сравнится даже та тоска, которая охватывает нас у колыбели спящего младенца. О боже, как он сумрачен. Откуда, незнакомец, ты явился? Позволь, я до тебя дотронусь, стерпи прикосновение к твоей особе руки, так редко пожимавшей руки живых людей. Будь что будет, а я узнаю, с кем имею дело. Чудные волосы – лучшие из всех, каких когда-либо касались мои пальцы, уж в волосах-то я знаю толк, кто посмеет это оспаривать?

– Что тебе? Не видишь – я рою могилу. А беспокоить льва, пока он не насытится, не стоит. Запомни это впредь, коль не знал до сих пор. Ну хорошо, потрогай, если хочешь, но поскорее.

– Только живая плоть может так затрепетать от моего прикосновения, и, только прикоснувшись к живой плоти, мог бы так затрепетать я сам. Так, значит, он существует наяву… и я не сплю… Но кто же ты, прилежно роющий за меня могилу, пока я, словно дармоед, сижу без дела? В такой час люди спят, если только не жертвуют сном ради ученых студий. И, уж во всяком случае, сидят по домам за крепко-накрепко, чтобы не влезли воры, запертыми дверями. Все затворяются в уютных спальнях, пока недогоревшие угли в старинных очагах расточают последний жар опустевшим гостиным. Но ты не таков, как другие, да и одежда твоя выдает пришельца из далеких краев.

– Рыть яму глубже уже нет нужды, правда, я совсем и не устал. Теперь раздень меня и уложи в эту могилу.

– Разговор, что ни миг, все чуднее, не знаю, что и отвечать… Верно, это шутка.

– Ну да, это шутка, не принимай моих слов за чистую монету.

Внезапно незнакомец рухнул наземь, могильщик бросился ему на помощь.

– Что с тобой?

– Да, я сказал неправду, будто не устал; на самом деле я очень утомился, потому и бросил заступ… ведь это первый раз я делал такую работу… не принимай же слов моих за чистую монету.

– Все больше утверждаюсь в мысли, что этот незнакомец мучится какой-то страшной тоскою. Но сохрани меня Бог расспрашивать его. Пусть лучше я останусь в неведенье, мне слишком жаль его. Да он и сам, наверное, не пожелает отвечать: ведь раскрывать перед другим недуги сердца – значит терпеть двойную боль.

– Оставь меня, я покину кладбище и пойду своей дорогой.

– Ты едва стоишь на ногах, ты заблудишься в пути. Простая человечность велит мне предложить тебе мою постель – она груба, но другой у меня нет. Доверься мне, и я не стану домогаться твоей исповеди как платы за гостеприимство.

– О почтеннейшая вошь, о насекомое без крыльев и надкрылье, когда-то ты горько укоряла меня за бесчувственность, за то, что я не оценил как должно твой тонкий, но скрытый ум, и, возможно, ты была нрава: вот и теперь ни малейшей благодарности не ощущаю я к этому малому. Звезда Мальдорора, куда ты поведешь меня?

– Ко мне. И кто б ты ни был: убийца с окровавленной десницей, которую не позаботился вымыть с мылом после злодеяния, и потому легко опознаваемый; или брат, погубивший сестру, или лишенный трона и изгнанный из своих владений монарх – мой воистину великолепный чертог будет достоин тебя. Пусть это всего лишь убогая лачуга, пусть ее не украшают алмазы и самоцветы, зато она славна своим великим прошлым, к которому что ни день прибавляются новые страницы. Умей она говорить, она поведала бы много такого, что даже тебя, отвыкшего удивляться, повергло бы в изумление. Сколько раз глядел я, прислонясь спиною к ее двери, как мимо проплывали гробы, и кости тех, кто в них покоился, в недолгий срок становились еще трухлявее, чем сама эта ветхая дверь. Число моих подданных все растет. Чтобы заметить это, мне нет нужды устраивать периодические переписи. А вообще здесь те же порядки, что и у живых: каждый платит налог сообразно с комфортабельностью жилища, которое занимает, а с неплательщиками я, согласно предписанию, поступаю как судебный исполнитель, ну а шакалов да стервятников, охочих до лакомого обеда, всегда предостаточно. Кого только не видел я среди рекрутов смерти: красавцев и уродов таких, что и при жизни были не краше, чем в гробу, – мужей и жен, вельмож и голытьбу, осколки юности и старческие мощи, глупцов и мудрецов, лентяев, тружеников, правдолюбцев и лжецов, смиренье кроткое, кичливую гордыню, порок, увенчанный цветами, и добродетель, втоптанною в грязь.

– Что ж, твое ложе достойно меня, и я не откажусь провести на нем остаток ночи, пока не рассветет. Благодарю тебя за доброту… Мы восхищаемся при виде останков древних городов, но куда прекраснее, о могильщик, созерцать останки человеческих жизней!

(13) Брат кровопийц-пиявок тихо брел по лесу. Брел и останавливался – все хотел что-то вымолвить. Хотел, но не мог: только откроет рот, как горло его сжимается, и невыговоренные слова застревают на полпути. Но наконец он вскричал: «О человек, если случится тебе увидеть в реке дохлую собаку с задранными лапами, которую прибило к берегу теченьем, не поступай, как все: не набирай в пригоршню червей, что кишат в раздутом песьем брюхе, не разглядывай их, не режь ножом на кусочки и не думай о том, что и ты в свое время будешь выглядеть не лучше этой падали. Какую великую истину ты хочешь обрести? Никто доселе не смог разгадать тайну жизни: ни я, ни ластоногий котик из Ледовитого океана. Опомнись-ка лучше, подумай: уже смеркается, а ты здесь с самого утра… Что скажут домочадцы, что подумает твоя сестренка, увидев, что ты возвращаешься в столь поздний час? Так что сполосни поскорее руки и поспеши туда, где ждет тебя ночлег… Но кто это, кто там вдали, кто смеет приближаться ко мне без страха, тяжелыми, нелепыми скачками, с исполненным величья и вместе с тем смиренья видом? И взгляд так кроток и так глубок! Огромные веки хлопают, как паруса на ветру, и, кажется, живут сами по себе. Что за неведомое существо? Гляжу в его чудовищные очи и содрогаюсь – а этого со мною не бывало с тех пор, как младенцем сосал я иссохшие груди несчастной, что звалась моею матерью. Ослепительный нимб озаряет это создание. А при звуках его голоса все вокруг трепещет и замирает. Тебя, как я вижу, влечет ко мне, словно магнитом – что ж, иди, препятствовать не стану. Как ты прекрасно! И как мне тяжко это признавать! Должно быть, ты обладаешь особой силой: у тебя не просто человечье лицо, твое лицо печально, как мир, и заманчиво, как самоубийство. Но мне твой вид претит; когда судьба велела бы мне вечно носить на шее змею, от которой нет избавления, я все же предпочел бы глядеть на эту гадину, но только не в твои глаза!.. Постой… Да это никак ты, жаба?! Злосчастная жирная гадина! А я тебя и не узнал, прости! Чего ради явилась ты на эту землю, населенную падшими грешниками? И как это ты ухитрилась стать такой пригожей, куда подевались твои противные мокрые бородавки? Я ведь видел тебя прежде: в тот раз ты по воле Всевышнего спустилась с небес, дабы служить утешением всем прочим тварям земным; слетела стремительно, как коршун, не утомив могучих крыльев в чудесном низверженье. Бедная жаба! В то время я много размышлял о вечности и о своем в сравненье с ней ничтожестве. И я подумал: „Вот еще одно существо, возвышенное Божьим промыслом над нами, прозябающими здесь. А я, почему я обойден? Отчего Господь распорядился так несправедливо? Или Он, всесильный, грозный во гневе, слаб рассудком? Ты, повелительница луж и болот, явилась облеченная почестями, какие подобают одному только Творцу, и внесла в мою душу хоть какое-то успокоение, но ныне твое величие ослепляет и парализует мой нетвердый разум! Скажи же, кто ты? Не исчезай, побудь здесь, на земле, еще немного! Сложи белоснежные свои крылья и не бросай нетерпеливых взглядов на небеса. Или, если уж ты улетаешь, возьми меня с собою!“ Тут жаба села, поджав под себя мясистые ляжки – в точности такие же, как человеческие – и тотчас же все слизняки, мокрицы да улитки поспешно расползлись, завидев своего смертельного врага, – села и заговорила так: „О Мальдорор! Посмотри на мое лицо: оно безмятежно, как зеркало, да и умом я, верно, не уступлю тебе. Когда-то, давным-давно, ты назвал меня своей опорой в жизни. И с той поры я всегда оставалась достойной чести, которую ты мне тогда оказал. Конечно, я простая болотная тварь, но ты сам приблизил меня к себе, разум мой окреп, восприняв все лучшее, что есть в тебе, и потому сейчас я могу говорить с тобою. Я пришла помочь тебе выбраться из бездны. Все твои друзья – вернее, все, кто может считаться твоими друзьями, – с ужасом и отчаянием глядят на тебя всякий раз, сталкиваясь с тобою; в церкви ли, в театре или в ином людном месте, когда ты бредешь бледный и сгорбленный, или на ночной улице, когда проносишься мимо, в длинном черном плаще, похожий на призрака, бешено стиснув шпорами бока своего скакуна. Отринь же пагубные мысли, обратившие сердце твое в пепел. Твой рассудок поражен недугом, тем более страшным, что ты его не видишь и, когда из твоих уст исторгаются безумные, хотя и дышащие сатанинскою гордыней речи, полагаешь, что в них выражается твоя природная сущность. За свою жизнь ты произнес таких речей без счета, несчастный ты безумец! Жалкий остов бессмертного ума, некогда сотворенного Господом с такой любовью! Ты плодил одни лишь проклятья, кипящие яростью, точно оскал голодной пантеры. Я дала бы выколоть себе глаза, отрубить руки и ноги, я предпочла бы стать убийцей, кем угодно, только бы не быть тобою! Ты ненавистен мне. Откуда столько желчи? Да по какому праву ты сюда явился и поднимаешь на смех всех подряд, ты, жалкая гнилушка, неприкаянный скептик. Коль скоро все здесь тебе не по нраву, отправляйся туда, откуда пришел. Нечего столичному жителю слоняться по деревне – он там чужак. Известно же, что в надзвездных сферах есть миры куда обширней нашего, там обитают духи, чьи ум и знанья далеко превосходят наше скудное разумение. Вот туда и держи путь! Оставь нашу землю, где все так зыбко и шатко, прояви наконец свою божественную суть, которая дотоле оставалась втуне, и вознесись, да поскорее, в свою стихию – завидовать тебе, гордецу, мы не станем; вот только я не разберу, кто же ты на самом деле: человек или существо высшей природы? Прощай же, и знай: сегодня ты повстречался с жабою в последний раз. Из-за тебя я гибну. Я удаляюсь в вечность и буду молиться о твоем прощенье“.

(14) Что ж, по всей видимости – а видимость порою соответствует истине – первая песнь подошла к концу. Не будьте чересчур строги к тому, кто пока лишь пробует свою лиру, – так странен уху звук ее! И все же беспристрастный слушатель отметит в сей игре не только уйму недостатков, но и недюжинный талант исполнителя. Ну, а я засяду за работу, чтобы и вторая песнь вышла в свет без промедленья. Конец XIX века узнает своего певца (впрочем, первое его детище, натурально, еще не будет шедевром); того, что рожден на американском берегу, где берет начало Ла Плата, где живут два народа, прежде враждовавшие21… два народа, прежде враждовавшие … – В середине XIX в. Аргентина и Уругвай долго воевали друг с другом, с 1843 по 1851 г. (Дюкасс родился в 1846 г.), столица Уругвая Монтевидео находилась в осаде. Гражданские смуты в Уругвае продолжались до 1865 г., ныне же старающиеся превзойти друг друга в духовном и материальном процветанье. Звезда юга Буэнос-Айрес и франт Монтевидео сердечно протянули друг другу руки через серебро аргентинских вод. Однако в деревнях по-прежнему бесчинствует война и пожирает, ликуя, все новые и новые жертвы. Прощай и думай обо мне, старик, ежели у тебя хватило духу дочитать мое творенье. Ты же, юноша, не падай духом – ведь в лице вампира ты, сам того не чая, обрел нового друга. Так что теперь, считая чесоточного клеща, у тебя их двое.

ПЕСНЬ II

(1) Где побывала первая песнь Мальдорора с тех пор, как обозрев чертоги ярости, исторглась из его опьяненных белладонной уст? Где побывала?.. А в самом деле, где? Ни ветер, ни листы деревьев не помнят ее. Кажется, Добродетель встретилась ей на пути, но, убоявшись ее огнедышащих строк, скользнула мимо, заметив лишь, что та, решительно ступая, устремилась к черным безднам и тайным извилинам душ. Несомненно одно: с ее появленьем на свет Человек изменился: он ужаснулся, узрев свой жабий лик, он не хочет верить и беснуется что ни день в припадках звериной злобы. И, право, он не виноват. Испокон веков он жил зажмурясь, зарыв лицо в розанчики умильного смиренья и полагая, будто его душа – это море добра, и в нем лишь капля зла. А тут вдруг, разметав все покровы, я показал ему его нутро, оголил душу, и что же? – ему открылось море зла, и в нем лишь капля добра, да и та давно б уж растворилась, когда бы не усилия Закона. Спору нет, истина горька, однако же, стара как мир, и, обнародовав ее, я вовсе не желал, чтоб человек стыдился или терзался – чего стыдиться? – есть законы естества, и над ними мое желанье или нежеланье невластно. Раз я сорвал личину и обнажил спрятанную под нею харю, раз погубил все сладкие иллюзии, сломал их, как игрушки из смарагдов и жемчугов, так что с мелодичным звоном лопнули их серебряные пружинки, – возможно ль, чтобы Человек не дрогнул, остался спокоен и невозмутим, даже если бы рассудок его победил гордыню и упала пелена, веками застилавшая глаза? Неудивительно поэтому, что Мальдорор был встречен бурей злобных криков, стонами, воем и скрежетом зубовным – еще бы: ополчась на целый род людской, он разрушил бастионы филантропической трухи, которой до отказа набиты лучшие созданья мировой литературы (признаться, порою я и сам, хотя и вопреки рассудку, не прочь ими потешиться: они бы были уморительно смешны, когда б от них не делалось так тошно). Но пронять моего героя не так легко, он, все видящий заранее, иного и не ожидал. Наивный Человек! Ты воздвиг бумажный храм из дряхлых фолиантов, украсив его фронтон изваяньем Добродетели, – но это зыбкое убежище. Мой Мальдорор – алмазный меч! Ты гол пред ним, как червь! Оставь кичливые повадки и горделивый тон: тебе уж не помогут ни гордыня, ни смиренье; коли тебе угодно, пожалуй, вот я сам простерся ниц и заклинаю: запомни, крепко-накрепко запомни то, что я сейчас скажу! Знай: есть некто, зорко наблюдающий за каждым шагом твоей греховной жизни, и из тенет его зловещей прозорливости не вырваться! Пусть он не смотрит, пусть он спит – остерегайся, он зрит и видит, он видит все! Ни доблесть, ни отвага – ничто не защитит тебя от коварной хитрости того, кто порожден моим воображеньем! Он бьет без промаха!

И все же прими к сведению: разбойники и волки никогда не убивают своих сородичей – такое у них не в обычае. А посему не бойся за свою жизнь: в его руках она будет в безопасности, он даже в некотором роде станет опекать тебя. Конечно, не затем, чтобы усовершенствовать – хоть бы он клялся в этом, не верь! – он равнодушен ко всем на свете, да и это лишь полуправда, выговорить же всю правду мне недостанет духу и не позволит милосердие. Нет, расточая злодеянья, он развратит тебя, так что в порочности ты сравнишься с ним самим, и вместе с ним, когда настанет срок, будешь низринут в бездну преисподней. Давно уж лязгает цепями и ждет его в аду стальная виселица. Когда же наконец судьба моего героя свершится, он станет самой лакомой добычей для адской пасти и обретет достойное себя пристанище. Уф, ну вот, кажется, я ни разу не сбился с отеческого тона, и, стало быть, Человеку не к чему будет придраться.

(2) Грядет вторая песнь… скорее… вот перо, что вырвано из крыл стервятника или орлана жадного22… орлана жадного – Прямое заимствование из стихотворения Гюго «Ментана» (VII). Написанное в конце 1867г., оно было у всех на слуху, когда создавались «Песни Мальдорора».. Но… что это? Я не могу писать… застыла рука, онемели пальцы… О ужас! Но я хочу, я желаю, я, наконец, имею право, как каждый смертный, писать, что вздумается. Ну же!.. Нет, перо ни с места… Между чем вдали, над горизонтом, заблистали зарницы. Гроза. Все ближе, ближе… Закапал дождь… Полил… Не молкнет гром. Разверзлись хляби! В открытое окно вдруг полыхнула молния – удар! – и я повержен. Несчастный! Ты и без того был уродлив, ранние морщины не красили твое лицо, теперь же прибавится еще и этот длинный багровый шрам. (И то лишь в случае благополучного заживления раны, что будет весьма не скоро!) Что значит эта буря и сковавший мои пальцы паралич? Предупрежденье свыше, чтобы я поостерегся писать и понял, что мне грозит, коли не иссякнут потоки яда, реки желчи, струящиеся из моих разверстых уст? Меня пугать грозой? Да пусть гром и молния испепелят всю землю – я не боюсь! Божьи жандармы не жалеют рвенья, рука Владыки тверда, он метил в середину лба – и вот лицо рассечено надвое. Увы, не мне хвалить его за меткость! Но это огненное покушенье – признание моей силы. О гнусный Вседержитель, коварный змей, ты проявляешь нетерпенье, ты устал ждать, пока безумие и кошмары подточат мою жизнь, ты алчешь крови!.. Что ж, воля твоя. Но, не в обиду будь тебе сказано, к чему все это? Или для тебя новость, что я не люблю, а вернее, ненавижу тебя? Чего ты хочешь? Когда тебе наскучат все эти причуды? Неужто же, скажем по-дружески, ты сам не видишь, до чего смешно капризное упорство, с каким ты измышляешь мне все новые кары? Твои же собственные слуги, все до последнего серафима, отлично это понимают, да только молчат из страха и почтенья. Что за необузданность, право? Я был бы тебе весьма признателен, если бы ты избавил меня от этих своих нелепых вспышек. Сюда, Султан, а ну-ка, подлижи: пол залит кровью. Вот и повязка готова: рана промыта соленой водой, крест-на-крест бинты на лице. Пролилось море, море крови, но ведь и море не безбрежно, пара платков да две пары рубах впитали его без остатка. Кто б мог подумать, что в жилах Мальдорора столько крови, не о нем ли говорили: бескровный, как мертвец. А вот поди ж ты… Зато теперь я, кажется, и вправду обескровлен. Эй, ненасытный пес, довольно, твоя утроба переполнена. Остановись, не то тебя стошнит той кровью, что ты налакался. Ты проглотил столько красных и белых шариков, что теперь можешь три дня валяться в конуре да наслаждаться сытостью и негой, не утруждая себя заботою о пропитанье. Ты же, Леман, берись за швабру – я бы взялся и сам, но увы! Ты видишь: я без сил… Да ты никак собрался плакать? Вон и слезы навернулись – так пусть вернутся назад, или ты так слаб, что не можешь и глядеть на мой рубец, да полно, все позади, бездна времени поглотила все муки. Так вот, поди к колодцу да принеси два ведра воды. Вымоешь пол, а всю одежду снесешь в другую комнату. Вечером должна явиться за бельем прачка – ей все и отдашь, а впрочем, нынче она вряд ли придет, дождь так и хлещет, ну, тогда отдашь завтра утром. А ежели спросит, откуда столько крови, так ты вовсе не обязан отвечать. Ах, как я слаб… Но у меня еще достанет сил держать перо, достанет духу мыслить. Так стоило ль, Творец, стращать меня, как малое дитя, твоими громами и молниями? Намеренье мое неколебимо, я решил писать и не отступлюсь. Нелепая повязка на лице да запах крови – таков итог твоих усилий.

(3) Да не придет тот день, когда, повстречавшись в толпе на улице, мы с Лоэнгрином, как чужие, безучастно разойдемся! О нет! Не хочу и думать, что такое может сбыться! Всевышний сотворил мир таким, каков он есть, но было бы весьма похвально, когда бы Он хоть на краткий миг, такой, к примеру, чтоб успеть взмахнуть дубиной и снести голову какой-нибудь несчастной, – забыл о своем самодержавном величье и поведал о тайных пружинах, управляющих жизнью, в которой все мы, люди, бьемся, подобно сваленным на дно рыбачьей лодки рыбам. Но Он велик, высок, недосягаем. Его помыслы куда как превосходят наше разуменье, и если бы мы вдруг удостоились Его беседы, то нас испепелил бы жгучий стыд, – так мы ничтожны рядом с Ним… И что же, преступный Властелин, ты, не моргнув глазом, все это выслушаешь и не покраснеешь? Не ты ли сам обрек свои творенья на жизнь в пороке и страданье, в убожестве и нищете? Да еще и трусливо утаил причину, почему ты их так обездолил. Пути Господни неисповедимы? О, только не для меня, я знаю Его слишком хорошо. Не хуже, чем Он меня. Если наши дороги скрестятся, Он, издалека приметив меня своим зорким оком, поспешно свернет в сторону из страха перед разящим жалом с тремя стальными остриями – таков мой язык, мое природное оружие! Так сделай милость, Владыка, дай мне излить душу. Я стану осыпать тебя язвительными, ледяными насмешками, и знай, пока не оборвется нить моей жизни, не истощится и их запас. Под мощными ударами затрещит твой хрупкий панцирь, идол, и я сумею выжать из тебя по капле всю мудрость, которой ты не пожелал наделить человека, убоявшись, что он станет равным тебе. Словно презренный вор, ты схоронил сокровища, запрятал их в своей утробе. Но разве ты не ведал, что рано или поздно я проникну не знающим преграды взором в твой тайник и извлеку все спрятанное там добро, чтобы раздать его моим духовным братьям? Я так и поступил, и ныне сии избранники не уступают тебе в мощи и взирают на тебя без трепета. Так покарай же меня скорее, убей за дерзость: вот грудь моя, я смиренно жду, рази! Где обветшалый арсенал загробных мук? Где жуткие, стократ описанные с леденящим душу красноречием орудия пытки? Смотрите все, я богохульствую, я глумлюсь над Господом, а он не властен убить меня! Меж тем, кому же неведомо, что порой из прихоти, безвинно, умерщвляет он юношей во цвете лет, едва вкусивших прелести жизни! Жестокость, вопиющая жестокость – по крайней мере, таково сужденье моего далекого от совершенства разума. И разве на моих глазах Всеблагой Господь, теша бессмысленную свою свирепость, не поджигал дома и не злорадствовал, глядя, как гибнут, объятые пламенем, грудные младенцы и дряхлые старцы? Не я пошел войной на Бога, зачинщик он, и если ныне я вооружился стальным хлыстом, и стегаю обидчика, и заставляю его вертеться волчком в бессильной злобе, то виноват он сам. Моя хула – лишь плод его деяний. Так пусть же не остынет пыл! Вовек не погаснуть вулкану моего негодованья, в котором клокочут чудовищные виденья бессонных ночей. Впрочем, вся эта тирада была навеяна мыслями о Лоэнгрине – вернемся же к нему. Поначалу, опасаясь, что он со временем станет таким же, как прочие люди, я было решил зарезать его, как только он минует возраст детской невинности. Однако, поразмыслив, в последний момент отказался от этого плана, Лоэнгрин и знать не знает, что жизнь его целых четверть часа висела на волоске. Ведь все уже было готово, даже оружие куплено. Узенький – ибо я ценю красоту и изящество во всем, не исключая орудий убийства, – но зато длинный и острый кинжал. Один точный удар в шею – главное, попасть в сонную артерию – и все было бы кончено. Но я рад, что передумал, иначе позже пожалел бы о содеянном. Живи же, мой Лоэнгрин, от жалких пут свободен будь, ты один себе господин. Хочешь – вырви мне глаз и растопчи ногами, хочешь – сгнои в застенке с крысами и пауками. И я не возропщу, я отрекаюсь от себя, я твой и только твой. С восторгом приму я от тебя любую пытку, когда подумаю, что эти руки, терзающие, рвущие меня на части, принадлежат тому, кого я сам избрал и приобщил к неведомым другим смертным дарам, которые вознесли его над толпою сородичей. Погибнуть ради ближнего и впрямь прекрасно; умирая, я обрету веру в людей: быть, может, они не так уж плохи, коль скоро нашелся среди них такой, что смог насильно побороть мои предубежденья, заставить меня самого ужаснуться и вызвать мой восторг и лютую любовь!..

(4) Полночь, от Бастилии до самой церкви Магдалины ни одного омнибуса. Ни одного… – но вот, будто внезапно вынырнув из-под земли, показался один экипаж. Ночных прохожих мало, но каждый непременно обернется и посмотрит вслед – так странен он. У пассажиров на империале23У пассажиров на империале … – Луи Арагон, знаток и горячий поклонник Лотреамона, в одном из своих романов, осуждающем позицию равнодушного созерцания людских бед, приводит сцену с омнибусом из «Песен Мальдорора»; роман так и озаглавлен: «Пассажиры империала» (1942). глаза мертвых рыб, взор неподвижен, незряч. Они сидят, тесно прижавшись друг к другу, – хотя их не больше, чем положено, – и совсем не похожи на живых людей. А когда взлетает над лошадиными спинами кнут, кажется, не рука кучера поднимает кнутовище, а кнутовище тянет за собою руку. Сонм загадочных безмолвных существ – кто они? Лунные жители? Возможно… но больше всего они напоминают мертвецов. Спеша прибыть к конечной станции, несется вихрем омнибус, и мостовая стонет. Все дальше, дальше! А сзади, в клубах пыли, мучительно, но тщетно стремясь догнать, бежит, трепещет тень. «Остановите, умоляю, стойте! Я голоден… у меня в кровь разбиты ноги… меня бросили родные… я пропаду… я хочу домой… остановите, позвольте сесть, мне не дойти пешком… я малое дитя, мне только восемь лет… я так на вас надеюсь…» Мчит омнибус! Все дальше, дальше… А сзади, в клубах пыли, мучительно, но тщетно стремясь догнать, бежит, трепещет тень. Один из хладноглазых седоков империала толкает в бок другого, давая знать, как ему досаждает и как беспокоит его слух этот пронзительный, молящий, как серебро звенящий голос. Сосед слегка кивает и вновь впадает в самовлюбленное оцепененье, подобно тому, как черепаха заползает в свой панцирь. Лица прочих пассажиров выражают полное согласие с ними. А крики, один отчаянней другого, все не смолкают. В домах на бульваре распахиваются окна, вот высунулся кто-то с фонарем, опасливо глянул на улицу и тут же наглухо захлопнул ставни и исчез… Мчит омнибус! Все дальше, дальше… А сзади, в клубах пыли, мучительно, но тщетно стремясь догнать, бежит, трепещет тень. Среди окаменелых пассажиров лишь один забывшийся в мечтаньях юноша очнулся и как будто тронут чужим страданьем. Но заступиться за ребенка, который бежит, превозмогая боль в истерзанных ногах, бежит, простодушно надеясь, что его услышат, что он догонит омнибус, – заступиться за него юноша не сможет, он видит, как надменны и презрительны устремленные на него взоры спутников, он знает: один против всех бессилен. Обхватив голову руками, с горестным недоумением он думает: «Неужели вот оно, то, что зовется людским милосердием?» И постигает, что милосердие – один лишь пустой звук, одно лишь вышедшее из употребления, забытое даже поэтами слово; и понимает, как заблуждался прежде. «Зачем огорчаться из-за какого-то ребенка? Что мне за дело до него?» – кощунственно подумал он, но в тот же миг по щеке его скатилась горячая слеза. В досаде он провел ладонью по лицу, как будто стараясь прогнать облачко, замутняющее трезвость рассудка. Он силится приноровиться к веку, в который забросила его судьба, но это напрасный труд: здесь все ему чуждо, и он всем чужд, а вырваться из времени не дано. Постылый плен! Злосчастный жребий. Что ж, Ломбано, отныне я тобой доволен. Я здесь, рядом с тобою, сижу среди этих мертвых пассажиров, на вид такой же истукан, но неотступно за тобой наблюдаю. Вот ты вскочил, поддавшись возмущенью, рванулся спрыгнуть, чтоб не участвовать, хотя бы и невольно, в постыдном деле. Но стоило мне шелохнуться, подать едва заметный знак – и ты покорно опускаешься на место, мы снова рядом… Мчит омнибус! Все дальше, дальше… А сзади, в клубах пыли, мучительно, но тщетно стремясь догнать, бежит, трепещет тень. Вдруг крик оборвался: дитя споткнулось о булыжник и падает на мостовую, голова в крови. А омнибус уж скрылся. Он мчит! Все дальше, дальше! Но тени той, бежавшей сзади, в клубах пыли, мучительно, но тщетно стремясь догнать, уж нет. Глядите – по улице, согнувшись над убогим фонарем, бредет старьевщик, и он куда великодушнее своих собратьев, что умчались, прочь. Он подобрал ребенка, он непременно выходит его, не бросит, как бросили жестокие родные. Мчит омнибус! Все дальше, дальше… Но взгляд старьевщика, пронзительный, как вопль, летит за ним, сквозь клубы пыли, не отставая… Тупоголовый род кретинов! Ты мне за все, за все ответишь! Ты пожалеешь! Попомни мое слово… Пинать, дразнить, язвить тебя, о человек, тебя, хищная тварь, тебя и твоего Творца, за то что породил такую скверну, – лишь в этом суть моей поэзии. Все будущие книги, все до последней, множество томов, я посвящу сей единственной цели и останусь верен ей, пока дышу!

(5) В той узкой улочке, по которой одно время я ежедневно проходил, отправляясь на прогулку, меня каждый раз поджидала стройная девочка лет десяти и, дав мне отойти, шла следом, не сокращая расстояния, но и не спуская с меня горящих любопытством глаз. Для своих лет она довольно высока, изящна станом. Густые черные волосы разобраны на прямой пробор и заплетены в две тяжелые косы, падающие на мраморной белизны плечи. Однажды, когда она, по своему обыкновению, шла за мною следом, на нее внезапно набросилась какая-то простолюдинка, жилистою рукою схватила ее за косы, отхлестала по щекам и потащила домой, точно заблудшую овцу, а девочка гордо молчала. Изо дня в день повторялось одно и то же: я делал вид, что не замечаю ее, а она неотвязно шла за мной по пятам. И лишь когда я сворачивал с той узкой улочки в другую, она заставляла себя остановиться и, застыв на перекрестке, как статуя Безмолвия, глядела мне вслед, пока я не скрывался из виду. Но вот как-то раз знакомая фигурка возникла не сзади, а впереди. Если я, желая обогнать ее, шел быстрее, она чуть не бежала, лишь бы сохранить разделявшую нас дистанцию, если же замедлял шаг, чтобы приотстать, она с трогательной юной грацией принималась шагать так же медленно. Дойдя до самого конца той узкой улочки, она помедлила, потом обернулась и встала, преградив мне путь. Деваться было некуда, я подошел вплотную. Глаза ее, заплаканные, покрасневшие, глядели прямо на меня. Она явно хотела заговорить со мною, да не знала, как. В конце концов, смертельно побледнев, она пролепетала: «Пожалуйста, скажите… который час…». В ответ я бросил, что не ношу часов, поспешно проскользнул мимо нее и быстро зашагал прочь. О дитя, как рано проснулось в тебе страстное воображение, но с тех пор уже ни разу ты не видала юношу с печатью тайны на челе, ни разу не слышала его тяжелых, гулких шагов в той узкой улочке… И никогда больше, сколько бы ты ни ждала, не поразит твой взор эта огненная комета, зато еще долго, быть может, до самой смерти ты будешь вспоминать о том, кто брел по миру, неприкаянный и равно чуждый и добру и злу; ты навсегда запомнишь его пугающее, бледное лицо, его вздыбленные волосы, его нетвердую поступь и эти руки, что вслепую разгребают насмешливые волны мирового эфира, тщетно пытаясь ухватиться за спасительную надежду, ту самую, чьи кровавые останки неумолимый рок влечет своим багром все дальше, вглубь, в необозримое пространство. Итак, ты больше не увидишь меня, а я не увижу тебя! Но… как знать?.. эта дева, возможно, вовсе не такова, какой казалась. Возможно, под внешностью наивной крошки таилась притягательно-порочная притворщица лет восемнадцати. Разве мало жриц любви весело перепорхнуло к нам через Ла-Манш с Британских островов? Сияющим златокрылым роем слетелись они на свет парижских фонарей. Такую встретишь и подумаешь: «Да это же совсем ребенок, лет десяти-двенадцати, не больше». И ошибешься: ей все двадцать. О, если так, если и она… да будет проклято все, что творится в той узкой улочке. И не за то ли мать побила дочку, что та нерасторопна и плохо знает ремесло? Чудовище, не мать! А если дочь и впрямь еще ребенок, то эта мать вдвойне преступна! Но полно, быть может, предположение неверно, и, право, мне куда приятней думать, что пробудил первые смутные порывы страстной натуры. Послушай же, дитя, если когда-нибудь впредь мне случится пройти той узкой улочкой, не попадайся на моем пути, берегись! Ты можешь дорого за это поплатиться! И так уж кровь закипает в моих жилах и ненависть застилает глаза. Возможно ли, чтобы я проникся любовью и жалостью к человеческому существу? Да никогда! Едва появившись на свет, я поклялся в вечной ненависти к людям. Ибо они ненавидят меня! Скорее перевернется мир, скорее горные кряжи сдвинутся с места и лебедями поплывут по лону вод, чем я оскверню себя прикосновеньем к человеческой руке. Горе тому, кто мне ее протянет! И ты, дитя, увы, не ангел, а человеческая дщерь, и рано или поздно станешь такою же, как все. А потому держись подальше от моих хищно сощуренных сумрачных глаз. Ведь я могу, не ровен час, поддаться искушенью, схватить твои руки и скрутить их, как прачка скручивает белье, или разломать на куски, так что кости затрещат, словно сухие сучья, и заставить тебя разжевать и проглотить эти куски. Могу обхватить ладонями твое лицо, как будто бы лаская, и вдруг железными ногтями продавить твой хрупкий череп, зарыться пальцами в нежнейший детский мозг и смазать этою целительною мазью свои воспаленные вечной бессонницей глаза, Или сшить твои веки тонкой иглою, так что мир для тебя погрузится во тьму и ты не сможешь ступить ни шагу без поводыря – и уж не я им буду! Или, мощно рванув, раскрутить тебя за ноги, точно пращу, и со всего размаху швырнуть в стену. Брызнут во все стороны капли невинной крови, и каждая, попав на человеческую грудь, останется на ней несмываемым алым пятном – сколько ни три, хоть вырви лоскут кожи, все равно вновь и вновь проступил на том же месте, горя рубиновым огнем. Что же до твоих останков, то, не тревожься, я буду почитать их как святыню, приставлю полдюжины слуг оберегать их от кощунственных покушений голодных псов. Почти излишняя предосторожность, ибо от такого удара тело расплющится о стену, как спелая груша, и не упадет на землю, а прилипнет, однако же собаки, как известно, способны иной раз подпрыгнуть на изрядную высоту.

(6) Какой прелестный мальчик – вон там, на скамье Тюильрийского сада! Ясный взор устремлен куда-то вдаль, как, будто он разглядывает что-то, невидимое для других. Ему всего лет восемь, но он не играет, как все дети. Не бегает и не резвится с другими мальчуганами: как видно, ему больше по нраву сидеть в сторонке одному.

Какой прелестный мальчик – вон там, на скамье Тюильрийского сада! Но вот к нему подсел какой-то странный господин. Что ему нужно? Кто он? Впрочем, называть нет нужды – вы и сами тотчас его признаете по ядовито-вкрадчивым речам. Не станем же мешать, послушаем их разговор.

– О чем ты думаешь, малыш?

– О небе.

– Вот еще. Нужно думать о земле, а не о небе. Или ты, совсем младенец, уже устал от жизни?

– Нет, но ведь небо лучше земли, так все говорят.

– Только не я! Один и тот же Бог сотворил и землю, и небо, а значит, там ты найдешь те же изъяны, что и здесь. Не надейся, что будешь после смерти вознагражден за свои заслуги: ибо если приходится терпеть несправедливость здесь, на земле, – а в этом ты очень скоро убедишься на собственном опыте, – то нет причин полагать, будто не придется терпеть ее и на том свете. Лучшее, что ты можешь сделать, – это не уповать на Бога, а добиваться самому того, что тебе причитается по праву, но в чем тебе отказано. Вот, например, когда кто-нибудь из приятелей обидит тебя, разве тебе не хочется его убить?

– Но убийство – страшный грех!

– Ну, не такой уж страшный. Просто не надо попадаться. Права и запреты, установленные законом, ничего не значат. Обида диктует свое право. Подумай: если ты возненавидишь этого своего приятеля и станешь все время думать о нем и воображать его себе, ты будешь страдать, не так ли?

– Так.

– И тебе придется страдать всю жизнь, потому что ты убедишься, что хоть и ненавидишь его, но ничего ему не сделаешь, и он так и будет безнаказанно издеваться над тобою и мучить тебя. Значит, есть только один способ все это прекратить: избавиться от мучителя. Это я и хотел тебе доказать, чтобы ты понял, каковы на самом деле основы общества. Каждый, у кого есть голова на плечах, вершит правосудие сам. Кто всех сильнее и хитрее, тот и возьмет верх над другими. А ты хочешь иметь власть над людьми?

– О, да.

– Ну, так стань хитрее всех. Ты еще мал и не можешь стать самым сильным, но хитрость, излюбленное оружие лучших умов, тебе вполне по плечу. Вспомни пастушка Давида, поразившего великана Голиафа камнем из пращи; одной только хитростью он и одолел противника, а схватись они врукопашную, великан раздавил бы его, точно муху. Это тебе пример. В открытом бою ты не осилишь тех, кого желаешь подчинить себе, хитростью же сможешь успешно воевать один против всех. А ведь ты хочешь обладать богатством, славой, красивыми дворцами? Или ты лжешь, когда говоришь о своих великих притязаниях?

– Нет-нет, я не лгу. Но я хотел бы достигнуть всего этого другими средствами.

– В таком случае ты вообще ничего не достигнешь. Честные и чистые средства никуда не годятся. Нужны рычаги помощнее, силки понадежнее. Пока ты будешь идти к славе дорогой добродетели, тебя обскачет сотня хитрецов, так что к тому времени, как ты, со своей щепетильностью, доберешься до цели, тебе попросту некуда будет втиснуться. В наше время надо смотреть на мир шире. Взять хоть великих полководцев – тебе, конечно, известно, какие почести воздаются славным победителям. Но победы не приходят сами по себе. Чтобы одержать победу и насладиться ею, нужно пролить кровь, много крови. Устраивается бойня но всем правилам, после которой на полях остаются груды трупов, разорванные на куски тела… – без этого не бывает войны, а без войны не бывает побед. Выходит, чтобы прославиться, надо сначала, не дрогнув, искупаться в крови, которая рекою льется при разделке пушечного мяса. Цель оправдывает средства. Так вот, тому, кто хочет славы, прежде всего понадобятся деньги. У тебя их нет, значит, надо кого-нибудь прикончить, чтобы раздобыть их. Но поскольку ты еще мал и слаб, чтобы орудовать кинжалом, с этим придется повременить, а пока научись воровать. Ну, а для того чтобы мускулы твои поскорее окрепли, советую каждый день заниматься гимнастикой, час утром и час вечером. Тогда ты сможешь испробовать себя в убийстве не в двадцать, а, скажем, в пятнадцать лет. Жажда славы оправдывает все, к тому же, когда ты наконец станешь повелевать людьми, ты, может быть, сделаешь им столько же добра, сколько когда-то причинил зла.

И видит Мальдорор: у мальчика раздулись ноздри, губы подернулись белою пеной, в висках застучала кровь. Он щупает ребенку пульс и слышит, как неистово бьется сердце. Нежное тельце дрожит в лихорадке. И, опасаясь, как бы действие его слов не оказалось чересчур сильно, злодей уходит, досадуя, что не удалось поговорить с мальчуганом подольше. Бедный малыш! И в зрелые лета бывает нелегко усмирить голос страстей и, устояв перед искушеньем, не поддаться злу; каких же усилий стоит это ему, еще совсем неопытному в жизни! После такого потрясенья он сляжет дня на три в постель. И дай-то Бог, чтобы материнские ласки отогрели этот хрупкий цветок и вернули покой и мир невинной душе.

(7) В лесу, на цветущей поляне, забылся сном гермафродит, и, словно росою, омочена его слезами трава. Пробиваясь сквозь толщу облаков, луна ласкает бледными лучами юное и пригожее лицо спящего, лицо, в котором мужественной силы столько же, сколько девической кротости. Все несуразно в этом существе: крутые мускулы атлета не украшают тело, а грубыми буграми нарушают плавную округлость женственных линий. Одной рукою он прикрыл глаза, другую прижал к груди, будто хочет унять надрывное биенье сердца – тяжкая вечная тайна гнетет его, оно переполнено и не может излиться. Прежде он жил среди людей, мучительно стыдясь того, что он иной чем все, урод, и наконец отчаялся, не вынес и бежал, и ныне он бредет по жизни в одиночестве, как нищий по большой дороге. Вы спросите: чем же он живет, как добывает пропитание? Что ж, мир не без добрых людей, не все его покинули, – и кое-кто, хоть он о том не ведает, любовно заботится о нем. Да и как его не любить: ведь он так незлобив и так смиренен. Порою он не прочь поговорить с сердечным человеком, но избегает всякого прикосновенья и держится всегда поодаль. Однако спроси кто-нибудь, почему он избрал удел отшельника, о, оставит неосторожный вопрос без ответа и лишь обратит взор к небесам, еле удерживаясь, чтобы не заплакать от обиды на Провидение Господне, – и белые лепестки его век окрасятся в цвет алой розы. А если собеседник не отступится, гермафродит забеспокоится, начнет тревожно озираться, словно учуяв приближенье невидимого врага и ища, где бы скрыться, и, наконец, наспех простившись, устремится в чащу леса, гонимый растревоженной стыдливостью. Не мудрено, что его принимают за сумасшедшего. И вот однажды за ним послали четверых стражников в масках, которые набросились на него и крепко-накрепко скрутили веревками, оставив свободными только ноги, чтобы он смог идти. Уже обожгла его плечи ременная плеть, и прозвучали окрики – стражники приготовились гнать его в Бисетр24Бисетр – дом для престарелых и умалишенных.. Но он лишь улыбнулся в ответ на удары и заговорил со своими мучителями, обнаружив редкостную глубину ума и чувства: познания его в самых разных науках были поразительны для незрелого юноши, а рассуждения о судьбах человечества возвышенны и поэтичны. И стражники ужаснулись содеянному, тотчас развязали опутывавшие его веревки и бросились ему в ноги, умоляя о прощении, и, прощенные, ушли, высказывая знаки столь восторженного преклонения, какого мало кто из смертных удостаивается. Когда случай этот получил огласку, секрет гермафродита был разгадан, но, дабы не усугублять его страданий, никто ему об этом не сказал, а власти назначили ему немалое пособие, желая загладить свою вину и заставить его забыть о том прискорбном дне, когда его едва не засадили в сумасшедший дом. Из этих денег лишь половину он берет себе, остальное же раздает бедным. Случись гермафродиту увидеть где-нибудь в густой тени платанов гуляющую пару, как с ним происходит нечто ужасное, словно два разных существа, обитающие в нем, раздирают его на части: одно горит желанием заключить в объятия мужчину, другое столь же страстно вожделеет к женщине. И хоть усильем разума он быстро усмиряет это безумие, но предпочитает избегать любого общества: и мужского и женского. Он стыдится своего уродства, стыдится чрезмерно, так что не смеет ни к кому питать сердечной склонности, убежденный, что это осквернило бы и самого его, и того, кто ему мил. «Пусть лучше каждый следует своей природе», – неустанно твердит ему гордость. Из гордости не хочет он соединить свою жизнь ни с одним мужчиной и ни с одной женщиной, боясь, что рано или поздно его попрекнут страшным его изъяном и вменят в вину то, над чем он не властен. И хотя этот страх не более, чем собственный его домысел, но и воображаемая обида терзает его самолюбие. Вот почему, страждущий и безутешный, он так упорно сторонится всех людей. В лесу, на цветущей поляне, забылся гермафродит, и, словно росою, омочена трава его слезами. С ветвей деревьев завороженно, забыв про сон, глядят на скорбный лик дневные птицы, а соловей не начинает своих хрустальных трелей, чтоб не разбудить его. Безмолвный ночной лес над распростертым телом подобен торжественному сводчатому склепу. Тебя же, путник, что забрел сюда ненароком, молю: ради всего, что свято для тебя: той страсти к приключеньям, что заставила тебя еще ребенком бежать из-под родительского крова; тех страшных мук, которые ты претерпел в пустыне, томясь от жажды; ради давно покинутой отчизны, которую ты, неприкаянный изгнанник, хотел бы обрести в чужих краях; ради верного скакуна, делившего с тобою все тяготы странствий, выносившего непогоду всех широт, куда только ни гнал тебя твой неуемный нрав бродяги; ради той особой, невозмутимой стойкости, которая приобретается в скитаниях по дальним странам и по неизведанным морям, среди полярных льдин и под палящим солнцем, – молю тебя, не тронь волос гермафродита, пусть прикосновение твое легче ветерка, все равно, остановись, не тронь его волос, что буйно разметались по траве и золотом вплелись в ее зеленый шелк. О, будь благочестив, остановись, отступи. Касаться этих прядей нельзя – таков зарок гермафродита. Он пожелал, чтобы никто из живущими на земле не прижимал к восторженным губам его кудрей, овеянных дыханьем горных высей, никто не лобзал его чистейшее чело, сияющее здесь, во мраке, подобно звезде в небесах. Или и впрямь одна из звезд, сойдя со своего извечного пути, спустилась с неба на прекрасный лоб гермафродита и лучистым нимбом увенчала его голову. Он – само целомудрие, он точно безгрешный ангел, и даже угрюмая ночь смягчается и хочет приглушить шум и шелест мошкары, оберегая его сон. Густые ветви сомкнулись над ним, словно долог, защищая от росы; ветер перебирает струны своей сладкозвучной арфы и стройными аккордами ласкает слух спящего, ему же мнится, будто он внимает музыке небесных сфер. Гермафродиту снится, что он счастлив, ибо стал таким, как все люди, или перенесся на багряном облаке в мир, который населяют существа, подобные ему. Это сон, только обманчивый и сладкий сон, так пусть продлится он до самого утра. Гермафродиту снится, будто пестрые хороводы цветов кружатся вокруг него в пленительном танце и изливают на него потоки упоительных ароматов, а он поет гимн любви и держит в объятиях прекраснейшее существо на свете. Но увы! едва развеются вместе с утренним туманом грезы, едва проснется он, как увидит, что руки его сжимали призрак, пустоту. Так спи же, спи, гермафродит! Не просыпайся, умоляю… Пусть дольше длится сон, пусть длится вечно… Видения несбыточного счастья вздымают грудь, да будет так… Не открывай же глаз, не просыпайся, я не хочу! Дай мне уйти, пока ты спишь. Быть может, когда-нибудь я напишу о тебе большую волнующую повесть, расскажу со всеми раздирающими душу подробностями о горестной твоей судьбе и не премину присовокупить назидательные выводы. До сих пор же мне ни разу не удалось довести это дело до конца: едва приступлю, и из глаз неудержимо льются на белый лист бумаги слезы, и пальцы дрожат, как у немощного старца. Но я должен, должен набраться духу. Такая слабость простительна женщине, мне же не пристало, точно барышне, лишаться чувств при мысли о твоих страданьях. Спи, спи, гермафродит… Не открывай покуда глаз… Прощай, гермафродит! Каждый день стану я молить о тебе Господа (чего ни за что не стал бы делать ради себя самого!). Да обретешь ты наконец успокоенье!..

(8) Лишь только слуха моего коснется голос – хотя бы даже серебристые колоратуры небесного сопрано, чистейшая гармония, изливающаяся из человеческих уст, – все равно, бешеные языки пламени сей же миг начинают плясать перед глазами, оглушительная канонада – грохотать в ушах. Откуда эта исступленная ненависть ко всему человеческому? Будь те же созвучья извлечены из струн или клавиш – и я вожделенно ловил бы волшебные ноты, нанизанные, будто перлы, на мелодическую нить, что мерными извивами змеится по упругим воздушным волнам. По жилам разлилась бы сладкая истома, блаженный дурман усыпил бы волю и сковал мысли, подобно тому как туманное марево застилает яркий свет солнца. Мне рассказывали, что я родился на свет глухим. В плену у глухоты прошли мои первые годы, так что я не слыхал человеческой речи. Правда, говорить меня научили, хотя и с большим трудом; но чтобы понять собеседника, я должен был прочитать то, что он напишет мне на бумаге, и только тогда мог ответить. Так было, пока не настал злосчастный день. К тому времени я уже достиг отроческого возраста, был чист, хорош собою и восхищал всех умом и добросердечием. Ясное лицо мое отражало свет непорочной души и приводило в смущение тех, у кого запятнана совесть. С благоговением взирали на меня люди, ибо моими глазами на них глядел ангел. Однако же я знал, что не всегда мое чело, что так любили с материнской нежностью лобзать все женщины, будет увито цветами юности – они завянут вместе с быстротечною весною жизни. Порою даже мне приходило на ум, что этот мир и этот купол неба, усеянный дразняще недоступными звездами, быть может, не столь и совершенны, как мне мнилось. И вот настал злосчастный день. Однажды, устав карабкаться по кручам и плутать, утратив правый путь25… утратив правый путь … – Эти строки Лотреамона навеяны, скорее всего, Данте, чья «Божественная комедия» начинается так: Земную жизнь пройдя до половины,Я очутился в сумрачном лесу,Утратив правый путь во тьме долины.(Ад, I, 1-3. Пер. М. Лозинского)Влияние Данте ощущается и далее в этой строфе. в темных лабиринтах жизни, я поднял истомленные, с кругами синевы, глаза на вечный небосвод, – я, юнец, дерзнул проникнуть в тайны вселенной. Но взор мой встретил пустоту. Объятый ужасом и дрожью, я заглядывал все глубже, глубже и наконец увидел… Увидел весь покрытый золотом трон из человеческого кала, а на нем с ухмылкою самодовольного кретина и облаченный в саван из замаранных больничных простынь восседал тот, кто величает себя Творцом! Сжимая в руке гниющий труп без рук и ног, он подносил его поочередно к глазам, и к носу, и ко рту – да-да, ко рту, к своей разинутой пасти, так что не оставалось сомнений, что сделал он с сим омерзительным трофеем. Ноги его утопали в огромной луже кипящей крови, и порой из нее высовывались, как глисты из вонючей жижи, несколько голов, – высовывались боязливо и в тот же миг скрывались вновь, дабы спастись от наказанья. Ослушнику грозил удар карающей пяты по переносице, но люди – не рыбы, как обойтись им без глотка воздуха! А впрочем, если не рыбье, то лягушечье существованье влачили они, плавая в этом чудовищном болоте. Когда же рука Творца пустела, он шарил ногою и, зацепив за шею острыми, как клещи, когтями следующую жертву, выуживал ее из красного месива – чем не отменный соус! Всех, всех ждала одна участь: первым делом Творец откусывал каждому голову, затем отгрызал руки и ноги, а напоследок сжирал туловище, – собирал без остатка с костями вместе. Покончив с одним, брался за другого, и так всю вечность; час за часом. Лишь изредка он отрывался, чтобы возгласить: «Раз я вас сотворил, то волен делать с вами, что хочу. Вы невиновны предо мной, я знаю, но никакой вины не надо; я потому вас истязаю, что ваши муки – мне отрада». И жуткий пир возобновлялся, и череп вновь трещал под челюстями, и комья мозга застревали в бороде. Что, читатель, верно у тебя самого потекли слюнки? Верно, и ты не прочь отведать свеженького, аппетитного мозга, только что извлеченного из головы славной «рыбки»? Ужас сковал меня пред этим виденьем, я не мог вымолвить ни слова, не мог пошевельнуться. Трижды готов был рухнуть, как мертвец, но трижды удерживался на ногах. Меня бил озноб, внутри все кипело и клокотало, будто лава в жерле вулкана. Я задыхался, словно стальной обруч стиснул мне грудь; когда же, вне себя от страха и удушья, я стал хватать ртом воздух, то из моих разверстых уст исторгся крик… пронзительно-надрывный крик, такой, что я его услышал! Тугие жгуты, стягивавшие слух, ослабли, барабанная перепонка затрещала под напором того воздушного потока, что, хлынув из моей груди, разлился далеко окрест. Стена врожденной глухоты рухнула разом. Я слышал! Я обрел недостававшее пятое чувство. Но, увы, оно не принесло мне радости! Ибо если с тех пор я начал различать человеческий голос, то каждый раз при этих звуках меня пронзала боль с такою же страшною силой, как тогда, когда оцепенев, взирал я на муки невинных жертв. Стоило кому-нибудь заговорить со мною, как все, что открылось мне в потаенной глубине небес, вновь оживало пред глазами и речь сородича была лишь отзвуком того неистового крика, что потряс все мое существо. Я не мог отвечать, передо мной вновь всплывало жуткое кровавое болото, и волосы вставали дыбом от стонов, подобных реву дикого слона, с которого живьем сдирают кожу. А когда с годами я лучше узнал Человека, то к чувству жалости прибавилась бешеная ярость, – разве не достойно ее жестокое чудовище, способное лишь изрыгать хулу да изощряться в злодеяньях. И к тому же беззастенчиво лгать, что зло среди людей большая редкость! Но все это в прошлом, и я уже давно зарекся вступать в беседу с человеком. А каждый, кто приблизится ко мне, пусть онемеет, пусть ссохнутся его голосовые связки, чтобы не смел прельщать меня красивыми речами и изливать предо мною душу в словах, подобных соловьиному пению. Пусть смиренно сложит руки на груди, опустит очи долу и молчит, да, пусть хранит священное молчание. Довольно я настрадался, когда меня днем и ночью, словно свора псов, терзали кошмары и воскресало открывшее мне тайну бытия виденье, – одна лишь мысль о том, что эта пытка повторится, мне претит. О, знайте: сорвется ль с гор лавина, возопит ли в выжженной пустыне львица, оплакивая смерть детенышей, иль затрещит столетний дуб, сокрушенный небесным огнем, иль смертник возопит в темнице пред тем как положить главу под гильотину, или гигантский спрут, торжествуя победу над жертвой кораблекрушения или над неосторожным пловцом, подымет шторм на море – знайте, все эти звуки во сто раз приятнее для слуха, чем гнусный голос человека!

(9) Сию малую живность люди кормят даром. Не из корысти, а из страха. Да и как же не бояться: коли это прожорливое насекомое не насытится – а всем яствам и питиям предпочитает оно кровь, – то может волшебным образом увеличиться до размеров слона и, как бешеный слон топчет хрупкие колосья в поле, в гневе растоптать неугодных ему. Вот почему его стараются всячески ублажить, заискивают перед ним по-собачьи и почитают несравненно больше любой иной божьей твари. Человеческая голова служит ему троном, на коем оно величественно восседает, вонзив когти в кожу. Когда же, достигнув преклонного возраста, оно чрезмерно жиреет, его, как-то было принято поступать со стариками у одного из древних народов, убивают, дабы избавить от мучительных старческих недугов. Хоронят его с почестями, как героя, и достойнейшие граждане несут его гроб на плечах до самого кладбища. Могильщик проворно засыпает могилу под цветистые речи о бессмертии души, тщете земной жизни и неисповедимой воле Провиденья, и наконец, мраморная плита завершает путь обретшего вечный покой труженика. Толпа скорбящих расходится, и ночная тьма опускается на кладбищенские стены.

Утрата тяжела, нет слов, но все же… не падайте духом, люди: дорогой усопший позаботился в утешение вам наплодить миллионы потомков; они грядут, эти бойкие отпрыски, они не замедлят превратиться из драчливых озорников в прекраснейших, почтенных, смиренных видом и свирепых духом вшей. Наш благодетель предусмотрительно отложил уйму крохотных яичек, надежно прикрепив их к вашим волосам, чтобы растущие личинки могли высасывать вдоволь питательной влаги из волосков. А в должный срок из этих гнид-яиц проклюнутся детеныши. И можете за них не опасаться: уж эта молодь быстро усвоит житейскую науку, и вы скоро получите тому весьма ощутимое доказательство, когда они испробуют на вас свои коготки и зубки.

Известно ли вам, почему вши довольствуются вашей кровью, а не прогрызают череп? Нет? Так я скажу вам: лишь оттого, что не хватает сил. Но если бы размер их челюстей соответствовал их неуемным аппетитам, они, вне всякого сомнения, изгрызли и сожрали бы все: мозг и глазные яблоки, мускулы и кости – все ваше тело без остатка. Все за один присест. Вооружитесь микроскопом и разглядите попристальнее хоть одну вошь из шевелюры какого-нибудь оборванца: что, разве я не прав? Беда этих головорезов лишь в том, что они не вышли ростом. Верно, в рекруты их бы не взяли: таких коротышек бракуют. Но горе кашалоту, если он вздумает вступить в единоборство с вошью. Хоть он и гигант, но будет обглодан во мгновение ока. И кончика хвоста не останется. Слон скорее даст себя одолеть. Но не вошь! Но не стоит и пытаться справиться с нею. У вас на руке растут волоски – берегитесь! Ваша рука из плоти, крови и костей – берегитесь! Миг – и захрустят, точно в железных тисках, пальцы. Исчезнет, точно ее и не было, кожа. Упованьям вшей не дано исполниться. И все же, завидев вошь, обойдите ее стороною, она из тех, кому следует класть палец в рот. Не то можно жестоко поплатиться. Такое уж бывало. Что ж, хотя, разумеется, я был бы рад когда бы вши могли досадить людям побольше, но и то, что делают они сейчас, немало.

Доколе, человек, ты будешь поклоняться трухлявому идолу, этому твоему богу, которого не пронять ни молитвами, ни щедрыми жертвоприношениями? Ты благочестиво украшаешь ее алтари цветами, ты приносишь на них полные чаши дымящейся крови и нежного мозга – и что же взамен? Что взамен – разве бури, смерчи и землетрясения не терзают землю и ныне, как с начала мира? Ты же, видя, что он равнодушен и глух, почитаешь его еще усерднее. Не потому ли, что не ведаешь, насколько он силен, и полагаешь, будто платить презрением за поклоненье и покорство вправе лишь некто всемогущий? Такая же точно причина побуждает все населяющие землю народы – хоть и имеют они собственных кумиров: одни чтут крокодила, другие продажную женщину – при одном лишь внушающем священный ужас имени твоем, о Вошь, согласно преклонять колени пред изваяньем божественного кровопийцы и безропотно лобызать свои цепи. Если же какое-нибудь племя не пожелает раболепствовать и в дерзости своей дойдет до бунта, ему не миновать возмездия, гнев неумолимого божества, словно ураган груду мертвых листьев, подхватит и сметет с лица земли ничтожных гордецов.

О чахлоокая Вошь, доколе реки несут свои воды в бескрайние моря, доколе светила небесные свершают свой путь по неизменным орбитам, доколе не знает предела всепоглощающая пустота эфира, доколе люди истребляют друг друга в нещадных войнах, доколе карающий небесный огнь обрушивается на своекорыстный мир, доколе человек не познает Творца, доколе будет смеяться ему в лицо и презирать его, хотя бы и не беспричинно, – незыблемой пребудет твоя власть над вселенной. Приветствую тебя, восходящее солнце, божественный освободитель26Приветствую тебя, восходящее солнце, божественный освободитель … – почти дословное заимствование из «Бессмертия» Ламартина., неуловимый враг рода человеческого. Вели грязной похоти все вновь и вновь завлекать человека в свои смердящие объятия и клясться ему нерушимыми клятвами в верности на веки вечные. Не погнушайся и поцеловать край засаленного платья сей распутницы – ее услуги того стоят. Ведь не прельсти она человека своими смачными персями, тебя бы не было на свете, ибо ты – плод их животворного совокупления. Ты порожденье грязи и порока! Да не посмеет же твоя мать покинуть ложе человека, да не вздумает скитаться по миру в одиночку, или она погубит свое собственное детище. Пусть вспомнит, как долгих девять месяцев вынашивала тебя в своей утробе, в сыром тепле, в пахучей темноте, – так неужто же все существо ее не содрогнется при мысли о том, что милая безобидная крошка, рожденная ею и превратившаяся в не знающего жалости хищника, может по ее же вине распрощаться с жизнью! О венценосная грязь, не лишай меня счастья злорадно наблюдать, как зреют и исподволь крепнут все новые поколения прожорливых твоих деток. Для этого, ты знаешь, тебе лишь стоит поплотнее прижаться к чреслам человека, и никто не упрекнет тебя в бесстыдстве, ведь он – супруг твой…

Ну вот, хвалебный гимн вшам закончен, мне остается лишь прибавить, что я приказал вырыть шахту площадью в сорок квадратных лье и изрядной глубины. Здесь скрыты до поры до времени девственные залежи непотребной живой руды. Основной пласт залегает на самом дне, а от него расходятся в разные стороны туго набитые извилистые ответвления. Я искусственно создал это месторождение, и вот каким образом. Из шевелюры человечества я вытащил одну вошь-самку, переспал с нею три ночи кряду, а затем поместил в эту приготовленную заранее шахту. Судьба благоприятствовала моему начинанию: человеческое семя оплодотворило насекомое, чего, как правило, в подобных случаях не происходит. А несколько дней спустя самка произвела на свет живой комок – скопленье сотен и сотен уродцев. Шло время, тошнотворный ком увеличивался в размерах и одновременно становился густым и жидким, словно ртуть, пока не растекся по многочисленным руслам, и теперь вся эта масса живет и сама себе служит пищей (все равно, прирост намного превосходит сию естественную убыль), если только я не подкармливаю своих питомцев человечинкой; когда удастся раздобыть новорожденного ублюдка, которого бросила мать, а когда просто парочку рук – я отрезаю их по ночам у молоденьких девушек, усыпив их предварительно хлороформом. Каждые пятнадцать лет поголовье вшей, живущих на людях и сосущих их кровь, уменьшается настолько, что все племя оказывается под угрозой вымиранья. И это кажется неизбежным. Как-никак, а человек, их враг, наделен разумом и потому одерживает над ними верх. И вот тогда, вооружась лопатищей, пригодной для адских печей, я извлекаю из моего неисчерпаемого рудника огромные, величиною с гору, глыбы вшей, затем разрубаю их топором на куски и темной ночью разбрасываю по городским улицам. Согретые теплым духом человеческих жилищ, плотно спрессованные комки понемногу размягчаются, и, как в ту пору, когда только начинали ими заполняться витки подземных галерей, оттаявшие вши резвыми весенними ручейками растекаются во все стороны и, точно злокозненные духи, проникают в каждый дом. В глухой растерянности лают сторожевые псы, чуя полчища неведомых тварей, что просачиваются сквозь стены, как сквозь пористую губку, зловеще обступают изголовья мирно спящих, неся с собою страх и ужас. Быть может, и вам случалось хоть раз в жизни слышать этот тоскливый, надсадный лай. Бедняга пес не в силах уразуметь, что же происходит, таращится, не жалея глаз, в ночную тьму. Его злит неумолчное шуршанье, и он понимает одно: его надули. Миллионное воинство вшей заполняет город, как туча саранчи. Теперь их хватит на новые пятнадцать лет. Пятнадцать лет будут они сражаться с человеком, нанося ему бесчисленные зудящие раны. А потом я выпущу новую партию. Иной раз, когда я дроблю глыбы этих вредных ископаемых, попадается особенно твердый кусок. Его живые атомы стремятся расцепиться, жаждут поскорее вгрызться в человека, но слишком плотно они срослись. Наконец последнее судорожное усилие оказывается столь мощным, что весь кусок, так и не разорвавшись, взвивается ввысь, как будто им выстрелили из пушки, а затем падает с такой силой, что зарывается в землю. Случается, засмотревшийся на небо крестьянин вдруг видит, как сверху летит какой-то камень и врезается прямо в его поле. Ему невдомек, что это за диво. Но вам теперь известно достоверное объяснение сего феномена.

О, настанет ли пора, когда люди, не выдержав борьбы с мириадами вампиров, перемрут в страшных муках, а вши, плодясь и размножаясь, заполонят всю землю, покроют ее живой коростой, плотным слоем, как малые песчинки покрывают берег моря? Божественное зрелище! И только я один им буду тешить взор, паря, подобно ангелу, на крыльях над океаном вшей.

(10) О математика, о безупречная, я не забыл тебя, я помню сладчайший мед твоих исполненных высотой премудрости уроков. С младенчества тянулся я устами к твоему священному и древнему – древней, чем солнце, – источнику, и доныне храню тебе верность и неустанно возношу хвалу в твоем грандиозном храме. Прежде мой ум застилала подобная густому туману пелена, но, когда одну за другой я одолел все ступени, ведущие к твоему алтарю, ты порвала эту завесу, как морской ветер разметает в разные стороны стаю чернокрылых альбатросов. А взамен ты даровала мне ледяную трезвость, мудрую рассудительность и несокрушимую логику. Вскормленный твоим животворным млеком, следуя за путеводным факелом, который ты благосклонно зажигаешь для каждого, кто возлюбил тебя всею душой, мой разум быстро возмужал и набрался силы. Арифметика! Алгебра! Геометрия! – О великая троица, о лучезарный треугольник! Не познавший вас – жалкий безумец. Однако он достоин жесточайшей кары, ибо не просто легкомыслие, но еще и высокомерие невежды отвращает его от вас. Зато познавший и оценивший вас с презреньем отвернется от всех земных благ и удовольствий, лишь ваши таинства наполнят восторгом его душу, лишь об одном станет он мечтать: о том, чтоб, устремляясь все выше и выше по виткам восходящей спирали, вознестись к самой вершине небесной сферы. Все на земле – лишь дебри заблуждений да нравоучительного пустословья, иное дело ты, точнейшая математика: твои строгие вычисления, твои незыблемые законы ослепляют взор ярчайшим светом божественной гармонии, которой отмечен весь порядок мирозданья. В тебе – квинтэссенция этой гармонии; квадрат, столь чтимый Пифагором, есть совершенный образец ее. Извлекая из вселенского хаоса твои хрустальные теоремы и алмазные формулы, Всевышний явил всю свою мощь. Множество гениальных умов с древнейших времен и до наших дней благоговейно вглядывались в твои начертанные на огненных скрижалях, исполненные тайного значенья и дышащие самостийной жизнью фигуры и знаки; для грубой толпы они непонятны, посвященный же читает в них вечносущие аксиомы и заповедные символы, те, что существовали до начала мира и пребудут неизменными после его конца. И тогда словно пропасть разверзается под ногами прозревшего, он ясно видит: лишь в математике величие и истина, тогда как в человеке – одна напыщенность и ложь. Для мудреца, которого ты удостоила вниманьем и напутствием, так нестерпима безграничная людская тупость и ничтожность, что, с болью отвратив свой взгляд от земной суеты, седой аскет предается созерцанью материй высшего порядка. И, преклонив колена, славит твой божественный лик – ипостась Предвечного Владыки. Однажды майской ночью – я был тогда еще ребенком – предстали предо мной в лунном свете, на берегу прозрачного ручья три девы, три математические музы, сияющие прелестью, и чистотой, и царственным величьем. В легких, колышущихся одеждах они приблизились ко мне, привлекли меня, словно возлюбленное чадо, к своим гордым сосцам. И едва лишь, жадно приникнув к ним, я насытился божественной влагой, как с благодарным трепетом ощутил, что моя жалкая человеческая природа стала возвышеннее и совершеннее. С тех пор, о богини-соперницы, я больше не покидал вас. С тех пор не один отважный замысел, не одна горячая привязанность из тех, что, казалось, запечатлелись в сердце навеки, словно золотые буквы на мраморной плите, поблекли и растаяли, подобно тому как тают ночные тени в лучах зари! С тех пор я успел немало повидать на свете: видел, как бушевала смерть, стараясь упрятать всех живых в могилы и взрастить на орошаемых кровью полях сражений нежнейшие цветы; видел опустошительные стихийные бедствия: бесстрастно наблюдал землетрясенья, изверженья огненных вулканов, ураганы, смерчи, самумы. С тех пор перед моими глазами, как череда дней, прошла череда поколений: утром они открывали глаза, пробуждались к жизни, расправляли крылья и устремлялись на простор бытия с восторгом бабочки, выпорхнувшей наконец из тесного кокона, а вечером, перед заходом солнца, умирали, бессильно поникнув головой – так увядшие полевые цветы сиротливо склоняют венчики, и их с унылым посвистом колышет ветер. И только ты, о триединая математика, одна лишь ты – нетленна. Твои владенья недоступны дыханью времени, нерушимы твои крутые пики, невредимы твои бескрайние долины. Твои простые пирамиды переживут пирамиды египетские, эти гигантские муравейники, эти памятники рабству и невежеству. И когда настанет конец всех времен, когда сгинут в чудовищном зове вечной тьмы звезды, когда пробьет час Страшного Суда и человеческий род, корчась от ужаса, предстанет пред ним, тогда, среди хаоса и разрушенья, лишь твои кабалистические числа, скупые равенства и ясные линии устоят и займут подобающее им место одесную Предвечного Судии. О благодарю, благодарю за все, чем я тебе обязан! За то, что даровала моему уму свойства, недоступные смертным. Когда б не ты, мне бы не выиграть моей битвы с человеком. Когда б не ты, я пресмыкался бы пред ним и лобызал прах у его ног. Когда б не ты, я стал бы беззащитной жертвой его коварства и жестокости. Но ты вразумила меня и я стал подобен хорошо натренированному борцу, которого нелегко застать врасплох. Ты научила меня хладной трезвости – я почерпнул ее в твоих кристальных, не замутненных страстью построеньях, – и вот я презрительно отринул ничтожные услады краткого земного пути и не поддался обманчивым соблазнам, которыми приманивали меня сородичи. Ты научила меня неспешной рассудительности – она опора анализа, синтеза, дедукции – твоих несравненных методов, и вот я расстроил планы моего смертельного врага и напал на него сам, вонзив в его утробу острый кинжал, с которым он уж не расстанется до смерти: после такого удара не встать. Ты научила меня логике – она краеугольный камень твоего ученья, и довооружившись силлогизмами и усвоив, что их запутанный лабиринт на самом деле есть кратчайший путь к истине, мой ум стал вдвое против прежнего сильнее и смелее. С этим разящим оружьем в руках я исследовал потаенные уголки человеческой души и там, в самой глубине, обнаружил глыбу ненависти, которой среди ядовитых миазмов сидит и созерцает собственный пуп гнусный уродец. Это само Зло, угнездившееся там, в потемках, Зло, господствующее в человеке над Добром, – и я первый разглядел его! Пустив в ход все то же отравленное оружие, которым ты меня снабдила, я сверг самого Создателя с пьедестала, на который вознесла его людская трусость. А он заскрежетал зубами, но стерпел поругание, ибо признал, что имеет дело с тем, кто сильнее его. Однако оставим его, как груду обвисших веревок, и спустимся с небес.

Философ Декарт сказал однажды, что никто до сих пор не воздвиг ничего прочного на математической основе. Таким хитроумным способом он выразил мысль о том, что не каждому и не сразу дано оценить тебя по достоинству. Ибо есть ли что-нибудь прочнее и надежнее тех трех твоих атрибутов, о математика, которые я перечислил и которые, переплетаясь друг с другом, венчают величественный шпиль твоего исполинского храма. Храм этот все разрастается; что ни день, то новые богатства стекаются в него изо всех подвластных тебе областей, все новые сокровища духа, добытые в твоих копях. О святая математика, в общении с тобой хотел бы я провести остаток дней своих, забыв людскую злобу и несправедливость Вседержителя.

(11) «Серебряный фонарь под сводами храма27Серебряный фонарь под сводами храма… – Сцена с фонарем навеяна стихотворением Ламартина «Лампада храма» (из сборника «Гармонии»), которое Лотреамон пародийно переосмысливает., ты привлек мой взор и привел в смятенье ум: ради чего, подумал я, зажжен сей светоч. Я слыхал, будто в темные вечера ты разгоняешь мглу для стекающихся сюда на молитву, будто лучи твои указывают кающимся грешникам путь к алтарю. Что ж, возможно, но к чему все это: ведь никто тебя не принуждает так усердствовать. Пусть себе колонны базилики утопают во мраке, а если, оседлав буйный вихрь и нарушив благолепие храма, ворвется внутрь злой дух, зачем вступать в противоборство с посланцем Князя Тьмы, дай хладному его дыханью задуть в тебе огонь, чтобы он без помех мог выбрать себе жертву из стада коленопреклоненных верующих. Погасни, о, погасни на радость мне – ибо, покуда ты рассыпаешь трепетные блики, я принужден, стиснув зубы, смирять свой нрав и, стоя у порога святого храма, лишь пожирать глазами всех, кто спасся от моей карающей руки, укрывшись в доме Господа. А между тем, о поэтический светильник, когда бы ты только захотел понять меня, мы стали бы друзьями, так почему же, стоит мне в поздний час ступить на мрамор паперти, как ты вспыхиваешь ярчайшим блеском, что мне, признаться, вовсе не по вкусу. Пламя свечей все светлей, все горячей, вот уже больно смотреть, как будто горят не свечи, а электрические лампы; этим мощным, этим небывалым светом ты, словно раскалясь от праведного гнева, заливаешь все приделы, все уголки, все закуты громоздкого Божьего хлева. Когда же, изрыгая богохульства, я удаляюсь восвояси, ты, с честью выполнив священный долг, тускнеешь и снова светишь ровно, скромно и неярко. Скажи на милость, уж не потому ли ты спешишь оповестить рабов Господних о приближенье их заклятого врага и обратить их взгляд туда, откуда он готовит нападенье, что разгадал все мои тайные помыслы? Я склонен думать, что так оно и есть, ибо и сам разгадал тебя и понял, что ты, как сторожевой пес, приставлен охранять хоромы, по которым с павлиньей спесью разгуливает твой хозяин. Но рвение твое напрасно. Предупреждаю: еще хоть раз ты выдашь меня и попытаешься натравить на меня человечью стаю, неистово заблистав, – я уж говорил тебе, что сей оптический феномен, не описанный, впрочем, ни в одном физическом трактате, мне не нравится, – так вот, еще раз – и я схвачу тебя за патлы да заброшу в Сену. Я впредь не потерплю, чтоб ты так злостно мне вредил, тогда как я не сделал тебе ничего дурного. Там, на дне, сияй себе, сколько вздумается, я позволяю; оттуда можешь дразнить меня своей немеркнущей улыбкой; там, убедившись наконец, что, сколько ни блести, а я неуязвим, и что ты лишь напрасно переводишь масло, ты им подавишься с досады и выблюешь на дно».

Так говорит Мальдорор, стоящий на пороге храма и не сводящий ненавидящего взора с фонаря над церковными вратами. Светильник этот его безмерно раздражает: зачем понадобилось ему висеть именно здесь, да и вообще весь вид его внушает опасенье. Но если и вправду некий дух обитает в нем, – думает Мальдорор, – то это дух трусливый, коль скоро не желает отвечать на честные и открытые речи с такою же прямотою. В нетерпеливом озлобленье Мальдорор горячится, размахивает руками и мечтает, чтобы фонарь превратился в человека: то-то не поздоровилось бы этому человеку! Увы, светильники не превращаются в людей, сие противоречит их природной сути. Но Мальдорор не может отступить ни с чем, он ищет острый камень и что есть сил бросает вверх… есть! цепь оборвалась, как травинка под косой, драгоценная утварь рухнула наземь, и брызги масла разлетелись по каменным плитам. Злодей вцепляется в светильник и хочет унести, но тот не поддается, тот начинает разрастаться. Чудится ли это или на самом деле – по бокам у него реют два крыла, а верхняя часть превратилась в торс ангела. Сие ангелоподобное существо бьет крыльями, старается взлететь, но Мальдорор не ослабляет хватку и не пускает. Полуфонарь и полуангел – где видано такое! Перед очами Мальдорора ангел и фонарь, он хочет разглядеть, где тут фонарь, где ангел, но не может, да это вовсе невозможно – они срослись, и получился не фонарь, не ангел, а нечто среднее и двуединое. Однако Мальдорору это невдомек, и он решил, что у него помутилось в глазах, оттого и мерещится что-то несусветное. И все же Мальдорор изготовился к нешуточной схватке, ибо кем бы ни был его противник, видно по всему, что он не робкого десятка. Никто не знает – скажут вам простые души, – как разыгрывалась кощунственная эта драка в оскверненном храме, потому что двери святилища сами собою повернулись на скрежещущих петлях и захлопнулись, дабы никто и не мог этого увидеть. Но было так: невидимый меч наносил человеку в плаще удар за ударом, однако под градом ударов он неумолимо притягивал ангела, стараясь ртом дотянуться до светлого лика. Казалось, ангел стал изнемогать, смирился с неизбежным пораженьем. Все реже, все слабее взмахи меча, еще немного – и злодей добьется своего, облобызает ангела – не таково ль его намеренье? Да, так и есть. Вот стальною рукою сжимает он ангелу горло – тот задыхается, хрипит! Вот запрокинул лицо его и прижал к своей преступной груди. Вот застыл, как будто бы пронзенный жалостью к небесному созданью, как будто не решаясь подвергнуть пытке того, кого охотно назвал бы другом. Но тут же вспомнил, что пред ним прислужник Бога, и ярость снова закипела в нем. О ужас, ужас, пробил час чудовищного злодеянья! Преступник наклонился, высунул язык – тягучая слюна стекает с языка – и провел им по щеке ангела, молящего взором о пощаде. Лизнул еще, еще раз и… смотрите, о смотрите! Розовая, как заря, кожа сына неба почернела, словно уголь! Пахнуло гноем. Гангрена, настоящая гангрена. В одно мгновенье потемнело и сморщилось чудное лицо, но мало этого: гнусная скверна беспощадно пожирает тело, и вот уже вся ангельская плоть – одна сплошная, мерзостная язва. Ужаснулся и Мальдорор, похоже, он и сам не ожидал, что ядовитая слюна его подействует так страшно, – ужаснулся и, схватив фонарь, рванулся прочь. Но в тот же миг увидел над собою черную тень; тяжело шевеля обугленными крылами, медленно поднималась она ввысь. Враги… еще минута – и каждый устремится по своему пути: один – в светозарные небеса, другой – в мрачную пучину зла, но пока оба замерли, вперив друг в друга взор… Безмолвное прощанье. Все мысли человечества за шестьдесят веков, истекших от начала мира, и за все века грядущие легко вместились бы в один этот взгляд. Но не таковы наши герои и не таковы обстоятельства, чтобы обмениваться мыслями, которые может породить заурядный человеческий ум – о нет! Флюиды высшего порядка струили их глаза. И этот взгляд навеки сделал их друзьями. Открыв, что среди слуг Господних встречаются столь благородные души, Мальдорор был потрясен, так потрясен, что даже усомнился: не заблуждается ли он, не ошибся ли, избрав служенье злу. Но нет, он тверд в своем решенье; рано или поздно, но он достигнет славной цели, он одолеет Вседержителя, он станет править сам и станет сам повелевать всем сонмом не менее прекрасных ангелов. Недавний же соперник Мальдорора без слов, одними лишь глазами, успел сказать ему, что по пути к чертогам рая вернет себе свой прежний облик, и, уронив прохладную слезу на воспаленный лоб того, кто поразил его гангреной, стал, как орел, кругами возноситься к облакам, пока совсем не скрылся в них. Тогда и Мальдорор очнулся и вспомнил о фонаре, который все время сжимал в руках, – вот он, виновник всех бед. Стремглав помчался он к Сене и с размаху зашвырнул фонарь подальше от берега. Фонарь упал, взвихрил водоворот и, покрутившись в нем, пошел ко дну. С тех самых пор каждый вечер, чуть только сгустятся сумерки, на поверхности Сены близ моста Наполеона всплывает зажженный фонарь, увенчанный, вместо ручки, парой ангельских крылышек, – всплывает и величаво движется вниз по реке. Неспешное теченье увлекает его все дальше, он минует арки моста Гар, моста Аустерлиц и продолжает свой бесшумный путь до моста Альма. Здесь останавливается, поворачивает и столь же легко плывет против теченья вспять, так что четыре часа спустя возвращается к тому же месту, откуда начал плавание. Завершив один круг, начинает другой – и так всю ночь. Светлый блеск его, как будто горят не свечи, а лампы, затмевает горящие вдоль набережных фонари, он плывет меж их шеренг, горделивый и недоступный, как монарх, с немеркнущей улыбкой на устах и отнюдь не давится с досады маслом. На первых порах его пытались догнать на лодках и выловить, но тщетно: без труда уходил он от погони, грациозно ныряя и всплывая далеко впереди. И теперь стоит суеверным матросам завидеть плавучий светильник, как они обрывают на полуслове песню и поспешно поворачивают в другую сторону. Если вам случится ночью идти через мост, оглядитесь, и вы непременно увидите где-нибудь на реке сияющий фонарь, а впрочем, говорят, он показывается не всякому. Когда на мост ступает человек с нечистой совестью, светильник в мгновенье ока гаснет, и напрасно, уязвленный, вопрошает тот темноту, пытаясь проникнуть взором до самого илистого дна. Смысл происшедшего ему понятен. Порою ему кажется, что он видит волшебный свет, но увы: это всего лишь сигнальный огонь на судне или отражение газового рожка. Он знает, в чем причина исчезновенья светоча: причина в нем самом, и, одолеваемый тягостными думами, убыстряет он шаг, чтобы скорее укрыться в четырех стенах. А серебряный фонарь вновь всплывает и продолжает свой еженощный рейд, без устали петляя по всем извилинам причудницы-Сены.

(12) Слушайте, смертные, какие мысли посещали меня в детстве, по утрам, когда алел восток28… какие мысли посещали меня в детстве, по утрам, когда алел восток … – Вся строфа представляет собой пародию на стихотворение Ламартина «Утренний гимн ребенка» (из того же сборника «Гармонии»).: «Вот я проснулся, но мозг еще в каком-то сонном тумане. Каждое утро встаю я с такою тяжелой головой. Ночь не приносит покоя: я почти не сплю, а если усну, меня мучат кошмары. Днем странные думы тревожат меня, бесцельно блуждает мой взгляд, и снова бессонная ночь. Но сколько же можно не спать? Природа непременно должна взять свое. И вот расплата за пренебрежение ее потребностями: бледное, без кровинки, лицо, лихорадочный блеск в глазах. Я бы и рад не изнурять себя беспрерывной работой ума, но независимо от моего желанья помраченные чувства неотвратимо устремляются все по той же привычной стезе. Я замечал, что и другие дети похожи на меня. Только лица их еще бледнее, а брови сурово сведены, как у взрослых, наших старших братьев. О Создатель, нынче утром я не премину усладить тебя фимиамом моей детской молитвы. Порою мне случается забыть об этом, и, сознаюсь, в такие дни я чувствую себя счастливее обычного: точно спадают оковы, и вольным духом полей наливается грудь; если же я выполняю постылую обязанность, навязанную старшими, и возношу тебе хвалу – к тому же это славословье приходится каждый раз, изнывая от скуки, прилежно сочинять заново, – то уже до конца дня бываю угрюм и зол, ибо не нахожу ни логики, ни здравого смысла в том, чтобы говорить, чего не думаешь, и зияющая бездна одиночества манит меня. Но, сколько бы ни вопрошал я пустоту, она не разъяснит мне моего смятенья, она безмолвствует. Я желал бы любить и почитать тебя, но меня пугает твое могущество, и гимны, что я пою тебе, полны страха. Если одною силой мысли ты можешь творить и разрушать миры, то тебе ни к чему мои молитвы; если из чистой прихоти ты насылаешь моровую язву на целые города или приказываешь смерти хватать всех кто ни попадется в ее когтистые ручищи, невзирая на возраст, то у меня нет охоты завязывать столь опасную дружбу. И не из ненависти к тебе, а из страха, как бы не возненавидел ты меня – твой гнев непредсказуем, он вспыхивает и разрастается внезапно, так кондор в диких Андах срывается вниз со скалы и на лету распахивает гигантские крылья. Разделять с тобою твои отнюдь не безобидные забавы я не могу, зато легко могу оказаться их первой жертвой. Да, ты недаром прозываешься Всемогущим: ты и только ты вправе носить это имя, ибо никто, кроме тебя самого, не может положить предел твоим желаньям, благим иль пагубным. Вот почему бежать у края твоего хитона, чуть поспевая за яростной твоею поступью, было бы для меня несносно: пусть я еще не раб твой, но каждый миг могу им стать. Правда, порою, когда ты оглядываешься на самого себя, чтобы вникнуть в свои высочайшие деяния, и все зло, которое ты беззаконно обрушил на всегда покорное и верное тебе, как лучший из друзей, человечество, встает перед тобою страшным призраком, скелетом, выпрямившим гневный свой хребет, что каждым позвонком вопиет об отмщении, – тогда волосы твои поднимаются дыбом и слезы запоздалого раскаянья льются из глаз, и ты сам же истово клянешься навсегда прекратить, забросить в джунгли вечности свои чудовищные игры, измышления свирепого тигра твоей фантазии – их можно было бы счесть остроумными, не будь они столь жестоки; но правда и то, что все эти клятвы – недостаточно цепкий гарпун, они не проникают в глубь души, и вот уже черная проказа зловещего порока вновь разъедает твой ум, и вновь ты погружаешься в трясину злодеяний. Я бы хотел верить, что ты наносишь удары людям помимо собственной воли (хоть это и не умаляет убийственной их силы), что добро и зло единою струею хлещут из твоей царственной, сжираемой гангреною груди, подобно бурному потоку с крутизны, и повинуясь лишь слепой неведомой стихии, но все говорит об обратном. Слишком часто приходилось мне видеть, как пламенел, налившись кровью, твой патриарший, замшелый от времени лик и бешено оскаливались исполинские клыки из-за какой-нибудь не стоящей внимания оплошности, допущенной людьми, – слишком часто, чтобы я продолжал надеяться, будто это благодушное предположение соответствует истине. И коль скоро нельзя иначе, я так и буду каждый день, сложив ладони, обращать к тебе смиренные молитвы, но искренне прошу тебя лишь об одном: не затрудняй свое величество заботой обо мне, позволь мне прозябать в забвенье, словно червю, зарывшемуся в землю. Знай, я предпочту довольствоваться самым скудным пропитаньем, обрывками морской травы, приплывающими к нашим берегам с далеких островов в пенных объятьях прибоя, нежели знать, что каждую минуту за мной следят твои глаза и что глумливый скальпель занесен над моим мозгом. Я сам раскрыл перед тобою все свои мысли и надеюсь, что благоразумие, которым они дышат, при твоей любви к порядку польстят тебе. Я лишь хотел оговорить характер отношений и степень близости, которые должны установиться между нами, а засим изволь, готов ежечасно, уподобив щеки свои кузнечным мехам, вдувать тебе в уши лживые восхваления, которых мелкое твое тщеславие ревниво требует от каждого смертного, – делать это целый день без устали, начиная с того самого раннего часа, когда в голубоватой дымке встает заря и собирает искры света, что затерялись в атласных складках сумерек, как я, в своем, стремлении к добру, выискиваю искорки. Но хотя прожил я не так много, сдается мне, что никакой любви нет и в помине, а есть лишь звучное названье, ничего по сути не означающее. Ты слишком явно выказываешь свой нрав, надо бы маскироваться поискуснее. А впрочем, быть может, я неправ и ты поступаешь вполне обдуманно, да и кому, как не тебе, лучше знать, что делать. Люди же считают священным долгом подражать тебе, и потому алтарь любви в их душах пуст, и лишь злобой горят глаза их: каков отец, таковы и дитятки. Что бы ни думал я о тебе, но эти свои мысли облеку в покровы беспристрастной критики. Я, дескать, был бы только рад, когда бы оказалось, что я заблуждаюсь. Показывать же тебе мою ненависть, которую я вынашиваю и пестую, как любимое чадо, я вовсе не намерен: куда разумнее затаить ее, разыграть перед тобою роль нелицеприятного судьи, что призван дать оценку твоим неправедным деяньям. Тогда-то ты и отвернешься от меня и постараешься забыть о том, что я существую на свете, однако в конце концов все же задавишь настырного клопа, вгрызшегося в твою печень. Уж лучше угощать тебя льстивыми, медовыми речами… Да, Господи, ты сотворил мир и все живое и неживое в нем. Ты совершенство, Ты кладезь всех добродетелей. Все признают Твое величье. Вселенский хор поет Тебе немолчную осанну! И малые птахи прославляют Тебя! Тебе подвластны звезды… Во веки веков, аминь!» Таково было начало моей жизни, так посудите: стоит ли дивиться, коль я стал тем, что есть!

(13) Я искал друга, искал свое подобие, искал, но не находил. Все уголки земли обшарил, но понапрасну. Одиночество тяготило меня – я не мог больше. Я изнывал без родственной души, без единомышленника. И было утро, и солнце встало над горизонтом во всем своем великолепии, и тогда появился юноша – цветы расцветали, где ступала его нога. Он подошел ко мне и протянул мне руку и сказал: «Ты звал меня, и вот я пришел. Благослови сей день». Но я отвечал ему: «Я не звал тебя, поди прочь, мне не нужно твоей дружбы…» И был вечер, и край черного, из мрака сотканного покрывала ночи уже коснулся земли. И тогда из мглы возник неясный силуэт прекрасной женщины, и волшебные чары ее коснулись меня. Состраданием был полон взор ее, но заговорить она не решалась. «Подойди ближе, – сказал я ей, – свет звезд слишком слаб, и я не вижу твоего лица». Она потупилась и робко, чуть приминая траву легкою стопой, приблизилась ко мне. Я разглядел ее, и вот что я сказал: «Добро и справедливость в сердце твоем, ясно вижу это, и я знаю: нам не ужиться вместе. Тебя влечет моя красота, как увлекала многих, но рано или поздно ты пожалеешь, что посвятила мне свою любовь, ибо не знаешь души моей. Не то, чтобы я стал когда-нибудь изменять тебе, нет, той, что предалась мне так искренне и беззаветно, я буду столь же предан; но раз и навсегда запомни: не след овечкам и волкам заглядываться друг на друга». Чего же я хотел, если с отвращением отверг лучшее, что может дать человечество? – в ту пору я и сам еще не знал, чего хочу. Еще не научился препарировать свои желания и побужденья по всем неукоснительным правилам философии. Я взобрался на дикий утес и смотрел на море. И вдруг увидел корабль, он поднял все паруса и пытался уйти подальше от берега, но непреклонный ветер гнал его на скалы: едва заметная точка стремительно росла, корабль был все ближе, ближе. Начиналась буря; черным, как человеческое сердце, стало небо. Корабль – тяжелое военное судно – бросил все якоря, вцепился ими в дно, чтоб удержаться, чтоб не столкнуло на рифы. Ветер, адский вихрь, со свистом налетал со всех сторон, трепал и рвал в клочья паруса. Молнии, огненные стрелы, вонзались в море, грохот грома сотрясал воздух, но даже он не мог заглушить стенаний, что неслись оттуда, из ковчега смерти. Громады волн штурмовали корабль, и хоть цепи якорей выдержали их натиск, но затрещали борта, и вода победно хлынула через брешь. Вспенилась, закипела, обрушилась на палубу – и бессильно захлебнулись насосы. Пушечный залп – сигнал беды, тонет корабль… медленно и величаво… тонет… тонет… тонет… Крушение – корабль охвачен то кромешным мраком, то блеском молний; кто этого не видел, тот не знает всей силы злой судьбы. Стихия, разъяренный зверь, без устали терзает жертву, и наконец многоголосый вопль, вопль страха и страданья, взвился над кораблем. С ним вместе отлетели последние силы боровшихся со стихией. Отныне каждый дал себя спеленать покорству и уповал на волю Божью. Все сбились в кучу, точно стадо перепуганных овец. Пушечный залп – сигнал беды, тонет корабль… медленно и величаво… тонет… тонет… тонет… Весь день отчаянно работали насосы. Отчаянно, но безуспешно. И пала угрюмая, густая ночь, и наступил финал сей бесподобной драмы. Исход для всех один: захлебнуться в волнах – разве что у кого-нибудь в роду были предки-рыбы и он может дышать в воде – и все же каждый готовится в последний миг набрать побольше воздуха, чтобы отбить у смерти еще хоть пару секунд – позлить ее напоследок… Пушечный залп – сигнал беды, тонет корабль… медленно и величаво… тонет… тонет… тонет… Погружаясь все глубже, он взвихряет водовороты; тяжелый ил взметается со дна, и подводная стихия, не уступая в силе урагану, бушует и бурлит. Этого-то и не знает смертник с тонущего корабля и лишь по зрелом размышлении поймет он, что никакое самообладание ему уж не поможет и что он должен почитать за счастье, если удастся ему в этой подводной круговерти остаться живым хоть полсекунды, использовать запас хоть на полвдоха. Увы, последнее его желанье – подтрунить над смертью – неисполнимо. Пушечный залп – сигнал беды, тонет корабль, медленно и величаво… тонет… тонет… тонет… Нет, все не так. Нет пушечных залпов, не тонет корабль. Он уже утонул, жалкая скорлупка исчезла, пошла ко дну. О небо! Изведав такое, не жалко умереть! Я упивался дивным зрелищем: предсмертной агонией своих сородичей. Жадно следил, стараясь ничего не упустить. То хриплые вопли обезумевшей старухи, то визг грудного младенца вдруг выбьются из хора, заглушая даже последние вылетающие из капитанского рупора истошные команды. И хоть корабль был слишком далеко, чтобы за грохотом бури и воем ветра расслышать каждый голос, но силой своего воображенья, словно неким слуховым биноклем, я приближал его к себе. Когда же, с промежутками в четверть часа, налетал с гулким ревом сокрушительный шквал и вконец перепуганные буревестники разрывались от крика, и трещала по всей длине корабельная обшивка, и становились громче стенания несчастных, которых жребий предназначил в жертву смерти, слушал и вонзал себе в щеку иглу, чтобы было с чем сравнить их боль, и думал с затаенной радостью: «Они страдают во сто крат сильнее!» Я посылал им громкие проклятья, сулил им гибель, и мне казалось, что они должны, должны услышать! Я верил, что для ненависти не существовало ни расстоянья, ни акустических законов, верил, что мои слова дошли до слуха терпящих крушение и явственно звучат у них в ушах, хотя и приглушенные рокотом разгневанного океана. Я верил, что их снедает жажда мести, что они беснуются в бессильной злобе! Окрестные поселки мирно спали – я не раз оглядывал их и мог быть покоен: едва ли мне помешают насладиться гибелью всех до единого, никто не придет им на помощь, никто не знает, что в нескольких милях от берега тонет корабль, и только хищные птицы кружат над его сломанными мачтами да прожорливые морские чудища под его пробитым днищем, предвкушая добычу! Спасенья нет! Для верности я взял двустволку: вдруг кто-нибудь рискнет добраться вплавь до скал, тогда моя меткая пуля раздробит ему руку и не позволит уйти от судьбы. И точно: в самый разгар бури я заметил голову отчаянно борющегося с волнами смельчака. Его швыряло во все стороны, пенные гребни накрывали его и увлекали ко дну, он захлебывался, тонул. Но вновь и вновь выныривал, с волос его ручьями стекала вода, взор был устремлен к берегу, он, кажется, решил потягаться со смертью! Поистине прекрасное упорство! При вспышках молний было видно его лицо: отважное, благородное, с кровавой полосой – должно быть, от удара об острый подводный камень. То был юноша лет шестнадцати: первый пушок пробивался над его губой. Всего двести метров отделяли его от берега, так что мне было нетрудно разглядеть его. Какое мужество! Какой сокрушительный дух! Упрямо рассекая грудью волны, которые противились его усильям и норовили сомкнуться над его головою, он словно бросал вызов судьбе. Но все уже было решено. Я не мог отступиться от слова: все, все должны погибнуть, никому нет пощады! Я в том поклялся нерушимой клятвой… Треск выстрела – и голова исчезла, и больше ей не всплыть. Однако же эта смерть не принесла мне никакого особенного наслажденья, мне наскучило убивать; занятие это превратилось в застарелую привычку: я не мог от него отказаться, хотя давно уж притупилось удовольствие. Былая свежесть и живость чувств давно утратилась. Да и к чему смаковать смерть одного человека, когда вот-вот целая сотня их будет тонуть на моих глазах. Вдобавок это убийство было лишено даже прелести риска – людское правосудие почивало себе под теплым кровом в нескольких шагах отсюда, убаюканное завыванием ужасной ночной бури. Ныне, отягощенный бременем прожитых лет, я могу положа руку на сердце сказать – и это будет истинная правда: никогда не был я так жесток, как твердила молва, но бывало, что людская злоба безжалостно преследовала меня годами. И тогда я озлоблялся, впадал в жестокое неистовство и становился страшен для каждого, кто только попадался на моем пути, – если, конечно, он принадлежал к человеческому роду. Ибо других живых существ, будь то лошадь или собака, я не трогал, вы слышите? Не трогал никогда! Увы, как раз в ту ночь во мне взыграло буйство, разум мой помутился (обычно я бываю не менее жесток, но соблюдаю осторожность), и потому все, кому выпало повстречаться со мною, были обречены – я признаю это без всякого раскаяния. И не пытаюсь переложить вину на своих соплеменников. Просто говорю все, как оно есть, приговор же мне вынесет Страшный Суд, при мысли о котором меня заранее пробирает дрожь. Да что мне Страшный Суд! Мой разум ясен и никогда не помрачался, как я вам тут наплел для отвода глаз. Я знаю, что творю, когда свершаю преступленья – я жажду зла и только зла. Ветер трепал мои волосы, развевал полы плаща, а я все стоял на скале над бурною пучиной вод и с ликованием взирал на вакханалию стихий и на игрушку их, корабль; ослепли звезды, очи неба, час гибели его приспел. Я с торжеством следил за тем, как близился конец, я видел все: с той минуты, как началась схватка с ураганом, и до трагической развязки, когда морская бездна поглотила ковчег, что стал могилою для всех в нем обретавшихся. Но наконец настал и мой черед взойти на сцену и сыграть свою роль в сей пьесе, поставленной по прихоти самой Природы. Едва лишь опустело поле битвы и стало ясно, что судну предстоит навек обосноваться в самом нижнем этаже морского пансиона, все уцелевшие всплыли наверх. Они хватались друг за друга, сцеплялись по двое и по трое и таким образом как нельзя лучше помогали себе утонуть, так как мешали друг другу свободно плыть, они захлебывались и шли ко дну, как дырявые кувшины. А что там за стая чудовищ? Их шестеро, и все проворно рассекают плавниками буруны. Акулы! Минута – и все эти человеческие тела, барахтающиеся в воде, не находя опоры, превращаются в пузырчатый омлет, не менее лакомый от того, что в нем нет ни единого яйца, и шестерка сотрапезниц оспаривает друг у друга каждый кусок, лучшие же достанутся сильнейшей. Кровь перемешалась с водою, и вода перемешалась с кровью. Глаза людоедов горят ярким блеском и освещают, подобно фонарям, место кровавого пиршества. Но вот новое завихрение появилось вдали. Что-то похожее на смерч несется прямо сюда. Какая прыть! Ах, вот что! Гигантская акула-самка спешит отведать изысканного паштета да хлебнуть холодного бульона. Она голодна и потому разъярена. Она врезается в стаю сородичей, вступает с ними в схватку за куски растерзанной плоти, что застывшим ужасом торчат в кроваво-пенистой воде, как цукаты в малиновом креме. Огромные челюсти смыкаются и размыкаются, нанося соперницам смертельные раны. Но еще живы трое, и акула-великанша бешено извивается, уворачиваясь от них. А что же одинокий наблюдатель, там, на скалах, – о, он захвачен зрелищем невиданной морской баталии, волнение его нарастает. Он не сводит глаз с мощнозубой воительницы. Отбросив все колебания, он прицеливается и с обычной своею меткостью всаживает пулю точно в жабры одной из трех акул, едва лишь та на миг выпрыгиваю из воды. Врагов осталось двое, но тем безудержней их ярость. И Мальдорор, чья слюна солона, как морская вода, бросается вниз со скалы и, сжимая клинок, с коим он неразлучен, плывет туда, где словно накинут на море пестрый веселый ковер. Двое на двое – честный бой! Ловкий взмах – и Мальдорор вонзил кинжал в брюхо первой акулы. Вторую великанша без труда прикончила сама. И вот они плывут бок о бок: спаситель-человек и спасенная самка-акула. Но стоило им заглянуть друг другу в глаза, и они едва не отпрянули, встретив взор, излучающий жгучую злобу. И, плавая кругами, неотрывно глядя на другого, каждый думал: «Так, значит, есть на свете существо, в ком злобы еще больше, чем во мне». И наконец, в порыве восхищенья, оба разом рванулись навстречу друг другу; у акулы рули-плавники, у Мальдорора руки-весла, и оба, затаив дыханье, с благоговением и жадным любопытством глядят на собственный живой портрет, глядят впервые в жизни. Метра три осталось между ними – и тут, будто магниты, без малейшего усилья, они притянулись вплотную друг к другу и обнялись, точно нежные брат с сестрою. Прикосновенье разбудило плоть. И вот уж ноги Мальдорора страстно обхватили скользкое акулье тело, прильнули к нему, точно пара пиявок, а руки сплелись с плавниками в любовной горячке; два тела, опутанных сине-зеленой морскою травой, слились воедино; и под грохот бури, при блеске молний, на пенном ложе воли, как в зыбкой колыбели, подхваченные водным током, кружась и опускаясь глубже в бездну океана, влюбленные совокупились, и было их объятье долгим, непорочным и ужасным!.. Наконец-то нашел я свое подобие!.. Отныне я не одинок в этой жизни!.. Вот родственная мне душа, единомышленник! Вот моя первая любовь!

(14) Сена несет в своих волнах мертвое тело. И течение ее принимает подобающую обстоятельствам медлительность. Раздутый труп торжественно плывет по реке, подныривает под мостами и выплывает вновь, неторопливо поворачивается, как мельничное колесо, и по временам скрывается под водой. Встречный лодочник подцепляет его багром и тащит к берегу. Но, прежде чем свезти утопленника в морг, ему дадут полежать здесь, на земле: вдруг он еще очнется. Вокруг уж сгрудилась толпа зевак. Задним не видно, и они безбожно напирают на передних. А на уме у каждого одно: «Уж я-то не стал бы топиться». Кто жалеет юного самоубийцу, кто восхищается им, но следовать его примеру никто не собирается. Ему же, видно, казалось разумным покончить счеты с жизнью, в которой не нашел он ничего, достойного своих высоких устремлений. На вид ему лет семнадцать, не больше. В его-то годы умереть! Толпа застыла и глазеет молча. Но поздно. Потихоньку все расходятся… И никто не склонится к несчастному, никто не перевернет распростертое тело, чтобы вылилась наружу вода. Чинные господа в тугих воротничках – никто и пальцем не пошевелит, из страха прослыть чересчур сердобольным. Один отходит, тоненько насвистывая нечто невнятно-тирольское, другой – прищелкивая пальцами, как кастаньетами. В ту пору по берегу реки, с мрачной думой на челе, скакал Мальдорор. Увидев тело, он не стал раздумывать. Остановил коня и спрыгнул наземь. Нисколько не гнушаясь, приподнял он юношу и принялся его трясти, пока вода не полилась у него изо рта. При мысли, что он оживит это обмякшее тело, у Мальдорора сильнее забилось сердце, он заработал еще усерднее. Но все напрасно! Да-да, напрасно, верьте слову. Труп остается трупом и бессильно повисает на руках у Мальдорора, как тот его ни теребит. Однако Мальдорор упорен; не зная устали, он трет незнакомцу виски; растирает руки и ноги; целый час, уста в уста, вдувает воздух в его легкие. И наконец как будто ощущает трепет под ладонью, что прижата к груди утопленника. Ожил! О, если бы в этот чудный миг кто-нибудь наблюдал за хмурым рыцарем, он увидал бы, как расправились морщины на его лице, как, точно по волшебству, помолодел он на десяток лет. Увы, очень скоро морщины соберутся вновь: быть может, завтра, а может, и сегодня, не успеет он удалиться от берега. Ну, а пока спасенный юноша открыл еще не вовсе прояснившиеся глаза и бескровной улыбкой поблагодарил спасителя, но шевелиться он еще не мог – был слишком слаб. Спасти жизнь ближнему – прекрасное деянье! Оно одно искупает тьму прегрешений! До той минуты бронзовоустый мой герой был поглощен лишь тем, как вырвать юношу у смерти, теперь он всматривается в его черты и видит, что они ему знакомы. И в самом деле: этот едва не усопший юнец с белокурыми волосами похож на Гольцера, да уж не он ли это? Смотрите, как бросились они на грудь друг другу. И все же мой порфироглазый Мальдорор желает сохранить суровый вид. Не проронив ни слова, он усаживает друга перед собою на коня и пускается вскачь. Ну что же, Гольцер, мнивший себя столь мудрым и рассудительным, теперь ты, верно, знаешь по себе, как трудно в минуту отчаяния сохранять то самое спокойствие, которым ты гордился. Надеюсь, ты не станешь больше так огорчать меня, а я обещаю тебе никогда не покушаться на свою жизнь.

(15) Порою вшивокудрый Мальдорор вдруг замирает и настороженно вглядывается в небесный бирюзовый полог – глумливое улюлюканье некоего невидимого призрака чудится ему где-то рядом. Он содрогается, он хватается за голову, ибо то глас его совести. Как безумный, бросается он тогда вон из дому и мчится, не разбирая дороги, через морщинистые пашни. Но мутный призрак не теряет его из виду и так же быстро мчится следом. Иногда в грозовую ночь, когда стаи крылатых спрутов, издали напоминающих воронов, парят под облаками, направляя полет свой к городам, куда они посланы в предупрежденье, дабы люди одумались и исправились, – в такую ночь какой-нибудь угрюмый булыжник, бывает, увидит две промелькнувшие при вспышке молнии фигуры: беглеца и того, другого, – и, смахнув слезу невольного участия с каменной одежды, воскликнет: «Наверно, кара по заслугам!» Сказав же так, вновь погрузится в мрачное оцепененье, и только с затаенной дрожью станет наблюдать за этой травлей, за охотой на человека, а также и за тем, как друг за другом вытекают из бездонного влагалища ночи чудовищные сперматозоиды – сгустки кромешной мглы и поднимаются в грозовой эфир, расправив перепончатые, как у летучей мыши, крылья и застилая ими горизонт, так что даже легионы спрутов меркнут перед этой слепой и безликой лавиной. Меж тем стипл-чейз29Стипл-чейз – один из видов скачек. продолжается, соперники не сдаются, и призрак изрыгает огненные струи и обжигает спину человека, бегущего быстрее лани. Грозный призрак лишь выполняет свой долг, если же путь ему преградит жалость, он хоть и сморщится брезгливо, но уступит ее мольбам и отпустит человека. Прищелкнув языком в знак того, что погоня окончена, он возвратится в свое логово и не покинет его до нового приказа. Когда душераздирающий, разносящийся по всем уголкам вселенной рев его проникнет в душу человека, тот рад скорее умереть лютой смертью, чем терпеть муки совести. Он пробует зарыться поглубже в землю, но эта страусиная уловка не спасет его от совести. В один миг, как капля летучего спирта, испарится его земляное убежище, в нору ворвется свет, падут, как стая куликов на заросли лаванды30… как стая куликов на заросли лаванды … – цитата из «Писем с моей мельницы» Альфонса Доде (начало первого письма)., острые стрелы лучей, и бледный человек окажется лицом к лицу с самим собой. Однажды на моих глазах такой несчастный помчался к морю, вскарабкался на утес, исхлестанный гривастыми волнами, и бросился вниз головою в бездну. Наутро тело всплыло, и волны прибили его к берегу. И вдруг, о чудо! – вчерашний утопленник воспрял, оставив отпечаток на песке; отжал промокшие волосы и, мрачно потупившись, пошел своей дорогой. Да, совесть строго судит слова, дела и даже потаенные наши мысли, ее не обмануть. Но поелику предупредить зло часто не в ее силах, она ожесточенно травит человека, как охотник травит лису, наипаче усердствуя ночью. Во мраке ее глаза – ученые по неведению называют эти светочи метеорами – горят зеленым огнем, она вращает ими, она произносит таинственные слова, но смысл их внятен человеку! И он мечется без сна на своем ложе и со страхом вслушивается в зловещее дыханье тьмы. Сам ангел, что бдит у его изголовья, сражен наповал камнем, метко пущенным невидимою рукою, и, оставив свой пост, бежит на небеса. Но на сей раз я, ниспровергатель добродетелей, стану заступником человека, – я, тот самый Мальдорор, кто однажды, в достопамятный для Творца день, низверг небесные анналы, оскверненные гнусною ложью о мнимом Его всесилии и бессмертии; кто впился ему в подмышки своими щупальцами о четырехстах присосках, так что он зашелся страшным криком. Вылетая из уст его, крики эти превращались в гадюк, и полчища гадючьи падали на землю и хоронились кто где: под колючими кустами, под замшелыми камнями, чтобы днем и ночью стеречь добычу. Вопли воплотились в гадов, чешуйчатые плети переплелись, змеи с расплющенными головками и злобными глазками поклялись погубить невинность, сжить ее со свету, и отныне не дают ей ступить ни шагу; лишь только забредет она в песчаные дюны, каменные руины, заброшенный сад, как спешит скорее повернуть вспять. И хорошо, коли это ей удается, иной же раз не успеет невинный человек отойти от опасного места, как чувствует, что яд от крошечного, незаметного укуса на ноге уже коварно проник в его кровь. Поистине трезвость мысли никогда не изменяет Создателю: из собственных мучений и то сумеет он извлечь выгоду, даже их сумеет обратить на погибель своим чадам. Но как же он вострепетал, узрев перед собою Мальдорора в обличье спрута, нацелившего на него все восемь исполинских щупалец, из коих каждое могло бы, точно жгут, обвить собою всю планету. Поначалу захваченный врасплох Творец еще пытался вырваться из студенистых, сжимавших его тело с нарастающею силою объятий, потом затих… но я опасался подвоха и потому, напившись вдоволь священной крови, отпрянул от своей почтенной жертвы и ускользнул в пещеру, что служит мне пристанищем и ныне. Сколько ни искал разгневанный Господь, он не нашел меня. С тех пор прошло уж много времени, я полагаю, что мое убежище давно уже не тайна для него, однако же войти в мою пещеру он не смеет; и мы живем бок о бок, точно враждующие короли сопредельных стран, уставшие от бесполезных войн, в которых не победить никому, ибо силы равны. Он остерегается меня, как я его, и хотя никогда ни один из нас не был побежден другим, каждый не раз испытал, на себе силу противника и воздерживается от нападения. Но я готов возобновить борьбу, как только будет угодно моему недругу. И пусть не ждет удобного случая, чтобы взять меня хитростью. Я бдительно слежу за ним. И пусть не посылает на землю совесть с ее пытками. Я научил людей, как без труда справляться с нею. Возможно, они еще не успели понатореть в сем искусстве, но уж для меня-то, как тебе должно быть известно, совесть – не большая помеха, чем солома, которою играет ветер. Такой же пустяк. Впрочем, пожелай я углубиться в поэтические тонкости, я бы сказал, что солома представляется мне все же предметом более значительным, чем совесть, от нее есть прок – она годится скоту на жвачку, тогда как от совести проку никакого, она только и умеет, что выпускать свои стальные когти. Однажды она было хотела попробовать их на мне, но потерпела позорное поражение. Я не позволил ей преградить мне путь, так как она была послана Господом. Прояви же она смирение и кротость, каковые приличествуют ее сути и от которых не след ей было отрекаться, – и я бы выслушал ее. Заносчивость же мне не по нраву. Одной рукой я обломал ей когти, сжал в кулаке и стер их в порошок, как в ступке. Другою – оторвал ей голову. После чего кнутом прогнал прочь эту двуличную особу и более никогда ее не видел. Но голову сохранил в память о своей победе… Вгрызаясь в темя мертвой головы, не выпуская ее из рук, вскарабкался я на кручу и замер, точно цапля, на одной ноге над пропастью, затем спустился вновь в долину, и что же, глядите: крепка и бестрепетна грудь моя, как хладный гранит саркофага! Вгрызаясь в темя мертвой головы, не выпуская ее из рук, нырнул я в пучину вод, скользнул меж погибельных скал и, опустившись в глубину, ласкал свой взор отменным зрелищем: глядел, как бились меж собою морские чудища; я заплыл далеко от берега, так далеко, что даже зоркий глаз мой не различал его, и мерзкие спазмейки, что насылают паралич, так и вились вокруг, но не смели коснуться моих рук или ног, могучими гребками преодолевавших волны. И снова вернулся я на берег, и что же, глядите: крепка и бестрепетна грудь моя, как хладный гранит саркофага! Вгрызаясь в темя мертвой головы, не выпуская ее из рук, я шаг за шагом одолел ступени высочайшей в мире башни. Ноги мои подгибались от усталости, но я взошел на самый верх. Оттуда, с головокружительной высоты, обозрел я равнину и море, солнце и небосвод, а затем оттолкнул башню мощной пятою (она, однако, устояла) и, презирая смерть и божью кару, с победным воплем прыгнул камнем вниз и полетел в разинутую глотку пустоты. Люди внизу услыхали тяжкий, гулкий грохот – то грянулась о землю голова – я уронил ее, пока летел. Меня же подхватило невидимое облако, и я опустился плавно, точно паря на птичьих крыльях, и снова подхватил мертвую голову, дабы она могла узреть тройное злодеянье, которое я намеревался свершить теперь же; и что же, глядите: крепка и бестрепетна грудь моя, как хладный гранит саркофага! Вгрызаясь в темя мертвой головы, не выпуская ее из рук, направил я свои стопы туда, где возвышалась гильотина. И живописно уложил под нож три гибких выи трех прелестных дев. Рукою мастера заплечных дел (станешь мастером, когда такая жизнь за плечами!) я дернул шнур, и треугольный нож упал, скосив все три главы, взиравших на меня с смирением и лаской. Вслед за этим я подложил под смертоносное лезвие свою собственную голову, и другой палач взялся за дело. Трижды падал исполинский нож, трижды поднимался и, набрав высоту, вновь скользил вниз; трижды весь мой костяк, а более всего основание шеи жестоко сотрясались под ударом, как в страшном сне, когда пригрезится, что на тебя обрушились стены дома. Когда же, цел и невредим, я сошел с эшафота, изумленные очевидцы попятились передо мною, и, прокладывая локтями путь в колышущемся людском море, я пошел с высоко поднятой, несломленною головою – и что же, глядите: крепка и бестрепетна грудь моя, как хладный гранит саркофага! Я обещал, что на сей раз вступлюсь за человека, но боюсь уклониться от истины, а потому умолкаю. И благодарное человечество будет восторженно рукоплескать этому столь своевременно проснувшемуся чувству меры!

(16) Пора, пожалуй, мне несколько умерить воображенье и сделать передышку, подобно тому как, бывает, замрешь вдруг посреди любовных утех, вперившись взором в женское лоно; полезно обозреть достигнутое, а уж потом, набравшись новых сил, мощным рывком устремиться к цели. Преодолеть весь путь единым махом – задача не из легких; в долгом полете, когда не манит надежда и не гонит раскаянье, лишь утомятся крылья. Так уймем же на время разъяренную свору зубил и заступов, не станем углубляться в гремучие недра сей нечестивой песни! Она подобна зловонному потоку блевотины, извергшейся из пасти крокодила, который уж и сам не волен изменить в ней хотя бы слово. А если кто-нибудь, движимый похвальным намерением отомстить за незаслуженно обиженное мною человечество, откроет потихоньку мою дверь, неслышно, как крыло альбатроса, скользнет вдоль стены и вонзит кинжал в бок осквернителя священной рухляди, – что ж, пусть! Из праха вылеплена плоть моя и рано или поздно распадется в прах.

ПЕСНЬ III

(1) Как звали тех ангелоподобных, тех озаренных внутренним сиянием существ, что рождены моей фантазией и оживлены моим пером во второй песне? Едва появившись на свет, они гаснут, как искры, что пробегают по краю обгоревшей бумаги и исчезают прежде, нежели глаз успеет уследить за ними. Леман!.. Лоэнгрин!.. Ломбано!.. Гольцер!.. Украшенные всеми дарами цветущей юности, лишь на миг промелькнули вы в моем царстве грез и вновь, послушные моей воле, погрузились во мрак, как водолазы в колоколах погружаются в морские глубины. Вам больше не воскреснуть. Довольно и того, что вы оставили след в моей памяти, теперь же вам на смену явятся другие, хоть, может быть, не столь прекрасные, предметы моей неистовой любви, которую не могут утолить живые люди. В голодном раже она пожрала бы сама себя, когда б не находила пищи в волшебных миражах; настанет время – она наплодит целый сонм эфирных духов, которых будет больше, чем микроскопических тварей в капле воды, и которые плотным кольцом завихрятся вокруг нее. Случись на ту пору рядом одинокий странник, он замрет в смущенье перед подобьем пенноструйного водопада; вглядевшись же, различит вдали нечто необычайное: человека, влекомого в бездну преисподней живой цепью летучих камелий! Но… тише! Вот робко и неясно, как проблески зари на небе севера, забрезжил в смутных глубинах моего сознания образ следующего, пятого по счету кумира, вот он сгущается, становится отчетливей…

Мы с Марио мчались берегом реки. Наши кони вспарывали плотный воздух, неслись, вытянув шеи и высекая искры из камней, что попадали под копыта. Ветер бил нам в лицо, запутывался в наших плащах и развевал наши власы, мы походили друг на друга, точно пара близнецов. И чайка с тревожным криком металась, пророча грозу. «Куда спешат они, куда стремят свой бешеный галоп?» – вопрошала она. Но мы, как зачарованные, не чуя ничего вокруг, предавшись воле неистовых скакунов, безмолвно летели вперед; и встречный рыбак при виде всадников, подобных быстрокрылым альбатросам, спешил осенить себя крестным знамением и укрыться вместе с жалобно скулящим от страха псом в ближайшей пещере, уверенный, что это «заколдованные братья», прозванные так потому, что всегда неразлучны. На побережье ходят легенды об этих загадочных всадниках, рассказывают, будто их появление всякий раз предвещает великие бедствия: кровавую войну, что заносит грозную секиру над головами соседствующих народов; или холеру, что простирает смертоносную десницу над многолюдными городами. Почтенные старцы, не первый десяток лет грабящие суда, что терпят крушение у здешних берегов, говорят, значительно хмуря брови, что эти два призрака, испокон веков реющие в бурю над дюнами и рифами на своих широчайших черных крыльях, суть дух земной тверди и дух морской хляби, являющие миру свое величие в часы, когда бушуют стихии, и повергающие в изумленье каждое новое колено человеческого рода. Прибавляют еще, будто обычно они парят крыло к крылу, как кондоры в скалистых Андах, описывая круги возле самого солнца, где чистейшие флюиды света служат им пищей, и лишь с великой неохотой спускаются с небесных высей к ненавистной орбите, по которой мечется, как в лихорадке, злосчастная планета, населенная кровожадными созданьями, что беспрерывно истребляют друг друга на поле брани под вой и рев жестокой сечи (а то и по-иному: в мирных городах, коварно и тайком вонзая в сердце ближнему клинок жестокой ненависти или зависти) да безжалостно пожирают других тварей, которые хоть и являются существами низшего порядка, но так же, как они, наделены даром жизни. Если же порой, воспылав желанием склонить людей к раскаянью своим пророческим глаголом, они решительными гребками направляются по волнам звездного океана туда, где мельтешит пресловутая планета, едва заметный издали шарик, окутанный густым смрадом, исходящим от него, как от помойной ямы, – смрадом, в котором смешались жадность, гордыня, злорадство, порок, – то им довольно скоро приходится раскаяться в своем благом порыве; отринутые и освистанные, спешат они укрыться в недрах вулканов, где им ласкает слух рев пламени, бурлящего в подземных чанах; или на морском дне, где их истерзанный взор отдыхает на хищных чудищах глубин, что кажутся кротчайшими созданьями в сравненье с племенем двуногих выродков. Когда же опускается благодетельная ночь, они устремляются наружу из увенчанных порфировым гребнем кратеров или из черных морских бездн, уносятся ввысь, оставляя позади землю, сей горшок в шипах и зазубринах, где ерзает в мучительных потугах голый зад человечества, подобного стае крикливых какаду, и не оглядываются, пока этот подвешенный в пространстве сгусток мерзости совсем не скроется из глаз. Тогда, удрученные неудачей, средь братски-соболезнующих звезд и пред всевидящим Господним оком, рыдают, тесно обнявшись, два ангела: дух тверди и дух хляби!..

Два всадника, Марио и его мрачный спутник, конечно же, знали о суеверных слухах, которые шепотом передают друг другу местные рыбаки, теснясь у камелька, при затворенных ставнях и дверях, меж тем как студеный ветер ночи с воем вьется вокруг убогой хижины и просится в тепло, и сотрясает стены, что понизу обложены ракушками, предсмертными дарами волн. Но мы молчали. К чему слова двум любящим сердцам? В них нет нужды. Их заменяет взгляд. Вот глазами я ж сказал ему, чтобы он поплотнее укутался в плащ, а он мне – что мой скакун чуть вырвался вперед, мы оба переполнены заботой друг о друге, и обоих нас терзает скорбь. Вот мой Марио силится улыбнуться, но я-то вижу, как омрачено его лицо тяжелыми и неотступными раздумьями о сфинксовых загадках бытия, коварно заводящих в тупик умы пытливых смертных. Поняв, что ему меня не обмануть, он потупился и, с пеною у рта прикусив свой язык, устремил тоскливый взор на бесконечную дорогу и ускользающий горизонт. Я тоже силюсь подбодрить его, говорю, что он еще совсем юн, а юность – золотая пора, юность подобна королеве, чьи дни протекают в чудесных дворцах средь беззаботных наслаждений, но Марио видит, с каким трудом мои поблекшие уста выдавливают эту ложь, он знает: моя собственная юность, унылая, холодная, прошла, как безотрадный сон, и всюду: на пирах и на атласном ложе усталой жрицы сладострастья, что куплена за горсть монет, – мне было уготовано все то же: горький хмель разочарования, постыдные морщины ранней старости, отчаяние одиночества и обжигающие угли боли. Поняв, что мне его не обмануть, я явственно представил Вседержителя в кровавом блеске ужасающих орудий пытки, потупился и устремил свой взор на бесконечную дорогу и ускользающий горизонт… А два коня летели вскачь, спасаясь от людского взгляда. Мой Марио так юн, ночная сырость и долетающие с берега соленые брызги леденят его губы. «Будь осторожен! – заклинаю я. – Будь осторожен! Сожми скорее губы: гляди, они растрескались, как будто их исцарапали до крови злые когти». Но бестрепетно взирает он на меня и отвечает, не сжимая и не раздвигая губ. «О да, я вижу эти когти, но противиться им не стану и даже не пошевельну губами. Вот так: смотри и убедись. Раз это воля Провиденья, я покорюсь. Пусть устыдится, глядя на меня, убожества своей фантазии». – «Возвышенная месть!» – воскликнул я. Что оставалось, как не рвать на себе волосы, и я уж было принялся, но строгий взор его остановил меня, и я почтительно повиновался. Уже совсем стемнело, уже орел пронесся над нашими головами, возвращаясь в свое гнездо в расщелине скалы. И тогда Марио сказал: «Возьми мой плащ, укройся от стужи, а я обойдусь и так». Но я вскричал: «Не смей и думать! Я не позволю, чтобы вместо меня страдал кто-нибудь другой и уж тем более ты!» Он промолчал, ибо я был прав, но в душе я укорял себя за излишнюю резкость… А два коня летели вскачь, спасаясь от людского взгляда… Но вот я встрепенулся, как челнок, подброшенный высокою волною, и воскликнул: «Ты плачешь? Ответь мне, о мой принц холодных снегов и жемчужных туманов. Хоть на твоем лице, прекрасном, как цветущий кактус, нет слез и сухи, как дно пересохшего озера, твои веки, но в глубине твоих глаз я вижу чан, наполненный кипящей кровью, а в нем – твоя невинность, и в горло ей вцепился ядовитый скорпион. Порывы ветра раздувают пламя под котлом, и языки этого мрачного огня вырываются наружу. Так что, наклонившись было к тебе, я тут же и отпрянул, почуяв запах гари – то вспыхнули волоски у меня на голове. Скорей закрой глаза, иначе лицо твое жидкою лавой стечет в мои раскрытые ладони». И Марио повернулся ко мне всем телом – натянутые поводья ему не помешали – устремил на меня нежный взор и долго глядел, помаргивая кротким веком с мерностью набегающих и отступающих волн прибоя. И вот что он ответил: «Успокойся. Твоя тревога подобна туману, что клубится над рекой: он поднимается по склонам холмов, а, достигнув вершины, сгущается и уплывает в небо причудливыми облаками; так и твои опасенья мало-помалу и без всякой причины разрослись и обратились в чудовищный мираж, реющий в твоем воображенье. Нет никакого огня в моих глазах, хотя мне в самом деле кажется, будто голова моя втиснута в раскаленную железную каску. Неправда, что моя невинность погружена в кипящий котел, хотя мне в самом деле слышатся глухие стоны, но, верно, это завывает ветер. Не может быть, чтобы в моих глазницах угнездился скорпион и больно жалил нерв, хотя мне в самом деле больно, словно кто-то мощными щипцами рвет глаза. И только в одном ты не ошибся: тот чан действительно наполнен моею кровью – прошлой ночью, пока я спал, невидимый палач выпустил ее из моих жил. Я ждал тебя, возлюбленный сын океана, долго ждал и почти заснул, так что, когда тот, другой, проник в мой дом, мои ослабевшие руки не выдержали схватки с ним… О да, душа моя заперта на засов в тесной каморке тела и не может вырваться, чтобы навек покинуть берега угрюмого моря человеческих страстей, чтобы не видеть больше, как мерзостная свора забот и бед неумолимо преследует людские табуны, точно стада быстроногих серн, и загоняет их в непролазные топи да на крутые обрывы, которыми изобилует томительный путь земной. Но все равно, я не стану роптать. Дар жизни – что удар кинжала, и я мог бы легко залечить эту рану, наложив на себя руки, но поклялся не делать этого. Пусть каждый час нескончаемой вечности моя отверстая грудь будет перед глазами Творца. Так я желаю наказать его. Однако наши железные кони, кажется, замедлили бег, они дрожат, как охотник перед клыками злобных кабанов. Им вовсе незачем прислушиваться к нашим речам. Внимание разовьет в них разум, не ровен час, они научатся нас понимать. И им придется худо. Разве не убеждает в этом пример людей, которым пришлось заплатить за разум, пусть он и выделяет их средь прочих божьих тварей, бесчисленными страданиями? Вонзи же, как и я, серебряные шпоры в лошадиные бока…» А два коня летели вскачь, спасаясь от людского взгляда…

(2) Глядите, идет полоумная нищенка, – идет, приплясывает на ходу, бормочет что-то несуразное. Дети швыряют в нее камнями, как в гадкую черную птицу. Она же грозит им клюкою, распугивает да бредет себе дальше. Башмак свалился с ее ноги и остался где-то на дороге – она и не заметила. Спутанные патлы на затылке, похожие на клубок пауков, – это ее волосы. Ни проблеска сознания в лице, а смех ее – хохот гиены. Обрывки слов срываются с ее уст, но мало кто мог бы составить из них нечто осмысленное. Драный подол хлещет ее по костлявым, забрызганным грязью лодыжкам. Она похожа на лист, сухой тополевый лист; слепой инстинкт, как равнодушный ветер, влечет ее по жизни, и лишь в глубинах помраченного рассудка мерцают тусклые воспоминанья. Былая красота исчезла, милой женственности нет и следа, она ковыляет, шаркает, винным перегаром смердит ее дыхание. И раз такое возможно на этой земле, то надо ль удивляться, что в нашем мире нету счастья! Но жалоб и упреков от нее никто не слышал, она горда, она не станет отвечать на расспросы любопытных, она унесет свою тайну в могилу. Дети швыряют в нее камнями, как в гадкую черную птицу… Какой-то свиток выпал на дорогу из складок рубища. Его подобрал случайный прохожий, отнес домой и читал всю ночь напролет. И вот что он узнал: «У меня долго не было детей, пока наконец Провидение не послало мне дочь. Три дня на коленях благодарила я Господа, услышавшего мои молитвы. Я выкормила девочку грудью, и она стала мне дороже жизни. Малютка росла не по дням, а по часам, и я нарадоваться не могла, глядя, как она хорошеет и умнеет. „Жаль, что у меня нет сестренки, – часто говорила она мне, – мы бы играли с ней вдвоем. Попроси Боженьку, пусть пошлет мне сестренку, а я за это сплету ему веночек из фиалок, мяты и герани“. В ответ я крепко обнимала и нежно ее целовала. Ей нравились звери и птицы, и она спрашивала, отчего ласточки только снуют близ стен человеческих жилищ, но никогда не залетают внутрь. Но я лишь прижимала палец к губам, как будто то была великая тайна, – я не хотела прежде времени ранить ее детскую душу и спешила отвлечь ее от предмета, тягостного для каждого, кто принадлежит к племени людей, неправедно утвердившему свое владычество над прочими живыми существами. Она любила гулять на кладбище, где так чудесно пахнут кипарисы и бессмертники, и я не перечила ей, я говорила, что кладбище – это птичий город, днем жители его поют, порхают по деревьям, а на ночь забираются под каменные плиты, где у них устроены гнездышки и живут маленькие детки. Я сама шила для нее платьица, сама плела затейливые кружева для праздничных нарядов. Зимними вечерами она чинно, как большая, сидела у камина, а летом ее легкие ножки ласкали гладь лугов, она гонялась с шелковым сачком за вольными колибри и капризными бабочками. „Где ты, бродяжка? Суп дожидается тебя целый час, и ложка скучает без дела у тарелки!“ – журила я ее. Она бросалась мне на шею и обещала, что больше никогда не опоздает. Но на другой же день вновь убегала на залитые солнцем поляны, где стлались под ноги ромашки с резедою и плясали над землей беспечные поденки. Ей были ведомы лишь радужные покровы жизни, глубин же, напоенных желчью, она пока не знала и потому резвилась, как котенок, кичилась пред синицей – ведь та была совсем мала, насмехалась над кукушкой – зачем та не умеет петь по-соловьиному, показывала исподтишка язык противному ворону, а тот отечески поглядывал на несмышленыша. Но недолгой была моя радость, близился час, когда померк для моей девочки божий мир, исчезло все, что тешило ее, и она больше не услышала воркованья веселых горлиц, лепета тюльпанов и анемонов, неспешного шепота болотных трав, задорной перепалки лягушек и прохладного плеска ручьев. Увы, меня не было с нею рядом, и мне обо всем рассказали люди. Я не дала бы умереть моей дочке, моему невинному ангелу, я скорее умерла бы сама… Это был Мальдорор, это он, гуляя со своим бульдогом31… Мальдорор … гуляя со своим бульдогом … – Аналогичная сцена встречается в «Истории Жюльетты» де Сада., увидел спящую в тени платана девочку, которую вначале принял за цветок. Злой замысел созрел в его уме едва ли не быстрее, чем глаз успел узреть дитя. Он деловито, не теряя времени, разделся. Оставшись наг, как червь, накинулся на девочку, задрал ей платье и приготовился лишить ее невинности… и это среди бела дня! Ему неведом стыд!.. И гнусное деяние – описывать его нет сил – свершилось. Но этого злодею показалось мало: одевшись и настороженно оглядев пустынную дорогу, он подозвал бульдога и приказал схватить железной хваткой и задушить несчастное дитя. Но, показав то место, где лежит стенающая жертва, он сам поспешно отошел, чтобы не видеть, как острые бульдожьи зубы вопьются в розовые вены. Но пес… пес ужаснулся приказу. И решил, что не понял, что хозяин, верно, хочет, чтоб он проделал то же, чему он сам был только что свидетелем, и это чудище, это мордастое пугало еще раз надругалось над хрупким детским тельцем. Вновь обагрили траву кровавые струи. Вновь громко стонет малютка, и насильник-пес рыдает с нею вместе. Дрожащею рукой она вытягивает пред собой золотой нательный крестик и умоляет пощадить, – прибегнуть к этому заступничеству раньше она и не пыталась, как будто знала, что распятие не остановит святотатца, который посягнул на беззащитного ребенка. Но псу был ведом нрав хозяина, он знал, что ждет его за неповиновение: взмах хозяйской руки – и пущенный ловким броском нож вонзится ему в брюхо. Конечно, Мальдорор – о, это проклятое имя! – слышал крики смертельных мук и не мог не подивиться, до чего живучей оказалась жертва. Он вернулся к месту заклания – и что же видит: его бульдог во власти похоти, и задранная морда над распростертым телом болтается, как голова утопающего, которую захлестывают волны. Что есть силы пнул Мальдорор песью голову и вышиб бульдогу глаз. Обезумев от боли, пес рванулся прочь, увлекая за собою безжизненное тело, которое тащилось за ним по земле – пусть только несколько секунд, но и это слишком много, пока, мощными скачками набрав скорость, пес не стряхнул его. Он не осмелился напасть на хозяина, но покинул его навсегда. Меж тем Мальдорор достал из кармана американский ножик с дюжиною лезвий на все случаи жизни. Раскрыв их все, он превратил свое оружие в стальную гидру с негнущимися лапами; и, видя, что еще не вся поляна затоплена кровью, взмахнул своим диковинным ланцетом и вонзил его в истерзанное лоно девочки. Вспорол ей живот и вырвал все внутренности поочередно; легкие, печень, кишки, а под конец и сердце через чудовищный разрез извлек на свет. Однако же, заметив, что несчастная, которую он потрошил, как хозяйка цыпленка, давно мертва, умерил пыл и скрылся, оставив тело девочки под тенистым платаном, на том же месте, где нашел ее уснувшей. Там ее и нашли, а неподалеку валялся раскрытый ножик. Убийца оставался неизвестен, пока не объявился некий пастух, видевший все своими глазами, но молчавший до тех пор, пока не убедился, что злодей уже пересек границу и не станет мстить ему за разоблачение. Мне жаль безумца, совершившего сие неслыханное преступление, не предусмотренное никаким законодательством. Мне жаль его, ибо он, скорее всего, был не в своем уме, когда ножом о двенадцати лезвиях кромсал кишки и жилы. Мне жаль его, ибо если он все-таки в здравом рассудке, то лишь неистовая ненависть к себе подобным могла ожесточить его настолько, чтобы он бросился терзать такое безответное созданье, как мое невинное дитя. Покорно и молчаливо смотрела я, как предают земле останки дочери, и с той поры каждый день прихожу молиться на ее могилу». На этом рукопись кончалась, и, дочитав ее, прохожий, подобравший свиток на дороге, упал без чувств. Придя ж в себя, поспешно сжег бумагу. Он забыл, он совсем забыл об этом случае из своей молодости (их было столько, все и не упомнишь!) и вдруг теперь, спустя двадцать лет, вновь очутился на месте кровавого подвига. Но теперь уж он не станет заводить бульдога!.. Не станет заговаривать с местными пастухами!.. И ни за что не станет спать в тени платанов!.. Дети швыряют в нее камнями, как в гадкую черную птицу.

(3) В последний раз коснулся Тремдаль руки добровольного изгнанника, вечно бегущего от вечно преследующего его призрака Человека… Точно Вечный Жид, скитается он по белу свету и знает, что давно бы обрел покой, когда бы скипетром царя природы был наделен, к примеру, крокодил. Тремдаль стоит в лощине, прикрыв глаза ладонью от яркого солнца, и жадно смотрит на друга, а тот идет, подобно слепому, ощупывая вытянутой рукою пустоту. Подавшись вперед и застыв – изваяние скорбного брата, – Тремдаль не отрывает взгляда своих бездонных, точно океан, очей от пары кожаных гетр, мелькающих вдали, – то карабкается по крутому склону, опираясь на окованную железом трость, одинокий странник. И Тремдаль готов лететь за ним вслед, не в силах сдержать ни льющихся из глаз слез, ни рвущихся из груди чувств.

«Он уже далеко, – думает Тремдаль, – вон крохотная фигурка на узкой тропе. Куда направил он свои стопы? Бредет наугад… Но… уж не сплю ли я? – нет-нет, я ясно вижу: что-то черной тучей надвигается на Мальдорора! Дракон! Огромный, как парящий в воздухе столетний дуб! Взмахи белесых суставчатых крыльев на удивление легки – не иначе как в них стальные жилы. Тигриный торс, змеиный хвост. Сроду не видывал этакого страшилища. И надпись на лбу. Какие-то таинственные знаки, которых мне не разобрать. Еще один могучий взмах крыла – и вот он рядом с Мальдорором, рядом с тем, чей голос запечатлен в моей душе навеки. „Я ждал тебя, – сказал дракон, – мы оба ждали встречи. Час пробил, я явился. Прочти иероглифы на моем челе, и ты узнаешь мое имя“. Но Мальдорор, едва завидев врага, преобразился в огромного орла и, изготовясь к бою, нацелившись на хвост дракона и предвкушая лакомую добычу, защелкал хищным клювом. Приглядываясь да примериваясь друг к другу, противники описывают в воздухе круги, все уже, уже, как должно перед схваткой. Насколько я могу судить, дракон сильнее, и я желал бы, чтобы победа досталась ему. Дрожь бьет меня – ведь в этот поединок вовлечена частица моего существа. Я стану ободрять тебя криками, о могучий дракон, я сделаю это ради орла, ибо поражение будет для него благом. Чего же оба ждут, зачем не начинают битву? Меня снедает нетерпенье. А ну, дракон, вперед! Ага, ты зацепил орла когтями за крыло, отлично! Ему пришлось несладко, гляди, как разлетаются во все стороны перья, его гордость! Эх! Он вырвал тебе око, а ты лишь расцарапал ему грудь – так не годится! Браво! отыграйся теперь ты, сломай ему крыло, покажи крепость твоих тигриных зубов! Теперь бы наподдать ему еще, покуда он летит на землю вверх тормашками! Но орел, даже поверженный, внушает тебе трепет. Вот он упал и больше не взлетит. Он весь в кровавых ранах – да возликует мое сердце! Дракон, спустись пониже, хлещи его чешуйчатым хвостом, прикончи, если сможешь. Смелей, мой славный дракон, вонзай поглубже свирепые когти, пусть струи крови сливаются в бурлящие ручьи – ручьи, в которых нет ни капли воды. Увы, легко сказать, да трудно сделать. Орел хитер и даже в столь тяжком положении сумел придумать оборонительный маневр. Уселся, растопырив хвост, что служил ему прежде рулем, и прочно опершись на лапы и невредимое крыло. Теперь ему нипочем любые удары, хоть бы они превосходили все прежние атаки. Тигриным лапам не застать его врасплох: стремительно и без устали уворачивается он от них, а не то опрокидывается навзничь и, выставив устрашающие когти, насмешливо глядит на врага. С грозным видом подскакивает орел, так что сотрясается земля, он хочет напугать дракона, хоть знает, что ему уже не оторваться от земли. А дракон все опасается, как бы враг не налетел на него со стороны слепого глаза… Ах, я глупец! Ведь так и получилось! Как мог дракон подставить грудь?! Теперь уж не спасет ни хитрость, ни сила, орел прильнул к нему, вцепился, как пиявка, нечувствительный к новым ударам, которыми осыпает его противник, и, расклевав его чрево, засунул голову до самой шеи внутрь. Он не торопился выныривать. Он словно что-то ищет, а дракон-тигроглав страшным ревом оглашает окрестные леса. Но вот из прорытой в драконьем теле норы показалась голова. Орел кровавый, кровью обагренный, о, как ты страшен! И хоть сжимаешь в клюве трепещущее сердце врага, но сам изнемогаешь от ран и шатаешься на ослабевших лапах, дракон же хрипит и бьется рядом, хрипит и испускает дух. Ну что ж, от правды не уйдешь: ты победил, хотя победа далась нелегко… Дракон убит, орлиный облик больше ни к чему, и ты вполне законно принимаешь прежний вид. Итак, свершилось, ты победитель, Мальдорор! Свершилось: ты убил Надежду! Отныне холодное отчаянье станет точить тебя и питаться твоею плотью! Отныне тебя ничто не остановит, и ты без оглядки пустишься стезею зла! На что уж я пресыщен зрелищем мучений, но боль, которую ты причинил дракону, передалась и мне. Ты видишь сам, как я страдаю! И ныне я боюсь тебя. Глядите, глядите, люди, на этого, уходящего вдаль! Семя порока нашло в нем благодатную почву и породило пышное древо, он проклят и несет проклятье каждому, кого коснется. Куда ты держишь путь? Куда идешь неверным шагом, точно сомнамбула по гребню крыши? Да свершится участь твоя, нечестивец! Прощай же, Мальдорор! Прощай навек, нам, более не свидеться с тобою ни в этой жизни, ни за гробом!»

(4) Стоял погожий весенний день. Птицы небесные распевали на все голоса ликующие песни, а люди предавались бесчисленным работам, обливаясь святым потом тружеников. Все в природе: планеты, деревья, морские хищники – прилежно выполняло свой долг. Все, кроме самого Творца! В рваных одеждах валялся он на дороге32В рваных одеждах валялся он на дороге – Французский исследователь Лотреамона Пьер Карпец нашел источник, к которому восходит описание пьяного Творца, Это статья Луи Вейо в газете «Univers» за 25 мая 1868 г.. Нижняя губа его отвисла, приоткрыв давно не чищенные зубы, пряди золотистых волос разметались в пыли. Тело, скованное тяжким оцепененьем, распростерто на камнях, и тщетны все попытки встать. Он лежал, лишенный сил, беспомощный, как червяк, и бесчувственный, как пробка. Порою дрожь пробегала по его плечам, и тогда ручейки из винной лужи затекали под спину. Свинорылое скотство заботливо сомкнуло над ним свои крылышки и умиленно на него взирало. Ноги, огромные, как корабельные мачты, бессмысленно скребут дорогу, не находя опоры. Падая, он угодил лицом в столб, и кровь течет из его ноздрей… Он пьян! Постыдно пьян! Как клоп, что высосал три бочки крови за ночь! И эхо разносило по округе разнузданную брань, которой я не смею повторить, ибо еще не дошел до такого бесстыдства, как этот божественный забулдыга. Всевышний пьян – кто б мог поверить?! Святые губы лакали из чаши хмельного застолья – возможно ль! Пробегал мимо еж и вонзил ему в спину свои иглы и сказал: «Вот тебе. Солнце стоит высоко в небе, встань же, бездельник, встань и трудись, кормись своим трудом. Вставай, не то позову жесткоклювого какаду – узнаешь тогда, почем фунт лиха!» Пролетали мимо филин да дятел и долбанули его что есть силы клювами в живот, и сказали: «Вот тебе. Что тебе понадобилось у нас на земле? Хочешь, чтобы звери полюбовались на твое непотребство? Так знай же, твой пример не соблазнит никого: ни казуара, ни фламинго, ни крота». Проходил мимо осел и лягнул его копытом в висок, и сказал: «Вот тебе. За что наградил меня такими непомерно длинными ушами? Все, до самой последней козявки, смеются надо мною». Скакала мимо жаба и плюнула ему в глаза ядовитою слизью, и сказала: «Вот тебе. Если бы ты не сделал меня такой пучеглазой, я сейчас лишь целомудренно прикрыла бы тебя цветами: нарциссами, камелиями, незабудками, – чтобы никто не видел твоего позора». Проходил мимо лев и склонил свою царскую гриву, и сказал: «Пусть величие его на время затмилось, я все же чту его. Вы же, мнящие себя гордыми смельчаками, просто жалкие трусы, ибо хулите и пинаете спящего. Каково было бы вам самим терпеть от каждого такие оскорбленья?» Проходил мимо человек и остановился перед Господом и, не признав его, на радость вшам да гадам три дня прилежно орошал зловонной жижей пресветлый лик. Будь же проклят, человек, за эту низость, за то, что надругался над врагом, застав его поверженным, в грязи, залитым кровью и вином, беспомощным, почти что бездыханным!.. Но наконец, разбуженный всей этой пакостной возней, Господь с трудом поднялся, шатаясь, сделал несколько шагов и зашагал к придорожному валуну. Бессильно, как яички чахоточного импотента, болтаются его руки, бессмысленным мутным взором озирает он подлунный мир, свое владенье. О люди, неблагодарные чада, заклинаю вас, пожалейте своего владыку, взгляните на него: еще не выветрились винные пары, и он, едва добравшись до желанного камня, рухнул на него, как путник, утомленный долгой дорогой. Но вот подходит нищий и видит поникшего странника с протянутой рукою, и, не задумываясь, кто он, кладет кусок хлеба в эту молящую о милостыни ладонь. И признательный Господь слабо кивает ему. Не спешите судить о Боге, смертные, разве ведомо вам, каких усилий стоит подчас не выпустить из рук поводья вселенской колесницы! Как от натуги приливает к голове кровь, когда приходится творить из ничего новую комету или новую расу мыслящих существ! Порою изнуренный дух сдается, отступает, и божество, пусть только раз за вечность, не может не поддаться слабости – и в этот миг его застали.

(5) Красный фонарь, зазывала порока33Красный фонарь, зазывала порока … – Эта строфа, возможно, представляет собой ироническое переложение стихотворения Уильяма Блейка (1757—1827) «Сад любви»: Я отправился в Сад любви.Я и раньше бывал там не раз.Но, придя, я его не узнал:Там часовня стояла сейчас.Дверь в часовню была заперта.«Бог накажет» – прочел я на ней.Я прочел, оглянулся вокруг:Не узнал ни дерев, ни аллей.Там, где было просторно цветам,Тесно жались могилы теперь,И священники в черном шли шагом дозорнымИ путы печали на любовь налагали.(Пер. В.Л. Топорова)В оригинале сходство более очевидно. Так надпись на дверях по смыслу ближе той, что читает герой Лотреамона; священники кружат хоровод, как монахини в «Песнях Мальдорора»., висит над массивной прогнившей дверью и служит игрушкой порывам строптивого ветра. Грязный, зловонный, точно отхожее место, проход ведет во внутренний двор, где дерутся за корм петухи и куры, тощие, точно их же собственные крылья. Высокие стены окружают двор, и в западной – проделаны скупые окошки с железными решетками. Замшелые камни обители, прежде служившей приютом для благочестивых черниц, – что ж ныне здесь? – жилище блудниц, готовых ублажить своим срамом любого, кто выложит пару блестящих монет. Я стоял на мосту, перекинутом через ров и утопающем арками в илистом, вязком дне, – стоял, разглядывал великолепное старинное строение и жаждал обозреть его во всех деталях изнутри. Пока я так смотрел, то одна, то другая решетка на крохотных окошках вдруг начинали выпирать и вылетать вон, словно чья-то упорная длань напирала и гнула железные прутья, затем в окошке появлялась голова, засыпанные штукатуркой плечи, и вылезал человек, весь в клочьях паутины. Он свешивался вниз, пока, пальцы его не достигали земли и не упирались в утрамбованный слой нечистот, образуя на нем подобие двух корон, меж тем как ноги еще не вырвались из цепких тисков решетки. Когда же наконец он утверждался в естественном положении, то спешил окунуть руки в щербатое корыто с мыльною водою, повидавшее на своем веку не одно поколение смертных, и шел скорее в город подальше от этой затхлой трущобы. А вслед за ним из этой же дыры и таким же диковинным способом выбиралась нагая женщина и направлялась к тому же корыту. Но и ней со всех сторон сбегались петухи и куры, влекомые запахом человеческого семени; валили ее наземь, как она ни отбивалась, топтались по ее распростертому телу, словно по навозной куче, и расклевывали до крови дряблые губы ее натруженного лона. Насытившись, все птицы снова разбредались по двору, а женщина, обклеванная ими дочиста, кровоточащая, дрожащая, вставала, словно очнувшись от дурного сна. Идти к корыту больше не было нужды, и, бросив тряпку, прихваченную, чтобы обтереть ноги, она вновь заползала в свою зарешеченную нору и поджидала, пока опять перепадет работа. При виде этого мне тоже захотелось проникнуть в этот дом! И я уже сорвался с места, как вдруг мой взгляд упал на буквы, начертанные на каменной опоре моста, то были еврейские письмена, надпись гласила: «Прохожий, стой, ни шагу дальше! Там, за мостом, царит разврат с разбоем вкупе. Когда-то юноша переступил сей роковой порог, и тщетны были ожиданья друзей – он не вернулся». Но любопытство оказалось сильнее страха, и минуту спустя я уже стоял перед одним из забранных крепкой и частой решеткой окошек. Заглянув сквозь эту сетку внутрь, я поначалу увидел только тьму, но постепенно лучи угасавшего на горизонте солнца позволили мне разглядеть внутренность каморки. И то, что я увидел, поразило мой взор: нечто, похожее на огромный шест, казалось, состоящий из надетых друг на друга воронок. И это нечто двигалось! Металось по комнате и билось в стены! Удары были столь сильны, что сотрясался пол, а в стенах уже зияли выбоины, как от тарана, которым сокрушают ворота осажденного города. И все же странное орудие не могло пробить монастырских стен, сложенных из каменных глыб, и каждый раз, врезаясь в камень, оно сгибалось, как стальной клинок, и отскакивало, как упругий мячик. Значит, оно не из дерева! Вдобавок ко всему, оно легко свивалось и разматывалось, точно угорь. Этот шест был высотою с человека, но стоять вертикально не мог. И, хотя все снова и снова выпрямлялся, желая все же прошибить брешь, но каждый раз в изнеможенье падал на пол. Приглядевшись повнимательнее, я наконец понял, что это было: волос! Изнуренный жестокой схваткой со стенами своей тюрьмы, он поник, прислонясь одним концом к спинке кровати, а другим упершись в ковер на полу. И тогда до меня донеслись сначала рыдания, а после скорбный голос.

«Хозяин бросил меня в этой каморке, бросил и забыл. Он встал с этой самой кровати, расчесал свои благоуханные власы, не помышляя обо мне, упавшем на пол. Простая справедливость требовала, чтоб он поднял меня. Но он меня оставил, оставил томиться взаперти, ушел, натешившись объятиями женщины. И какой женщины! Простыни, которых касались их разгоряченные тела, еще не остыли, они, свидетели всего, что было ночью, измяты и разбросаны…» А я все гадал, кто же он, этот неведомый хозяин! И все теснее приникал к решетке… «Пока весь мир и вся природа вкушали непорочный сон, он предавался грязному разврату, совокуплялся с нечистой тварью. Он пал так низко, что не гнушался приближать свои ланиты к ее презренным, не знающим стыда щекам. Мне, мне было стыдно, а он не краснел. Он был в восторге от своей подруги на одну ночь. Ну, а она, пораженная величественным обликом своего гостя, упивалась небывалым блаженством и страстно обвивала руками его шею». А я все гадал, кто же он, этот неведомый хозяин? И все теснее приникал к решетке… «Вокруг моего корня вздувались волдыри, сочащиеся ядовитым гноем, и набухали по мере того, как распалялась дотоле неведомая моему хозяину похоть, набухали и вытягивали из меня жизненные соки. Чем исступленнее делались их ласки, тем быстрее убывали мои силы. И когда спаянные вожделением тела забились в бешеных конвульсиях, мой корень зашатался, как сраженный пулей солдат, и оборвался. Разом погасло согревавшее меня живое пламя, я отломился, как засохшая ветвь, и слетел с божественной главы на пол, ослабший, помертвевший, изможденный, но полный жалости к хозяину и скорби о его сознательном грехопаденье!» А я все гадал, кто же он, этот неведомый хозяин! И все теснее приникал к решетке… «Еще куда ни шло, когда бы он сжимал в объятьях чистую невинную деву. Она, по крайней мере, была бы более его достойна, и это было бы не так позорно. Но горе! он лобзает лоб блудницы, покрытый коростою грязи, не единожды попранный грубою, пыльной пятой! Он с упоением вдыхает влажный смрад ее подмышек! Я видел, как от ужаса вставали дыбом волосы, что растут в этих потных ложбинках, видел, как сжимались от стыда и отвращенья ноздри, не желая вбирать в себя зловоние. Но любовники не принимала во внимание протест подмышек и ноздрей. Она все выше вскидывала руку, а он все яростнее прижимал лицо. И я был принужден терпеть это кощунство! Принужден глядеть на эти бесстыдные телодвижения, наблюдать насильственное слияние двух несоединимых, разделенных бездною существ!..» А я все гадал, кто же он, этот неведомый хозяин! И все теснее приникал к решетке… «Пресытившись в конце концов потным духом своей подруги, он возжаждал растерзать ее живую плоть по жилкам, но пощадил, ибо она была женщиной, и предпочел подвергнуть этой пытке кого-нибудь из мужеского пола. Призвав некоего юношу из кельи по соседству, беспечно заглянувшего в сию обитель поразвлечься с девками, он велел ему подойти поближе к ложу. Я не мог видеть, что в точности произошло между ними, поскольку обломанный кончик мучительно болел и не давал приподняться с полу. Но как только мой хозяин смог дотянуться до юноши рукой, клочья трепещущего мяса полетели на пол и упали подле меня. Они-то и поведали мне шепотом, что хозяин выдрал их, схватив несчастного за плечи и притянув к себе. Несколько часов боролся юноша с неизмеримо сильнейшим противником и наконец поднялся с ложа и горделиво распрямился. Вся кожа с его тела была содрана, вывернута наизнанку, спущена, как чулок, и волочилась за ним по каменному полу. Приветливый и добрый по природе, он до тех пор был расположен верить, что и другие люди так добры друг другу, и потому с охотою откликнулся на зов внушительного незнакомца и, разумеется, не мог предположить, что попадает в объятья палача. Палач и изверг, – думал он теперь с обидой. Когда он подошел к окошку, оно, из жалости к освежеванному человеку, с треском раздалось до самого пола. Не расставаясь с содранною кожей, которая, как справедливо рассудил он, еще могла ему на что-нибудь сгодиться, юноша покинул келью и ступил на двор, стремясь скорей оставить зловещий вертеп. Я не мог видеть, хватило ли у него сил добраться до выхода, зато воображаю, с каким священным ужасом отпрянули от него петухи и куры, и даже голод не мог заставить их приблизиться к кровавой дорожке на влажной земле!» А я все гадал, кто же он, этот неведомый хозяин! И все теснее приникал к решетке!.. «Однако и тот, кому надлежало бы больше печься о своем достоинстве и доброй славе, оторвался наконец от ложа. О, как он мрачен, одинок, чудовищен, ужасен!.. Изнемогая от усталости, он медленно оделся. А вкруг него унылым хороводом кружили души усопших монашек, покоившихся в подземелье и пробужденных от вечного сна дикой пляскою звуков над головами. Пока он подбирал осколки своего разбитого величья, пока отмывал руки собственными плевками (все лучше, чем оставить их немытыми после такой любовной и кровавой оргии), монашки затянули скорбные молитвы, как будто отпевали мертвого. Наверное, и в самом деле истерзанный юноша не перенес пытки, учиненной над ним божественною десницей, и испустил дух под их заунывное пение…» Тут я вспомнил надпись на мосту и понял, что стало с исчезнувшим отроком, которого еще и ныне ждут его друзья. И все гадал, кто же он, этот неведомый хозяин! И все теснее приникал к решетке… «Вот перед господином расступились стены, и он, расправив крылья, дотоле спрятанные в складках изумрудного хитона, устремился ввысь. Монахини тогда бесшумно воротились в свои гробы. О, где же справедливость? – он вознесся в небесную обитель, а обо мне не вспомнил! Все волосы остались невредимы, и только я один валяюсь на полу, средь луж загустевающей крови, кусков подсыхающей плоти, в проклятой келье – с той ночи никто не переступает ее порога, – я заперт, позабыт и замурован! Неужто же все кончено? И мне не видеть больше сомкнутых рядов небесного воинства, не любоваться мерным ходом светил в садах вечной гармонии. Ну, что же, пусть так… я приму свою судьбу с должным смирением. Но поведаю людям обо всем, что видел здесь. Пусть и они отбросят всякую благопристойность, как вышедший из моды плащ, пусть упиваются пороком, раз сам хозяин подал им пример!» Это было последнее, что сказал волос. А я все гадал, кто же он, этот неведомый хозяин! И все теснее приникал к решетке!.. Вдруг грянул гром и келью озарило ослепительное сиянье; повинуясь невольному порыву, я отпрянул от окошка, но все же до меня донесся голос, другой, не тот, что прежде, униженно-елейный, боязливо-тихий. «Уймись! Уймись и молчи… не ровен час, услышат… Ты будешь снова красоваться на моей главе, я заберу тебя, но только позже, под покровом ночи, я не забыл… но если кто-нибудь тебя увидит, я пропал! О, ты не знаешь, чего я успел натерпеться! Только ступил я на небеса, как меня окружили любопытные архангелы. И хоть открыто никто не спросил, куда и зачем я отлучался, но все они, еще недавно не смевшие поднять на меня глаз, то и дело бросали изумленные взгляды на мое помертвевшее от усталости лицо и хоть не в силах были проникнуть в мою тайну, но мысленно сошлись на том, что я необычайно изменился. И втуне проливали слезы, и смутно понимали, что я утратил совершенство. И гадали, что за злосчастная прихоть меня обуяла: чего ради, покинув райские пределы, сошел я на землю и прельстился бренными утехами, которые дотоле презирал? Архангелы узрели две капли на моем челе: каплю спермы из лона блудницы и каплю крови из жил невинного мученика! Они жгли меня, как позорные язвы! Уродовали, как мерзкие струпья! Архангелы нашли клочки моей огнеблещущей мантии, что зацепились за звездные тернии и застряли на небе, поражая взоры земных народов. Залатать ее они так и не смогли, и потому я предстаю пред их невинностью нагим – это ли не возмездие за поруганную добродетель! Гляди, глубокие борозды прорезают мои поблекшие щеки: то медленно стекают по сухому руслу морщин капля спермы и капля крови. Достигнув губ, они неумолимо, точно влекомые магнитом, просачиваются в святилище моего рта и проникают в горло. Две раскаленные капли – душат, душат! Я, властелин вселенной, склоняю выю перед приговором совести: „Недостойный отщепенец“, – гласит сей приговор. Уймись же! Уймись и молчи! Не ровен час, услышат… Ты будешь снова красоваться на моей главе, я заберу тебя, но только позже, под покровом ночи… Сатана, заклятый враг мой, взметнул свой остов и, изойдя из бездны, ликующий, победоносный, срамил и поносил меня перед толпой своих приспешников – увы, я заслужил его хулу! Вечно и неотступна следил он за каждым моим шагом, и вот я уличен! „Кто бы мог подумать, – вещал он, – что мой надменный соперник рискнет пуститься в долгий путь по бурному эфиру, и зачем же? – лишь затем, чтобы облобызать подол распутной девки да до смерти замучить беззащитного юнца. Меж тем в этом юноше, жертве его изуверства, – вещал он, – возможно, погиб дивный гений, поэт, чьи песни могли бы дать утешенье смертным, укрепить их дух. А бедные монашки из монастыря-вертепа! Они лишились покоя, они бродят, как сомнамбулы, по окрестным лугам и топчут лилии и лютики; негодованье помутило их рассудок, однако не настолько, чтоб пережитой кошмар изгладился из памяти…“ (Да, вот они идут унылой, молчаливой чередою, в белых саванах, с распущенными волосами, с поникшими и почерневшими цветами на гряди. Вернитесь, сестры, в свое подземелье, еще не ночь, еще только сгущаются сумерки…) Ты видишь, волос, все, все вокруг вопиет о моем преступленье! Сатана объявил, что я, владыка всего сущего, был крайне легкомыслен (мягко говоря), выставляя напоказ свое бесстыдство, ибо теперь он, супостат, оповестит все мне подвластные миры о том, как я своим примером поддерживаю милосердие и справедливость. Почтение, которое ему внушал непогрешимый враг, – сказал он, – развеялось, и ныне он скорее поднял бы руку на чистую деву, как ни кощунственно такое покушенье, чем плюнул бы в мое лицо, покрытое тремя слоями тошнотворной смеси семени и крови, и замарал бы о него свою тягучую слюну. Ныне он превзошел меня, причем превзошел не в пороке, а в целомудрии и добродетели. Меня же, – вещал он, – следовало бы привязать к позорному столбу за мои черные дела, следовало бы изжарить на медленном огне и вышвырнуть в море, если только оно не побрезгует мною. И коль скоро я счел справедливым навечно осудить и проклясть его за малую провинность, то теперь с такой же непреклонностью обязан осудить самого себя и назначить кару, сообразную моей чудовищной вине… Уймись же! Уймись и молчи! Не ровен час, услышат… Ты будешь снова красоваться на моей главе, я заберу тебя, но только позже, под покровом ночи». Тут речь Творца оборвалась: ураган стесненных чувств, подобный смерчу, что взметает вместе с волнами косяк китов из океана, вздымал его измученную грудь. О царственная грудь, навеки оскверненная единственным прикосновением сосцов блудницы! О божественная душа, на миг поддавшаяся гидре порока, спруту сладострастья, акуле кровожадности, удаву малодушия, мокрице слабоумья! Должно быть, они бросились друг другу в объятия: выпавший волос и его падший хозяин. Но вот Всевышний продолжил, представ как подсудимый пред собственным своим судом: «А люди, что подумают люди о том, кому они поклонялись, когда им станут известны мои нечестивые деяния, мои блужданья в затхлых лабиринтах низменной материи, среди гнилых болот и скользких камышей? – блужданья, что привели меня туда, где стонет и ревет в вонючем логове косматое, свирепое чудовище – преступное злодейство!.. Предвижу, мне придется потрудиться и изрядно, чтоб оправдаться в их глазах и вновь снискать их уважение. Я, верховный Творец и Владыка, пал ниже человека, которого собственноручно вылепил из глины! Нет, остается только ложь, так говори же всем, будто я никогда не спускался с небес, будто пребывал и пребываю в своих чертогах, украшенных скульптурами, колоннами, искусною мозаикой; будто погружен в заботы о благоденствии своей державы. Представь: вот я явился к своим земным чадам и проповедую: „Изгоните из ваших жилищ зло и широко откройте двери добру. Да не уповает на мое благое милосердие тот, кто поднимет руку на ближнего и поразит грудь его смертоносным клинком, да убоится он, гонимый отовсюду, святого правосудия. Скроется ли в лесную чащу – но в шепоте дерев, в шуршанье трав и шелесте ветра услышит стоны попранной совести, бросится прочь – гибкие лианы станут цепляться за его ноги, чертополох с иглицею – царапать кожу, а скорпионы – жалить пятки. Направит ли свой бег на дикий берег – но море грозно надвинется на убийцу, море метнет ему в лицо ледяные брызги, море прогонит нечестивца. В смятенье заберется он на скалы, на голый утес, но вслед ему лютые ветры в полых пещерах и сквозных расселинах поднимут рев, как стадо диких буйволов в пампасах. Береговые маяки, насмешливо мигая, проводят его до полуношных пределов своими беспощадными лучами, а блуждающие огни, эфемерные болотные духи, закружат его в бесовской пляске, так что дыбом поднимутся его власы и обморочной мутью подернутся его глаза. Так пусть же благочестие обоснуется в ваших хижинах и осенит ваши поля. Тогда сыновья, достигнув цветущей юности, почтительно преклонят колени пред родителями, иначе же вырастут чахлыми, пожелтеют, как ветхие манускрипты в книгохранилищах, обрушат дерзкие упреки на ваши головы и проклянут тот час, когда зачало их похотливое материнское лоно“. Но если диктующий строгие законы сам же нарушает их, то можно ль требовать, чтобы их соблюдали слабые люди?.. О неизбывный, о вечный, как вселенная, позор!» Наверно, волос, убедившись, что не забывчивость, а осторожность заточила его в каменном мешке, смягчился и простил хозяина. Угас последний бледный луч закатного солнца, утонули во мраке отроги ближних гор, и словно серая пелена заволокла мои глаза. Я вновь приник к окошку и в надвигающейся тьме успел увидеть, как волос нежно, будто саван, обвивает господина. Уймись же, волос, уймись и молчи… не ровен час, услышат… Ты будешь снова красоваться на его главе. Уже совсем темно, пора, скорее, бесстыдный старец и невинный волос, скорее прочь из этого гнезда разврата, неслышно, крадучись, за монастырские ворота, на равнину, а там ночная тьма укроет все следы… Откуда ни возьмись, вдруг выскочила вошь и злобно зашипела: «Ну, что ты скажешь?» Я промолчал. Я вышел из ворот и вскоре достиг моста. Стер прежнюю надпись и заменил ее другой: «Хранить такую тайну все равно что носить в сердце кинжал, и все же клянусь молчать о том, что мне открылось и чему я был свидетелем за этими проклятыми стенами». И зашвырнул подальше нож, которым выцарапал эти буквы. Создатель еще юн, а вечность так длинна, и, значит, еще долго человечеству терпеть его жестокие причуды и пожинать кровавые плоды его безмерной злобы. Иметь его своим врагом – о нет, – и, закатив от ужаса глаза, пошатываясь, словно пьяный, я вновь побрел по темным закоулкам.

ПЕСНЬ IV

(1) Кто: человек, иль камень, иль пень начнет сию четвертую песнь? Порой наступишь ненароком на лягушку, вздрогнешь от омерзения какая гадость! но только и всего. Куда ужасней прикоснуться, хотя бы слегка, к телу человека: сей же миг растрескаются и разлетятся мелкими чешуйками, как слюда под ударом молотка, пальцы, и долго еще будет судорожно сокращаться желудок: так мучительно трепещет на деревянном настиле палубы сердце выпотрошенной акулы. Столь отвратительны друг другу люди! Прав ли я? возможно, что и нет, хотя скорее всего да. Я допускаю, что на свете есть болезни пострашнее, чем воспаленье глаз, утомленных непрерывным бдением, долгими часами, проведенными в попытках разгадать непостижимую человеческую душу, даже наверное, есть, и все же мне такой пока не встретилось! Пожалуй, я не глупее многих, и, однако, сказать, будто я преуспел в этих своих изысканиях, значило бы осквернить уста бессовестною ложью! Древний египетский храм стоит в местечке Дендера, в полутора часах пути от левого берега Нила. Ныне его балки и карнизы населяют полчища ос; живые ленты их огибают колонны, и кажется, будто длинные черные космы колышутся на ветру34… в местечке Дендера … на ветру – Имеется в виду древнеегипетский храм богини Хатор в Дендера, в 60км от Луксора. Французские комментаторы Лотреамона предполагают, что образ полчищ ос на карнизах храма он мог почерпнуть в эссе «Насекомые» Мишле, который рассказывает нечто подобное, ссылаясь на А.Пуше.. Последние обитатели мертвого портика, они охраняют храм, словно фамильный замок, от посягательств посторонних. Треск тысяч жестких крылышек подобен оглушительному скрежету громадин-льдин, что наседают друг на друга, когда весна крушит полярный панцирь. Но несравненно громче смятенное биенье трех черноперых крыльев скорби, терзающей меня, когда я наблюдаю за недостойным существом, увенчанным по воле Провиденья короною верховной власти на земле! Комета, долгих восемьдесят лет блуждавшая в темных глубинах космоса, вновь загорается в небе и разворачивает на диво людям, жабам и медлительным верблюдам свой легкий светящийся шлейф. Бесследно промелькнули для нее годы странствий, она невозмутимо блещет, мне же нет покоя, душа моя что раскаленная пустыня, и, словно яростное солнце, днем и ночью ее жжет боль и стыд за человека. Матрос, отбыв ночную вахту, исхлестанный железной плетью ветра, спешит улечься в свой гамак и забыться сладким сном, мне же не дано вкусить и этого блаженства: как раскаленная игла в мозгу, меня терзает мысль о том, что я по собственной воле пал так же низко, как мои презренные сородичи, а значит, не имею права пенять на судьбу, приковавшую всех нас к омертвевшей коросте нашей жалкой планеты, и на свое природное убожество. Порою целые дома взлетают на воздух от взрыва осветительного газа и гибнут целые семейства, но смерть под обломками или смерть от удушья настигает жертвы быстро, они не бьются в изнурительной агонии… мои же муки вечны, я живуч и неистребим, как базальтовый кряж! Бессмертные ангелы пребывают неизменными всю свою жизнь, я же давным-давно перестал походить сам на себя! И я, и человек мы оба ограничены возможностями нашего скудного разума, так лагуна зажата кольцом кораллового рифа; нам бы объединить усилия и вместе противостоять превратностям судьбы и случая, а мы чураемся друг друга, и ненависть разделяет нас, подобно обоюдоострому клинку! Похоже, каждый знает, насколько он мерзок другому, и оба полагают делом чести не скрывать этой неприязни; ни один не сделает шага навстречу противнику, уверенный, что мир, будь он даже заключен, все равно окажется недолгим. Ну что ж, пусть так! Пусть война с человеком продлится вечно, коль скоро каждый из нас видит в другом, как в зеркале, собственное уродство, коль скоро мы заклятые враги. Одержу ли я победу, плачевную, подобную крушению, погибну ли сам, но то будет прекрасная битва: я один против всего человечества. Не древо и не сталь изберу я своим оружием, гордою пятою отрину все, исходящее из недр земных; бряцание небесной арфы заменит мне и щит и меч. Уже не раз зловредная богоравная обезьяна метала мне в грудь из засады остроконечное копье, но воин не кичится боевыми ранами. Прискорбная вражда, смертельный поединок двух друзей!

(2) Два столпа возвышались на равнине, два столпа, величиной поболее булавок, два столпа, которые, пожалуй, возможно и даже не слишком трудно было бы принять за баобабы. На самом же деле то были две огромные башни. И хотя на первый взгляд два баобаба не похожи ни на две булавки, ни на две башни, но при известной расторопности, умело дергая за ниточки марионетку здравого смысла, можно без боязни утверждать (а утверждение, сделанное с боязнью, – уже несовершенное утверждение, которое хотя и продолжает называться тем же словом, но означает нечто существенно иное), что столп не столь уж разительно отличается от баобаба, чтобы исключалось всякое сравнение между этими архитектурными… или геометрическими… или архитектурно-геометрическими… или нет, не архитектурными, не геометрическими, а, скорее, просто высокими и крупными объектами. Итак, я нашел – не стану это отрицать – эпитеты, равно подходящие и баобабу, и столпу, о чем с превеликою радостью, а также с каплей гордости и сообщаю всем, кто, не жалея глаз, принял похвальное решение прочесть сии страницы, будь то в ночной тиши, с зажженной свечкой, или средь бела дня, при свете солнца. Скажу еще, что даже если бы некая высшая сила строжайше запретила употребление любых, хотя бы и самых точных, сравнений, к которым прежде каждый мог прибегнуть невозбранно, то и тогда, вернее, именно тогда – ибо так устроено наше сознание – закрепленная годами привычка, усвоенные книги, навык общения, неповторимый характер, стремительно и бурно расцветающий в каждом из нас, неудержимо влекли бы человеческий ум к преступному (говоря с позиций этой гипотетической высшей силы) использованию упомянутой риторической фигуры, презираемой одними и превозносимой многими другими. Если читатель находит последнюю фразу чересчур длинной, пусть примет мои извинения, но каяться и пресмыкаться перед ним я не намерен. Признать свои ошибки я готов, но не желаю усугублять их низким раболепством. Порой в моих сужденьях может послышаться звон дурацких бубенчиков, порой серьезные материи вдруг обернутся сущею нелепицей (а, впрочем, как говорят философы, отличить смешное от трагичного не так легко, ибо сама жизнь есть не что иное, как некая трагическая комедия, или, если угодно, комическая трагедия), так что же из того, не позволительно ли каждому в минуты отдыха от праведных трудов бить мух, а коли пожелает, то и носорогов? Что касается охоты на мух, то проще всего, хотя, возможно, это и не лучший способ, давить их двумя пальцами, но большая часть всесторонне изучивших предмет авторов вполне обоснованно считают, что во многих случаях предпочтительнее отрывать им голову. Буде же кто поставит мне в упрек упоминание о таких пустяках, как булавки, тому осмелюсь напомнить, что нередко именно мелочь и способствует достижению наилучших успехов, и сие неоспоримо. Да и вообще всякий имеет законное право говорить, что вздумается, я же, сравнив с такою меткостью столпы с булавками, опирался на законы оптики, согласно которым чем более удален предмет от наблюдателя, тем меньше его изображение на сетчатке глаза.

И так всегда: где автор вдохновенно вещает высокие истины, там публика, в силу всеобщей тяги к шутовству, склонна видеть пошлые остроты, как тот недалекий философ, что разразился смехом при виде осла, поедающего фиги35… разразился смехом при виде осла, поедающего фиги – Вероятно, имеется в виду эпизод из «Метаморфоз» Апулея, в котором превращенный в осла Луций поедает роскошные кушанья, а знатный хозяин дома со смехом за ним наблюдает (X,15-16).. Поверьте, я не преувеличиваю: старинные книги изобилуют примерами постыдного скудоумия, до которого добровольно опустился человек. Я же вовсе не умею смеяться. Не могу, как ни пытался. Мне оказалось не под силу научиться смеху. Или, скорее, дело в том, что я испытываю отвращение к этому гнусному кривлянью. А ведь я видел еще и не такое: видел, как фига пожирает осла, видел и не засмеялся, губы мои не дрогнули, не растянулись ни на миллиметр! Напротив, меня охватило непреодолимое желание плакать, и слезы покатились из моих глаз. «О жестокая природа! воскликнул я, рыдая. Коршун пожирает воробья, фига осла, а солитер человека!» Однако я не решаюсь продолжать свое повествованье, ибо меня посетило сомнение: не забыл ли я рассказать об охоте на мух? Рассказывал, не правда ли? Да, но правда и то, что об охоте на носорогов не было сказано ни слова! И если друзья вздумают уверять меня в обратном, я не стану их слушать, памятуя о том, сколь гибельны бывают лесть и похвала. Впрочем, не могу не заметить в свое оправдание, что подробное рассмотрение вопроса о носорогах могло бы истощить мое терпение и самообладание, а также, вероятно (и даже, смею полагать, бесспорно), отвратить от меня все ныне живущие поколения. И все же, как же так: сказать о мулах и позабыть о носорогах! Да и добро бы еще я сразу указал на это неумышленное упущение, в котором в общем-то нет ничего удивительного для каждого, кто пристально изучал полные неразрешимых противоречий законы деятельности мыслительных извилин человека. Мудрец найдет неисчерпаемую пищу в любом явлении природы, ибо оно, даже самое малое, таит в себе загадку. Что же до заурядного человека, случись ему увидеть, как осел ест фигу или фига осла (хотя как то, так и другое обстоятельство встречаются крайне редко; и по большей части в изящной словесности), он, лишь на миг заколебавшись, как поступить, не пойдем благим путем познания вещей, а вместо этого заквохчет и закукарекает на петушиный лад! Однако же петух, и это можно считать вполне достоверным, разевает клюв лишь для того, чтобы передразнить человека и скорчить ему рожу. Применяя к птице выражение «скорчить рожу», я вкладываю в него в точности тот же смысл, как если бы говорил о человеке. Да-да, петух нас дразнит, он никогда не стал бы просто подражать: не потому, что ему не хватает восприимчивости, а потому что благородная гордость не позволяет ему коверкать свое естество. Петух не то что выскочка-попугай, которого собственное нелепое кривлянье приводит в упоение! Нет, не петуха, а хуже, хуже! козу напоминает человек, когда смеется! Ни малейшего благообразия не остается в мерзкой харе с выпученными, как у рыбы, глазами, которые (это ли не плачевное зрелище?)… которые… которые блестят безумным блеском, как маяки в ночи! Действительно, мне случалось и случится еще раз высказывать со всей серьезностью соображения, исполненные вопиющей несуразности, и я не понимаю, почему каждый раз это должно вызывать у вас желание растягивать рот до ушей и издавать ни на что не похожие звуки! Но невозможно сдержать смех, скажете вы. Что ж, положим, я приму такое объяснение, хотя оно, по существу, абсурдно, но пусть, по крайней мере, это будет горький смех. Смейтесь, так и быть, но только сквозь слезы. И если влага не течет у вас из глаз, пусть течет изо рта. На худой конец, можно и помочиться была бы жидкость, все равно какая, дабы умерить сухость, ибо смех с раскрытым ртом безмерно иссушает организм. Что до меня, я равнодушно внимаю нахальному кудахтанью и истошному блеянью толпы ничтожеств, всегда готовых освистать того, кто не похож на них самих, а ведь Господь, наделяя людей душами, предназначенными для управления скелетно-мышечной машиной, хотя и кроил их по единому образцу, но сотворил великое множество разновидностей. До сих пор мировая поэзия шла по ложному пути, то возносясь до небес, то ползая во прахе и вечно насилуя собственную природу, не зря же добрые люди всегда и вполне заслуженно осыпали ее насмешками. Ей не хватало скромности, главнейшего и незаменимого достоинства любого несовершенного существа! Конечно, и я не прочь щегольнуть своими талантами, однако не желаю лицемерно скрывать свои пороки. И потому продемонстрирую читателям не только благородство и изысканность, но и безумие, гордыню, злобу, и каждый узнает в этом изображении самого себя, да не таким, каким хотел бы себя видеть, а таким, каков он есть на самом деле. И, быть может, этот непритязательный образ, этот плод моего воображения превзойдет все самое возвышенное, самое великолепное, что было создано поэзией. Ибо, обнажая свои пороки, я только выигрываю в глазах читателя, так как они оттенят соседствующие с ними добродетели и позволят мне поднять их я разумею добродетели на такую высоту, что гении грядущих поколений удостоят меня восхищением. Пусть мои песни докажут миру, что я достаточно силен, чтоб пренебрегать людскими предрассудками. Мой Мальдорор свободный певец; для собственной услады, а не для развлечения толпы звучит его голос. Воображение его презрело человеческие мерки. Неукротимый, словно буря, проносится он над погибельными безднами своей души. И в целом мире, кроме самого себя, ему бояться некого! Он вступит в титаническую схватку с человеком и с самим Творцом и одолеет их с такой же легкостью, как рыба-меч, вонзающая без труда свое природное оружье в нутро чудовища-кита; так пусть же будет проклят собственными потомками, пусть будет наказан моею жилистой рукою тот, кто все еще упорно не желает проникнуть в смысл скачков шального кенгуру иронии и укусов дерзких вшей пародии! Два столпа, два огромных столпа возвышались на равнине. С них я начал строфу. Их было бы четыре, пожелай я помножить их на два, но я не вижу смысла в этой операции. Я шел вперед с пылающим лицом и что есть сил кричал: «Нет! Нет! Не вижу смысла в этой операции!» Я слышал скрип цепей, болезненные стоны. Так пусть никто из тех, кому придется проходить по этому пути, не смеет умножать две башни на два, чтобы произведение равнялось четырем! Пожалуй, кое-кто может заподозрить меня в том, что я люблю человеческий род, как мать любит чадо, которое выносила в своем горячем чреве, а потому я больше не вернусь туда, где возвышались на равнине равновеликих два сомножителя!

(3) На виселице, в метре от земли, раскачивался человек, подвешенный за волосы. Руки его были связаны за спиной, а ноги оставлены свободными, что лишь усугубляло муки. Кожа на лбу так растянулась под тяжестью тела, что лишенное в силу этого естественного выражения лицо напоминало известковые наплывы сталагтита или сталакмита36… сталагтита или сталакмита … – Лотреамон намеренно смешивает слова «сталактит» и «сталагмит».. Три дня терпел он эту пытку и взывал: «Кто развяжет мне руки? Кто отвяжет мне волосы? Я дергаюсь и извиваюсь что есть силы, но только напрягаю и без того растянутые до предела волосяные корни. Я не могу сомкнуть глаз, и голод с жаждою – не главная тому причина. Неужто это не последний час моей злосчастной жизни, неужто она продлится еще? И неужто не найдется никого, кто перерезал бы мне глотку чем угодно, хотя бы острым камнем?» Так он кричал, перемежая слова ужасным воем. И я уже собрался выскочить из укрывавшего меня кустарника и устремиться на помощь этой марионетке, этому кусочку сала на ниточке. Но тут увидел двух жен, что направлялись к виселице с противоположной стороны, приплясывая на ходу. Одна из них несла мешок и пару плеток из свинцовых нитей, другая – бочонок дегтя и две кисти. Седые космы старшей развевались на ветру, как клочья рваного паруса, а щиколотки младшей стучали друг о друга, как хвост тунца о корабельный ют. Глаза же у обеих горели столь неистовым, столь мрачным пламенем, что я на миг усомнился, к человеческому ли роду принадлежат эти фурии. Но они так бесстыдно и самодовольно смеялись, физиономии их были столь отвратительны, что я решил, что передо мною две отменно гнусные особи человеческого рода. Я снова спрятался за куст и затаился, как acantophorus serraticornis37Acantophorus serraticornis (лат.) – «пилоклювый щеглоносец» – выдуманное Лотреамоном название птицы., укрывшийся в своем гнезде, выставив наружу одну лишь голову. Женщины все приближались с неотвратимостью прилива; я уловил, приникнув ухом к земле, размеренные колебания от их шагов. Вот наконец кошмарные орангутанши дошли до самой виселицы, вот застыли на секунду, принюхались и тут же затряслись в каких-то буйных корчах, выражая таким образом крайнее свое изумление, и обоняние подсказало им, что никаких перемен не произошло и смертельная развязка, которой они ждут, еще не наступила. При этом ни одна из них не потрудилась посмотреть наверх убедиться, на месте ли колбаса, которую они подвесили коптиться. «Как может быть, чтоб ты еще не сдох? Ну, и живуч же ты, любимый муженек!» – воскликнула одна. «Так ты не хочешь умирать, мой миленький сыночек? И как это ты ухитрился распугать стервятников, уж не наколдовал ли? Да как ты отощал: подует ветерок – раскачиваешься как фонарь», – подхватила за нею другая; так вторят друг другу певчие в церковном хоре, что распевает на два голоса псалом. Обе взяли по кисти и дружно вымазали висельника дегтем, обе взяли по плетке и дружно замахнулись… А я залюбовался (и поневоле залюбуешься!): металлические хлысты не скользили по коже, как пальцы по голове негра, когда во время драки пытаешься, да все никак не может вцепиться ему в волосы, – а глубоко, до самой кости впивались в смазанное дегтем тело и оставляли кровоточащие рубцы. Изо всех сил старался я унять сладострастье, обуревавшее меня при виде зрелища столь увлекательного, хотя и менее забавного, чем можно было ожидать. Но, несмотря на всю свою решимость, не мог подавить восторженного изумления пред мускульною силой жен. Поскольку же я дал клятву ни на йоту не отступать от истины, то не могу умолчать и о недюжинной их меткости, они без промаха хлестали по наиболее чувствительным местам: то по лицу, то в пах! Конечно, я мог бы что есть мочи сжать губы в горизонтальном направлении (что, впрочем, как известно всем и каждому, есть наиболее распространенный способ их сжатия) и, не позволяя вырваться наружу слезам и откровениям, хранить молчание; однако это вынужденное и бесконечно тягостное безмолвие, уж верно (да, я уверен в своей правоте, хотя вовсе отбросить вероятность ошибки значило бы нарушить элементарнейшие правила двуличия), еще меньше, чем слова, способно скрыть от мира чудовищные результаты яростной работы неутомимых мышц, суставов и костей; они неоспоримы, так что можно было бы обойтись без взгляда бесстрастного наблюдателя и многоопытного моралиста (к тому же, считаю немаловажным заметить, что, на мой собственный взгляд, подобная отрешенность почти недостижима и предполагает ту или иную долю лицемерия), а ежели у кого-нибудь и проклюнулся бы росток сомнения на этот счет, он все равно не смог бы глубоко укорениться, по крайней мере, без вмешательства сверхъестественных сил, каковое, насколько я могу судить, в данном случае представляется маловероятным, и зачах бы, хоть, может, и не тотчас, из-за недостатка соков, которые были бы в равной мере неядовиты и питательны. Условимся же (или не читайте меня больше!): о чем бы я ни говорил, я излагаю лишь свой взгляд на вещи, не притязая на большее и не отказываясь (отнюдь!) от своих неотъемлемых прав! Я вовсе не берусь опровергать сияющее светом вечной истины утверждение о том, что существует более простой способ прийти к согласию, и состоит он в том – я изложу его в немногих словах, но не забывайте: каждое мое слово стоит тысячи! – чтобы не спорить вовсе; это справедливо, но не так легко осуществимо, как всем обычно кажется. Конечно, если спорить строго по правилам, то найдется мало охотников оспаривать все, что мною здесь изложено, для этого пришлось бы собрать целый арсенал весомых доводов; но все будет обстоять совсем иначе, если не на разум каждый будет полагаться, а на бессознательный инстинкт и вполне основательными и исполненными смысла признает все подсказанные им речи, которые иначе выглядели бы, вне всякого сомненья, бесстыднейшим враньем. Но полно, пора закончить это небольшое отступление, которое, в силу своей болтливой беспечности, столь же прискорбно непоправимой, сколь и неотразимо занимательной (в чем каждый легко убедится сам, прозондировав верхние слои своей памяти), вышло из определенных ему берегов, а для этого, если ваше душевное равновесие не нарушено или, еще лучше, если чаша с глупостью стоит много выше той, на которой помещаются благородные и драгоценные свойства разума, а говоря яснее (ведь до сих пор я был озабочен лишь лаконичностью слога, если же иные с этим не согласятся и поставят мне в упрек длинноты, то будут не правы, поскольку никак нельзя счесть длиннотой то, что соответствует первоначальной цели, а именно: изгонять все проявленья истины, безжалостным скальпелем хладного анализа вырезать ее под самый корень), если ваш разум еще не весь разъеден язвами, которыми наградили его природа, обычай и воспитание, – для этого – повторяю во второй и в последний раз, ибо многократное повторение, как недвусмысленно свидетельствует практика, приводит чаще всего к полной невозможности согласия – лучше всего, смиренно поджав хвост (если предположить, что таковой у меня имеется), вернуться к драматическому повествованию, являющемуся каркасом сей строфы. Но прежде было бы недурно выпить хотя бы один-единственный стакан воды. А ежели нельзя один, то можно два. Так во время погони через лес за беглым негром наступает минута, когда все, повесив ружья на лианы, усаживаются под сенью дерев, дабы утолить жажду и голод. Но это лишь краткая передышка, и вот снова заулюлюкали со всех сторон: охота продолжается. И подобно тому как кислород распознается по его способности – которою он вовсе не кичится – разжигать чуть тлеющую спичку, обнаруживаемое мною упорное желание вернуться к главной теме служит признаком изрядной обязательности. Итак, когда две самки изнемогли настолько, что руки больше не держали плеть, они благоразумно прекратили упражнения, коим предавались два часа кряду и удалились в весельи, не предвещавшем ничего доброго. Тогда я бросился к несчастному, который призывал на помощь застывшим взглядом (он потерял много крови и до того ослаб, что не мог говорить, и хотя я не врач, но мне показалось, что особенно сильное кровотечение наблюдалось в области лица и паха), освободил от пут его руки, перерезал ножницами его волосы. И он рассказал мне, как однажды мать позвала его к себе в спальню, велела раздеться и возлечь с нею на ложе, как, не дожидаясь его согласия, родительница первой сбросила с себя одежды и принялась завлекать его бесстыднейшими телодвижениями. Он спасся бегством. Но вскоре и супруга стала уговаривать его уступить домогательствам старухи (видно, рассчитывая, в случае успеха, получить от нее награду), он же упорствовал и тем навлек на себя ее гнев. И тогда они обе сговорились погубить упрямца: соорудить в безлюдном месте виселицу и оставить его, беззащитного, на волю злой судьбе. В результате весьма продолжительных, весьма серьезных и донельзя напряженных раздумий они остановили свой выбор на этой утонченной пытке, и лишь мое неожиданное вмешательство воспрепятствовало полному осуществлению их плана. Во все время рассказа лицо спасенного сияло такой благодарностью, что сияние это затмевало страшный смысл того, что он произносил. Затем он лишился сознания, и я на руках донес его до ближайшей хижины и оставил на попечение живших в ней крестьян, не преминув вручить им кошелек с деньгами на все расходы по его лечению, и взял с них слово, что они не преминут окружить больного любовью и неустанными заботами, словно собственного сына. Рассказав им все, что поведал мне несчастный, я вновь переступил порог и пошел прочь от дома, но, не сделав и сотни шагов, невольно повернул назад, так что вновь очутился в хижине и, обращаясь к простодушным обитателям ее, воскликнул: «Ничего, ничего, не подумайте только, что я удивлен!» И с этими словами удалился вновь, на сей раз окончательно, хотя все время ощущал подспудное сопротивленье своих ног – возможно, кто-нибудь другой его бы не заметил, но не я! К той виселице, что весеннею порою возведена совместными усильями супружеских и материнских рук, не устремится волк, влекомый сладкою надеждой набить добычей брюхо. Едва завидев черный пук волос, болтающийся на ветру, он обратится в бегство и, презрев закон инерции, мгновенно разовьет внушительную скорость. О чем свидетельствует сие диковинное физиологическое явление? – не о том ли, что волк наделен интеллектом, намного превосходящим примитивный инстинкт своих млекопитающих собратьев? Не поручусь за истинность этих догадок, однако же мне кажется, что зверь все уяснил, он понял, что такое преступленье! Да и как не понять, коли двуногие открыто, не таясь, изгнали разум и его веленья и возвели на опустевший трон неистовое мщенье!

(4) На мне короста грязи. Меня заели вши. Свиньи блюют при взгляде на меня. Кожа моя поражена проказою и покрыта струпьями; она лопается и гноится. Не касается ее влага речная, не орошает ее влага небесная. На темени моем, словно на навозной куче, выросла купа огромных зонтичных грибов на мощных цветоножках. Четыре столетия восседаю я в полной неподвижности на давно утратившем первоначальный вид сидении. Ноги мои пустили корни в землю, полуодеревеневшая плоть по пояс превратилась в некое подобие кишащего гнусными насекомыми ствола. Но сердце еще бьется. А как бы могло оно биться, если бы гниющий и смердящий труп мой (не смею называть его телом) не служил ему обильною пищей! Под левою мышцей обосновались жабы и, ворочаясь, щекочут меня. Смотрите, как бы одна из них не выскочила да не забралась вам в ухо: она примется скоблить ртом его внутренность, пока не проникнет в мозг. Под правою мышцей живет хамелеон, что вечно охотится на жаб, дабы не умереть с голоду: какая же божья тварь не хочет жить! Если же ни одной из сторон не удается обойти другую, они расходятся полюбовно и высасывают нежный жирок из моих боков, к чему я давно уж привык. Мерзкая гадюка пожрала мой мужской член и заняла его место: по вине этой гадины я стал евнухом. О, когда бы я мог защищаться руками, но они отсохли, если вообще не превратились в сучья. Во всяком случае одно бесспорно: ток алой крови в них остановился. Два маленьких, хотя достигших зрелости, ежа выпотрошили мои яички: содержимое швырнули псу, каковому подаянию он был весьма рад, а кожаные мешочки старательно промыли и приспособили под жилье. В прямой кишке устроился краб; ободренный моим оцепенением, он охраняет проход клешнями и причиняет мне отчаянную боль! Пара медуз пересекла моря и океаны: пленительная надежда влекла их, – надежда, в которой они не обманулись. Их взгляд приковывали две мясистые половинки, из коих состоит человеческий зад, и вот, приникнув к сим округлостям и вжавшись, они расплющили их так, что, где прежде была упругая плоть, стала мразь и слизь, два равновеликих, равноцветных и равномерзких кома. О позвоночнике же лучше и не упоминать – его заменяет меч. Да, меч, конечно, вы удивлены… я и сам не совсем понимаю… Вам любопытно знать, как очутился он во мне, вонзенный в почки, не так ли? Я и сам лишь смутно представляю это, но если счесть не сном, а подлинным воспоминаньем то, что отложилось в моей памяти, то знайте: прослышав о моем обете, о том, что я обрек себя на неподвижность и страданья, покуда не одержу победы над Создателем, подкрался ко мне сзади, на цыпочках, однако же не столь бесшумно, чтоб я не услышал, Человек. В первый, хоть и недолгий, миг я ничего не почувствовал. Стальной клинок вошел меж лопаток в спину быка, жертвы корриды, погрузился по самую рукоять, и остов зверя содрогнулся, как горный хребет в землетрясение. Железо так прочно приросло к живому телу, что до сих пор никому не удалось извлечь его. Кто только за это ни брался: врачи и силачи, механики и философы, и каких только средств они ни перепробовали. Ибо не ведали, что зло, причиненное человеком, неискоренимо. И я простил им невольное их заблуждение и поблагодарил взмахом вежд. Молю тебя, о путник, иди своей дорогой, не говори ни слова мне в утешение, не то мужество мое дрогнет. Предоставь моей решительности закалиться в огне добровольного мученичества. Иди и не жалей меня понапрасну. Извилисты пути ненависти, необъяснимы причуды ее, внешность ее обманчива, как мнимая кривизна жерди, опущенной концом в воду. Каким бы ни казался я тебе на вид, я и теперь еще смогу атаковать небесные твердыни, смогу увлечь с собой на штурм целую рать головорезов и вновь вернуться и застыть, обдумывая планы праведной мести. Прощай же, иди и не мешкай, и пусть мой устрашающий пример послужит тебе уроком и предупрежденьем: подумай, что сделало меня смутьяном, ведь и я был рожден непорочным! Расскажи обо мне своему сыну, возьми его за руку и открой ему все величие звезд, все красоты земного мира: от гнезда крохи-малиновки до божьих храмов. Ты подивишься, как почтительно станет он внимать отчим наставлениям, и вознаградишь его улыбкой. Но взгляни на него, когда он останется без надзора, и увидишь, что в бешеной злобе плевками оскверняет он добродетель; он человеческое отродье, и он лгал тебе, но впредь он тебя уж не обманет; теперь тебе доподлинно известно, каким будет твое чадо. Приготовься же, злосчастный отец, узреть эшафот, где отсекут голову юному злодею, и прими в сердце жгучую боль, такова будет участь твоя на старости лет.

(5) Что за фигура с назойливым упорством маячит перед моим взором, какой уродине принадлежит сие изображение? Задавая самому себе этот жгущий сердце вопрос, я нисколько не изменяю обычной строгости стиля, ибо делаю это, заботясь не о пышной форме, а лишь о достоверности. Кто бы ты ни был, защищайся: я намерен запустить в тебя тяжелым обвинением, как камнем из пращи. Где ты украл глаза? Они чужие, не твои! Я видел точно такие же у одной случайно встреченной светловолосой женщины, знать, у нее ты их и вырвал! Понятно, ты хочешь, чтоб тебя сочли красавцем, но тебе никого не обмануть, а уж меня и подавно. Запомни это и не сочти меня глупцом. Стаи хищных орлов, охочих до кровавой пищи, горячих защитников всех гонителей, прекрасных, как украшающие ветви арканзасского панокко38Панокко – искаженное «панококо»; так называют в Южной Америке некоторые виды деревьев. полуистлевшие скелеты, парят кругами над твоим челом, как будто преданные слуги, что взысканы господской милостью. Да есть ли у тебя чело? Право, в этом не мудрено усомниться. Твой лоб так низок, что вряд ли представляется возможным установить сам факт его существования при столь скупом количестве ему присущих признаков. Я не шучу. Может, ты и впрямь безлобый, ты, что вихляешь позвонками да извиваешься передо мною, как неумелый шут, задумавший сплясать замысловатый танец. Но кто же, кто похитил твой скальп? Быть может, тот человек, которого ты держал в заточении целых двадцать лет и который, вырвавшись на волю, решил воздать тебе за все сполна? Если так, я готов похвалить его, правда с оговоркой: я не сторонник крайностей, но он был крайне мягок. Ты же похож теперь на пленного индейца, хотя это сходство исчерпывается (заметим это с самого начала) значительным изъяном волосяного покрова. Я не отрицаю принципиальной возможности того, что волосы вновь отрастут вместе с кожей, – открыли же физиологи, что у животных восстанавливается со временем даже удаленный мозг, – но ограничиваюсь простой, но, впрочем, не лишенной удовольствия констатацией увечья, и помыслы мои не простираются так далеко, чтобы пожелать тебе исцеления, скорее, напротив, я склонен с более чем сомнительной беспристрастностью видеть в постигшей тебя невеликой беде, потере кожи с верхней части черепа, лишь предвестие несчастий покрупнее и осмеливаюсь робко предвкушать такой оборот дела. Надеюсь, я понятно излагаю свои мысли. Твое же горе поправимо; случись тебе, в силу нелепой (но не противоречащей логике) случайности, отыскать драгоценный лоскут кожи, суеверно сохраненный твоим противником как память об одержанной когда-то сладостной победе, и, ты, вероятнее всего – а впрочем, законы вероятности изучены лишь применительно к математике, несмотря на то, что они, как всем известно, по аналогии легко приложимы и к иным областям мышления, – не преминешь воспользоваться столь же удачно, сколь и внезапно подвернувшейся возможностью из вполне законного, хотя и несколько чрезмерного, страха перед местным или общим переохлаждением предохранить обнаженные участки твоего мозга от соприкосновения с атмосферным, особенно зимним, воздухом посредством этого головного убора, который принадлежит тебе по неоспоримому природному праву и который тебе будет позволено, если только ты, вопреки здравому смыслу, не воспротивишься этому сам, носить при любых обстоятельствах, не навлекая на себя упреков – всегда столь неприятных – в нарушении этикета. Ты слушаешь меня внимательно, не так ли? А если и дальше будешь слушать так же, вбирая каждое слово, то очень скоро пропитаешься горькою отравой скорби… Ну, а не слушать ты не можешь, ты внимаешь моим речам, словно подчиняясь некоей силе извне, – не потому ли, что я беспристрастен и ненавижу тебя не так сильно, как должен бы; возрази, если можешь. Твой дух стихийно тяготеет к моему, потому что во мне меньше зла, чем в тебе. Ну, разве я не прав! Вот ты лишь бросил взгляд на городок, раскинувшийся там, на горном склоне. И что же?..» Все жители его мертвы! Однако у меня, как и у всякого, или, быть может, больше, чем у всякого, хоть это и грех, есть гордость. Так выслушай меня… если признания того, кто прожил без малого полсотни лет в обличии акулы, носимой теплыми подводными теченьями вдоль африканских берегов, тебе настолько интересны, что ты их можешь выслушать, пусть не сочувственно, но уж, по крайней мере, не проявляя слишком явно, что было бы непоправимою ошибкой, отвращения, которое тебе внушает это существо. Не стану сбрасывать маску добродетели, чтобы предстать пред тобою таким, каков я есть, поскольку никогда ее не надевал, (возможно, это может послужить мне оправданьем), так что, стоит тебе вглядеться получше, и ты тотчас признаешь во мне прилежного ученика, но отнюдь не соперника, пытающегося тягаться с тобою на поприще зла. А коли уж я не оспариваю у тебя пальму первенства, то не думаю, чтобы на это осмелился кто-нибудь еще – ему пришлось бы прежде сравняться со, мною, а это нелегкая задача… Так слушай же, если ты не туманный фантом (ты прячешь свое тело непонятно где): эту девочку я увидел как-то утром; твердой, не по годам, поступью направлялась она к озеру, чтобы сорвать розовый лотос, и уже склонилась над водою, как вдруг встретилась взглядом со мной (замечу, справедливости ради, что это произошло не без моего старанья). И в тот же миг она внезапно, подобно тому как вскипает пеной приливная волна, встречая на своем пути валун, пошатнулась; ноги ее подогнулись, она упала в озеро и опустилась на самое дно (бесспорно, это чудо, но так оно и было, и это так же верно, как то, что я с тобою говорю); побочным эффектом сего происшествия послужило то, что все цветы из рода нимфей, которые цвели на озере, остались в целости и сохранности. Что она делает там, под толщей воды?.. как знать. Я полагаю, ведет ожесточенную борьбу с неумолимой силой тления! Но все же мне далеко до тебя, учитель, до тебя, чей взор уничтожает города, как слоновья пята муравьиную кучу! И вот тому свидетельство… Гляди, как опустел склон горы, где прежде кипела жизнь, и город стоит, как заброшенный всеми старик. Хотя дома и невредимы, зато – признаем честно – о тех, кто жили в них, никак нельзя сказать того же: их больше нет, считайте это парадоксом, но это истинная правда. Трупный смрад уже коснулся моего обоняния. Как, ты не чувствуешь? Ну, так взгляни: орлы слетаются со всех сторон и только ждут, пока мы отойдем, чтобы начать роскошный пир. Постой! Но, кажется, эти птицы уже давно были здесь, я видел, как они вились у тебя над головою, как хищные их крылья вычерчивали в небе воздушный обелиск, они словно торопили, словно подстрекали тебя. Неужто и сейчас еще ты ничего не чуешь? Обман, не может быть. Не может быть, чтобы не затрепетали твои обонятельные нервы от прикосновения пахучих атомов, их испускает город убиенных, – ты это знаешь сам… О, с каким восторгом припадаю я к твоим стопам, но лишь пустоту обнимают мои руки… Где же неуловимое тело того, кого видят глаза мои, пред кем я преклоняюсь? Фантом смеется надо мной и вместе со мною ищет собственное тело. Знаком призываю его не двигаться – и получаю в ответ такой же знак… Ах, вот что… я все понял, секрет раскрыт, но, признаюсь, я что-то этому не слишком рад. Все объяснилось, все до последней мелочи, о которой, по правде, не стоило и говорить, вроде вырванных у белокурой женщины глаз – подумаешь, какая важность! Как же мог я забыть, что это с меня самого сняли скальп, что это я сам заточил, хотя не на двадцать, а всего лишь на пять лет (досадная ошибка!), одного человека, желая потешиться его муками, за то что он отказал мне в своей дружбе, – и справедливо: ибо таких не берут в друзья. Если же я и дальше буду притворяться, скажу, что не подозреваю о смертоносной силе своего взгляда, которая губит даже планеты в небесном пространстве, то, пожалуй, сочтут, что память у меня отшибло начисто. Но это лишь минутные провалы, которые случаются не в первый раз и повторяются, как только предо мною в зеркале является вполне закономерно мое изображение, не признанное мною

(6) Я уснул на голом камне. Охотник, без отдыха и пищи гонявшийся целый день по пустыне за голенастым страусом, если найдется таковой среди моих читателей, – вот кто сможет хотя бы отчасти понять, какой свинцовый сон сморил меня. Или вообразите: пенный вал бушующего моря своею мощной дланью послал в пучину судно, из всего экипажа один человек остался на плоту, долгие часы его плот, как щепку, носит по волнам, – долгие часы, и каждый час длиннее целой жизни, но наконец поблизости плывет фрегат, несчастного матроса замечают, в последний миг к нему поспевает помощь – вот этот страдалец, верно, мог бы понять лучше всех, каким тяжелым сном я был придавлен. Гипноз да хлороформ способны ввергнуть человека – да и ввергают, если не ленятся – в подобную каталептическую летаргию. Такое состояние нисколько не напоминает смерть, кто это скажет, тот солжет. Однако перейдем скорее к сну, который мне пригрезился, не то любители такого рода россказней взревут от нетерпения, как стая мощноглавых кашалотов, оспаривающих друг у друга беременную самку. Итак, мне снилось, будто я очутился в прочно приросшей ко мне шкуре свиньи и валяюсь в самых грязных лужах. Это ли не благодать: сбылись мои мечты, я больше не принадлежал к человеческому роду! Именно так я и подумал и был несказанно обрадован, хотя и не мог сообразить, за какой подвиг Провидение послало мне столь почетную награду. Теперь, вспоминая все, что произошло со мною, пока я был распластан на гранитной глыбе – за это время два прилива сомкнули незаметно для меня свои волны над сплавом бесчувственного камня с живою плотью, – теперь я допускаю, что это превращение было, скорее всего, унизительным наказанием, которое ниспослало мне божественное правосудие. Но кто предугадает, что может затронуть в нас тайные струны постыдной, темной радости! Я счел тогда (да и сейчас считаю так же) сию метаморфозу щедрым даром, ослепительным счастьем, высшим, долгожданным благом. Наконец-то, наконец я стал свиньей! Я пробовал свои клыки на коре ближайших деревьев, я с нежностью разглядывал свое рыло. От искры божьей не осталось и следа; выходит, поднять свою душу до высоты вожделенного идеала совсем нетрудно. Так слушайте же и не краснейте, о вы, безмерно смехотворные пародии на красоту, вы, чрезмерно чтящие ослиный рев своей ничтожнейшей души, вы, ничего не ведающие о том, как Вседержитель в редкую минуту беспечного веселья духа и в полном соответствии с великими всеобщими законами гротеска потешился однажды тем, что заселил одну планету микроскопическими и диковинными существами, которых называют «люди» и чьи тела состоят из субстанции, напоминающей розовые кораллы… Что ж, вам есть от чего краснеть, кули с костями да жиром, но все-таки послушайте меня. Не к разуму ваше взываю: его отвращение к вам столь велико, что может привести к кровавой рвоте; не терзайтесь же страхом, как бы он не выдал вашу суть, следуйте своей натуре. Взгляните на меня: исчезли все помехи. Если мне хотелось убивать, а такое случалось нередко, я убивал, и никто не мешал мне. Правда, человеческие законы еще грозили мне возмездием, хоть я и не покушался на племя, которое оставил без всякого сожаления, но зато совесть ничуть меня не упрекала. Весь день дрался я с моими новыми собратьями, так что земля вокруг покрылась в несколько слоев засохшей кровью. Я был сильнее всех и выходил победителем из схваток. Огнем горели раны, но я делал вид, будто не замечаю боли. Наконец все твари земные обратились в бегство, и я остался один в ослепительном блеске славы. Решив покинуть места, опустошенные моею яростью, и перебраться в новые, дабы и там учинить кровавый террор, я вплавь преодолел реку, но едва достиг суши и попытался сделать первые шаги по цветущему берегу, как величайшее изумление охватило меня! Ноги мои сковал внезапный паралич, и стряхнуть это оцепенение я не мог. Я делал невероятные усилия, чтобы освободиться и продолжить путь, но тут проснулся и почувствовал, что снова обратился в человека. Провидение недвусмысленно дало мне понять, что не желает, чтобы мои мечты исполнились, хотя бы и во сне. И это обратное превращение явилось столь болезненным ударом, что еще и поныне я плачу по ночам. К утру мои простыни намокают так, точно их окунули в воду, и мне приходится менять их что ни день. А если вам не верится, то приходите и сами убедитесь в том, что утверждение мое не просто правдоподобно, но совершенно правдиво. Сколько раз с той ночи, проведенной под открытым небом на скале, замешивался я в стадо свиней, пытаясь вернуть себе облик, которого так несправедливо лишился! Пора, давно уже пора отринуть сладостные воспоминания о мимолетном торжестве, которые оставили в моей душе бледный, точно Млечный пчть, след вечных сожалений…

(7) Увидеть нечто, по форме или же по сути отклоняющееся от всеобщих законов природы, не так уж невозможно. Действительно, стоит каждому, не пожалев усилий, мысленно перелистать страницы памяти (не пропуская ни одной, ибо именно на ней может оказаться доказательство выдвинутой мною мысли), как он не без некоторого удивления, каковое при иных обстоятельствах было бы комичным, обнаружит, что в такой-то день он был свидетелем – обратимся вначале к внешнему миру – явления, которое, казалось бы – да так оно и было на самом деле, – не укладывалось в очерченные опытом и очевидностью рамки, такого, например, как дождь из лягушек, таинственная природа которого не сразу была уяснена учеными. А в какой-то другой день – продолжая и завершая перечень феноменами мира внутреннего – собственная его душа являла взгляду изощренного психолога картину если не умственного расстройства (хотя это было бы еще любопытнее), то, по крайней мере (не стану дразнить трезвомыслящих критиков, которые не простили бы мне столь чрезмерных преувеличений), некоего особого и весьма тяжелого состояния, возникающего порой в результате того, что воображение переступает пределы, определенные ему здравым смыслом, нарушая тем самым неписаный договор, заключенный между этими двумя силами, под натиском ли воли, или, что несравненно чаще, из-за разобщенности сторон; в подтверждение сказанному приведу несколько примеров, в уместности которых нетрудно будет убедиться тому, кто запасается терпением и смирением. Достаточно и двух: необузданная ярость и недуг гордыни. Прошу читающего эти строки не делать поспешных и к тому же ложных выводов о несовершенстве моего стиля на основании того, что, разворачивая фразы с чрезвычайною стремительностью, я вынужден отбрасывать всяческие словесные украшения. Увы! Я и хотел бы выстраивать свои мысли и сравнения неторопливо и изящно (но что поделать, коли вечно не хватает времени!), с тем чтобы передать каждому читателю если не ужас, то изумление, овладевшее мною, когда однажды летним вечером, любуясь солнечным закатом, я увидел, что по морю плывет какой-то человек могучего телосложения, имеющий вместо кистей рук и ступней ног перепончатые, как у утки, лапы, а на спине – острый и вытянутый, как у дельфина, плавник, и стаи рыб (среди прочих я различил в этой свите ската, гренландского анарнака39… гренландского анарнака … – Анарнаками гренландцы называют китов-бутылконосов. и адскую скорпену40Скорпена – морской ерш, хищная рыба с ядовитыми колючками. Во Франции скорпену называют также морским чертом.) следуют за ним, всем своим видом выражая почтительнейшее восхищение. Временами скользкое тело его скрывалось под водой, но тут же он выныривал вновь, покрыв сто метров за какую-то секунду. Морские свиньи, которые, как я всегда считал, заслуженно слывут отличными пловцами, едва поспевали за этой невиданной амфибией. Мне кажется, тот читатель не пожалеет, который, вместо того чтобы затруднять повествование бездумным легковерием, удостоит автора доверием вдумчивым, с оттенком искренней приязни, которое позволит ему оценить по достоинству те, пусть, на его взгляд, немногочисленные красоты поэзии, в которые я старательно посвящаю его при всякой возможности, и как раз сегодня нечаянно выдался такой случай, который свежий бриз занес вместе с бодрящим ароматом морских водорослей в мою строфу, в которой говорится о диковинном существе, которое похитило у водоплавающих птиц их атрибуты. Но почему похитило? Кому же неизвестно, что человек, которого природа и без того довольно щедро наделила обширными и многообразными способностями, может, если пожелает, еще приумножить их и научиться погружаться в толщу вод не хуже бегемота, летать в поднебесье, как орлан, зарываться в землю, точно крот, мокрица или божественный червь… С большей или меньшей (и скорее большей, чем меньшей) точностью воспроизвожу я те весьма и весьма утешительные мысли, которыми пытался подкрепить свой дух, встревоженный подозрением, не в наказание ли за некий неведомый грех подверглись метаморфозе конечности того, кто несся по морю, развивая с помощью четырех перепончатых лап скорость, недоступную для проворнейшего из бакланов. Но мне не стоило терзаться и прежде времени травить себя горчайшими пилюлями жалости: я не знал еще, что этот человек, чьи руки мерно рассекают соленые морские волны, а ноги взвихряют буруны, точно пара винторогих нарвалов, отнюдь не был наказан, хотя и без охоты принял удивительное превращение. Истина, открывшаяся мне впоследствии, оказалась проста: сей незнакомец покинул неприветливую сушу по собственной воле, а долгое пребывание в жидкой среде мало-помалу привело к тем очень явным, но не очень существенным изменениям, которые и были мною замечены, хотя поначалу, не разглядев как следует, я принял сей загадочный объект (подобные промахи, совершаемые по крайней опрометчивости, порождают чувство досады, понятное психологам и тем, кто отличается особой осмотрительностью) за рыбу странной формы, доселе не описанную ни одним натуралистом и разве что упомянутую в чьих-нибудь посмертных трудах – впрочем, это последнее предположение я не стал бы отстаивать уж очень рьяно, потому что оно обязано своим возникновением столь вольным допущениям, что может оказаться и заблуждением. Оно и неудивительно, так как амфибия была видима лишь для меня одного – не считая рыб и китообразных, – свидетельство тому – проходившие мимо крестьяне, которые при виде моего ошеломленного чудесным явлением лица останавливались и безуспешно пытались понять, почему это я, не отрывая глаз, смотрю на море, словно некая сила, казавшаяся непреодолимой, но не бывшая таковой на самом деле, приковывала мой взор к одной точке, туда, где они ничего, кроме мельтешения всевозможных рыб, не видели, и их в недоумении разинутые рты достигали размеров китовой пасти. Поглядеть на рыбок – одна забава, а бледнеть, как этот чудак, вроде бы не с чего, – говорили они на своем живописном наречии, да и не так они были глупы, чтобы не заметить, что гляжу-то я не туда, где резвятся рыбы, а много дальше. Я же, в свою очередь невольно привлеченный зрелищем столь титанически распахнутых зевов, думал про себя, что если только не найдется в мире пеликана величиною с гору или хотя бы с мыс (прошу вас оценить всю тонкость оговорки, благодаря которой ни пядь земли не пропадет даром), то ни один птичий клюв и ни одна звериная пасть не может не то что превзойти величиною эти зияющие мрачные кратеры, но и сравниться с ними, И, право, даже если сделать скидку на известное преувеличение, неизбежно сопутствующее любезной моему сердцу метафоре (а эта риторическая фигура отвечает тяге человека к бесконечности гораздо больше, чем представляется умам, погрязшим в предрассудках или в ложных убежденьях, что по существу одно и то же), непреложной истиной остается то, что потешно разверстые крестьянские рты легко могли бы разом проглотить не менее чем по три кашалота. Ну, а коли быть совсем серьезным и умерить аппетит, то можно удовольствоваться тремя новорожденными слонятами. Один гребок амфибии – и пенный след протягивался на целый километр. Выныривает перепончатая длань – и в краткий миг меж взлетом и новым погруженьем как будто устремляется к космическим высотам, едва не прикасаясь к звездам. И вот, сложив ладони рупором, взобравшись на береговой утес, я крикнул так, что голос мой загнал в глубокие расселины всех раков с крабами: «О ты, скользящий по волнам быстрее, чем летит альбатрос на не знающих устали крыльях, если причудливые возгласы, что вырываются из человеческой гортани и служат верным воплощеньем мысли, еще не утратили для тебя значенья, останови, прошу, хоть на минуту свое стремительное движенье и коротко, но по порядку, поведай мне свою судьбу. Но только не старайся внушить мне чувства дружбы и почтения, не трать на это слов, ибо они и так вспыхнули во мне, едва лишь я узрел, как ты с акульей грацией и силой отважно мчишься вдаль». Могучий вздох пронесся тогда над морем, и лютый холод пробрал меня до костей, и утес заколебался под моими ногами, или это зашатался я сам под бурным натиском воздушных волн, наполнивших мне уши скорбным воплем; тот вздох разбередил земные недра, и растревоженные рыбы нырнули в глубь морских зыбей с громоподобным плеском. Пловец приблизился, но не вплотную к берегу, а лишь настолько, чтоб его голос без усилия достигал моего слуха, и, шевеленьем ласт поддерживая тело в вертикальном положении, возвысил над ревущею пучиной свой торс, увешанный зелеными стеблями водных трав. И я увидел, как он склонил чело, как будто повелительно сзывая сонм заблудившихся в душе воспоминаний. Я молча ждал, не решаясь прервать священнодейственных раскопок, он же погрузился в прошлое и замер, недвижимый, словно риф. Но наконец он разомкнул уста: «Не потому ли у сколопендры такое множество врагов, что бесподобная красота ее бессчетных ножек отнюдь не вызывает ни любви, ни восхищенья у других животных, а только разжигает в них завистливое озлобленье. Все хулят и ненавидят ее – что же, меня это нисколько не удивляет… Не стану говорить тебе, где я родился: это ничего не прибавит к моему рассказу, а честь не велит пятнать позором имя предков. На второй год супружества моих достойных родителей (да простит их Господь!) небо, вняв их молитвам, послало им близнецов: моего брата и меня. Казалось бы, родившись в один день, мы должны были нежно любить друг друга. Но вышло по-другому. Я был красивей и умнее брата, и он воспылал ко мне ненавистью, которой даже не пытался скрыть, родители в ответ на это окружали меня еще большею любовью и лаской, я же, не переставая искренно любить брата, старался отвратить душу несчастного от противоестественной вражды с тем, кто делил с ним тепло материнской утробы. Но злоба его не знала границ, и наконец, опорочив меня чудовищной клеветой, он добился того, что родители от меня отвернулись. Пятнадцать лет провел я в темнице, питаясь мерзкими червями да мутною водой. Не стану подробно описывать всех мук, перенесенных мною за долгие годы этого безвинного заточения. Изо дня в день в определенный час двери моей тюрьмы открывались и входил один из палачей – всего их было трое. и каждый являлся в свой черед – с клещами, щипцами и прочими орудиями пытки. Они слышали крики, которые исторгала у меня боль, и оставались равнодушны, они видели потоки крови и усмехались. О брат мой, виновник всех моих несчастий, я тебя простил! Может ли быть, чтобы твоя слепая ненависть не сменилась наконец прозрением?! Томясь в узилище, я много размышлял. И ты легко поймешь, как я возненавидел род людской. И все же, несмотря на тройной гнет – одиночества, тоски и недугов, – я не совсем лишился рассудка и не озлобился против тех, кого все еще продолжал любить. Но вот однажды хитростью мне удалось вернуть себе свободу. Страшась всех живущих на земле, всех, кто, хотя и считались мне подобными, на самом деле, насколько я успел понять, не имели со мною никакого сходства (если бы они и правда считали меня подобными себе, для чего стали бы причинять мне столько зла?), я побежал на каменистый берег, твердо решив умереть, если и в море будут терзать меня воспоминания о поре, предшествовавшей пережитому кошмару. И что же, вот я перед тобой. Жизнь в морских глубинах, в сияющих хрусталем гротах, которую веду я с тех самых пор, как покинул отчий дом, не так уж и плоха. Взгляни и убедись. Провидение даровало мне лапы лебедя. Мирно провожу я свои дни среди рыб, и они заботятся о моем пропитании и служат мне, признав своим повелителем. Сейчас, если позволишь, я свистну на особый лад, и ты увидишь, как они со всех сторон примчатся на зов». Как он сказал, так и произошло. Затем мой странный собеседник вновь царственно поплыл в сопровожденье свиты подданных. В считанные секунды скрылся он из виду, но я навел подзорную трубу и все же разглядел его, пока он не исчез совсем за горизонтом. Он греб одной рукою, другой же тер глаза, налившиеся кровью от неимоверного усилия, которое пришлось ему приложить, чтобы заставить себя приблизиться к суше. И все лишь ради меня, лишь затем, чтоб утолить праздное мое любопытство. С досадой отшвырнул я трубу, проклиная ее ненужную зоркость; ударившись о камень, она разбилась вдребезги, и волны унесли осколки: то был прощальный жест, которым я почтил несчастное и благородное созданье, в котором ясный ум соседствует с горячим сердцем, явившееся мне как будто бы во сне. Но не во сне, а наяву случилось все, чему я был свидетелем в тот летний вечер.

(8) Каждую ночь, все вновь и вновь, распиная истерзанную память на широко распахнутых крылах, я воскрешал в воображении один и тот же образ, твой образ, Фальмер… каждую ночь… Светлые кудри, нежный овал лица, решительный взор запечатлелись в моем сознанье… да, особенно светлые кудри… Но что это за безволосый, гладкий, словно черепаший панцирь, череп – прочь, уберите прочь!.. Ему было четырнадцать, а мне лишь годом больше. Да замолчи же, страшный голос! Зачем мне выдавать себя? Но это говорю я сам. Теперь я понял: это моя мысль приводит в движение мой язык и шевелит моими губами – это говорю я сам. Это я начал рассказ о своей юности, это меня ужалила в самое сердце совесть, и это говорю – по-видимому, так… – и это говорю я сам. Мне было только годом больше, чем ему… лишь годом больше, чем ему… кому же? О ком я говорю? В то давнее время он, кажется, был моим другом. Да-да, он был мне другом, а имя я уже сказал и больше ни за что не повторю, нет, ни за что! Наверное, не нужно повторять и то, что мне было лишь годом больше. А может, нужно? Что ж, повторю, но только горьким шепотом: мне было только годом больше. Но я был гораздо сильнее и употреблял это превосходство лишь затем, чтобы защитить и поддержать в невзгодах жизни того, кто мне доверился, и никогда не помыкал им как слабейшим. Он был слабее, да, помнится, он был слабее… В то давнее время он, кажется, был моим другом. Я был сильнее… Каждую ночь… Особенно светлые кудри… как всем известно, лысые не редкость, известны и причины сего малоприятного явления: старость, горе, болезнь – все три эти фактора вместе или каждый в отдельности. По крайней мере, именно такое объяснение дал бы, обратись я к нему, ученый муж. Старость, горе, болезнь. Но я (а в этом деле я не уступлю ученым), я знаю еще одну причину облысения. А было так: однажды друг остановил мою руку с кинжалом, которую я занес над грудью женщины, я же в гневе схватил его за волосы своей железной дланью и раскрутил, так, что его светлые кудри остались зажаты у меня в кулаке, а сам он, повинуясь центробежной силе, отлетел и со всего размаху врезался в могучий дуб… Да, я знаю еще одну причину… однажды светлые кудри остались в моем кулаке… И сам не уступлю ученым… Да-да, я уже называл его имя. Я это совершил… а сам он, повинуясь центробежной силе, со всего размаху… Четырнадцать лет ему было… В припадке буйного безумья, не разбирая дороги, помчался я, прижимая к груди кровавый комок, который с тех пор храню, как драгоценную реликвию… а за мною бежали детишки… детишки и старухи, швыряли камни и вопили: «Вот волосы Фальмера!» Прочь, уберите прочь этот гадкий, словно черепаший панцирь, этот безволосый череп… Кровавый комок… Но это говорю я сам… Он был слабее, помнится, слабее… Детишки и старухи… Он был… что я хотел сказать?.. ах, да, был, помнится, слабее. Железной дланью… Погиб ли он от этого удара? Разбился ли о ствол… совсем, совсем разбился? Погиб ли он от этого удара?.. Не ведаю, не видел, я закрыл глаза, не знаю и узнать боюсь. Особенно светлые кудри… В тот день я спасся бегством, но совесть мучительно гложет меня и поныне… Каждую ночь… Мечтающий о славе юноша, склонившийся над письменным столом, в своей каморке под самой крышей, вдруг слышит средь ночной тиши какой-то шорох; не зная, что это, он поднимает свою отяжелевшую от напряженных дум и чтенья пыльных фолиантов голову, глядит по сторонам, но не находит ничего такого, что объяснило бы происхожденье того чуть слышного, но явственного шороха. И наконец замечает: горячая воздушная струя, что поднимается от свечки к потолку, слегка колышет лист бумаги, пришпиленный к стене. Под самой крышей… И как мечтающий о славе юноша вдруг слышит непонятный шорох, я слышу голос, певучий голос, я слышу тихий оклик: «Мальдорор!» Пока же юноша не понял, откуда исходит звук, ему казалось, будто это шелест комариных крылышек… над письменным столом склонившись… Я лежу на атласном ложе, но не сплю. С полнейшим хладнокровьем убеждаюсь, что глаза мои открыты, хотя уже давно настало время ночных маскарадов, час розовых домино. Никогда, о никогда никто из смертных не мог бы так трепетно и нежно, точно серафим, произнести три слога, что составляют мое имя! Комариные крылышки… Как ласков его голос… Так он простил меня? Он отлетел и со всего размаху… «Мальдорор!»

ПЕСНЬ V

(1) Не сетуй на меня, читатель, коль скоро моя проза не пришлась тебе по вкусу. Признай за моими идеями, по крайней мере, оригинальность. Ты человек почтенный, и все, что ты говоришь, несомненно, правда, но только не вся. А полуправда всегда порождает множество ошибок и заблуждений! У скворцов особая манера летать41У скворцов особая манера летать … – В пятой песни обнаруживается, по крайней мере, пять дословных цитат из «Энциклопедии естественной истории» Шеню. Одна из них – описание полета скворцов., их стаи летят в строгом порядке, словно хорошо обученные солдаты, с завидной точностью выполняющие приказы полководца. Скворцы послушны инстинкту, это он велит им все время стремиться к центру стаи, меж тем как ускорение полета постоянно отбрасывает их в сторону, и в результате все это птичье множество, объединенное общей тягой к определенной точке, бесконечно и беспорядочно кружась и сталкиваясь друг с другом, образует нечто подобное клубящемуся вихрю, который, хотя и не имеет общей направляющей, все же явственно вращается вокруг своей оси, каковое впечатление достигается благодаря вращению отдельных фрагментов, причем центральная часть этого клубка хотя и постоянно увеличивается в размерах, но сдерживается противоборством прилегающих витков спирали и остается самой плотной сравнительно с другими слоями частью стаи, они же в свою очередь тем плотнее, чем ближе к середине.

Однако же столь диковинное коловращение ничуть не мешает скворцам на диво быстро продвигаться в податливом эфире, приближаясь с каждою секундой к концу утомительных странствий, к цели долгого паломничества. Так не смущайся же, читатель, странною манерой, в которой сложены мои строфы, сколь бы ни были они эксцентричны, незыблемой основой их остается поэтический лад, на который настроена моя душа. Конечно, исключения не составляют правил, но все же мое своеобразие остается в рамках возможного. Между литературой в твоем понимании и тем, какой она представляется мне, как между двумя полюсами, лежит бесконечное множество форм промежуточных, которые легко можно множить и множить, однако это не только не принесло бы пользы, но и могло бы чрезвычайно сузить и извратить глубоко философическую категорию, ибо она утратит всякий смысл, если отбросить то, что было изначально в ней заложено, то есть ее всеохватность. Вдумчивый созерцатель, ты способен восторгаться с хладною душою, что ж, глядя на тебя, я восхищаюсь… А ты меня понять не хочешь! Быть может, ты нездоров, тогда последуй моему совету (лучшему из всех, какие я в силах дать тебе!) и пойди погуляй на свежем воздухе. Ты прав, это не бог весть что… И все же прогулка взбодрит тебя, а после снова приходи ко мне. Не плачь, успокойся, я не хотел тебя расстроить. Ну что, мой друг, не правда ли, мои песни уже нашли в тебе какой-то отзвук? Так отчего не сделать еще шаг? Граница меж нашими вкусами – твоим и моим – невидима, неуловима, а значит, ее и вовсе нет. Но если так, подумай (я лишь слегка касаюсь этой темы), уж не вступил ли ты в союз с упрямством, любимым чадом мула42… любимым чадом мула … – Мул, гибрид лошади и осла, как известно, бесплоден., которое питает нетерпимость. И я не обратился бы к тебе с таким упреком, когда б не знал, что ты неглуп. Поверь: замыкаться в хрящеватый панцирь некоей, незыблемой в твоих глазах, аксиомы вредно для тебя самого. Ведь наряду с твоей есть и другие, и они столь же незыблемы. Положим, ты охоч до леденцов (природа тоже любит пошутить), что ж, никто не усмотрит в этом преступленья, но и люди, отличные от тебя по темпераменту и по масштабу дарований и потому предпочитающие перец и мышьяк, столь же вольны в своих пристрастиях, что отнюдь не означает, будто они желают навязать свой вкус в этом невинном вопросе тем, на кого наводит ужас какая-нибудь землеройка или формула площади поверхности куба. Говорю это по опыту, не желая никого подстрекать. И как коловратки и тихоходки могут выдержать нагревание до температуры кипения воды43… коловратки и тихоходки могут выдержать нагревание до температуры кипения воды … – еще одно свидетельство эрудиции Лотреамона в зоологии. Коловратки и тихоходки – мелкие водяные беспозвоночные, известные Лотреамону из трудов Пуше или пользовавшегося ими Мишле., не теряя при этом жизнеспособности, так и ты сможешь постепенно привыкнуть к едкой сукровице, которая накапливается от раздражения, вызываемого моим замысловатым витийством. Почему бы и нет, ведь удалось же пересадить живой крысе хвост от дохлой44… пересадить живой крысе хвост от дохлой – О такой операции писал журнал «Revue des deux mondes» 1 июля 1868 г.. Вот и ты постарайся пересадить в свою голову разнообразные плоды моего мертворожденного ума. Ну же, будь благоразумен! Как раз сейчас, пока я пишу эти строчки, духовную атмосферу пронзают новые токи, а значит, надо, не робея, не отводя глаз, достойно встретить их. Но что это, отчего ты скривился? Да еще передернулся так, что эту гримасу и не повторить без долгой и упорной тренировки? Пойми, во всем нужна привычка, и поскольку то непроизвольное отвращение, что вызывали у тебя первые страницы, заметно убывает, обратно пропорционально растущему усердию в чтении – так истекает гной из вскрытого фурункула, – есть надежда, что, хотя твои мозги еще воспалены, ты скоро вступишь в фазу полного выздоровления, Да, ты определенно пошел на поправку, разве что еще бледен лицом. Но ничего, крепись! ты наделен недюжинным умом, с тобой моя любовь и вера в окончательное исцеленье, а чтобы избавиться от последних симптомов недуга, ты должен принять особые снадобья. Для начала вяжущее и тонизирующее; это несложно: вырви руки у собственной матери (если она у тебя еще есть), изруби на мелкие куски и съешь за один день, сохраняя полную невозмутимость. Если же матушка твоя чересчур стара, выбери для этой операции предмет помоложе и посвежее, чьи кости легко берет пила хирурга и чьи плюсны при ходьбе служат надежною точкой опоры ножному рычагу, ну, например, свою сестру. Мне тоже жаль ее, ведь доброта моя не напускная, как та, которую рождает восторженный, но хладный ум. Что ж, мы с тобой уроним по слезе, свинцовой и неудержимой, над этою столь дорогой нам девой (хоть никакими доказательствами ее девства я не располагаю). И будет. Рекомендую тебе также отличное смягчающее средство: смесь из кисты яичника, язвительного языка, распухшей крайней плоти и трех красных слизней, настоянная на гнойных гонорейных выделениях. И если ты исполнишь эти предписания, моя поэзия примет тебя в свои объятия и обласкает, как вошь, которая впивается лобзаньями в живой волос, покуда не выгрызет его с корнем.

(2) На кочке предо мною возвышался некто. Издалека я плохо видел его голову, неясно различал ее очертания, но сразу уловил в ней что-то необыкновенное. Я страшился приблизиться к сей неподвижной фигуре, и пусть бы, кроме пары собственных ног, приставили мне конечности трех сотен крабов (не считая тех, что предназначены для захвата и измельчения пищи), я и тогда не тронулся бы с места, если бы одно событие, как будто бы весьма незначительное, не обложило непосильной данью мое любопытство и не заставило его выйти из берегов. Откуда ни возьмись, появился скарабей, поспешно направляющийся к вышеозначенной кочке, – именно к ней, несомненно к ней, он сам прикладывал все силы, чтобы сделать очевидным свое стремленье к ней, – катя перед собою по земле при помощи всех усиков и лапок шар, состоящий в основном из экскрементов. Величиною же сие членистоногое было чуть поболее коровы! Кто сомневается в моих словах, прошу пожаловать ко мне, и я представлю недоверчивым неоспоримые свидетельские показания. Донельзя удивленный, я пошел за ним следом, держась, однако же, поодаль. Что будет он делать с этим огромнейшим черным шаром? А ты, читатель, гордящийся (и не напрасно) своею проницательностью, сможешь ли ты угадать? Ну, так и быть, не стану подвергать столь тяжкому испытанию твою нетерпеливую страсть к загадкам. Но знай – и это легчайшее наказание из всех, какие я могу придумать – я открою (все-таки открою!) тебе эту тайну не раньше, чем в самом конце твоей жизни, когда ты поведешь ученый диспут с подступающей агонией… а может быть, в конце строфы. Между тем скарабей уже достиг подножья кочки. В то время как я хотя и следовал за ним, но был еще довольно далеко, ибо, подобно поморникам, опасливым и как будто вечно голодным птицам, которые обитают в приполярных областях, а в зоны умеренного климата залетают лишь изредка45… залетают лишь изредка … – Рассуждение о поморниках – еше одно почти дословное заимствование из «Энциклопедии естественной истории» Шеню., я тоже двигался вперед с медлительной опаской. И все еще не мог понять, что это за существо на кочке, к которому я приближался. Насколько мне известно, семейство пеликаньих состоит из четырех раздельных видов: глупышей, пеликанов, бакланов и фрегатов. Но надо мной возвышалась серая фигура, и то был не глупыш. На пригорке стояло немое изваяние, и то был не фрегат. Мой взор приковывала окаменевшая плоть, и то был не баклан. Теперь я ясно видел человека, чей мозг лишен варолиева моста46… чей мозг лишен варолиева моста – Варолиев мост – часть мозга, контролирующая разные функции организма, в том числе двигательную.. Лихорадочно рылся я в памяти, пытаясь вспомнить, где, в каких холодных или жарких странах я видел этот длинный, широкий, уплощенный сверху, с выпуклым гребнем с ноготком на конце, загнутым книзу, клюв, эти сборчатые края, это надклювье, состоящее из двух сходящихся на конце лучей, этот промежуток между ними, затянутый кожной перепонкой, этот большой желтого цвета мешок, идущий вдоль всей шеи и сильно растяжимый, эти узкие, вертикально прорезанные, почти неразличимые, спрятанные в желобке у основания ноздри47… где … я видел … этот … клюв … эти … ноздри! – Описание пеликана позаимствовано у Шеню.. Когда бы это существо с дыханием простого легочного типа, снабженное волосяным покровом, было птицею до самых пят, а не только до плеч, мне было бы не так уж затруднительно распознать его: вы и сами увидите, что это совсем нетрудно. И все же я не стану делать окончательного заключения, ибо для полной уверенности мне потребовалось бы иметь перед собою на столе одного из представителей названного семейства, хотя бы в виде чучела. А я не так богат, чтобы его приобрести. Иначе я бы пункт за пунктом проверил высказанную выше гипотезу и вскоре определил бы доподлинную природу загадочной твари, в чьей принужденной позе угадывалось внутреннее благородство. Гордясь тем, что сумел проникнуть в тайну двойственного организма, и сгорая желанием узнать поболее об этом чуде, я наблюдал сию незавершенную метаморфозу! И хотя у незнакомца не было человеческого лика, он казался прекрасным, как пара щупальцеобразных длинных усиков какого-нибудь насекомого, или как поспешное погребение, или как закон регенерации поврежденных органов, или, вернее всего, как отменно зловонная трупная жидкость! Не обращая ни малейшего внимания на все происходящее вокруг, пеликаноглавый субъект смотрел прямо перед собою! Но лучше отложу конец этого описания до другого раза. Пока же, без затей и поскорее, продолжу свой рассказ, поскольку и вам не терпится узнать, к чему же клонится мой вымысел (дай-то Бог, чтоб это оказался чистый вымысел!), и я, со своей стороны, имею твердое намерение поведать все, что собирался, за один раз (ни в коем случае не за два!). И пусть никто не смеет упрекнуть меня в трусости. Найдется ли смельчак, который, очутись он на моем месте, не услышал, приложив ладонь к груди, как учащенно бьется его сердце. Да вот, кстати говоря, совсем недавно в Бретани, в одном приморском городишке, скончался бывалый моряк, с которым некогда приключилась не менее ужасная история. Он был капитаном дальнего плавания на корабле, принадлежавшем некоему судовладельцу из Сен-Мало. Как-то раз, проплавав в море год и месяц, он вернулся к семейному очагу, и как раз в этот день супруга осчастливила его наследником, законность коего он мог признать лишь вопреки всем законам природы; еще не оправившись от родов, она лежала в постели. Не обнаруживая ни удивления, ни гнева, капитан спокойно предложил жене одеться и прогуляться с ним вдоль городского вала. А дело было в январе. Вал Сен-Мало высок и, когда дует северный ветер, даже самые отчаянные не решаются на подобную прогулку. Бедная женщина повиновалась и пошла за ним смиренно и молча, по возвращении же свалилась в горячке. И в ту же ночь умерла. Конечно, то была слабая женщина. Но я, мужчина, оказавшись перед лицом не менее драматического испытания, не могу ручаться, что не дрогнет ни один мускул на моем лице! Едва лишь скарабей дополз до кочки, как человек, обратив воздетую руку на запад (как раз туда, где в облаках схватились гриф-ягнятник с американским филином), стер с клюва блистающую, подобно бриллианту, всеми цветами радуги слезу и сказал скарабею: «Доколе будешь ты катать несчастный этот шар? Твоя месть ненасытна, меж тем как у женщины, чьи руки и ноги ты когда-то скрутил жемчужными нитями, превратив в аморфный многогранник, дабы удобнее было толкать ее твоими членистыми лапами по равнинам и по дорогам, по камням и по колючим кустам (дай мне взглянуть, она ли это в самом деле!), – у этой женщины давно уж раздробились все кости, отшлифовались в результате трения качения суставы, слились и слиплись части тела, так что все оно, утратив природные углы и изгибы, превратилось в однородную массу, в месиво из твердых и мягких тканей и приняло форму, близкую к шарообразной! Она уже давно мертва, так предай же ее останки земле и смотри, как бы переполняющая тебя ярость не разрослась сверх всякой меры; уже не жажда справедливого возмездия, а самолюбие руководит тобою, оно скрывается под стенками твоей черепной коробки и уже распирает ее, подобно призраку, вздымающему свой саван». Тем временем ягнятник и американский филин, поглощенные схваткой, незаметно для самих себя переместились ближе к нам. Скарабей, изумленный услышанным, вздрогнул и – что могло бы прежде показаться ничем не примечательным движением, а ныне послужило признаком неудержимого гнева – стал грозно скрести задними лапами о край надкрыльев, издавая пронзительный треск, в котором можно было различить слова: «От тебя ли слышу я эти трусливые речи? Уж не забыл ли ты, о брат мой, обо всем, что было? Эта женщина предала нас обоих. Сначала тебя, потом и меня. И по-моему, такое оскорбление не должно (да, не должно бы!) стереться в памяти с такою легкостью. С такою легкостью! Ты, великодушная натура, уже готов простить. А вдруг – почем ты знаешь! – хотя все атомы перепутались, и тело этой женщины напоминает круто замешанное тесто (теперь не время доискиваться, хотя самое поверхностное исследование могло бы прояснить вопрос о том, что более способствовало его плотности: совокупное ли воздействие пары тяжелых колес или же мое неукротимое рвение), она еще жива? Молчи и не мешай мне мстить». И, вновь толкая шар, он двинулся в дальнейший путь. Когда же он скрылся из виду, пеликан вскричал: «Своею колдовскою силой та женщина обратила меня в птицеглавое чудище, а брата – в скарабея, так, может быть, она и впрямь заслуживает еще и не таких мучений, как те, что были мною перечислены». Услышанное (во сне иль наяву – не знаю) внезапно открыло мне, что вражда столкнула там, на небе, в кровавых объятиях ягнятника и филина, и тогда, откинув голову, как капюшон, дабы раздуть меха своих легких и обеспечить беспрепятственный выход воздушному току, я, глядя ввысь, возопил: «Эй, вы, остановитесь, прекратите распрю! Вы оба правы, она клялась в любви обоим и обоих обманула. Но не вы одни обмануты коварной. Она лишила вас человеческого облика, жестоко надругавшись над самыми святыми чувствами. Неужто вы не верите мне! Как бы то ни было, она мертва, и скарабей, невзирая на жалость, которой поддался его брат, первая жертва ее вероломства, подверг обманщицу суровой каре, которая оставила на ней неизгладимый след». Эти слова положили конец поединку, противники уже не рвали друг у друга перья и клочья мяса – и правильно. Американский филин, прекрасный, как формула кривой, которую описывает пес, бегущий за своим хозяином, скрылся в руинах старого монастыря. Ягнятник, прекрасный, как закон затухающего с годами роста грудной клетки при диспропорции между тенденцией к увеличению и количеством усваиваемых организмом молекул, взмыл ввысь и растворился в поднебесье. Пеликан, чей благородный порыв потряс меня тем более, что показался неестественным, вновь застыл на кочке, величественный, как маяк, привлекающий взоры всех плавающих по океану жизни одушевленных челноков, дабы, памятуя о его примере, они остерегались любви злых волшебниц. А скарабей, прекрасный, как трясущиеся руки алкоголика, почти исчез за горизонтом. Я же вырвал мускул из собственной левой руки, ибо был слишком взволнован судьбою четверых несчастных и не ведал, что творю. А я-то думал, что это просто ком навоза… Вот дурень…

(3) Периодическое отмирание всех человеческих чувств это не пустые слова, как может показаться. Или во всяком случае не такие пустые, как многое другое в том же роде. Пусть поднимет руку тот, кто всерьез готов обратиться к палачу с просьбой заживо содрать с себя кожу. Пусть поднимет голову тот, кто охотно подставит грудь под пули. Я поищу глазами шрамы, сосредоточу всю остроту осязанья на кончиках пальцев дабы ощупать тело такого чудака, удостоверюсь, забрызган ли мой белоснежный лоб мозгами из простреленного черепа. Нет, любителя подобных самоистязаний не найдется в целом свете. Я не ведаю смеха, это верно, ибо до сих пор еще ни разу не смеялся. Однако было бы опрометчиво утверждать, будто губы мои не растянулись бы при виде человека, который заявил бы, что этакое диво существует. Но то, чего никто не пожелал бы для себя, в избытке выпало на мою несчастную долю. Правда, мне не приходилось корчиться от боли, да это бы еще и ничего. Зато мой ум иссох от постоянных, напряженных, иступленных размышлений, он стонет, он вопит, точно лягушки, чье мирное болото посетила стая алчных цапель или прожорливых фламинго. Блажен, кто безмятежно спит на мягком ложе из пуха, выщипанного с груди полярной гаги, не замечая, что выдает себя врагу. Я же не смыкаю глаз вот уже три с лишним десятка лет. С самого недоброй памяти дня моего рождения я воспылал неукротимой ненавистью ко всем лежанкам, приспособленным для усыпления. Я выбрал этот жребий сам, здесь нет ничьей вины. Так что отбросьте подозрения – они излишни. Вы видите блеклый венок на моей голове? Его сплело само упорство своими тонкими перстами. И пока горячий, как расплавленный металл, жизнетворный ток не остановится в жилах моих, я не усну. Каждую ночь я заставляю свое воспаленное око неотрывно взирать на звезды в квадрате окна. А меж опухших век для пущей верности вставляю щепку. И, не меняя положения, прислонясь к холодной стенке, простаиваю напролет всю ночь, и стоя встречаю утро нового дня. Порою все же мне случается грезить, но при этом я вполне владею своим сознанием и телом, ибо да будет вам известно, что и кошмары, холодным фосфорическим огнем пылающие по углам, и лихорадочная дрожь, что прикасается своей культей к моим щекам, и монстры, потрясающие окровавленными когтями, – суть творения моего ума: он плодит и кружит их в бешеной пляске, чтобы найти занятие в вечном своем бдении. Пусть свободная воля – лишь слабая былинка, но она постоит за себя, она объявляет бесстрашно и твердо, что никогда не примет в число своих чад тупое забытье, – ибо спящий слабее оскопленного самца, Бессонница истощает плоть, сокращает путь к могиле, так что уже и ныне я ощущаю запах кладбищенских кипарисов, – пусть так, но все равно, пресветлый лабиринт моего сознания ни за что не выдаст своих святынь глазам Творца. Сокровенное чувство чести, в чьи благодатные объятия меня неудержимо тянет, велит мне всеми силами противиться такому униженью. Суровый страж беспечной души, я не позволяю своему утомленному стану согнуться и опуститься на ложе трав в тот час, когда на побережье зажигаются ночные фонари. Гордый победитель, я ускользаю из тенет коварного мака. Не диво, что сердце мое, ожесточившись в этой нечеловеческой борьбе, замуровало свои помыслы в собственных недрах, уподобившись голодному, что пожирает сам себя. Неприступный, как титан, я прожил весь свой век, не смыкая широко отверстых глаз. Конечно, днем, как хорошо доказывает опыт, каждый может успешно противостоять Великому трансцендентному Объекту (как он зовется, всем известно), ибо в это время суток наша воля готова защитить себя и дать нешуточный отпор. Но вот всю землю и всех людей, не исключая тех, кого наутро ожидает виселица, обволакивает сумрак ночи, и тогда… о, как страшно видеть, что твой мозг – в кощунственных чужих руках! Беззастенчивый проклинает насильника, но поздно, дело сделано: целомудренный его покров изорван в клочья. Позор! дверь нашего убежища взломана, и все доступно разнузданному любопытству Божественного Вора. Не смей терзать меня так подло, слышишь, ты, мерзкий соглядатай моих мыслей! Я существую, и значит я – это я, и никто другой. Я не потерплю двоевластия. Я желаю распоряжаться своею сокровенной сутью единолично. Я должен быть свободен… или пусть обратят меня в гиппопотама. Провались сквозь землю, невидимый бич, и не раскаляй добела моей ярости. В одном мозгу нет места для меня и для Творца. Вновь ночь окрашивает мглою быстротечные часы, и вот, глядите, человек, не устоявший перед силой сна: каков он, распростертый на постели, что увлажнена его холодным потом? И что такое это ложе, впитавшее агонию затухающих чувств, как не сколоченный из тесаных сосновых досок гроб? Медленно, словно под натиском некоей безликой стихии, отступает воля. Липкая смола застилает глаза. Как разлученные друзья, тянутся друг к другу веки. Тело превратилось в труп, хотя и дышащий. Руки и ноги недвижимы, словно четыре массивных бревна пригвоздили к матрасу. А простыни, вы только посмотрите, простыни – как саван. Вот и курильница, в которой дымится ритуальный фимиам. Подобно далекому морю, ропщет и подступает все ближе к изголовью вечность. Земное жилище исчезло, падите ниц, о смертные, здесь осиянный свечами придел для отпеванья! Случается порою, что плененный разум, пытаясь сбросить оковы глубокого сна и победить свое природное несовершенство, вдруг с изумленьем замечает, что обратился в погребальный обелиск, и, рассуждая с безупречной логикой, мыслит так: «Нелегкая задача – восстать с этого ложа. Меня влекут в повозке к двустолпной гильотине. Как странно: мои руки омертвели и уподобились бесчувственным колодам. Прескверная это штука, когда тебя во сне везут на эшафот». Кровь стучит в голове. Судорожно, со всхлипом, вздымается грудь. Все тело напружинилось, но каменная глыба не дает пошевельнуться. И наконец явь прорывает пленку сновидений! Но если борьба строптивого «я» с безжалостной каталепсией сна затягивается надолго, то замороченный галлюцинациями разум впадает в бешенство. И, подстрекаемый отчаяньем, распаляется все больше, пока не одолеет естество и сон, почуяв, что жертва ускользает, не выпустит ее и не умчится прочь с позором и досадой. Бросьте щепотку пепла в мои пылающие глазницы. Не глядите в мои вечно открытые очи. Понятно ль вам, какие муки я терплю (зато ликует гордость)? Каждый раз, когда ночь сулит всем людям негу и покой, один небезызвестный мне смертный вышагивает под открытым небом. Я опасаюсь одного: как бы не сломила моего упорства старость. Что ж, пусть настанет тот роковой день, когда я засну! Но лишь только проснусь, бритва не замедлит впиться в мое горло и тем докажет, что уж она-то – самая доподлинная явь.

(4) … Кто, кто дерзнул втихомолку, как злоумышленник, подползти к сумрачной груди моей, петляя длинным телом? Кто б ни был ты, сумасбродный питон, что за причина твоего нелепого визита? Нестерпимые муки совести? Но не слишком ли далеко зашла твоя надменная самоуверенность, удав, если ты мог безрассудно предположить, будто твой вид заставит меня счесть тебя раскаявшимся преступником. Да, ты исходишь белой пеной, однако в ней я вижу только признак бешеной злобы. Или тебе неизвестно, что взор твой вовсе не горит святым огнем? Пойми же, если бы я принялся, как ты заносчиво воображаешь, расточать тебе утешительные слова, то это обличало бы мое полнейшее невежество в физиогномике. Вглядись-ка, да попристальнее, в то, что я с не меньшим, чем другие люди, основаньем, именую своим лицом. Ты думаешь, оно в слезах? Ты обманулся, василиск. Тебе придется обратиться за сочувствием к кому-нибудь другому, а я, хотя бы и хотел, решительно не в силах выжать из себя ни капли состраданья. Да и вообще, какие вразумительные доводы могли привлечь тебя сюда, на твою же погибель? Я не могу вообразить, чтоб ты не понимал, что мне достаточно лишь надавить пятою на треугольную твою гадючью голову, и мягкий дерн саванны покраснеет и обратится в мерзостное месиво.

– Исчезни, скрой поскорее с глаз моих свой восковой преступный лик! Не я, а ты сам – тот призрак, что померещился тебе со страху. Так откажись же от ложных наветов, или теперь уж я примусь обличать тебя, а птица-секретарь, пожирающая змей и рептилий, меня поддержит. Что за чудовищное наважденье мешает тебе узнать меня? Или ты забыл, чем мне обязан, забыл о том, что это я даровал тебе жизнь, вырвав ее из мрачного хаоса, а ты поклялся служить мне верно и до гроба. В счастливом детстве (а то была пора наивысшего расцвета твоих духовных сил) ты, бывало, с быстротою серны обгонял всех, взбегал на холм, чтобы протянуть ручонки навстречу животворным лучам восходящего солнца. Дивные, как перлы, и переливчатые, как алмазы, звуки исторгались из твоего звенящего горла и сливались в гармоничные трели протяжно-хвалебного гимна. Теперь же ты отбросил, как грязное рубище, то кроткое терпение, с которым я так долго пестовал тебя. Благодарность, что жила в твоем сердце, испарилась, как лужа в летний зной, а на ее месте укоренилась и разрослась до трудноописуемых размеров самолюбивая гордыня. Да кто ты такой, чтобы так безрассудно полагаться на слабые свои силенки?

– А ты, кто ты, кичащийся своим могуществом? О нет, я не ошибся, и, какие бы обличья ты ни принимал, перед моими очами, как вечный символ произвола и жестокой тирании, горит огнем твоя змеиная голова! Он пожелал взять в руки бразды правления всем миром, но оказался не способен властвовать! Он пожелал наводить страх на всю вселенную, да не смог. Он возомнил себя царем мироздания, но это оказалось заблужденьем. Презренный! Неужто только в этот час расслышал ты мятежный гул, что раздается во всех земных и небесных сферах, неужто только ныне этот вопль, подобно мощнокрылому урагану, ударил тебе в уши и разорвал на мелкие клочки шероховатую поверхность твоей непрочной барабанной перепонки?

Уж недалек тот день, когда моя рука повергнет тебя в прах и с прахом смешается твое ядовитое дыхание; я вырву твое сердце, а скрюченный предсмертными судорогами труп оставлю на дороге, дабы ошеломленный путник знал: сие еще трепещущее тело, чей вид пригвоздил его к месту и лишил дара речи, похоже, если здраво разобраться, всего лишь на прогнивший и рухнувший от дряхлости дуб! Какие крохи жалости удерживают меня сейчас, когда ты предо мною?! Отступи же по собственной воле, изыди, говорю тебе, иди отмой неизмеримый свой позор кровью новорожденного младенца – ведь таково твое обыкновение, Достойная тебя привычка. Прочь… ступай, куда глаза глядят. Я осудил тебя на вечные скитанья. На одиночество и бесприютность, Иди же… иди, пока не отнимутся ноги. Блуждай среди песков пустыни до скончания веков, пока вечный мрак не поглотит светила небесные. Набредешь ли на тигриное логово – его хозяин бросится прочь, лишь бы не видеть в тебе, как в зеркале, точное отражение своей свирепости, вознесенной на постамент чистейшего разврата. Если же, понукаемый усталостью, ты остановишься близ моего дворца, если взойдешь на каменные плиты, меж которых растут колючки и чертополох, будь осторожен: не стучи подошвами своих драных сандалий по изукрашенным галереям, ступай легко, на цыпочках. И это не пустое предостереженье. Не ровен час, разбудишь юную мою супругу с малолетним сыном, которые покоятся в свинцовом подземелье, под стенами замка и жуткие стоны заставят тебя побледнеть. Их жизни пресекла твоя прихоть, и хоть они всегда твердо знали, как страшна твоя мощь, но все-таки не ожидали (свидетельство тому – их предсмертные речи), что приговор окажется столь беспощадным! И уж тем более старайся незаметно проскользнуть через безмолвные пустые залы с потускневшими гербами на усыпанных изумрудами стенах, где стоят горделивые статуи моих славных предков. Эти мраморные изваяния ненавидят тебя, берегись их ледяного взгляда. То говорят тебе уста единственного и последнего из их потомков. Взгляни на их занесенные то ли для обороны, то ли для страшного удара руки, на их надменно вскинутые головы. Уж верно, они догадались, какое зло ты причинил мне, и, если, двигаясь вдоль ряда отполированных до блеска глыб, на которых стоят эти грозные статуи, окажешься в пределах досягаемости, тебя настигнет кара. Говори, коль есть тебе что сказать в свою защиту. Рыдать же ныне не пристало. Рыдать надо было раньше, в более подходящее время. Если же ты наконец прозрел, смотри сам, каковы плоды твоих деяний и сам себе будь судией. Прощай, я ухожу на скалистый берег, чтобы холодный ветер наполнил мою грудь, стесненную настолько, что я едва не задохнулся, ибо легкие мои громко ропщут и требуют, чтоб я избрал для созерцанья предмет поблагостней и попристойней, чем твоя особа!

(5) О непостижимое племя педерастов, я не стану бранить вас за падение, не стану презрительно плевать в ваш воронкообразный зад. Терзающие вас постыдные и трудноизлечимые болезни и без того уж служат вам неотвратимым наказаньем. Прочь, учредители нелепых законов и поборники тесных рамок пристойности, – прочь, ибо разум мой свободен от предрассудков. Вы же, юные отроки – или, вернее, девы, – скажите (но только держитесь подальше, ведь я и сам не умею сдержать свои страсти), когда и как в ваших сердцах зародился мстительный замысел украсить человечество венком кровоточащих ран. Ведь ваши поступки (хотя лично я от них в восторге!) заставляют его краснеть за своих сыновей; распутство, толкающее вас в объятия первого встречного, ставит в тупик даже мудрейших из философов, а ваша чрезмерная похоть приводит в изумленье даже женщин. Вы, бесспорно, отличаетесь от прочих людей, но возвышеннее ли вы или низменнее их, вот что неясно. Быть может, вы наделены шестым чувством, которого недостает всем нам? Скажите, не кривя душой. Впрочем, мне нет нужды допытываться, я сам уж давно, с тех пор, как близко наблюдаю недюжинные ваши души, оценил вас по достоинству. Благословляю вас левою рукою, освящаю правою, о ангелы, хранимые моею всеобъемлющей любовью. Лобзаю ваши лица и вашу грудь, лобзаю сладостными своими устами все части прекрасного и благоуханного вашего тела. Отчего вы сразу не открыли мне свою суть, отчего не сказали, что вы – воплощение высшей духовной гармонии? Мне самому пришлось угадывать, какие перлы нежности и чистоты таятся в ваших трепетных сердцах. В вашей груди, украшенной гирляндами из роз и из осоки. Чтобы познать вас, я должен был раздвинуть столпы ваших ног и прильнуть к средоточию целомудрия. И кстати (замечание немаловажное!), не забывайте каждый день как можно тщательнее мыться горячею водою, ибо иначе уголки моих ненасытных губ неминуемо будут разъедены венерическими язвами. О, если бы весь мир был не огромным адом, а гигантским задом, я знал бы, как мне поступить: я бы вонзил свой член в кровоточащее отверстие и исступленными рывками сокрушил все кости таза! И скорбь не ослепила бы меня, не застлала бы взор сыпучими дюнами, я отыскал бы в недрах земных убежище спящей истины, и реки скользкой спермы устремились бы в бездонный океан! Но к чему сожалеть о том, чего нет и чему никогда не бывать? не стоит предаваться бесплодным мечтаньям. Пусть лучше каждый, кто захочет разделить со мною ложе, приходит без боязни, однако же пусть знает, что мое радушие имеет строгие пределы: оно распространяется на тех, кому еще не минуло пятнадцати лет. Правда, мне самому уже тридцать, но это не помеха, что, в самом деле, за важность? С годами не охладевает пыл, напротив, и если волосы мои белы как снег, то не от старости, а по иной, известной вам причине. Мне не по вкусу женщины! Гермафродиты тоже! Меня влекут лишь существа, подобные мне самому, чье тело отмечено печатью благородства, отчетливой и неизгладимой. Вы скажете, что обладательницы длинных волос тоже соплеменны мне? Не верю и не отступлюсь от этого своего убежденья. Изо рта у меня отчего-то течет солоноватая слюна. Кто бы высосал ее и избавил меня от этой напасти? Она сочится и сочится без конца! О, знаю, знаю, что это такое. Уже не раз я замечал, что если ночью прокусываю горло лежащего со мною рядом отрока и напиваюсь его крови (но было бы ошибкой считать меня вампиром: так называют мертвецов, восставших из могилы, тогда как я живой), то наутро часть этой крови извергается обратно – вот откуда эта смрадная слюна. Ничего не поделаешь, как видно, мой пищеварительный тракт, ослабленный пороком, не может действовать исправно. Но только не пересказывайте никому моих признаний. Прошу об этом не столько ради себя, сколько ради вас самих и всех других людей, пусть страх перед неведомым удерживает в рамках добродетели и долга тех, кто мог бы, прельстившись пагубным моим примером, пойти по тому же пути. Будьте любезны (за недостатком времени не могу прибегнуть к более пространной формуле вежливости), взгляните на мой рот: вы будете поражены странным его видом – не стану наталкивать вас на сравнение с чешуей змеи, – а все оттого, что я сжимаю губы, как могу, чтобы казаться бесстрастным и холодным. Вам-то известно, что на самом деле все не так. Какая жалость, что сквозь сии благочестивые страницы я не могу увидеть твоего лица, читатель. Если ты еще юн, еще не достиг зрелости, прильни ко мне. Сожми меня в объятиях, сожми покрепче, не бойся причинить мне боль, пусть напрягутся как можно сильнее наши сплетенные мускулы. Еще, еще сильнее. Но нет, все тщетно, непроницаемая плотность этого, во многих отношениях непревзойденного листа бумаги мешает нам окончательно слиться. Признаюсь, я всегда испытывал порочное влеченье к хлипким школьникам и чахлым фабричным мальчишкам! Не подумайте, что это бред: я мог бы, если бы потребовалось, в подтверждение правдивости этого удручающего признания развернуть перед читателем длинную цепь подлинных событий. Человеческое правосудие, как ни расторопны его служители, пока еще ни разу не смогло поймать меня с поличным. Однажды мне даже случилось убить дружка, который недостаточно пылко отвечал на мои ласки, а труп я швырнул в заброшенный колодец, не оставив против себя никаких прямых улик. Но отчего, о юноша-читатель, тебя пробирает дрожь? Или ты боишься, что то же самое я учиню с тобою? О, это вопиющая несправедливость по отношению ко мне… А впрочем, ты, пожалуй, прав: остерегайся, особенно ежели ты хорош собою. Мой член всегда чудовищно раздут, и даже когда пребывает в невозбужденном состоянии, никто из приближавшихся к нему (а мало ли их было!) не мог выдержать его вида, даже тот грубый чистильщик сапог, который в припадке безумия всадил в него нож. Неблагодарный! Мне приходится дважды в неделю менять всю одежду, и чистоплотность – отнюдь не главная тому причина. Просто иначе люди в считанные дни перебили бы друг друга. Ибо, в каком бы краю земли я ни появился, они повсюду докучают мне, сбегаясь толпами, чтобы лизать мои ступни. Такой притягательной силой обладает мое семя для всех существ, снабженных обонятельными нервами! Они стекаются с берегов Амазонки, оставляют благодатные долины Ганга, бросают приполярные, поросшие лишайником, просторы, чтобы пуститься в долгую погоню, вопрошая громоздкие города, не проходил ли вдоль их стен тот, чья божественная сперма наполняет дивным ароматом озера, горы, вересковые степи, скалистые мысы и морские просторы! Но, не найдя меня нигде (я укрываюсь в самых недоступных местах, чтобы распалить их еще больше), они предаются отчаянью, толкающему их на гибельные безумства. Разбившись на два стана, тысяч по триста в каждом, они вступают в битву, и грохот пушек предваряет кровавое побоище. Точно спаянные общей волей, в один и тот же миг бросаются в атаку фланги. Встают и падают каре, чтобы не встать уже вовек. Испуганные кони шарахаются во все стороны. Ядра неистовыми метеорами взрывают землю. И когда опускается ночная тень, то молчаливый месяц, что проглядывает сквозь лохмотья туч, печально освещает лишь горы трупов на месте жуткой сечи. Туманный серп обводит указующим перстом тела убитых, что покрывают землю на много миль окрест, точно приказывает мне задуматься и поразмыслить о том, сколь смертоносен для людей тот приворотный талисман, которым наградила меня судьба. Увы, сколько протечет еще веков, прежде чем погибнет, запутавшись в моих тенетах, весь род людской! Так гибкий и непритязательный ум использует, чтобы добиться своего, то самое, что раньше преграждало ему путь. Одна лишь эта возвышенная цель влечет к себе все мои помыслы, и, как вы сами можете судить, держаться тесной колеи той темы, что была намечена вначале, я более не в силах. Последнее слово… то было зимней ночью. Свистал и гнул ели студеный ветер. И в этой тьме Господь отворил свои двери и впустил педераста.

(6) Тихо! Идет похоронная процессия. Преклоните одно и другое колено и пойте загробную песнь. (Мудро и здраво поступит тот, кто истолкует мои повелительные речи лишь в грамматическом, а не в буквальном, абсолютно неуместном смысле.) Возможно, это ублаготворит душу усопшего, что направляется в могилу на вечный отдых от суетной жизни. Возможно… и, по-моему, даже несомненно. Заметьте, я не отрицаю, что ваше мнение до некоторой степени может расходиться с моим, однако главное – обладать правильными нравственными критериями, так чтобы каждый усвоил принцип, который велит поступать с ближним так же, как хочешь, чтобы поступали с тобою. Первым шествует священнослужитель, неся в одной руке белый стяг, символ мира, а в другой – золотую эмблему, изображающую детородный член и лоно, в знак того, что эти части тела становятся весьма опасными инструментами, когда – отбросим всякое иносказание – ими пользуются бестолково и вопреки велениям природы, вместо того чтобы пускать их в ход как действенное средство против всем известной страсти, служащей причиною едва ли не всех человеческих бед. Пониже спины у жреца свисает до самой земли пышнейший конский хвост (он, разумеется, пришит). Сие есть призыв быть осмотрительными, дабы не уподобиться скотам. Вслед за утешителем-пастырем движется отлично знающий дорогу гроб. А родственники и друзья покойного, как можно заключить из выбранного ими места, решили замыкать процессию. Величественно следует она, подобно судну, рассекающему волны моря, не опасаясь затонуть, поскольку в нынешнее время острые рифы и неистовые бури напоминают о себе лишь своим весьма ощутимым отсутствием. Чуть поотстав от погребальной группы, резво скачут жабы с саранчою, им тоже ведомо, что скромное участие в похоронах – неважно чьих – когда-нибудь зачтется им. Они вполголоса переговариваются на своем причудливом языке (не будьте столь спесивы, советую вам от души, чтоб думать, будто вы одни владеете бесценным даром облекать свои мысли и чувства в словесные одежды) о том, кто нередко встречался им, когда пробегал по зеленым лугам или окунался, смывая пот, в бирюзовые воды заливов, окаймленных золотом песков. На первых порах казалось, что жизнь благосклонна к нему, она улыбалась ему, осыпала цветами, но вы, уж верно, сами поняли, или, скорее, догадались, что ему было не суждено перешагнуть порог детства, и, покуда нет необходимости убеждать вас в обратном, не стану продолжать вводную часть своего безупречного рассуждения. Десять лет. Число, до странности напоминающее о количестве пальцев у нас на руках. Десять – это и много, и мало. Но, взывая к вашему чувству справедливости, я предлагаю вам, не медля ни секунды, признать со мною вместе, что в случае, который нас интересует, это скорее мало. Когда я думаю о тех таинственных законах бытия, в силу которых смерть настигает человека с такой же легкостью, как муху или стрекозу, не оставляя никакой надежды на возвращение в этот мир, во мне шевелится досада и ужас, ведь моя жизнь может пресечься прежде, чем я успею растолковать вам все то, чего, признаюсь без амбиций, еще и сам не понимаю. Но поскольку за долгое время, истекшее с тех пор, как, терзаемый страхом, я приступил к последней фразе, я все еще не умер – невероятный, но бесспорный факт, – то считаю небесполезным теперь же публично признать свое полнейшее бессилие, особенно в столь важных и мудреных вопросах, как тот, что мы затронули сейчас. Поистине достойно удивления, как тянет нас искать (чтоб сделать общим достоянием) различие и сходство в предметах самых разнородных и столь, казалось бы, малопригодных для таких курьезнейших сопоставлений, но, право же, сии сравнения, которые писатель придумывает просто для потехи, весьма украшают его стиль и делают его похожим на неподражаемую, неизменно серьезную сову. Так что я, предадимся этому соблазнительному занятию. У королевского коршуна48У королевского коршуна … – Описание полета коршуна – прямая цитата из Бюффона, приведенная в «Энциклопедии естественной истории» Шеню. крылья много длиннее, чем у сарыча, полет его свободнее, и потому он проводит в воздухе всю жизнь. Летает он без устали и, что ни день, покрывает изрядное расстояние, причем проделывает это не ради охоты, не в погоне и даже не в поисках добычи – он вообще не охотится, – а просто потому, что, кажется, полет – его естественное состояние и любимое занятие. Нельзя не восхищаться, глядя на него. Длинные узкие крылья словно застыли, управляет один лишь хвост, и управляется отлично, пребывая в безостановочном движении. Птица легко поднимается ввысь, легко, как по наклонной плоскости, скользит к земле, она как будто плывет в воздушных струях, то стремительно мчась, то замедляя лет, то замирая и целыми часами паря, как бы подвешенная на нити. Не заметно ни малейшего движенья крыльев, – совсем не заметно, хотя бы даже вы распахнули глаза, как ворота. Конечно, каждый волен заявить (хотя это и было бы не слишком деликатно), что не усматривает никакой, даже и самой отдаленной, связи между красотой летящего коршуна и красотой мертвого ребенка, что покоится в гробу, точно кувшинка на водной глади; однако эта слепота – лишь следствие непоправимой ущербности, порожденной длительным бесчувствием к добровольному невежеству, в котором закоснели люди. А между тем сходство между двумя членами моего лукавого сравнения в их безмятежном спокойствии, и это до того банально и прозрачно, что остается лишь дивиться подобной умственной неповоротливости, каковая, как я уже заметил, объясняется неизменной привычкой взирать на все и вся с глубоким и ничем не обоснованным безразличием. Как будто ежедневное лицезрение делает предметы менее достойными внимания и пристального любопытства! У кладбищенских ворот процессия остановилась: она и не намерена была двигаться дальше. Могила готова, в нее опускают гроб по всей установленной для данных обстоятельств церемонии, и вот уже брошены первые пригоршни земли. Средь горестного молчания священник произносит небольшую речь, чтобы довершить погребение покойного главным образом в сознании собравшихся. Начинает он с удивления обилием слез, проливаемых по столь незначительному поводу. Дословно так и сказано. А далее выражает опасение, удастся ли ему достаточно убедительно изложить свой взгляд на то, что представляется ему неоспоримым благом. Знай он заранее, что смерть так малопривлекательна в своей заурядности, он отказался бы от своей миссии, чтобы не увеличивать законную скорбь толпы родных и близких; но некий тайный глас велит ему утешить их души, хотя бы это успокоение сводилось к надежде, что тот, кто умер, и те, кто его пережили, вскоре встретятся на небесах. Меж тем, верхом на скакуне, летел к тому же кладбищу мой Мальдорор. Копыта резвого коня взметали густую пыль, что призрачным венцом клубилась над головою всадника. Вам, конечно, неведомо его имя, но я-то – знаю, кто он. Чем ближе, тем отчетливей черты его лица, словно отлитые из платины, хотя оно до половины укутано плащом, который, я надеюсь, не успел еще изгладиться из памяти читателей, так что видны одни глаза. Прервав на середине свою речь, священник побледнел: его слух уловил неровный стук копыт неразлучного со своим господином и делящего с ним славу белого коня. «Да, – заговорил он снова, – я твердо верю в грядущую встречу, так поразмыслите и скажите: пристало ли называть смертью недолгую разлуку души и тела? Ибо, кто полагает истинною жизнью пребывание здесь, на земле, тот находится в плену иллюзии, которую следует поскорее развеять». А конский топот раздавался все громче, когда же, заслоняя горизонт, в кладбищенских воротах появился сам всадник, стремительный, как смерч, священник возгласил: «Итак, вы знаете теперь, что тот, чье земное бытие так рано оборвала болезнь и кого приняла сия могила, воистину жив, узнайте же, что тот, другой, кого уносит прочь пугливый конь, – взгляните на него, пока он близко, пока не обратился в точку и не исчез среди дерев, – тот, чья жизнь еще длится, он, и только он один, воистину мертв».

(7) «Каждую ночь, в час, когда особенно крепок сон, из-под пола, из дырки в углу, осторожно высовывает голову огромный матерый паук. И чутко вслушивается, не уловят ли его челюсти какого-нибудь звукового колебания в атмосфере. Понятно, что если он при своем телосложении насекомого возжелал пополнить собою блестящую плеяду литературных героев, то ему и следовало, по меньшей мере, уметь улавливать звуки челюстями. Уверившись, что вокруг все тихо, паук, не утруждая себя дальнейшим размышлением, вытаскивает из гнезда одну конечность за другой и в несколько шагов оказывается у моего ложа. И странное дело: обычно мне ничего не стоит отогнать сонливость и кошмары; когда же эта тварь карабкается по точеным ножкам кровати к атласным простыням, меня как будто сковывает паралич. Паучище сжимает мне горло лапами и принимается сосать мою кровь, сливая ее в свою утробу. Сосет как ни в чем не бывало! Сосет еженощно, с упорством, право же, достойным лучшего употребленья, и, верно, успел уже высосать не один литр багровой жидкости, название которой всем известно! Не знаю, что такого я ему сделал, за что он мстит мне? Быть может, по неосторожности отдавил ему лапу? Быть может, похитил его детенышей? Что сказать об этих предположениях: оба они представляются весьма сомнительными и не выдерживают сколько-нибудь серьезной критики; нелепость их так велика, что может вынудить меня пожать плечами и даже усмехнуться, хотя насмешничать нехорошо. Эй ты, черный тарантул, берегись: если ты не можешь привести в свое оправдание ни одного неопровержимого силлогизма, то рано или поздно однажды ночью отчаянным усилием угасающей воли я все-таки заставлю себя очнуться, разгоню злые чары, не дающие мне пошевельнуться, и раздавлю тебя меж двух пальцев, как студенистую каплю. Но мне смутно помнится, будто бы я сам когда-то позволил тебе безнаказанно взбираться на мою цветущую грудь и подползать к лицу, а если так, то, значит, я не вправе препятствовать тебе. О, кто бы помог мне распутать эти сбивчивые воспоминания! В награду за услугу я отдал бы ему всю кровь, какая осталась в моих жилах, всю, до последней капли, а ее, пожалуй, еще наберется на половину доброго кубка». Так говорил он и снимал с себя одежды. Затем поставил на край кровати одну ногу, другою оттолкнулся от сапфирного пола и, сделав рывок, оказался в горизонтальном положении. Сегодня он решил не смыкать глаз, чтобы дать отпор врагу. Но разве не принимает он такое же решение каждый раз, и разве каждый раз не рушится оно, наталкиваясь на неясный образ рокового, давнишнего обещания? Он замолкает с грустною покорностью, ибо клятва всегда была для него свята. Величественным жестом набрасывает на себя шуршащий шелк, но не опускает полог и не завязывает золотых его кистей; раскинув смоляные кудри по бархату подушки, окаймленной бахромою, нащупывает у себя на шее зияющую рану, в которой, как в своем гнезде, устраивается тарантул, и на лице его написано блаженство. Он тешится надеждой (потешьтесь вместе с ним и вы!), что нынешнею ночью в последний раз увидит кровопийцу, он жаждет только одного: чтобы мучитель поскорей покончил с ним, и для него отрадой будет смерть. Смотрите, из-под пола, из дырки в углу, осторожно высовывает голову огромный матерый паук. И все это уже не на словах. Он чутко вслушивается, не уловят ли его челюсти какого-нибудь звукового колебания в атмосфере. Увы! словесный тарантул облекся плотью, и, хотя восклицательным знаком впору завершать здесь каждое предложение, это же не причина, чтобы не ставить его вовсе! Уверившись, что вокруг все тихо, паук, не утруждая себя дальнейшим размышлением, вытаскивает из гнезда одну конечность за другой и в несколько шагов оказывается у одинокого ложа. На миг он приостановился, но колебался недолго. «Отменять пытку еще рано, – рассудил он. – Прежде надо объяснить осужденному, за что же он обречен на вечные муки». И, забравшись на постель, паук подполз к самому уху спящего. Если хотите услышать его речи от слова и до слова, то выбросьте из головы все посторонние предметы, которые загромождают просторные галереи вашего ума, и воздайте ему должное внимание, которое я оказываю вам, допуская лицезреть сцены, как я полагаю, интересные для вас, в то время как никто не помешал бы мне держать при себе все, о чем я рассказываю здесь. «Проснись, остывший пепел страстей, проснись, иссохший скелет! Исполнился срок – десница правосудия остановилась. И ты получишь разъяснение, которого так жаждал. Ты слышишь? Но не пытайся пошевелиться: сегодня ты еще во власти нашего гипноза, ты все еще парализован, но зато теперь в последний раз. Скажи, какие чувства пробуждает в тебе имя Эльсенор? Ты позабыл его! А гордый Режинальд, он тоже не оставил никаких следов в твоей безупречной памяти? Взгляни, это он прячется в складках занавеси, он тянется к тебе, но не осмеливается заговорить из робости, ведь он еще застенчивей меня. Сейчас я кое-что расскажу тебе из времен твоей молодости, и ты все вспомнишь…» Паук раздвинул свое чрево, и двое юношей в синих одеждах, с огненными мечами, вышли из него и встали по сторонам ложа, словно на страже священного сна. «Вон тот, кто и сейчас не может оторвать от тебя глаз, столь сильна его привязанность, был первым из нас, кого ты взыскал своей любовью. Ты часто бывал с ним слишком резок, и он страдал. И всячески старался ничем не вызывать твоего неудовольствия – но в этом не мог бы преуспеть и ангел. Как-то раз ты пригласил его с собою искупаться в море. Точно пара лебедей, вы бросились в воду с высокой скалы. И, отменные пловцы, поплыли в толще вод, соединив вытянутые вперед руки. Так протекли минуты. И наконец, в изрядном отдалении от берега, вы вместе вынырнули; ваши волосы перепутались, соленые струи стекали с них. Но что произошло там, под водою, отчего протянулся по волнам длинный кровавый след? Меж тем, едва лишь вынырнув, ты тотчас поплыл дальше и будто бы не замечал, что твой товарищ все слабеет. Он выбился из сил, ты же мощными гребками удалялся к туманной дымке горизонта. Он звал на помощь, ты же оставался глух. Трижды разнесся подхваченный эхом глас Режинальда, трижды выкликнул он твое имя, ты же трижды ответил ему ликующим возгласом. Берег слишком далек – ему не добраться, и он поплыл вслед за тобою, чтобы догнать и обрести желанный отдых, держась рукою за твое плечо. Без малого час продолжалась эта погоня жертвы за охотником, твой друг терял последние силы, ты же словно набирался новых. Но наконец, отчаявшись сравняться с тобою в скорости, он сотворил короткую молитву и вручил свою душу Всевышнему; перевернувшись на спину, он распластался, так что было видно, как сотрясается его младая грудь от бешеных ударов сердца, и, отбросив все надежды, приготовился к смерти. Твои же могучие руки вспарывали морскую гладь уже в непроглядной дали и уносили тебя все вперед и вперед, с быстротою идущего на дно стремительного лота. На счастье в это время мимо проплывала лодка рыбаков, которые, расставив в море сети, возвращались на берег. Они заметили бесчувственного Режинальда, решили, будто он – последний уцелевший после кораблекрушения, и подняли его в свой челн. На правом боку у него обнаружилась рана, столь небольшая и вместе столь глубокая, что опытные моряки поняли: ни рифы, ни камни не могли оставить подобного следа. Лишь колющее оружие, нечто вроде острейшего стилета, могло быть причастно к появлению на свет такого крохотного отверстия. Но ни тогда, ни после Режинальд не пожелал открыть, что приключилось с ним во время краткого визита в лоно волн, и сохранил доныне эту тайну. Гляди же, слезы струятся по щекам его и попадают на твою постель; бывает, вспомнить о несчастье горше, чем пережить его. Но тебя я жалеть не стану, – много чести! И не вращай так бешено глазами! Спокойствие! Ты все равно не шевельнешься. К тому же я еще не кончил свой рассказ. Выше меч, Режинальд, не отступайся так легко от мести. Как знать, не станешь ли потом раскаиваться. – Итак, время шло, и в тебе, Мальдорор, проснулась, хоть и не надолго, совесть; желая искупить свою вину, ты завел новую дружбу и решил на этот раз чтить и лелеять своего избранника. Раскаиваясь в прошлых прегрешениях, ты окружил вторую жертву нежною заботой, каковой был лишен ее предшественник. Но все твои старанья были тщетны: никто не волен вдруг переменить натуру, душа твоя осталась прежней. Вторым избранником был я, Эльсенор. Ты поразил мое воображение с первой встречи. Тогда мы долго не сводили друг с друга глаз, и наконец ты улыбнулся. А я потупился, ослепленный дивным пламенем твоих очей. И у меня мелькнула мысль, что ты, возможно, под покровом ночи, спустился в этот мир с небес, с какой-нибудь сияющей звезды, ибо ты не походил на тварь из человеческого стада – я бы солгал, если б сказал иное – и лучистый нимб блистал над твоей головой. Мне страстно захотелось спознаться с тобою поближе, но нездешнее твое величие подавляло все мои поползновения, и безотчетный страх томил меня. О, для чего не внял я этому предостерегающему гласу! Ведь опасенья оказались не напрасны. Уловив мои застенчивые колебания, ты сам зарделся и первым протянул мне руку. Едва вложив свою ладонь в твою, я ощутил себя сильнее, меня овеяло дыханье твоего высокого ума. И мы пошли вперед, навстречу ветру, трепавшему нам кудри, вдыхая пьянящий аромат мастиковых дерев, жасмина, померанцев и гранатов. Дикий кабан стремглав пересек тропу прямо перед нами и, увидев меня с тобою, уронил слезу, но я не понял отчего. К ночи мы достигли ворот многолюдного града. На темно-синем фоне неба причудливым узором рисовались его купола, остроконечные минареты и мраморные колонны бельведеров. Но ты не пожелал остаться здесь на отдых, хотя мы оба изнемогали от усталости. Подобно ночным шакалам, скользили мы вдоль укрепленных стен, избегая встречи со стражниками и наконец, пройдя весь город, вышли из противоположных ворот и зашагали прочь от пестрого улья животных, наделенных разумом и не менее цивилизованных, чем бобры. Светляки освещали нам путь, сухие травы потрескивали под ногами, да прерывистый волчий вой порою нарушал тишину наших блужданий во мраке. Но что же заставляло тебя бежать от мест, где роятся люди? Тревожный этот вопрос не выходил у меня из головы, меж тем как все труднее становилось передвигать натруженные долгим переходом ноги. Наконец мы вышли на опушку густого леса; деревья здесь были оплетены паутиной лиан, вьюнов-паразитов, и заросли колючих кактусов преграждали путь. Ты остановился около березы. И велел мне преклонить колена для предсмертной молитвы: чтобы проститься с жизнью, ты оставлял мне четверть часа. Тут-то и открылся мне смысл тех быстрых взглядов, которые ты бросал на меня украдкой, тех непонятных жестов, которые я подмечал, пока мы шли – все всплыло в памяти. О, подозрения мои подтвердились! Я был несравненно слабее, и ты швырнул меня наземь с такой же легкостью, с какою ураган срывает трепетный осиновый листок. И вот уже одно твое колено прижимает мою грудь, другое упирается в сырую землю, одна рука сжимает, как в тисках, мои запястья, другая достает из ножен подвешенный на поясе кинжал. Сопротивляться бесполезно, и я уже закрыл глаза, как вдруг дыханье ветра донесло до нас многокопытный топот – то приближалось стадо коров. Пастуший кнут да песьи зубы исправно его подгоняли, так что оно неслось, точно курьерский поезд. Времени было в обрез, и ты это понял; тогда, увидя, что твой замысел не удается, ибо близость внезапной помощи удвоила силу моих мышц и ты теперь при всем старании не мог обездвижить обе мои руки, – тогда ты удовольствовался малым и, полоснув кинжалом, отсек мою правую кисть. Она упала на траву… Ты обратился в бегство, а я оцепенел от страшной боли. Не стану рассказывать, как нашел меня пастух и сколько времени прошло, пока я снова стал здоров. Скажу лишь, что после этой коварной измены я стал искать смерти. Бросаясь в гущу битвы, я подставлял свою грудь под пули. И вскоре снискал себе бранную славу, так что одно мое имя внушало трепет самым отважным воинам, а железная рука, заменившая утерянную, сеяла смерть и ужас в рядах неприятелей. Но однажды, когда грохот пушек далеко превосходил обычный, когда кровавый меч сметал, точно былинки, целые эскадроны, некий воин твердою стопою выступил мне навстречу, дабы оспорить лавры победителя. Враждующие армии застыли, взирая на нас. Мы долго бились, тела наши были изранены, шлемы покрылись трещинами. Наконец, по взаимному соглашению, мы решили прервать поединок, чтобы спустя немного времени, набравшись сил, возобновить его. В знак восхищения друг другом мы подняли забрала и…
– Эльсенор! – Режинальд! – едва переводя дыханье, вскрикнули мы разом. Как и я, Режинальд, снедаемый отчаяньем, предался ратному труду, и пули не брали его. И как же свела нас судьба! Но ни один из нас не произнес твоего имени! Мы поклялись в вечной дружбе, но, уж конечно, не такой, какая связывала нас с тобою! Горний архангел, Господень посланник, велел нам слиться воедино в паучьем образе и еженощно сосать твою кровь, пока по слову свыше не наступит конец этой каре. И целых десять лет мы посещали твое ложе. С сегодняшнего дня ты избавляешься от нас. А что до того полузабытого тобою обещания, то оно дано не нам, а Ему, тому, кто много сильнее тебя, – ты дал его, ибо понял, что остается только покориться этой непреклонной воле. Очнись же, Мальдорор! Отныне снято заклятье, что сковывало целых десять лет твою спинно-мозговую систему». Послушный этому приказу, он просыпается и видит, как две воздушные фигуры, обнявшись, растворяются в пространстве. Противясь сну, с трудом отрывает он от ложа затекшие члены, чтобы унять ледяной озноб, бредет туда, где тлеют угли в готическом камине. Одна рубаха прикрывает его тело. Он ищет глазами хрустальный графин – увлажнить пересохшее небо. Вот он распахивает ставни. Садится на окно. И смотрит на луну, самозабвенно расточающую свет и заливающую грудь его лучами, в которых с несказанной грацией трепещут, как планеты, серебристые пылинки. И ждет, чтобы рассвет, преобразив весь мир, принес хотя бы видимость покоя в его измученную душу.

ПЕСНЬ VI49Песнь VI – Шестая песнь композиционно отличается от предыдущих, представляя собой связную повесть о последнем преступлении Мальдорора, написанную как пародия на приключенческие романы типа «Приключений Рокамболя» Понсон дю Террайя. В свое время Андре Жид восторженно отзывался об этой главе («Дневник», ноябрь 1905).

(1) О вы, чье завидное спокойствие служит только благообразию физиономии, не думайте, что вам снова придется читать строфы в дюжину строчек, какие осилит и школьник; слушать возгласы, которые сочтут непотребными, или заполошное кудахтанье кохинхинки, нелепее которого трудно вообразить, если вообще давать себе такой труд; а впрочем, декларации нуждаются в вещественном подтверждении. Неужто вы решили, что коль скоро я играючи и словно ненароком осыпал градом оскорблений, облеченных в не требующие истолкования гиперболы, людей, Творца и самого себя, то миссия моя на этом заканчивается? О нет, главное еще впереди, и к делу я почти не приступал. Всех трех поименованных чуть выше персонажей свяжут теперь нити романа, и таким образом они предстанут в не столь абстрактном виде. Живая кровь чудесно заструится в их жилах, и вы будете поражены, когда найдете там, где ожидали встретить лишь неопределенные и чисто умозрительные образы, жизнеспособный организм со всеми нервными узлами и слизистыми оболочками, но в то же время подчиненный высшему духовному началу, которое главенствует над физиологическим процессом. Пред вами в прозаическом обличье (что не ослабит поэтического эффекта) предстанут вполне полнокровные существа, глядите, вот они стоят рядом с вами, скрестив на груди руки, и солнечные лучи, скользнув по черепичным крышам и каминным трубам, явственно освещают их самые что ни на есть земные, осязаемые кудри. Они не те, что прежде, не эфемерные создания, достойные анафемы чудовища, годящиеся лишь на то, чтобы смешить людей, – чудовища, которым лучше было бы остаться в голове того, кто их измыслил; и не кошмарные виденья, оторванные от реальности. Причем такое изменение пойдет моей поэзии лишь на пользу. Вы сможете потрогать собственными руками нисходящие ветви из аорты, пощупать их надпочечники, не говоря уже о чувствах! Впрочем, и начальные пять частей были небесполезны: они послужили фронтисписом моего произведения, фундаментом моей постройки, преамбулой моей новой поэтики; ведь должен же я был, прежде чем собрать чемоданы и отправиться в страну вымысла, дать искренним любителям словесности представление о цели, которую преследую, обрисовав ее, хотя бы на скорую руку, но точно и определенно. Теперь же обобщающая часть кажется мне вполне завершенной и убедительной. Вы уяснили из нее, что я бичую человека и его Творца. Достаточно с вас этого и на сегодня, и на будущее! Всякие новые рассуждения излишни: они лишь сделали бы более пространной, ничуть не изменяя, ту идею, к осуществлению которой я приступлю немедленно, не успеет склониться к вечеру сегодняшний день. Из вышеизложенного вытекает, что ныне я намереваюсь перейти к аналитической части, и это намерение столь непреложно, что несколько секунд тому назад во мне возникло страстное желание, чтобы читатель очутился в моей шкуре, проникнув туда через отверстия потовых желез, и убедился воочию в подлинности моих утверждений. Я отдаю себе отчет, что выведенную мною теорему необходимо подкрепить изрядным числом доказательств, ну что же, в них нет недостатка, и вам известно, что я ни на кого не нападаю без всяких оснований! Меня разбирает смех при мысли, что вы осудите меня за то, что я так яростно кляну человеческий род, к которому принадлежу и сам (меж тем уже это одно могло бы послужить мне извиненьем!), и Божественный Промысел; нет, я не отрекусь от собственных слов, и мне нетрудно будет оправдать их, прибегнув только к истине и рассказав о том, что видел. Итак, я приступаю к роману длиною в три десятка страниц, и впредь объем моих творений будет таким или почти таким же. Давно уже лелеял я надежду, что все мои идеи очень скоро, со дня на день, облекутся в ту или иную литературную форму, и наконец, после многих бесплодных попыток, такая форма нашлась! И оказалась лучшею из всех возможных – ибо нет ничего лучше романа! Это путаное вступление может показаться несколько, так сказать, вычурным и сбить с толку читателя, который перестанет понимать, к чему я, собственно, веду, но все мои усилия к тому и сводились, чтобы привести его в совершенное недоумение, так как это и есть то состояние, в которое следует повергать всякого, кто имеет обыкновение зачитываться книгами и книжонками. Да, впрочем, даже и помимо моего желания иначе не могло бы быть; лишь позже, когда таких романов станет больше, смысл этого написанного рукою мрачноликого отступника вступления откроется для вас.

(2) Что ж, будем продолжать нашу повесть, однако, как это ни глупо (на мой взгляд, глупо, а впрочем, всяк волен судить по-своему), не прежде, чем достанем все, что нужно для писания: перо, чернильницу и несколько недревесных листов. Вот так, ну, теперь я, кажется, готов вложить всю душу в мою шестую песнь и сотворить чреду чрезвычайно поучительных строф. Пусть они будут драматичны и безупречно дидактичны! Герой наш рассудил, что, бесконечно скитаясь по пещерам и выбирая прибежищем недоступные места, он поступает крайне нелогично, ибо оказывается в заколдованном круге. И правда, хотя в уединенье и глуши сей ненавистник человеческого рода и находил отраду, но алчный минотавр его кипящей злом души терзался голодом средь чахлых кустиков, непролазных терний и скудных диких лоз. Вот почему он решил перебраться поближе к людским скопищам, к их городам, где, мнилось ему, толпы жертв только и ждут, чтобы он, Мальдорор, явился насытить свою ярость. Он знал, конечно, что полиция, сей щит цивилизованного общества, уже много лет упорно ищет его, и целая армия шпионов и сыщиков разыскивает его следы. Но до сих пор никому не удавалось схватить его. Мудрейшие из мудрых, хитрейшие из хитрых оказывались бессильны против его непостижимой ловкости, тщетно плели они сети, в которые, казалось, он неминуемо должен был угодить, – играючи ускользал от них Мальдорор. Он обладал даром изменять наружность, так что никто на свете не мог бы узнать его. Высокое искусство перевоплощения! – сказал бы я в поэтическом порыве. Презренные и недостойные уловки! – сказал бы я, оглядываясь на моральные устои. Как бы то ни было, но наш герой был в этом деле сущий гений. Быть может, вам случалось видеть в какой-нибудь сточной канаве Парижа сверчка – юркую, хрупкую, малую тварь? Так знайте же: то был не кто иной, как Мальдорор! Он напускает гибельный морок на цветущие столицы, парализует их магнетической силой, так что они уже не могут сопротивляться, как должно. И наважденье это тем более опасно, что нет возможности его предвидеть. Еще вчера Мальдорор был в Пекине, сегодня он в Мадриде, а завтра – где-нибудь в Санкт-Петербурге. А впрочем, не берусь сказать, где именно свирепствует сейчас мой новый, не в прозе, а в стихах воспетый Рокамболь, в каких краях он ныне сеет ужас, – на это не достает моих мыслительных способностей. Быть может, злодей за сотни миль от вас, а может быть, всего лишь в двух шагах – кто знает! Не просто уничтожить человечество единым махом – как-никак есть закон и власть, – но опустошить людской муравейник, передавив всех поодиночке, – вполне возможно, было бы терпенье. Хотите ли знать, с тех незапамятных, доисторических времен, когда я был дитятей и жил средь первых из людей, ваших самых далеких предков, еще не искушенный в искусстве строить козни, – с тех пор и до сегодняшнего дня, плетя интриги и меняя обличья, я во все эпохи опустошал страну за страной, подстрекая одних смертных на кровавые завоевания, других на междоусобные распри, раздувая пламя братоубийственных войн, – и разве таким образом не растоптал я, то по одному, то толпами, целые поколения, так что несть числа погибшим? Успехи прошлого внушают радужные надежды на грядущее – оно их непременно оправдает. Я чувствую, что эти мои строфы следует подвергнуть основательной прополке, приняв за образец естественную риторику, поучиться которой я намерен у дикарей. Вот истые аристократы: они так величавы и непринужденны, с татуированных их уст стекают речи, исполненные грации и благородства. Свидетельствую: в нашем мире нет ничего, над чем пристало бы смеяться. Все, что в нем есть нелепого, возвышенно по сути. Когда же я достаточно овладею желанным стилем – хоть кое-кто узрит в нем примитивность (тогда как он, напротив, есть перл глубокомыслия), – тогда употреблю его для изложения идей, которые, увы, быть может, не покажутся великими! Избавившись тем самым от обычной скептически-насмешливой манеры и обретя благоразумие, чтобы не задавать… о чем, бишь, я… забыл начало фразы. Но знайте, поэзия везде, где только нет дурацкой и глумливой улыбки человека, с его утиной рожей. Вот только высморкаюсь и снова мощной дланью подхвачу перо, на миг лишь выпущенное перстами. О мост Каррусель, как смог ты оставаться безучастным, услышав душераздирающие крики, что исходили из мешка!50… крики, что исходили из мешка! – Эта и другие строфы последней песни заканчиваются упоминаниями о событиях, про которые еще предстоит узнать читателю. Это классический прием романов, печатавшихся с продолжением из номера в номер в альманахах и журналах. О таинственном мешке пойдет речь в 9-й строфе песни.

I

(3) Витрины магазинов на улице Вивиен51… на улице Вивиен … – На этой улице одно время жил сам Лотреамон. восхищают взоры прохожих своим великолепием. Залитые светом множества газовых рожков, в них ослепительно сияют шкатулки красного дерева и золотые часы. Куранты на здании Биржи пробили восемь – час еще не поздний! Но лишь только отзвучал последний удар, как всю поименованную улицу, от Королевской площади до бульвара Монмартр, объяла дрожь – сотрясались даже каменные стены домов. Встревоженные прохожие ускорили шаг, спеша укрыться в своих жилищах. Какая-то женщина рухнула без чувств на мостовую. И никто не пришел ей на помощь, все бегут прочь. Захлопываются ставни, обыватели прячутся под одеяла. Не чума ли нагрянула? Так в час, когда весь город готовится к веселому ночному бдению, улица Вивиен внезапно цепенеет. Жизнь замирает на ней, как в сердце, покинутом любовью. Однако скоро весть о происшествии распространяется средь обитателей других кварталов, и мертвое затишье охватывает всю божественную столицу. Где газовые фонари? Где жрицы любви? Все пусто… все темно и немо! Вот от церкви Магдалины прямо к Престолу Всевышнего стрелою промчалась сова с покалеченной лапой, крича: «Беда! Идет беда!» Когда бы в ту минуту вы очутились здесь: в местах, которые мое перо (мой верный друг и спутник) сделало таинственно-зловещими, – и взглянули туда, где к улице Вивиен примыкает улица Кольбер, то непременно увидели бы на их скрещенье фигуру человека, который легким шагом направляется к бульварам. И если бы кто-нибудь приблизился к нему, но только осторожно, не привлекая его внимания, то был бы приятно удивлен, найдя его совсем юным! Меж тем как издали казалось, что это человек в годах. Да ведь не суммою прожитых дней измеряется глубина ума, запечатленная на задумчивом лице. Но я могу вам с точностью сказать, читая физиогномические линии его чела: ему шестнадцать лет, шестнадцать лет и четыре месяца! И он прекрасен, как железная хватка хищной птицы, или как судорожное подрагивание мышц в открытой ране заднешейной области, или, скорее, как постоянно действующая крысоловка, в которой каждый пойманный зверек растягивает пружину для следующего, так что она одна, даже спрятанная в соломе, способна истребить целые полчища грызунов, или, всего вернее, как соседство на анатомическом столе швейной машины с зонтиком!52… прекрасен … как соседство … швейной машины с зонтиком! – Комментаторы предполагают, что «соседство швейной машины с зонтиком» перекочевало на страницы Лотреамона с какой-нибудь рекламной картинки. То Мервин, сын светлокудрой Англии; закутавшись в тартан53Тартан – клетчатый шотландский плед., он возвращается под отчий кров с урока фехтования. Теперь половина девятого, и он рассчитывает к девяти добраться до дому – о дерзостная, опрометчивая уверенность, будто нам известно, что сулит нам будущее! Разве не может какое-нибудь внезапное препятствие задержать его? И разве такие обстоятельства столь редки, чтобы посчитать их исключением? Не правильнее ли, наоборот, увидеть аномалию в том факте, что до сих пор он жил безбедно и, как говорится, счастливо? Что, в самом деле, дает ему право полагать, будто он доберется домой невредимым, коль скоро некто уже подстерегает его, наметив своею жертвой? Я был бы слишком мало искушен в ремесле романиста, если бы не предварил задерживающими повествование вопросами фразу, которая должна была воспоследствовать и которую я теперь завершаю. Конечно, вы узнали абстрактного героя, который вот уж столько времени тиранит своей могучей волей мой бедный мозг? Да, это Мальдорор, и он то приближается к Мервину, чтобы запечатлеть в своей памяти юношеские черты, то, резко отклонившись, пятится, подобный австралийскому бумерангу в заключительной фазе полета или, точнее, подобный адской машине. Однако было бы неверно заподозрить, что в нем зашевелился хотя бы зародыш сочувствия. В какой-то миг он снова отступает и словно направляется в другую сторону – уж не совесть ли его удерживает? Но нет, увы, вновь и вновь гонит его вперед ожесточенье. А Мервину все невдомек, отчего это так стучит кровь в его висках, он ускоряет шаг, объятый ужасом, причины коего не знаете ни вы, ни он. Он, правда, прилагает все старанья, чтобы понять, в чем дело. Ему бы обернуться. Все сразу разъяснилось бы. Но почему-то никто, как правило, не вспоминает о самых примитивных способах избежать беды. Случается, шатающийся по задворкам какой-нибудь грязной окраины, оборванный, упившийся дешевым зельем бродяга приметит вдруг на заборе матерого котищу, свидетеля всех революций, что пережили наши деды, который мирно созерцает залитый лунным светом ночной пейзаж; пригнувшись и петляя, подкрадывается он поближе и кличет колченогую собаку. Благородный представитель семейства кошачьих отважно встречает врага и дорого продает свою жизнь. А назавтра его электризующая шкурка угодит к старьевщику. Так отчего же он не спасся бегством? Ведь это было бы так легко. Что же касается Мервина, то он еще усугубляет грозящую ему опасность незнанием ее. Порой, очень редко, какие-то догадки возникают в его голове, но смутные, весьма и весьма смутные, они никак не позволяют увидеть истину. Он не пророк, не спорю, такого дара за собою он не знает. Дойдя до широкой улицы, он пересекает бульвары Пуассоньер и Бон-Нувель. Здесь он сворачивает на улицу Фобур-Сен-Дени, минует железнодорожную станцию страсбургской ветки и, не дойдя до перпендикулярного скрещенья этой улицы с улицею Ла Файет, останавливается у дома с высоким порталом. Вы, кажется, рекомендуете мне закончить в этом месте первую строфу, что ж, я готов на этот раз пойти навстречу вашему желанью. Но знайте, неодолимая дрожь пробирает меня и волосы становятся дыбом при мысли о железном кольце, что спрятала под камень рука маньяка54… о железном кольце, что спрятала под камень рука маньяка – Лотреамон снова забегает вперед, интригуя читателей. Маньяк появится в 7-й строфе..

II

(4) Итак, он нажимает на медную кнопку звонка, и ворота выстроенного в современном стиле дома поворачиваются на петлях. Вот он пересекает двор по песчаной дорожке и, преодолев восемь ступеней, поднимается на крыльцо. Две статуи, стоящие по сторонам от входа, точно привратники на вилле знатного вельможи, не преграждают ему путь. За ним не преминул последовать и тот, кто все отринул: отца и мать, любовь и идеал, и даже Божью волю, чтоб обратить все помыслы на самого себя. Он видел, как Мервин вошел в просторную, отделанную сердоликовыми панелями залу. Любимый сын упал на софу, не в силах от волнения произнести ни слова. Матушка, в длинном платье со шлейфом, бросается к нему и обнимает. Братишки окружают обремененную столь тяжким грузом софу, их жизненный опыт слишком мал, чтобы они могли понять смысл происходящего. И наконец отец семейства воздевает трость, окидывает властным взором домочадцев, с трудом отрывается от любимого кресла и с заботливой поспешностью, хотя и несколько умеренной годами, устремляется к своему неподвижно распростертому первенцу. Все с трепетом внимают его речам на иностранном языке. «Кто, кто довел мое дитя до такого состояния? Туманная Темза еще успеет унести немало ила, прежде чем силы окончательно изменят мне. В сей нерадушной стране, похоже, вовсе нет законов, охраняющих порядок. О, если бы я знал виновника, он испытал бы на себе, как я ужасен в гневе. Хоть я давно в отставке и удалился от шумных морских сражений, но моя коммодорская шпага55… коммодорская шпага … – Коммодор – звание, которое носит в английском флоте командующий эскадрой. еще не заржавела на стене. А если что, ее нетрудно наточить. Приди в себя, Мервин. Не тревожься, я отдам приказанье слугам разыскать злодея, и он, клянусь, умрет от моей руки. Жена, оставь его, присядь где-нибудь в стороне, твой взгляд лишает меня твердости, останови поток, что струят твои слезные железы. Очнись, мой сын, умоляю, очнись, признай своих родных, это я, твой отец, говорю с тобою…» И матушка отходит в сторону и, повинуясь приказанию супруга, садится с книгою, пытаясь сохранить невозмутимость, когда жизнь детища, что выношено ею, в опасности.»… Вы же, дети, ступайте в парк, поглядите, как плавают лебеди, но только будьте осторожны, не свалитесь в пруд». Растерянные братья – все как один в беретах, украшенных пером каролинского козодоя, все в бархатных, до колен, панталонах и красных шелковых чулках, – не говоря ни слова, берутся за руки и удаляются из залы, едва-едва касаясь половиц из драгоценного черного дерева. Они, я уверен, не станут играть, а будут степенно бродить в платановых аллеях. Они не по годам разумны. И в том их благо. – «… Все бесполезно, я обнял тебя, я качаю тебя на руках, но ты бесчувствен ко всем моим мольбам. Приподними же голову! Ну, хочешь, я облобызаю твои колена? Тщетно… голова безвольно падает». – «О добрый мой супруг, позволь своей верной рабе сходить за флаконом со скипидарным маслом; я прибегаю к нему всякий раз, когда по возвращенье из театра иль после долгого и утомительного чтения какой-нибудь волнующей истории, почерпнутой в древнейших британских летописях и повествующей о рыцарских деяньях наших доблестных предков, мигрень сжимает мне виски». – «Я не давал тебе дозволения заговорить, жена, и ты должна была молчать. Ни разу за долгие годы нашего законного союза не пробегала между нами тень раздора. Я всегда был тобою доволен, мне не в чем было упрекнуть тебя, как и тебе – меня. Ступай скорей в свои покои и принеси флакон скипидарного масла. Я знаю сам, что он лежит в твоем комоде, и не нуждаюсь ни в каких подсказках. Так поспеши же вверх по крутым ступеням винтовой лестницы и возвращайся с радостным лицом». – Чувствительная англичанка успела лишь взойти на несколько ступеней (не станет же она бежать, точно простолюдинка), а ей навстречу сверху уже спешит разгоряченная прислужница, держа в руках хрустальный флакон, заключающий влагу, способную, быть может, стать живительной56… хрустальный флакон, заключающий влагу, способную … стать живительной – В XX главе романа Метьюрина «Мельмот-скиталец», несомненно, хорошо известного Лотреамону, встречается сцена, подобная описанной в данной строфе (обморок молодой девушки, которой грозит опасность; смятение ее родных; флакон с солями, который служанки приносят взволнованной матери).. С учтивым поклоном подает она склянку госпоже, а та, ступая, словно королева, подходит к обшитой бахромой софе, предмету, к которому единственно устремлена вся нежная ее заботливость. Величественно и благосклонно протянув руку, коммодор берет у супруги флакон. И вскоре увлажненный целительной жидкостью платок из индийского шелка обвился вкруг головы Мервина. Юноша вдыхает соли, и наконец рука его вздрогнула. Он оживает, и филиппинский какаду, сидящий на жердочке в оконном проеме, приветствует его радостными возгласами. – «Кто там идет?.. – восклицает бедный юноша, – Пустите скорее… Где я? Уж не в гробу ль покоится мое отяжелевшее тело? Как мягко в нем… А медальон, цел ли медальон с портретом матушки у меня на груди?.. Там, сзади, косматый бандит. Я вырвался, оставил у него в руках полу сюртука. Спустите с цепи бульдога: нынче ночью, пока мы будем спать, тот самый злоумышленник может взломать запоры и проникнуть в дом. Теперь я узнаю вас, отец и матушка, и я благодарю вас за заботу. Зовите скорее братишек. Мне хочется их приласкать, я принес им орешков». Проговорив все это, Мервин впал в летаргию. Срочно призванный врач воскликнул, потирая руки: «Что ж, кризис миновал. Отлично! Завтра ваш сын проснется здоровым. Теперь же предписываю всем разойтись по своим покоям, я один останусь при больном и просижу, пока не заблестит заря и не засвищет соловей». Меж тем Мальдорор, притаившись за дверью, не упустил ни слова. Теперь ему известен нрав всех домочадцев, и сообразно этому он будет действовать. Он знает, где живет Мервин, и это все, что ему нужно. Он занес в записную книжку улицу и номер дома. Вот главное. Теперь он не забудет. Никем не замеченный, гиеной обошел он весь двор. После чего проворно влез на ограду и, лишь на миг замешкавшись, чтобы не зацепиться за острия чугунных прутьев, спрыгнул на дорогу. И волчьей рысцою отправился восвояси. «Глупец! – воскликнул в мыслях Мальдорор. – Принять меня за бандита! Хотел бы я увидеть человека, которого не обвинишь в том, в чем винит меня больной. И полу сюртука никто ему не отрывал. Почудилось со страху. Я вовсе и не собирался бросаться на него сегодня, у меня совсем другие виды на этого робкого отрока». Когда-нибудь, когда вы придете к озеру, где плавают лебеди, я расскажу вам, откуда взялся в стае белых птиц один, обремененный наковальней с распростертым на ней гниющим крабьим трупом, – один-единственный черный лебедь, которого с естественной опаской сторонятся его водоплавающие собратья57… черный лебедь, которого … сторонятся его … собратья. – Черный лебедь и краб появятся в конце 8-й строфы..

III

(5) Мервин один в своих покоях, он получил письмо. Но от кого же? В смятенье он позабыл вознаградить посыльного. Адрес на конверте с черною каймою написан чьей-то торопливою рукою. Быть может, показать отцу? А вдруг в письме содержится предупрежденье не делать этого? Встревоженный, Мервин раскрыл окно, чтобы вдохнуть благоуханный воздух, и солнечные лучи ворвались в комнату и заиграли радужными отблесками на гранях венецианских зеркал. Мервин швырнул письмо на свой ученический стол, обтянутый тисненой кожей, где громоздились книги с золочеными обрезами, лежали альбомы в перламутровых переплетах. Откинув крышку пианино, он пробежал по клавишам слоновой кости своими тонкими длинными пальцами. Но латунные струны остались немы. Это косвенное предостережение вернуло мысли юноши к посланию на веленевой бумаге, он протянул к нему руку, но, словно оскорбленное пренебреженьем адресата, оно отпрянуло. В Мервине же взыграло любопытство, он поспешно вскрыл конверт и вынул заключенный в нем клочок бумаги. До сей поры ему еще не доводилось видеть чужого почерка. Послание гласило: «Вы нравитесь мне, юноша, и я хотел бы составить ваше счастье. Я приглашаю вас стать моим спутником в далеком путешествии на острова Океании. Мервин, ты знаешь, я люблю тебя, и этому не нужно доказательств. И ты, я убежден, ответишь мне дружеской приязнью. А узнав меня поближе, не раскаешься в том, что доверился мне. Я стану оберегать тебя от всех опасностей, которым подвергает тебя твоя неискушенная младость. Я буду тебе братом, неустанным добрым советчиком. Чтобы узнать обо всем подробнее, приходи послезавтра в пять часов утра на мост Каррусель. Если я опоздаю, дождись меня, но, впрочем, я надеюсь, явиться вовремя. Постарайся и ты. Настоящий англичанин никогда не упустит возможности вникнуть в то, что так близко затрагивает его интересы. Итак, до скорого свиданья, юноша. Никому не показывай это письмо». – «Внизу, вместо подписи, три звездочки и кровавое пятно!» – вскричал Мервин. Обильные слезы хлынули из глаз его на странные строки, которые он пожирал глазами и которые открыли пред мысленным его взором неизведанные и неясные дали. И вот уж в голову его закралась мысль (а прежде, пока он не читал письма, такого не бывало!), что отец его чересчур суров, а матушка – слишком напыщенна. Нашлись причины – но мне они остались неизвестны и потому я их не сообщаю – к тому, что и братья показались ему нехороши. Он спрятал письмо на груди. В тот день учителя заметили, что их ученика как будто подменили, глаза Мервина помрачнели: тень неотступных дум легла вокруг глазничных впадин. И каждый из наставников краснел от смущенья, боясь, что не сможет сравниться в интеллекте с таким учеником, меж тем как тот впервые не выполнил заданий и ничего не делал на уроках. С наступлением вечера все семейство сошлось в украшенной старинными портретами столовой. Перед Мервином выстроились блюда с сочным мясом, вазы с ароматными плодами, но он не притронулся к пище; и взора его не прельстили ни блещущие всеми цветами радуги рейнские вина, ни пенно-рубинное шампанское в кубках богемского хрусталя. Погруженный в свои мысли, он с видом сомнамбулы сидел за уставленным яствами столом. Вот коммодор обратил свое просмоленное солеными морскими ветрами лицо к супруге и прошептал: «Наш старший сын сильно переменился с того дня, как с ним случился приступ; за ним и прежде водилась чрезмерная склонность к нелепым причудам, теперь же он и вовсе витает в облаках. Я в его годы был совсем иным. Но вот что, делай вид, как будто ничего не замечаешь. В подобном случае полезно решительное воздействие, не физическое, так моральное». – «Послушай, Мервин, я прочту тебе рассказ, который придется тебе по душе, ведь ты охотник до книг натуралистов и путешественников. Пусть все остальные тоже внимательно слушают, ибо каждый – и я в первую голову – извлечет из услышанного пользу. Вы же, дети, внимательно вникая в каждое слово, оттачивайте и свой собственный стиль, старательно следите за ходом мысли автора!» Как будто птенчики способны разбираться в тонкостях риторики! Закончив эту речь, отец повелительно протягивает руку, и один из мальчуганов идет в библиотеку и приносит увесистый том. Посуда и серебряные приборы убраны со стола, книга раскрыта. Услышав притягательное слово «путешествия», Мервин встрепенулся и попытался отогнать несвоевременные думы. Коммодор принимается читать откуда-то из середины, и в голосе его звучит металл – он и теперь, как в годы славной молодости, мог бы отдавать команды, перекрывая грохот бури. Однако же задолго до того, как подошла к концу история, Мервин вновь опустил голову на руку, не в состоянии следить за бесконечной цепью тонких рассуждений, продетой сквозь намыленные кольца обязательных метафор. «Ему неинтересно, – сказал отец, – что ж, поищем что-нибудь другое. Читай теперь ты, жена, быть может, ты окажешься удачливей меня и сумеешь победить тоску, что омрачает дни нашего детища». Не слишком веря в успех, матушка берет другую книгу, и нежное ее сопрано наполняет уши того, кто ею был зачат. Но, чуть начав, она отчаивается и прекращает художественное чтение. «Пойду лягу спать», – произносит первородный сын и, не прибавив более ни звука, удаляется, уставя хмурый неподвижный взор себе под ноги. И вслед ему собака, удивленная столь странным поведением, отрывисто и хрипло лает, а буйный ветер, проникающий снаружи сквозь щель в оконной раме, колышет пламя в бронзовой лампе, увенчанной двумя плафонами из розовеющего хрусталя. Мать сжимает виски, отец возводит очи к небу. А малые детишки смятенно смотрят на старого морехода. Мервин же, запершись в своих покоях на два поворота ключа, лихорадочно водит пером по бумаге. «Я получил ваше письмо нынче в полдень, простите, что замешкался с ответом. Не имея чести знать вас лично, я сомневался, следует ли вам писать, Но меня учили быть всегда учтивым, и потому я все же решился взяться за перо и выразить мою горячую признательность за то участие, которое вы принимаете в человеке, вам совершенно не знакомом. Да сохранит меня Господь ответить неблагодарностью на чувство, которым вы удостаиваете меня. Я знаю свои недостатки и вовсе ими не кичусь. Но если допустить возможность дружеского союза с человеком намного взрослее меня, следует, мне кажется, предупредить его о несходстве наших характеров. Судя по тому, что вы называете меня юношей, вы, должно быть, старше меня, хотя я не уверен, что это и на самом деле так. Ибо сдержанный слог вашего письма противоречит страсти, которой оно дышит. Разумеется, я не покину отчий кров, чтобы ехать с вами в дальние края, это было бы возможно лишь в том случае, когда бы я испросил позволения тех, кому обязан жизнью, и, признаюсь, я желал бы его получить. Но вы предписываете абсолютное (в кубе!) молчание, велите не упоминать ни словом об этой дышащей холодной тьмою духа тайне, и я неукоснительно исполню вашу волю. Мне кажется, что это дело вообще не чурается дневного света. Вы, видимо, желаете, чтобы я вам верил (и это, следует заметить, весьма разумное желание), так почтите же и вы меня доверием и не оскорбляйте предположением, будто я могу настолько пренебречь вашей просьбой, чтобы не явиться на свиданье послезавтра утром, в назначенный час. Наши ворота будут еще заперты, поэтому я перелезу через ограду, никем не замеченный. Говорю вам со всею искренностью: нет такой вещи, которой я не сделал бы для вас, – для того, кто внезапно явил моему ослепленному взору столь удивительное чувство; осыпал меня щедротами, каких я никогда не ожидал. Не ожидал, так как не знал вас. Зато знаю теперь. Не забудьте же: вы обещали быть на мосту Каррусель. И я уверен, уверен непоколебимо, что, проходя там, непременно встречу вас и коснусь вашей руки; не правда ли, этот порыв отрока, еще вчера склонявшегося перед алтарем целомудрия, не сможет оскорбить вас своей почтительною вольностью. Впрочем, вольность вполне простительна между теми, кто связан друг с другом сильным и пылким чувством, кто безвозвратно и сознательно предался греху. И что, спрашиваю я вас, – что за беда, если я поприветствую вас мимоходом, коль скоро, все равно, какая бы погода ни была, пять часов неминуемо пробьет? Вы, как джентльмен, оцените деликатность, не позволившую мне доверить больше того, что я здесь написал, листку бумаги, который может затеряться, выпорхнув из моих рук. Ваш адрес в конце письма – форменный ребус. И мне понадобилось добрых четверть часа, чтобы разгадать его. Но, вероятно, вы поступили правильно, начертав его микроскопическими буквами. Следуя вашему примеру, не ставлю подписи: в наше причудливое время может легко произойти все что угодно. Хотел бы я знать, каким образом удалось вам отыскать место, где я томлюсь в оковах хладной неподвижности, средь анфилад пустынных залов, где, как в гробнице, погребены мои часы и дни. Я не могу все высказать словами. Но стоит мне только подумать о вас, как в груди вскипает буря, подобная крушению одряхлевшей империи, я вижу тень вашей любви с улыбкой на устах, а, может быть, мне только чудится улыбка: ведь это только тень, только зыбкая игра изменчивых извивов. Вручаю вам свои пробудившиеся чувства, похожие на мраморные плиты, чья девственная чистота не нарушена прикосновеньем человека. Итак, дождемся первых проблесков зари, пока же не настал тот миг, когда я брошусь в ваши погибельные объятия, смиренно припадаю к вашим коленям!» Закончив это нечестивое письмо, Мервин отнес его на почту и вернулся к себе. И увы! ангел-хранитель не спустился к его изголовью. Да, рыбий хвост будет лететь всего три дня, но балка все равно сгорит дотла, и цилиндрически-коническая пуля, несмотря на все усилья снежной девы и нищего, вонзится в шкуру носорога!58… рыбий хвост … балка … пуля … вонзится в шкуру носорога … – Все перечисленное, так же как снежная дева и коронованный безумец, явится в 10-й строфе. А все оттого, что коронованный безумец скажет правду о меткости четырнадцати кинжалов!

IV

(6) Я вдруг заметил, что у меня всего лишь одно око посередине лба! О серебряные зерцала, висящие на стенах коридоров, сколько раз ваша отражающая сила служила мне добрую службу! Когда-то ангорская кошка, чьих маленьких детенышей я бросил в кипящий спирт, вскочила мне на загривок и целый час, точно бурав хирурга, вгрызалась в мою голову; с тех пор еще не раз я обрекал себя на пытки. И вот сегодня, глядя на следы бесчисленных ран различного происхождения – одни появились по воле рока при моем злополучном рождении, другие я снискал по собственной вине (и это только часть того, что я должен вытерпеть, кто сможет предсказать, что будет дальше?), – бесстрастно созерцая врожденные и приобретенные увечья, которыми украшены апоневрозы59Апоневрозы – пронизанные сухожилиями соединительные оболочки на мышцах. и душа покорного вашего слуги, я долго размышлял о раздвоенности, лежащей в основе моей личности, и… находил себя прекрасным! Прекрасным, как аномалия в строении детородного органа, что выражается в недостаточной длине мочеиспускательного канала и разрыве или отсутствии его внутренней стенки, так что этот канал кончается на большем или меньшем расстоянии от головки полового члена или вовсе под ним; прекрасен, как мясистый нарост конической формы, прорезанный глубокими продольными морщинами, что возвышается у основанья клюва индюка; прекрасен, как истина, гласящая, что система гамм и ладов, а также их гармоническое чередование не основаны на природных закономерностях, а, напротив, есть результат использования эстетических принципов, которые менялись с развитием человеческого общества, как меняются и теперь; прекрасен, что всего вернее, как боевой корвет с броневыми башнями! Именно так, могу поручиться за точность сего утверждения. Я вовсе не склонен самовлюбленно обольщаться на свой счет и тем горжусь, да и что пользы лгать? – поэтому вы можете без колебаний принять на веру то, что я сказал. Зачем мне проникаться отвращением к себе, когда я слышу только похвалу от собственной совести? Я не питаю зависти к Творцу, пусть только не мешает мне плыть по течению моей судьбы, через каскады славных преступлений. А коли станет мне препятствовать, то я, уставив раздраженный взор в его лицо, без труда докажу ему, что не один он властвует над миром и что немало доводов, основанных на глубочайшем знании природы, решительно опровергают версию единовластия. Нас двое, вот мы лицом к лицу, на равных, гляди же… и уж кому как не тебе знать, что я не трубил победу своим безгубым ртом. Прощай, великий воин, тебе и в поражении не изменяет мужество, и твой заклятый враг тобою восхищен; однако грядет Мальдорор, чтобы оспорить у тебя свою жертву, что зовется Мервином. И так свершится пророчество петуха, прозревшего будущее в канделябре. Да будет небу угодно, чтобы краб успел настигнуть караван паломников и передать им то, о чем поведал некий тряпичник из Клиньянкура!60… пророчество петуха … караван паломников … тряпичник из Клиньянкура – Предвосхищение событий 8-й и 10-й строф.

V

(7) Этот человек вышел с улицы Риволи к скверу Пале-Рояль и сел на скамью по левой стороне, неподалеку от фонтана. Волосы его всклокочены, а одежда позволяет судить о длительных лишениях. Он раскопал острой палочкой ямку, набрал в пригоршню землю, поднес ее ко рту и тут же с отвращением отбросил. Он встал и, опираясь головою о скамью, направил ноги ввысь. Но такая поза, заставляющая вспомнить о канатоходцах, противоречит закону равновесия, в котором определяющую роль играет центр тяжести, и незнакомец рухнул на дощатое сиденье; шапка его съехала, руки беспомощно повисли, а ноги заскребли по гравию, ища опоры. В таком все более и более неустойчивом положении он оставался довольно долго. Но вот и наш герой – его рука легла на ограду сквера, у северного входа, близ ротонды, где помещается кафе. Описав глазами круг, он остановил взгляд в центре и заметил человека, проделывавшего шаткие гимнастические упражнения около скамейки, на которую безуспешно пытался взгромоздиться, проявляя при этом чудеса силы и ловкости. Но даже наилучшие порывы, обращенные к благороднейшей цели, обречены на неудачу в столкновении с разрушительной стихией душевного расстройства. Герой подходит к сумасшедшему, любезно помогает ему вернуться в достойную человека позицию и сам садится с ним рядом. Безумие несчастного не беспрерывно, приступ проходит – и он уж в состоянии разумно говорить с нечаянным соседом. Есть ли смысл приводить его рассказ? С кощунственной поспешностью раскрывать, где придется, книгу человеческих страданий? И все же это очень поучительно. Тем более что среди описываемых мною событий нет и не будет ни одного подлинного, ибо я наполняю ваши головы лишь вымыслом. Что же до этого безумца, то он помешался не по собственной прихоти, и искренность его повествования сродни доверчивости читателя. Итак: «Мой отец был плотником и жил на улице Веррери. О, пусть падет на его голову смерть трех Маргарит, пусть вечно клюет зрительную ось его глазного яблока злосчастная канарейка! Одно время он часто напивался пьяным и, когда, обойдя все трактиры, возвращался домой, то в приступе неукротимого буйства крушил все без разбора. Потом, осыпаемый попреками друзей, совершенно избавился от пагубной привычки, но стал угрюм и молчалив. Никто, даже наша матушка, не смел к нему подступиться. Казалось, он был втайне зол на то, что чувство долга обуздало его нрав и не давало разгуляться. Как-то раз я принес в подарок трем моим сестрицам кенаря. Они посадили его в клетку, которую подвесили над дверью, и все прохожие останавливались послушать птичку и полюбоваться ее проворством и чудесным оперением. Отец же настаивал, чтобы клетку с кенарем убрали, ему мнилось, будто птица насмехается над ним, когда встречает его прозрачными трелями, являя высший класс вокального искусства. И наконец однажды он сам полез снимать клетку с гвоздя, но в слепой ярости оступился, упал со стула и расшиб себе колено. Потерев распухшее место стружками, он опустил штанину и, насупившись, снова влез на стул, на этот раз с большей осторожностью. Снял клетку, зажал ее под мышкой и унес к себе в мастерскую. Там, невзирая на слезы и мольбы всего семейства (мы все любили птичку, считали ее добрым духом нашего дома), он принялся топтать плетеную клетку подкованными сапогами, размахивая вокруг головы фуганком, чтобы никто не подходил к нему. Кенарь превратился в перепачканный кровью комочек перьев, но каким-то чудом не издох. Наконец плотник, с треском захлопнув дверь, ушел. Мы с матушкой, как могли, пытались удержать в тельце птички ускользающую жизнь, но она умирала, и, хоть крылышки еще трепетали, то были лишь судороги предсмертной агонии. Когда же три Маргариты увидели, что исчезает всякая надежда, они взялись за руки и эта печальная живая цепочка втянулась под лестницу и, отодвинув бочонок с жиром, уткнулась в угол у собачьей конуры. Матушка меж тем не оставляла усилий, не выпускала кенаря из рук и все пыталась отогреть его своим дыханьем. Я же метался, потеряв голову, по комнатам, натыкался на мебель и опрокидывал отцовские инструменты. По временам то одна, то другая из сестер высовывали голову из-под лестницы, чтобы узнать, что сталось с птичкой, и вновь горестно скрывались. Собака вылезла из конуры, она как будто понимала всю глубину нашего горя, и движимый бессильным соболезнованием ее язык лизал платья сестер. Кенарь был почти мертв, когда в полумраке – причиною которого служило недостаточное освещение, – в полумраке лестничного проема показалась голова Маргариты (младшей из трех, ибо настал ее черед). Сестра увидела, как побледнела матушка, а кенарь конвульсивно встрепенулся – то было последнее проявление нервной деятельности умирающего – и поник в державших его пальцах, затихнув навсегда. Девушка передала страшное известие старшим сестрам. Оно не вызвало ни возгласа, ни стона. Молчанье воцарилось в мастерской. Лишь слышалось потрескивание обломков раздавленной клетки, которые, в силу чрезвычайной упругости ивовых прутьев, принимали, насколько возможно, первоначальную форму. Три Маргариты не уронили ни слезинки, их лица не утратили природных красок, нет… они просто застыли без движения, забравшись в будку, они лежали на соломе друг подле друга, а пес удивленно на это взирал. Напрасно мать звала их – в ответ не донеслось ни звука. Быть может, обессилев от переживаний, они уснули! В бесплодных поисках матушка обошла весь дом. Наконец собака схватила ее за подол и привела к конуре. Несчастная нагнулась и заглянула внутрь. Конечно, материнская чувствительность всегда излишне склонна к преувеличенью, но даже и на мой холодный взгляд то, что предстало ее взорам, было, по меньшей мере, прискорбно. Я зажег свечу и осветил конуру, чтобы она могла разглядеть все до мелочи. Когда же она извлекла голову и вместе с нею запутавшиеся в волосах соломинки из этой преждевременной гробницы, то произнесла: „Три Маргариты мертвы“. Мы не могли достать их, так тесно сплелись их тела, и я пошел за молотком, чтобы разрушить собачью обитель. Затем так рьяно взялся за сокрушительный этот труд, что каждый, кто проходил мимо нашего дома и обладал хоть крупицей воображения, мог заключить, что мы не страдаем от недостатка заказов. Матушка, вне себя от нетерпенья и вопреки здравому смыслу, пыталась, ломая ногти, разломать конуру голыми руками. Наконец операция по вызволению усопших успешно завершилась; стенки будто развалились, и под обломками мы обнаружили останки всех трех дочерей плотника и вытащили их, не без труда разжав их сцепленные руки. Вскоре после этого матушка уехала на чужбину. Отца я больше не видал. Я же, как говорят, сошел с ума и теперь живу подаянием. А кенарь больше не поет, уж это точно». Сия повесть доставила немалое удовольствие тому, кто ее слушал, ибо он узрел в ней новое подтверждение своим богомерзким идеям. Как будто преступление какого-то хлебнувшего лишку плотника дает основание осуждать все человечество. А именно такое парадоксальное заключение он всеми силами пытался внедрить в свой мозг, хотя оно и не могло свести на нет данные, накопленные обширным опытом. С притворным сочувствием утешает он сумасшедшего; собственным чистым платком утирает ему слезы. Ведет его в ресторан – и вот несчастный сыт. Оттуда – к модному портному – и вот бродяга одет, как принц. Затем – в подъезд фешенебельного дома на улице Сент-Оноре – и вот безумец водворен в роскошные апартаменты на четвертом этаже. Злодей вручает Агону61Агон – от греч. aghone – петля. Намек на роль, которую предстоит сыграть этому персонажу. свою мошну и, вытащив из-под кровати ночной горшок, надевает ему на голову и с нарочитой пышностью изрекает: «Объявляю тебя королем мудрецов. Знай, я являюсь по первому же зову, и все мои богатства всегда в твоем распоряжении. Я твой душой и телом. В ночное время можешь ставить свой алебастровый венец на прежнее место и даже использовать его по прямому назначению, но с самого утра, едва лишь первые лучи зари коснутся крыш, ты станешь водружать на голову сей символ власти. Во мне вновь оживут три Маргариты, и, уж конечно, я стану тебе матерью». Как будто недоумевая, не сон ли это наяву и не насмешка ли, несчастный отпрянул, затем лицо его, на котором невзгоды оставили глубокие борозды, блаженно просияло, и он припал к коленям своего благодетеля. Сердце его, словно ядом, пропиталось благодарностью. Он хотел что-то сказать, но язык прилип к гортани. Тогда он попросту простерся ниц на каменном полу. А бронзоволикий герой исчез. Чего он хотел? Заручиться надежным другом, готовым, в простоте душевной, исполнить любой его приказ. Он не ошибся в выборе, случай помог ему. Ведь человек, которого он подобрал на парковой скамье, уже давно, с того злосчастного дня своей молодости, перестал различать добро и зло. Такой Агон и нужен Мальдорору.

VI

(8) Дабы спасти юного Мервина от верной смерти, Всевышний послал на землю своего архангела. Ему придется снизойти и самому! Но мы еще не дошли до этого момента нашего повествования, и я вынужден пока молчать, ибо не могу выложить все сразу: каждому эффектному выпаду – свое время и место, и ничто не должно нарушать архитектуры моего словесного строения. Так вот, архангел, чтобы не быть узнанным, принял облик громадного, величиной с викунью62Викунья (или вигонь) – парнокопытное животное из рода лам., краба. Взобравшись на риф посреди океана, он поджидал прилива, с которым мог бы выбраться на берег. Но яшмоликий мой герой, укрывшись в разрезе береговой линии, уже подстерегал ракообразного пришельца с дубиною в руке. Быть может, кто-нибудь полюбопытствует, чем были заняты мысли того и другого? Один из них отлично сознавал, сколь тяжела возложенная на него задача. «Как, – сокрушался он, – а волны все росли, захлестывая его временное прибежище, – как преуспеть мне там, где мощь и доблесть самого Владыки не раз бывали посрамлены? Моим силам положен предел, что же до противника, никто не ведает его природы и его умышлений. Одно его имя повергает в трепет небесное воинство, и там, откуда я явился, мне не раз доводилось слышать, будто Сатана, сам Сатана, воплощение зла, и тот не столь ужасен». А вот каковы были мысли другого, – мысли, чей отзвук достигал небесной сферы и осквернял ее лазурь. «Вид у него неискушенный, я быстро справлюсь с ним. Его, конечно, подослал сюда, на землю, тот, кто не решается спуститься сам! Сейчас я испытаю, так ли он несокрушим, как кажется. Он явно не рожден на нашем абрикосовидном шаре; блуждающий туманный взор выдает небожителя». Герой поднялся во весь свой геркулесов рост, и краб, окинув взглядом бескрайний берег, наконец его заметил и воззвал: «Сдавайся без сопротивленья. Я послан тем, кто выше нас обоих, мне надлежит сковать тебя цепями и обездвижить твои конечности, дабы лишить их возможности быть соучастницами твоих бесчинств. Отныне, говорю тебе, рукам твоим возбраняется держать ножи и кинжалы, так будет лучше для тебя и для других. Я захвачу тебя живым иль мертвым, хотя мне велено не умертвлять тебя. Не вынуждай меня прибегнуть к власти, каковой я облечен. Я постараюсь быть наивозможно деликатным, но и ты обуздай свою строптивость. Тогда с охотой и сердечной радостью я признаю, что ты сделал первый шаг к раскаянию». Больших усилий стоило злодею, слыша сию бесподобно комичную речь, сохранять серьезную мину на своем загорелом суровом лице. И все-таки в конце концов он разразился смехом, что, впрочем, и неудивительно. Сдержаться было невозможно! Но это не умышленно. Он вовсе не хотел обидеть краба! Он так старался подавить веселье! Он столько раз сжимал, что было сил, непослушные губы, чтобы не оскорбить насмешкой собеседника! К несчастию, в его природе было все же слишком много человеческого, и он смеялся, блеял, как овца! Но наконец остановился! И вовремя! Иначе мог бы задохнуться! И вот его ответ, подхваченный ветром, донесся до скалы архангела: «Когда бы твой хозяин вместо того, чтобы подсылать ко мне моллюсков и ракообразных, благоволил вступить со мной в переговоры лично, мы, я уверен, легко могли бы все уладить, ведь я, как ты заметил, действительно ниже того, кого ты представляешь. А до тех пор любые попытки примиренья мне кажутся бесплодными и преждевременными. Впрочем, я далек от того, чтобы отрицать заложенный в каждом произнесенном тобою слове здравый смысл, но, право, ни к чему нам понапрасну утомлять голосовые связки, покрывая трехкилометровое расстояние; не лучше ли тебе покинуть свою неприступную крепость и вплавь добраться до твердой земли, тогда бы мы спокойно обсудили условия, на которых я готов сдаться, ибо, хотя я признаю законность этой меры, сие отнюдь не значит, что она желанна и приятна для меня». Архангел, не ожидавший подобной сговорчивости, высунул на пядь голову из расщелины и ответствовал. «О Мальдорор, неужто впрямь настал день, когда погаснет яростное пламя нечестивой гордыни, разогревающее пагубные страсти, что увлекают тебя к вечному проклятию! И мне, мне достанется честь поведать об этой благой перемене всем херувимам, которые с восторгом примут в свои ряды былого брата. Ты помнишь, ты не мог забыть, что некогда был первым среди нас. И твое имя не сходило с наших уст, мы и доныне в дружеских беседах нередко вспоминаем о тебе. Приди же… приди и примирись с прежним своим господином; он же примет тебя, словно блудного сына, и не попрекнет виной, которая отягощает твое сердце, как индейская пирамида из лосиных рогов». Увлекаясь вдохновленной речью, краб постепенно выкарабкивался из укромной щели. Пока не утвердился на самой вершине скалы, подобно пастырю, уверенному в том, что вывел к свету истины заблудшую овцу. Сейчас он прыгнет вниз, навстречу раскаявшемуся грешнику. Но сапфироликий герой давно все рассчитал и нацелил коварную руку. Что есть силы метнул он дубину, которая, подскакивая на волнах, долетела до рифа и угодила прямо в голову миротворца-архангела. Сраженный насмерть краб свалился в воду. И волны прибили к берегу его останки. Он ждал прилива, чтоб достигнуть суши. Что ж, вот наступил прилив и подхватил его, и, бережно качая и убаюкивая мерным шумом, донес до влажного песка… доволен ли ты, краб? Чего же боле? А Мальдорор, склонившись, принял в свои объятия двух друзей, которые срослись благодаря проникающей силе оружия: убитого краба и убийственную дубину! «Видно, я еще не потерял сноровки, – воскликнул он, – было бы к чему применить ее; по-прежнему крепка моя рука и меток глаз». Животное лишилось жизни. И Мальдорора охватил страх, не спросили бы с него за пролитую кровь. Где спрячет он архангела? А если он в бесчувствии, но не вовсе мертв? Злодей взвалил на плечи наковальню и, прихватив крабий труп, направился к большому озеру, что окружала плотная стена непроходимых камышовых зарослей. Он собирался вооружиться молотом, но молот слишком легок, иное дело – наковальня, ударами которой можно, если краб вдруг станет оживать, стереть его в порошок. А уж сил у Мальдорора хватит, за этим дело не станет! На озере плавали лебеди. Здесь, решил Мальдорор, будет нетрудно укрыться, и, не выпуская зловещей ноши, в тот же миг, сменив чудесным образом обличье, сам превратился в лебедя и присоединился к стае. Но рука Провидения вмешалась туда, куда, казалось бы, ей было не достать: внимайте же, и пусть рассказ об этом чуде окажется полезен вам. Новоявленный лебедь трижды обогнул белую стаю, но он был черен, словно вороново крыло, и выделялся среди всех, точно кусок угля на снегу. То праведный Господь не допустил, чтоб злобная хитрость Мальдорора обманула хотя бы этих простодушных птиц. И тщетно стремится он замешаться в середину – все лебеди чураются его, и ни один не подплывает близко и не касается его постыдно-черных перьев. Ему не остается ничего другого, как забиться в бухту в дальнем конце водоема; средь белых детей воздуха он так же одинок, как средь людей! То был пролог угасающей драмы, что разыгралась несколько позднее на Вандомской площади!

VII

(9) Златокудрый корсар получил письмо Мервина. И без труда различил в нем следы душевных мук того, кто водил пером, полагаясь лишь на собственное слабое разумение. Куда мудрее было бы спросить совета у родителей, чем так поспешно отвечать на дружбу неизвестного лица. Сколь опрометчиво решился юноша на главную роль в сомнительном спектакле, не сулящем никакой награды. Но так он захотел. В назначенный час Мервин захлопнул за собою дверь родного дома и зашагал по бульвару Себастополь к фонтану Сен-Мишель, затем проследовал по набережным Гранз-Огюстен и Конти, а дойдя до набережной Малаке, увидел на противоположной Луврской набережной человека, идущего в ту же сторону, что и он сам, несущего в руках пустой мешок и пристально его разглядывающего. Уже рассеялся утренний туман. В один и тот же миг два пешехода ступили с разных сторон на мост Каррусель. И, хотя прежде никогда не виделись, тотчас узнали друг друга! Ну, разве не прекрасно благородное душевное сродство, сблизившее их, невзирая на разницу в возрасте! Так подумал бы, всякий, пусть даже обладающий математическим умом, кто оказался бы свидетелем сего волнующего зрелища. Мервин, взволнованный до слез, твердил себе, что встретил на пороге жизни бесценного друга, опору во всех грядущих испытаниях. А что же тот, другой, – уж он-то ничего подобного не думал, можете поверить… Зато он действовал: раскрыл мешок, схватил за голову Мервина и запихнул его в сие дерюжное вместилище. А горловину затянул платком. Мервин отчаянно кричал; тогда его мучитель, подняв мешок, как тюк белья, стал колотить им о парапет моста. Услышав хруст своих костей, несчастный смолк. Вот бесподобная сцена, какая и не снилась нашим сочинителям! В то время через мост проезжал мясник на телеге, груженной тушами. Ему наперерез вдруг выбежал какой-то человек, остановил его и молвил: «Здесь в мешке – шелудивая псина, забейте ее поскорее». Мясник согласен. А тот, другой уже шагает прочь, идет и по пути встречает молодую нищенку с протянутой рукою. И – где предел бесстыдству и кощунству! – он подает ей милостыню! Ну, а теперь, если угодно, я покажу вам, что произошло на отдаленной бойне несколько часов спустя. Мясник, тот самый, соскочил с телеги, поставил наземь мешок и сказал товарищам: «Здесь шелудивый пес, прикончим его поскорее». Четыре молодца с охотою взялись за, тяжеленные кувалды. Но что-то останавливало их: уж очень дергался мешок. «Что со мною?» – воскликнул один, и занесенная рука его медленно опустилась. «Этот пес стонет, совсем как ребенок, – промолвил другой, – как будто знает, что с ним сделают». – «Такая уж у них повадка, – заметил третий, – не только у больных, но даже у здоровых: достаточно хозяину на день-другой отлучиться, и они принимаются выть, да так, что тошно слушать». – «Постойте! Постойте! – вскричал вдруг четвертый, как раз в тот самый миг, когда все четверо вновь занесли кувалды, чтобы на этот раз решительно ударить по мешку. – Постойте, говорю вам! Здесь что-то неладно. Откуда вы знаете, что в мешке собака? А ну-ка я взгляну». И невзирая на смешки приятелей, он развязал мешок, откуда показались ноги, туловище, руки и голова Мервина! Он был так сдавлен, что едва не задохнулся. А лишь увидел свет, лишился чувств. Однако вскоре снова начал подавать несомненные признаки жизни. «Пусть это научит вас осмотрительности, которою не следует пренебрегать и в нашем ремесле», – сказал спаситель юноши своим друзьям. Мясники разбежались. Мервин же с тяжелым сердцем, мучимый мрачнейшими предчувствиями, вернулся домой и заперся в своих покоях. Продолжить ли сию строфу? О, кто не ужаснется изложенному в ней! Однако подождем конца, и вы увидите, что он еще ужасней. Развязка близко, да и вообще в подобных случаях, когда описываешь страсть – какую именно – неважно, – лишь бы она сметала все преграды на своем пути, – совсем ни к чему запасаться целым чаном лака, чтобы покрыть им добрых четыре сотни скучнейших страниц. Что можно уместить в полдюжины строф, то следует скорей поведать и умолкнуть.

VIII

(10) Чтобы наладить механизм усыпляющей байки, недостаточно пичкать читателей мешаниной из галиматьи, доводя их до полного отупения, недостаточно парализовать мыслительные их способности на всю оставшуюся жизнь, нет, надо обладать еще такой магнетизирующей силой, чтоб погрузить их в сомнамбулическое забытье, заставить силой собственного взора изрядно помутиться их трезвый взгляд. Иначе говоря – и говоря не для того, чтоб прояснить, а чтобы углубить мою мысль, которая и манит, и смущает своею безупречною гармонией, – мне кажется, достичь желаемого можно, и не изобретая новых поэтических систем, однако же другими средствами подобного эффекта (по существу, вполне согласованного с законами эстетики) добиться нелегко; вот я и высказал все, что хотел. А потому приложу все старанья, чтобы преуспеть в сей труднейшей задаче! И если смерть засушит длинные тонкие ветви растущих из плеч моих рук, которые ожесточенно взламывают литературный гипс, что сковывает их, я бы хотел, чтобы читатель, облеченный в траур, мог по меньшей мере сказать: «Отдадим ему должное. Он изрядно меня подурачил. А то ли было бы еще, живи он подольше! Свет не видывал такого искусного гипнотизера!» Вдохновенные эти слова высекут на мраморном надгробии, к вящему удовольствию моих манов63Маны – в римской мифологии обожествленные духи предков, хранители гробниц.. Итак, я продолжаю! В неглубокой ямке с водой болтался рыбий хвост, а рядом с ним валялся стоптанный сапог. Не подобает спрашивать: «А где же рыбина? Я вижу только хвост». Раз ясно сказано, что виден хвост, стало быть, хвост и только, без всякой рыбы. В ямке на берегу, заполненной дождевой водой… А что до сапога, то кое-кто высказывал предположение, будто бы владелец добровольно отказался от него. Наделенный божественной силой краб собрал все свои распыленные атомы и возродился. Он вытащил из лужи рыбий хвост и обещал ему вернуть утерянное тело, если тот возьмется доставить Создателю весть о том, что посланник его оказался бессилен укротить бушующие волны мальдороровой души. И рыбий хвост, снабженный парой крыльев альбатроса, взлетел под облака. Но полетел он к чертогам отступника, донести обо всем и выдать краба! Однако тот проведал его намеренья и, прежде чем забрезжил третий день, поразил коварного изменника отравленной стрелой. Лишь легкий стон вырвался из глотки предателя, и, испустив дух, он пал на землю. Тогда одна из поперечных балок с кровли старинного замка восстала и исступленно застучала, громко вопя об отмщенье. Но Вседержитель, обратившись в носорога, растолковал ей, что то была заслуженная кара. Угомонившаяся балка вновь заняла горизонтальную позицию в остове замка и созвала назад всех пауков, что в страхе разбежались, дабы они, как прежде, развесили на ней свои полотнища. А серноликий герой, узнав, как быстро сдалась его союзница, мятежная балка, приказал коронованному им безумцу поджечь ее, обратить ее в пепел. Агон без промедления исполнил безжалостный приказ. Затем воскликнул: «Коль скоро вы сказали, что срок исполнился, я вытащил кольцо, что было спрятано под каменной плитой, и привязал к нему веревку. Вот весь моток». И протянул хозяину моток толстой веревки длиною в шесть десятков метров. «А что четырнадцать кинжалов?» – осведомился Мальдорор и услыхал в ответ, что они наготове. Злодей благосклонно кивнул. Но удивился и встревожился, когда Агон прибавил, что видел петуха, который клюнул канделябр, расколол его надвое и, заглянув поочередно в каждую из половин, вскричал, захлопав крыльями: «От улицы Пэ до Пантеона совсем недалеко. И скоро, скоро воспоследует тому плачевнейшее доказательство!» А краб верхом на буйном скакуне летел во весь опор к скале, которая была свидетелем полета палки, брошенной татуированной рукою, и первым его убежищем в подлунном мире. Туда же направлялся караван паломников, почтить сие святое место, где пролилась божественная кровь. И краб хотел догнать паломников, призвать на помощь, чтобы успеть расстроить вражьи козни, о коих был осведомлен. В последующих строках из моего угрюмого молчанья вы поймете, что план его не удался, и он не смог открыть паломникам все то, что сам узнал от некоего старьевщика, который прятался в лесах недостроенного дома, недалеко от моста Каррусель, в тот утренний час, когда этот мост, еще не высохший от утренней росы, расширял свои познания о мире с каждым ударом многогранного мешка о мраморный парапет! О, лучше, чтобы, прежде чем храб истерзает души слушателей рассказом об этом жутком происшествии, они заранее отбросили все надежды. Стряхни же лень, читатель, вооружись твердой волей и ступай со мною вместе, не теряя из виду безумного с ночным горшком на голове, толкающего в спину кого-то, кого бы тебе нипочем не узнать, когда бы я, придя тебе на помощь, не шепнул тебе на ухо имя, которое звучит: Мервин! Как он переменился! Ни в чем не повинный, он, точно преступник к эшафоту, шагает со связанными руками. Вот и Вандомская площадь. С антаблемента гигантской колонны64… с антаблемента гигантской колонны … – Имеется в виду Вандомская колонна, установленная Наполеоном в честь победоносной французской армии., стоящей на кубе-постаменте, с пятидесятиметровой высоты некто сбросил веревку, она разматывается на лету и падает к ногам Агона. Обычно сноровку дает лишь привычка, однако же Агону удалось довольно быстро связать Мервину ноги. Но носорогу стало все известно. Покрытый потом, запыхавшийся, он появился на углу улицы Кастильоне. Увы, вкусить упоения боем он не успел. Ибо тот, кто озирал окрестности с вершины колонны, зарядил револьвер, старательно прицелился и спустил курок. Напрасно коммодор, который с того дня, как его сына охватило то, что он считал безумием, стал нищим, и несчастная мать, за неестественную бледность прозванная снежной девой, бросились заслонять его грудью. Было поздно. Пуля пробуравила толстую шкуру, так что казалось логичным ожидать мгновенной смерти. Но мы-то знаем, что под носорожьей шкурой скрывался сам Господь. Дух Божий отлетел, скорбя. И если бы не очевидная всем истина, что никакая тварь ни в коем разе недостойна быть оболочкою Творцу, то человеку на колонне пришлось бы плохо. Он продолжает начатое дело и резко тянет на себя веревку с грузом. Мервин вниз головой раскачивается на конце. Обеими руками хватается он за чугунную гирлянду из невянущих цветов, одну из тех, что соединяют углы подножия, о которое билась его голова. И увлекает за собою сей оказавшийся не столь незыблемым предмет. А супостат, скопив у своих ног изрядное количество наложенных друг на друга эллипсоидных витков веревки, так что Мервин вознесся на половину высоты бронзового обелиска, подхватил их левою рукою, а правой, непрерывно совершая круговые движения, придал подвешенному юноше вращение в плоскости, параллельной оси колонны. Гигантская праща свистала в воздухе, и на конце ее раскручивался Мервин, удерживаемый центробежною силой в крайней точке Радиуса той словно вычерченной в пустоте окружности, которую он вновь и вновь описывал. Цивилизованный дикарь все перехватывал веревку, пока она вся целиком не перешла в размах пращи, конец которой, точно (хотя это совсем неточно) палку, сжимал железной дланью. Затем он круг за кругом обегает балюстраду, держась свободною рукою за перила. Тем самым усложнилась траектория веревки и увеличилось до крайности ее и без того значительное напряженье. Теперь праща, описывая замысловатые кривые, вращается и по горизонтали. Колонна и пеньковая веревка образуют прямой угол с равными сторонами! Рука отступника слилась в одну прямую с орудием убийства, как атомарные частички света, что составляют луч, пронизывающий темноту. Увы! законы механики неумолимы: известно, что две сложенные силы образуют равнодействующую, которая является их суммой! И кто посмеет возразить против того, что эта мускульно-веревочная линия давно бы порвалась, когда б не крепость закаленной плоти и не добротность пеньковых волокон? Внезапно златокудрый душегуб застыл на месте, разжал ладонь и выпустил веревку. И так сильна была отдача от этого, противному всему, что совершилось прежде, действия, что балюстрада затрещала и едва не развалилась на куски. Мервин со шлейфом из веревки напоминал комету с огненным хвостом. Такое сходство довершало железное кольцо, привязанное на конце, оно блистало в солнечных лучах. Я полагаю, что сила, которую мощный бросок придал обреченному юноше, была бесконечна, ибо, летя по гигантской параболе, он перенесся на левый берег Сены и врезался в купол Пантеона65Пантеон – усыпальница великих людей; высокое, увенчанное куполом сооружение, расположенное в Латинском квартале., который плотно обмотало вервие. И ныне на этой выпуклой сфере, похожей, правда, лишь по форме, на апельсин, в любое время дня доступен взорам высохший скелет, по-прежнему висящий на веревке. Когда его раскачивает ветер, студенты из Латинского квартала, боясь подвергнуться подобной участи, спешат пробормотать молитву, хотя чуть слышный шум от этих колебаний способен напугать лишь маленьких детей. В руках скелета зажато нечто, похожее на длинную гирлянду из пожелтевших, высохших цветов. Но, принимая во вниманье высоту, никто, как бы он ни был зорок, не может в точности сказать, действительно ли это те цветы, что были вырваны с массивного подножья в тот день, когда велась неравная борьба неподалеку от новой Оперы66… неподалеку от новой Оперы – Здание парижской Оперы только строилось, когда писались «Песни Мальдорора».. Впрочем, прежде каждая из четырех сторон подножия колонны имела украшенье в виде полумесяца, теперь же сия симметрия нарушена, а кто не верит, пусть пойдет и убедится сам.

Комментарии к «Песням Мальдорора» Лотреамона составлены Н. Мавлевич.1 … возможно, это треугольник, но третьей стороны не видно …– Лотреамон любит вставлять в свои строфы цитаты из зоологических книг, намеренно перебивая высокопарный стиль сухим научным слогом. Основными источниками этих цитат послужили ему «Естественная история» Ж. – Л.Бюффона (1707—1788), «Классическая зоология» А. Пуше (1800—1872), «Энциклопедия естественной истории» Ж. – Ш. Шеню.2 Мальдорор – существует несколько предположений, объясняющих значение имени героя Лотреамона; вполне очевидна только его связь с корнем «Mal» – «зло». См также вступительную статью.3 … надрезал себе уголки рта … – Напрашивается сравнение с романом В.Гюго. «Человек, который смеется», однако он появился годом позже, чем первая песнь Мальдорора.4 … вонзить длинные ногти в его нежную грудь …– первая из множества буффонно-садистских сцен у Лотреамона. Нечто подобное описанному в данной строфе встречается в «Истории Жюльетты» Маркиза де Сада (1797). Возможно также, существует связь этих строк со стихотворением Бодлера «Благословение». Бодлер вообще оказал значительное влияние на Лотреамона.5 … уроженца Монтевидео – Имеется в виду сам автор: Изидор Дюкасс был родом из Монтевидео.6 … во всех дворовых псов округи вселилось безумье … – Французские исследователи отмечают близость следующей ниже сцены к стихотворению Ш. Леконт де Лиля «Воющие псы». В некоторых местах Лотреамон повторяет де Лиля почти дословно.7 … око вселенной, на целый мир отверстое с любовью … – цитата из «Манфреда» Байрона (1,8).8 О нежноокий спрут … – В первом издании I-ой песни здесь стояло имя Жоржа Дазе, школьного друга Дюкасса, упоминавшегося также в других строфах этой песни. Во втором издании от имени остался только инициал, а в каноническом, которое служит источником для перевода, оно заменено названиями отвратительных животных, первое из которых – спрут.9 … тешит взор сурового геометра … – возможно, намек на строки из эссе Жюля Мишле (1798—1874) «Море» (1,4).10 Даровал же ты ему кита – Тот же Мишле говорит, что охота на китов способствовала расширению географических познаний человека (111,2).11 … что легче измерить – бездну влажных недр океана или глубину человеческой души? – Бросается в глаза сходство этого пассажа и стихотворения Бодлера «Человек и Море»:12 … луна подпрыгивала и болталась между мачтами … – Лотреамон почти дословно повторяет выражение Шатобриана (см.«Путь из Парижа в Иерусалим»).13 О древний Океан! Как ты силен! – В этой строфе слышны отголоски Байрона («Паломничество Чайльд-Гарольда», IV, 180—181) и Гюго («Океан», «Открытое море» из сборника «Легенда веков»).14 … великий девственник! – Точно так же «великим, вечным девственником» назвал Шатобриан Господа Бога в первом издании «Гения христианства». Это неудачное выражение было подхвачено недоброжелателями поэта и долго еще употреблялось с издевкой по отношению к нему.15 Подковонос – разновидность летучих мышей.16 Строфа (11) – В первом издании первой песни эта строфа представляла собой драматическую сцену с четырьмя персонажами: Отец, Мать, Дитя и Мальдорор. Нетрудно уловить сходство ее со знаменитой балладой Гете «Лесной царь».17 Фероэ – архипелаг в Северном море в 66 км от берегов Норвегии. Принадлежит Дании.18 … наблюдал охоту на морских птиц … – Здесь источник Лотреамона – XVI том популярного во Франции географического альманаха «Magazine pittoresque» («Пестрые страницы»), где детально описана такая охота.19 Эй, могильщик… – Сцена вызывает ассоциации с разговором Гамлета и могильщика у Шекспира. В первом издании она также имела форму диалога.20 … пеликан кормит собственной плотью голодных детей своих … – намек на известные строки А. де Мюссе:21 … два народа, прежде враждовавшие … – В середине XIX в. Аргентина и Уругвай долго воевали друг с другом, с 1843 по 1851 г. (Дюкасс родился в 1846 г.), столица Уругвая Монтевидео находилась в осаде. Гражданские смуты в Уругвае продолжались до 1865 г.22 … орлана жадного – Прямое заимствование из стихотворения Гюго «Ментана» (VII). Написанное в конце 1867г., оно было у всех на слуху, когда создавались «Песни Мальдорора».23 У пассажиров на империале … – Луи Арагон, знаток и горячий поклонник Лотреамона, в одном из своих романов, осуждающем позицию равнодушного созерцания людских бед, приводит сцену с омнибусом из «Песен Мальдорора»; роман так и озаглавлен: «Пассажиры империала» (1942).24 Бисетр – дом для престарелых и умалишенных.25 … утратив правый путь … – Эти строки Лотреамона навеяны, скорее всего, Данте, чья «Божественная комедия» начинается так:26 Приветствую тебя, восходящее солнце, божественный освободитель … – почти дословное заимствование из «Бессмертия» Ламартина.27 Серебряный фонарь под сводами храма… – Сцена с фонарем навеяна стихотворением Ламартина «Лампада храма» (из сборника «Гармонии»), которое Лотреамон пародийно переосмысливает.28 … какие мысли посещали меня в детстве, по утрам, когда алел восток … – Вся строфа представляет собой пародию на стихотворение Ламартина «Утренний гимн ребенка» (из того же сборника «Гармонии»).29 Стипл-чейз – один из видов скачек.30 … как стая куликов на заросли лаванды … – цитата из «Писем с моей мельницы» Альфонса Доде (начало первого письма).31 … Мальдорор … гуляя со своим бульдогом … – Аналогичная сцена встречается в «Истории Жюльетты» де Сада.32 В рваных одеждах валялся он на дороге – Французский исследователь Лотреамона Пьер Карпец нашел источник, к которому восходит описание пьяного Творца, Это статья Луи Вейо в газете «Univers» за 25 мая 1868 г.33 Красный фонарь, зазывала порока … – Эта строфа, возможно, представляет собой ироническое переложение стихотворения Уильяма Блейка (1757—1827) «Сад любви»:34 … в местечке Дендера … на ветру – Имеется в виду древнеегипетский храм богини Хатор в Дендера, в 60км от Луксора. Французские комментаторы Лотреамона предполагают, что образ полчищ ос на карнизах храма он мог почерпнуть в эссе «Насекомые» Мишле, который рассказывает нечто подобное, ссылаясь на А.Пуше.35 … разразился смехом при виде осла, поедающего фиги– Вероятно, имеется в виду эпизод из «Метаморфоз» Апулея, в котором превращенный в осла Луций поедает роскошные кушанья, а знатный хозяин дома со смехом за ним наблюдает (X,15-16).36 … сталагтита или сталакмита … – Лотреамон намеренно смешивает слова «сталактит» и «сталагмит».37 Acantophorus serraticornis (лат.) – «пилоклювый щеглоносец» – выдуманное Лотреамоном название птицы.38 Панокко – искаженное «панококо»; так называют в Южной Америке некоторые виды деревьев.39 … гренландского анарнака … – Анарнаками гренландцы называют китов-бутылконосов.40 Скорпена – морской ерш, хищная рыба с ядовитыми колючками. Во Франции скорпену называют также морским чертом.41 У скворцов особая манера летать … – В пятой песни обнаруживается, по крайней мере, пять дословных цитат из «Энциклопедии естественной истории» Шеню. Одна из них – описание полета скворцов.42 … любимым чадом мула … – Мул, гибрид лошади и осла, как известно, бесплоден.43 … коловратки и тихоходки могут выдержать нагревание до температуры кипения воды …– еще одно свидетельство эрудиции Лотреамона в зоологии. Коловратки и тихоходки – мелкие водяные беспозвоночные, известные Лотреамону из трудов Пуше или пользовавшегося ими Мишле.44 … пересадить живой крысе хвост от дохлой – О такой операции писал журнал «Revue des deux mondes» 1 июля 1868 г.45 … залетают лишь изредка … – Рассуждение о поморниках – еше одно почти дословное заимствование из «Энциклопедии естественной истории» Шеню.46 … чей мозг лишен варолиева моста – Варолиев мост – часть мозга, контролирующая разные функции организма, в том числе двигательную.47 … где … я видел … этот … клюв … эти … ноздри! – Описание пеликана позаимствовано у Шеню.48 У королевского коршуна … – Описание полета коршуна – прямая цитата из Бюффона, приведенная в «Энциклопедии естественной истории» Шеню.49 Песнь VI – Шестая песнь композиционно отличается от предыдущих, представляя собой связную повесть о последнем преступлении Мальдорора, написанную как пародия на приключенческие романы типа «Приключений Рокамболя» Понсон дю Террайя. В свое время Андре Жид восторженно отзывался об этой главе («Дневник», ноябрь 1905).50 … крики, что исходили из мешка! – Эта и другие строфы последней песни заканчиваются упоминаниями о событиях, про которые еще предстоит узнать читателю. Это классический прием романов, печатавшихся с продолжением из номера в номер в альманахах и журналах. О таинственном мешке пойдет речь в 9-й строфе песни.51 … на улице Вивиен … – На этой улице одно время жил сам Лотреамон.52 … прекрасен … как соседство … швейной машины с зонтиком!– Комментаторы предполагают, что «соседство швейной машины с зонтиком» перекочевало на страницы Лотреамона с какой-нибудь рекламной картинки.53 Тартан – клетчатый шотландский плед.54 … о железном кольце, что спрятала под камень рука маньяка – Лотреамон снова забегает вперед, интригуя читателей. Маньяк появится в 7-й строфе.55 … коммодорская шпага … – Коммодор – звание, которое носит в английском флоте командующий эскадрой.56 … хрустальный флакон, заключающий влагу, способную … стать живительной– В XX главе романа Метьюрина «Мельмот-скиталец», несомненно, хорошо известного Лотреамону, встречается сцена, подобная описанной в данной строфе (обморок молодой девушки, которой грозит опасность; смятение ее родных; флакон с солями, который служанки приносят взволнованной матери).57 … черный лебедь, которого … сторонятся его … собратья. – Черный лебедь и краб появятся в конце 8-й строфы.58 … рыбий хвост … балка … пуля … вонзится в шкуру носорога … – Все перечисленное, так же как снежная дева и коронованный безумец, явится в 10-й строфе.59 Апоневрозы – пронизанные сухожилиями соединительные оболочки на мышцах.60 … пророчество петуха … караван паломников … тряпичник из Клиньянкура – Предвосхищение событий 8-й и 10-й строф.61 Агон – от греч. aghone – петля. Намек на роль, которую предстоит сыграть этому персонажу.62 Викунья (или вигонь) – парнокопытное животное из рода лам.63 Маны – в римской мифологии обожествленные духи предков, хранители гробниц.64 … с антаблемента гигантской колонны … – Имеется в виду Вандомская колонна, установленная Наполеоном в честь победоносной французской армии.65 Пантеон – усыпальница великих людей; высокое, увенчанное куполом сооружение, расположенное в Латинском квартале.66 … неподалеку от новой Оперы – Здание парижской Оперы только строилось, когда писались «Песни Мальдорора».